Arrêt du tribunal social nº16 de Madrid en date du 24 janvier 2011. La grève dans les services essentiels : Le service minimum en Espagne - par Florent Boussendorffer

 


L’arrêt du tribunal social nº16 de Madrid en date du 24 janvier 2011 a pour message central le fait de préserver le bien être des citoyens lorsqu’une grève éclate dans un service essentiel et de prendre en considération le droit de tout un chacun à mener normalement sa vie quotidienne ; il met en exergue l’équilibre respecté entre le droit de grève d’une part, et les droits fondamentaux de tout citoyen d’autre part, consistant à ne pas être gêné dans sa vie, de préserver sa santé et ce grâce à l’intervention du gouvernement dans la fixation de services minimums.


On se demandera alors si cet équilibre est respecté en France ou s’il existe à l’inverse une grande disparité à ce sujet ?


Le détail de cet arrêt nous montrera que la France se révèle être un cas à part où dans le service essentiel du transport, il n’existe pas à proprement parlé de services minimums obligatoires.


Par cet arrêt du tribunal social, la juge déclare « illégale » la grève du Métro madrilène qui a eu lieu le 29 et 30 juin 2010, en raison du non respect des services minimums arrêtés par le gouvernement régional moyennant décret.


En somme nous verrons que le droit de grève pose au juge un redoutable problème d’encadrement juridique. D’un côté il est garant de ce droit constitutionnel, de l’autre, il lui appartient de borner son exercice pour le concilier avec le respect des droits d’égale valeur. L’assignation enregistrée le 16/11/2010 avait pour demandeur le service public « METRO DE MADRID » et pour partie défenderesse, entre autres, plusieurs syndicats dudit service ainsi que le comité d’entreprise de METRO.


 


Les faits


 


Le 17 juin 2010 une poignée de syndicats du Métro Madrilène annonce leur préavis de grève à la Direction Général du Travail de la Communauté de Madrid ainsi qu’à la direction de « METRO DE MADRID », pour les journées du 29 et 30 juin 2010. C’est la mesure phare du plan de réduction des déficits consistant en une baisse de 5% en moyenne des salaires de la fonction publique, qui a mis le feu aux poudres et qui par la même a été à l’origine du déclenchement de cette grève.


En somme, les travailleurs représentés par les syndicats revendiquent un manquement à la convention collective de 2009 effective jusqu’à 2012 de la part de l’entreprise.


 


Dans l’ordre chronologique des faits :


 


Le 17 juin 2010, se tient une assemblée de travailleurs (entre 1000 et 1200) durant laquelle est votée à main levée la décision de faire grève le 28 juin avec respect des services minimums. Toutefois, si l’assemblée de Madrid approuve le décret qui entraîne une baisse des salaires de 5% des fonctionnaires de la communauté de Madrid, deux autres journées de grèves s’ajouteront à la première les jours qui suivent et ce sans exécuter aucun service minimum dans les métros.


Le 21 Juin, après avoir annoncé son préavis de grève 4 jours auparavant, le comité de grève se réunit avec les représentants du Métro de Madrid afin de déterminer les services minimums qui opèreront pour les journées du 29 et 30 juin 2010. Cette rencontre se solde par un désaccord. On notera a titre de comparaison que le préavis de grève en Espagne se fait minimum 10 jours avant le début de ladite grève et ce dans les services essentiels (5 jours dans les autres services) tandis qu’en France le délai est toujours de 5 jours minimums ;


Le 22 juin, le ministère des transports de la communauté autonome de Madrid fixe un service minimum de 50 % quant au maintien des transports en métro pour les journées de grèves du 29 et du 30 juin 2010. L’arrêté qui établit lesdits services a par la suite été contesté auprès du tribunal supérieur de justice de Madrid.


Le 28 juin, la première journée de grève se déroule sans encombre et un service partiel est assuré.


Le 29 et 30 juin, aucun service minimum n’est assuré entraînant une perte totale s’élevant à 4.747.295 euros affectant pas moins de 3.513 366 voyageurs, le 29 juin et 1.757.496 le jour d’après. La juge dans sa décision emploi le terme de « chaos circulatoire ».


 


I) Le droit de grève dans la législation


 


La cour rappelle premièrement avant de rentrer dans le fond du problème que l’objet de la demande repose sur le caractère légal ou non de la grève des 29 et 30 juin 2010 qui a eu lieu dans les métros de Madrid et non sur une éventuelle mise en cause de la responsabilité des personnes et collectifs qui ont convoqué ou appuyé ladite grève, ni sur la validité de la constitution, adoption des accords ou décisions prises lors de l’assemblée des salariés du Métro de Madrid et enfin ni sur une action en indemnité à titre de dommages et intérêts.


