« Lifting the Ban on Intercept Evidence? » - par Fanny FOREST
« Lifting the Ban on Intercept Evidence? » (Controverse autour de l'utilisation des communications interceptées comme élément de preuve au cours du procès pénal au Royaume Uni)
Contrairement à la France,le Royaume-Uni prohibe l'utilisation comme élément de preuve au cours du procès des communication interceptées (intecept evidence.) Or, cette interdiction est source de controverses en révélant la tension qui existe entre les impératifs de sécurité nationale et les exigences découlant des droits fondamentaux protégés par la CEDH .Le droit comparé suggère des solutions au regard des systèmes accusatoires et inquisitoires.
La notion d'intercept evidence (I.E) désigne l'utilisation comme élément de preuve au cours d'une procédure judiciaire de données interceptées de façon secrète lors d'une communication privée par les services de renseignements ou les forces de l'ordre. Au Royaume-Uni ce type de preuve est prohibé en vertu de l'article 17 du regulation of investigatory powers act (RIPA). En 2006 l'ONG Justice a publié un rapport(r1) recommandant la levée de cette interdiction dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dans la perspective de l'évolution des systèmes juridiques, ce débat doctrinal pose la question de la pertinence de la catégorisation des modèles juridiques au vu de l'émergence d'un modèle mixte européen de type contradictoire, conforme au standard du procès équitable posé par jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l'homme. Ce modèle, influençant indéniablement les pratiques judiciaires et les positions doctrinales dans le régime d'administration de la preuve remet en question de « l'apparente irréductibilité des modèles de type accusatoire ou inquisitoire. »(r2) Il s’avère pertinent d’un point de vue comparé de tenter de comprendre comment s’explique la divergence d’approche alors même que la France et le Royaume Uni sont tous deux engagés dans la lutte contre le terrorisme et soumis aux mêmes obligations internationales. En particulier, il convient d’évaluer dans quelle mesure la spécificité du modèle juridique propre a chaque pays constitue un facteur explicatif et partant, si le droit comparé peut suggérer une solution.
l'état du Droit positif : deux régimes contrastés. Le Royaume-Uni a depuis longtemps eu recours aux interceptions: d'abord régulée par les principes de common law cette technique a finalement fait l'objet d'un encadrement legislatif plus rigoureux, notamment sous l'impulsion de la CEDH, qui dans Malone v Uk (r 3) indique que la loi « doit définir l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir avec une netteté suffisante, compte tenue du but légitime poursuivi, pour fournir une protection adéquate contre l'arbitriaire. » Le Royaume-Uni a donc légiféré sur la pratique des écoutes téléphoniques en adoptant l'Interceptions of communications act (IOCA) remplacé en 2000 par le regulation of investigatory powers act (RIPA)(r4). En l'etat actuel du droit, la procédure de mise sur écoute se fait sous le contrôle de l'éxécutif au moyen d'une ordonnance (warrant) délivrée par le Home Secretary s'il la juge nécessaire à la protection des intérêts de sécurité nationale, la prevention ou la detection des infractions graves,la sauvegarde du bien-être économique du Royaume Uni. En France, le système s'articule autour des grands principes du régime de la preuve: le principe de liberté (comme il est exprimé à l'article 427 Cpp) , de légalité et de l'intime conviction des Juges. Ainsi rien ne fait obstacle à l'admission d'interceptions de communication comme élément de preuve dans le cadre d'une procédure pénale. Cependant le droit Français procède à une distinction stricte entre les interceptions administratives de sécurité utilisables à des fins de renseignement exclusivement, et les écoutes ordonnées par l'autorité judiciaire qui peuvent etre versées au dossier en tant que preuves.(r5) L'étanchéité n'est néanmoins pas totale puisqu'il est prévu (selon l'exposé des motifs de la loi du 10 juillet 1991): « la possibilité de recourir à une brève interception de sécurité au cours de l'enquête pour les infractions de criminalité organisée les plus graves, avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention. » A noter que dans ce cas les interceptions seront encadrées par les principes du régime des écoutes judiciaires, marqué par un certain formalisme. Ainsi, la loi(r6) pose une condition de gravité du l'infraction, de désignation des personnes faisant l'objet de la mesure et confie le monopole de la décision d'intercepter au magistrat d'instruction qui a contrôle et autorité sur les opérations (art 100 CPP).Quant à l'exécution, on notera qu'il n'y a pas de transcription mot à mot des interceptions mais que les informations ne sont transmises «qu'en fonction de de l'intérêt que leur contenu présente au regard de la recherche de la preuve de l'infraction»( art 100-5 CPP)(r7). Il est à noter néanmoins que la réforme de 2004, destinée à «poursuivre les formes les plus graves de criminalité» grandement facilité le recours aux écoutes témoignant de la création d' un « espace de confusion entre l'écoute judiciaire et l'interception de sécurité. »(r8) Finalement, l'absence de distinction entre écoutes judiciaires et interceptions de sécurité en droit anglais n'est pas sans incidence sur les fins et usages des interceptions récoltées et justifie l'absence de force probante de tels éléments d'information. Ainsi, en droit anglais,une libéralité manifeste quant à l'étendue des pouvoirs octroyées pour la recherche d'information (le recours aux méthodes d'interception constituant un outils central de l'enquête pénale) est contrebalancée par une approche restrictive dans l'admission de la preuve.