 


A) Valeur constitutionnelle du droit de grève pour les deux pays


 


Avant tout, le droit de grève est un principe consacré dans l’ensemble de l’Union Européenne, à travers la Charte Sociale Européenne de 1961 en son article 6, ainsi que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 dans son article 8 (valeur contraignante pour cette charte).


 


Autant l’Espagne que la France prévoit le droit de grève :



  • L’Espagne l’a inscrit dans sa constitution de 1978 (celle en vigueur) à l’article 28.2

  • En France le droit de grève apparaît dans le préambule de la constitution de 1946 rattaché à sa constitution de 1958, lui donnant alors une valeur constitutionnelle. Le Préambule ne parle que du droit de grève en générale (le droit de grève « s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ») et le Conseil d’état est donc intervenu en proclamant la possibilité d’exercer le droit de grève dans les services publics y compris au profit des fonctionnaires sauf quelques exceptions (l’arrêt DEHAENE CE 7 juin 1950).

 


On a donc une identité de fondement juridique entre les deux pays qui placent le droit de grève au niveau des droits fondamentaux.


 


B) Restriction au droit de grève


 


Ce que souligne la cour dans un premier temps et qui à titre de comparaison avec la France est intéressant, est la limite apportée par la constitution espagnole quant au régime légal du droit de grève, limite que l’on ne retrouve pas dans le texte français.


L’article 28.2 de la Constitution espagnole dispose que « le droit de grève est reconnu aux travailleurs pour la défense de leur intérêt. La loi qui règle l’exercice de ce droit établit les mesures nécessaires pour assurer la permanence des services essentiels à la collectivité ».


La juge rajoute que l’article 53.1 CE vient en tant que garant des libertés et des droits fondamentaux tel que le droit de grève et lient ainsi tous les pouvoirs publics. Cet article impose entre autre que le droit de grève soit règlementé par la loi et seulement par elle.


Elle précise enfin à la suite de ce qui vient d’être dit que le concept constitutionnel du droit de grève impose donc une limite précise de ce droit lorsqu’il touche les services essentiels de la communauté.


La loi qui développe le concept constitutionnel en Espagne est le décret Royal Législatif 17/1977 du 4 Mars sur les relations de travail.


 


En comparaison, les règles qui gouvernent l’exercice du droit de grève en France ne sont pas dégagées par une loi ou une réglementation comme en Espagne avec ledit décret mais par la jurisprudence (bien que le préambule de la Constitution de 1946 en son principe 7 prévoit que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent).


Quant aux limites à celui-ci, c’est encore la jurisprudence qui intervient et qui s’accorde à dire que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public » (arrêt DEHAENE CE 7 juillet 1950).


Cependant, la continuité des services publics prévue par la jurisprudence n’est pas inclus dans l’article relatif au droit de grève dans le préambule de 1946 et aucune réglementation ni législation concernant le service essentiel du transport en France ne vient à prévoir une obligation d’assurer un service minimum à proprement parler d’où le fait qu’une grève ne pourra pas être déclarée illégale si elle provoque un chaos circulatoire totale comme ce fut quelque fois le cas en France dans les années 2000. En atténuation, nous verrons qu’il existe des alternatives dans le service du transport et qu’une nouvelle règlementation datant de 2007 vient partiellement renforcer ce vide constitutionnel à propos de la garantie d’une continuité du service public.


 


À travers son fondement juridique, le tribunal va trancher sur la question de la légalité ou non des grèves du 29 et 30 juin 2010 en tentant de démontrer que le Métro délivre un service essentiel dans lequel le service minimum doit être en parti respecté.


Cela qui nous permettra d’aborder une approche comparative sur les services essentiels dans un premier temps puis plus précisément sur le régime des services minimums.


 


II) Les services essentiels


 


A) La préservation des « secteurs essentiels » en Espagne: une justice plus à l’écoute de l’intérêt des usagers.


 


1-  Un Droit de grève limité si justifié


 


Pour mettre en exergue le fait que l’exercice du droit de grève puisse se trouver limité quand il fait face aux services essentiels de la communauté, la décision de justice commentée fait apparaître deux jurisprudences du Tribunal Constitutionnel espagnol. En effet celles-ci interprètent et développent la clause constitutionnelle sur le service essentiel et son importance, sa qualité (article 28.2 CE).


L’arrêt 11/1981du 8 avril premièrement déclare que «le droit des salariés à défendre leurs intérêts moyennant l’utilisation d’un moyen ou instrument de pression dans le processus de production des biens et services autrement dit la grève, cède à partir du moment ou celle-ci entraîne ou peut entraîner un mal (un dommage) plus grand que les grévistes éprouveraient si leur revendication ou prétention n'aboutissait pas"


La juge rajoute que tel est le cas a chaque fois qu'une grève fait obstacle où empêche le fonctionnement des "services essentiels à la communauté".