Controverse. On peut s’étonner de la part d’une ONG œuvrant principalement pour la défense des droits de l’homme face aux empiètements de l'exécutif d'une telle initiative.Il est évident que le rapport ne prône non pas l’extension des interceptions de communication comme méthode d’enquête pénale, mais bien la possibilité d’admettre de telles méthodes comme preuve, afin de renforcer les droits de la défense.Ainsi le rapport publié par Justice mentionne les difficultés qui résultent de l'approche restrictive du droit anglais. L'interdiction fait ainsi obstacle à toute possibilité d' inculpation et de condamnation.(A noter qu'il existe dans la procédure pénale anglaise une phase formelle d'inculpation « charging » qui n'a pas réellement d'équivalent en droit français et après laquelle il ne peut plus y avoir d'interrogatoire.Cette étape se matérialise entre autres par le franchissement d'un pallier dit evidential test consistant à savoir si,au vu des éléments de preuve disponibles, dans l'éventualité d'un procès, il est concevable qu'une condamnation soit prononcée par le Juge.)(r9) L'impossibilité d'admettre de telles preuves et donc de poursuivre la procédure pénale a conduit à la prise de mesure extrêmes en matière de terrorisme. Ainsi le rapport fait mention de trois mesures qui dérogent aux exigences du procès équitable:la détention indéterminée de suspects terroristes non britanniques (conformément à la partie 4 de la loi ACTSA 2004), le recours aux control orders (types d'ordonnances d'assignation à résidence.)à l'encontre des personnes suspectées de participation à des actes terroristes et l'allongement de la durée maximale de la détention avant inculpation dans les affaires terroristes de 14 jours a 28 jours (conformément à l'art 23 du Terrorism Act 2006).En fait, l'essentiel du problème réside dans le fait que si les interceptions ne peuvent pas être utilisés dans la procédure d'inculpation formelle, elles le sont en revanche fréquemment comme motif d'arrestation. Le rapport souligne la grande valeur probante des interceptions: la levée de l' interdiction permettrait en effet de réintroduire ces cas dans la procédure pénale, en rendant possible une inculpation et en augmentant la probabilité des condamnations des crimes et délits liées au terrorisme.(En france 80% des preuves retenues contre les suspects de la vague d'attentat de 1999 provenait de communications interceptées(r10))
Quelle réponse aux impératifs de sécurité nationale ? La question de l'admissibilité des interceptions de communication comme preuve lors du procès, loin de ne constituer qu'une difficulté juridique technique se heurte aux impératifs de sécurité nationale et de protection de la confidentialité des données qui domine la rhétorique gouvernementale des pays engagés dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi selon le gouvernement Britannique la levée de l'interdiction nuirait à l'efficacité des techniques et méthodes d'interception en permettant aux éventuels terroristes ou criminels d'adapter leur méthodes de communication à l'évolution des techniques d'interception.(argument soulevé lors des débats parlementaires précédant l'adoption du RIPA 2000) créant ainsi le risque de rendre l'intégralité du système encadrant les écoutes obsolète. La levée de l'interdiction aurait également un impact négatif sur les relations professionnelles entre la police et les services de renseignement en réduisant la coopération, et augmenterait la charge de travail des différents services. (en raison de l'obligation de transmettre et conserver les éléments de preuves susceptibles d'être utilisés lors d'un procès.) La France , pourtant confrontée aux mêmes exigences de sécurité ne prohibe pas ce mode de preuve. Comment le droit parvient-t-il à opérer cette conciliation?D'une part, il faut noter le caractère intégré, centralisé et spécialisé de la procédure pénale dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, qui se trouve sous la supervision constante du magistrat d'instruction.De plus il existe un système d échange et d'information systématique entre la DST ( direction de la surveillance du territoire qui en France exerce également une fonction de police contrairement au Royaume-Uni) et les magistrats d'instruction. D'autre part, s'il est vrai que le système français repose sur une distinction stricte entre interceptions de sécurité et écoutes judiciaires, le droit prévoit une possible judiciarisation des données interceptées par la délivrance d'un mandat sous contrôle du juge judiciaire avec, dans cette hypothèse, des garanties de confidentialité: ainsi les informations pertinentes sont retranscrites sur un document séparé qui sera versé au dossier; il n'est pas possible au cours du procès pour la défense de questionner les renseignements qui sous- tendent le rapport transcrit.
La pertinence du modèle Juridique en question Le gouvernement Britannique a entrepris de trouver une solution pour envisager l'adoption d'un mécanisme permettant d'admettre les I.E. . Partant du principe que le système accusatoire ne se prétait pas aisément à l'adoption d'un tel mécanisme, c'est vers le système de la justice pénale française, de type inquisitoire qu'il s'est tourné: ainsi un rapport portant sur le système d'instruction pénal français dans les affaires liées au terrorisme(r11) relève avec un intérêt particulier les mécanismes prévus par le droit français pour concilier admission de la preuve et exigences de confidentialité.Pourtant, la nature accusatoire du système de common law est identifié comme l'obstacle principal à l'adoption de mécanismes similaires. En particulier, le rapport souligne le rôle de l'avocat de la défense qui diffère considérablement d'un pays à l'autre. Ainsi si au Royaume Uni la défense est partie prenante à l'enquête et conseille son client dès la garde à vue, sa tache principale en France consiste à s'assurer de la régularité de la procédure.Du point de vue du droit comparé , la démarche est pour le moins intéressante,car elle pose la question de la pertinence réelle du modèle juridique dans l’administration de la preuve. En effet si l'on admet que le modèle accusatoire dans sa forme pure a disparu au profit d’un modèle universel de procès équitable qui transcenderait la distinction accusatoire/inquisitoriale et résulterait des obligations explicites et implicites contenues dans l’article 6 CEDH ( intégrée au droit anglais depuis l'entrée en vigueur du Human rights Act 1998 dont l'art 6 impose aux tribunaux Britanniques, en tant l'autorité publique, l'obligation de ne pas agir d'une manière qui irait à l 'encontre des droits garantis par la convention.) c'est au sein de ce modèle qu’il convient de considérer la question de l’admission des I.E .Ainsi ce ne serait pas les spécificités juridiques du système de common law qui feraient obstacle à la levée de l'interdiction, mais comme l'a suggéré lord Bingham dans l'affaire Attorney General's reference (r12) l'interdiction d'admettre un tel type de preuve serait un choix politique, d'autres pays ayant fait un choix différent dans le respect de l'article 8(2) et 6 de la Convention Européenne des droits de l'homme.Pourtant le rapport conclut à l’impossibilité d'un emprunt, sans un profond changement des institutions juridiques britanniques. Il faut donc en conclure que certaines caractéristiques du modèle accusatoire, notamment la place centrale du procès, et la phase de contre-interrogatoire, demeurent des obstacles à l’incorporation d’un mécanisme d’admissibilité de la preuve des communications interceptées sur la base du modèle francais.
Vers une solution plus conforme aux principes de Common law? L' une des réticences du gouvernement Britannique quant à l'importation de mécanismes issus d'un système inquisitoire réside dans le risque de conflit avec les exigences de l'article 6 CEDH : en particulier le fait de ne pas laisser à l'avocat de la défense l'opportunité de consulter et remettre en question les informations qui sous tendent la transcription présentée lors du procès. Cet argument peut étonner, étant donné que la France est-elle aussi liée par les obligations de l'art 6 et qu'il n'y a pas eu à ce jour d'action devant la CEDH sur ce fondement: ainsi la jurisprudence de Strasbourg impose surtout un encadrement législatif précis des pratiques d'interception.(r13) conformément à l'article 8 mais reconnaît la marge d'action laissée à l'Etat Membre dans l'organisation de ces pratiques.(r14) En revanche il y aurait un avantage certain à emprunter des mécanismes nouveaux auprès de juridictions appartenant à une même famille juridique.En effet si les juridictions de common law du Canada ou de Nouvelle Zélande par exemple ne sont pas liées par les principes posés par la CEDH en tant que tels, ces pays possèdent une conception similaire des droits de la défense qui ne nécessite pas de chamboulement des arrangements judiciaires et institutionnels en place.L'ONG Justice dans son rapport à donc passé en revue les mécanismes existant dans les différents pays de common law. Il ressort de cette étude qu'un certain nombre de principes et mécanismes permettent de réconcilier les impératifs de sécurité et l'équité du procès dans le respect de la tradition accusatoire. En particulier, le recours à la notion d'immunité d'intérêt public (Public interest Immunity) qui permet de protéger les informations confidentielles contre toute divulgation non nécéssaire au bon déroulement de la procédure pénale.Sur la base de ces observations, le rapport fait les recommandations suivantes: il propose de remplacer le pouvoir détenu par le Home Secretary par un système d'autorisation judiciaire des interceptions et de redéfinir l'encadrement législatif des interceptions (qu'elles proviennent des services de renseignement ou des agences de maintien de l'ordre.) plutôt qu'un simple amendement de l'article 17 de RIPA. En ce qui concerne le mécanisme d'immunité d'intérêt public, le rapport fait remarquer qu'un tel concept existe déjà au royaume Uni(r15) et qu'il devrait être étendu au domaine des interceptions dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.Enfin, s'inspirant directement du droit étranger il suggère l'adoption sur le modèle de la loi Sud-Africaine (section 48 South African Regulation of Interception and provision of communication related Act 2002) d'une disposition permettant la délivrance d'un certificat par un juge qui fournirait une garantie prima facie que l'interception autorisée pourra être par la suite utilisée au cours de la procédure pénale. Pareillement, s'inspirant cette fois du droit Canadien ( partie 6 du Code Pénal Canadien) il recommande la possibilité de mise sous scellées des données interceptées. Cela à l'intérêt de montrer les différents niveaux d'intervention du droit comparé (l'évaluation des similitudes,l'adaptation des principes empruntés à des mécanismes domestiques, ou l'importation complète de nouveaux mécanismes nécessitant une reconfiguration du système existant.) A souligner en conclusion que ce rapport n'a en aucun cas force contraignante et qu'il ne présage pas de l'évolution du droit britannique en ce domaine. En revanche, le Gouvernement a annoncé la publication prochaine d'un nouveau rapport (The Chilcot review) courant 2008.
Notes de bas de page: r1:A justice report, Intercept evidence lifting the ban, septembre 2006 (site web) www.justice.co.uk r2:Les transformations de l’administration de la preuve pénale, volume douze , perspéctives comparées sous la direction de Geneviève Giudicelli-Delage,Société de législation comparée 2006 r3:Malone v UK (1984) 7EHRR 14 r4:Encore une fois sous l'impulsion de la CEDH(Halford c/RU)1997 r5:Cf Loi n°91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications éléctroniques, version consolidée au 24 janvier 2006 r6: Dispositions adoptée à la suite des sanction prononcée par la CEDH à l'encontre de la france dans les affaires « Kruslin » et « huuvig » rendus le 24 avril 1990 r7:Jobard,F. Et Schulze-Icking, N.: Preuves Hybrides: l'administration de la preuve pénale sous l'influence des techniques et des Technologies (France, Allemagne, Grande-Bretagne) , études et données pénales, 2004, n°96 CESDIP P86 r8:Ibid 7 p87 r9:Ce test figure dans le « Code for crown prosecuteur » qui rassemble la ligne de conduite a suivre pour proceder a une inulpation, disponible sur le site du CPS. r10:Terrorist investigations and the french examining magistrate system, Home office, July 2007 r11:Terrorist investigations and the french examining magistrate system, Home office, July 2007 r12:(No5 of 2002) (2004) 4 All E.R 901 r13:Malone v UK (1984) 7EHRR 14 r14:Schenk v Switzeland. (1988) 13EHRR 242 r15:L'art 3(6) de la loi sur la procedure et les enquêtes pénales (criminal procedure and investigations act 96) interdit la divulgation d'information allnt a l'encontre de l'Intérêt public.)
Bibliographie:
Documents internet: Terrorist investigations and the french examining magistrates system, July 2007 Home Office (site Web) A justice report, Intercept evidence lifting the ban, septembre 2006 (site web) www.justice.co.uk Jobard,F. Et Schulze-Icking, N.: Preuves Hybrides: l'administration de la preuve pénale sous l'influence des techniques et des Technologies (France, Allemagne, Grande-Bretagne) , études et données pénales, 2004, n°96 CESDIP (Site Web du Ministère des Affaires Etrangères.) Amnesty International (site wab) Human Rigths Watch (site web.)
Manuels: Libertés publiques, précis Dalloz, Colliard et Letteron, 8eme édition. Evidence text and materials by Steve Uglow, Thomson, Sweet and Maxwell, second editionTextbook on civil liberties and Human rights, Richard Stone, Oxford University press 6th edition