La décision confirme cette tendance prétorienne du droit espagnol tendant à dire que la grève ne peut imposer un sacrifice des intérêts des destinataires des services essentiels.


 


L’arrêt commenté est le symbole d'une jurisprudence du Tribunal Constitutionnel qui a toujours pris en compte, dans le cadre des circonstances particulières de chaque conflit, la seule nécessité de protéger les intérêts de chaque usager.


 


2- Hiérarchie entre le droit à la vie et aux prestations vitales, et le droit de grève


 


 Ce même tribunal Constitutionnel a décidé que "le droit de la communauté aux prestations vitales est prioritaire sur le droit de grève ".


A titre indicatif concernant la protection du droit à la vie en France et d’une point de vue hiérarchique, celle-ci n’est pas toujours formalisée implicitement dans les textes suprêmes : aucun article de la Constitution française du 27 octobre 1958 ne contient le droit à la vie. Dans l’ordre judiciaire français le droit de grève se positionne au dessus du droit à la vie juridiquement parlant ce qui dans les mœurs lui donne une place importante au quotidien.


L’Espagne dans sa jurisprudence place l’article 15 CE relatif au droit à la santé et l’article 43 CE concernant le droit à la vie au dessus du droit de grève des travailleurs, lesquels peuvent alors le limiter. En France, il n’existe pas de hiérarchie formelle entre les droits et libertés des citoyens. Juridiquement parlant, les règles d’ordre public sont celles qui doivent être obligatoirement respectées sachant qu’il est souvent fait une distinction entre libertés fondamentales et non fondamentales suivant la provenance de leurs rangs (bloc constitutionnel, bloc législatif, principes généraux de droits, bloc réglementaire, bloc contractuel). Le Conseil constitutionnel dispose, par conséquent, d’une marge d’appréciation très importante pour concilier les droits et libertés du bloc de constitutionnalité dont il entend garantir le respect. A cet égard, tout ceci explique la place prédominante du droit de grève en France et la difficulté juridique à lui imposer des limites.


 


Dans l’enchaînement logique de l’arrêt et selon la jurisprudence espagnole, le transport fait parti des principaux services essentiels et la juge va préciser son point de vue à ce propos concernant le Métro madrilène.


 


B) Le Métro de Madrid: prestataire d'un service essentiel à la communauté


 


Comme le rappelle la juge, cela a déjà été affirmé dans un ancien arrêt du Tribunal Constitutionnel, arrêt 53/1986 du 5 Mai qui qualifia le "Métro de Madrid comme un service essentiel puisque entre autre, il satisfait aux exigences de libre communication et de circulation mais il permet également aux citoyens d'accéder à leur poste de travail, à leur domicile, ou plus généralement aux lieux dans lesquels ils peuvent obtenir une prestation correspondant à un droit fondamental."


En complément, le juge rajoute que selon un courant doctrinal, un service essentiel se trouve lésé ou mis en danger selon l’expansion de la grève. Toute grève n’est donc pas systématiquement un fléau pour les services essentiels c’est pourquoi il faut procéder au cas par cas pour déterminer si proportionnellement la grève a eu des répercussions importantes dans les faits au niveau de la communauté (durée, extension…).


La notion de services essentiels est unanimement reconnue en Europe et par conséquent le France reconnaît également le domaine du transport comme étant un service public à caractère essentiel.


 


L’article 28. 2 de la constitution espagnole bien que plus développé que la notion de grève en France et incluant quand a elle une limitation quant à son exercice ne précise pas pour autant ce qu’elle entend par « garanties » afin de préserver la qualité essentielle du service lésé. Rappelons qu’en France, bien qu’inclus au sein de la constitution, le principe de continuité des services publics n’est pas considéré comme une limitation : ils cohabitent ensemble ce qui amène à parler de principe de même valeur constitutionnelle.


En fait, l’ordre juridique espagnol renvoi l’article constitutionnel à l’article 10.2 du décret Royal Législatif 17/1977 qui en fait procède à une interprétation restrictive de l’expression « garantis précises » qui figure dans donc l’article 28.2 et l’assimile finalement à l’imposition d’un service minimum de la part d’un organe du gouvernement ayant autorité sur la communauté.


 


III) Le service minimum : un dispositif espagnol souple et efficace


 


A) Définition du service minimum


 


Avant tout, il est bon de préciser que l’arrêt présent ne se contente pas seulement de rendre son verdict quant aux grèves du 29 et 30 juin 2010 c'est-à-dire, aller à l’essentiel suivant divers fondements juridiques. Très astucieusement, dans un souci de clarté et peut être pour rendre fédérateur l’arrêt à l’avenir, il explicite certaines notions comme le service minimum.


La juge en effet rappelle que le service minimum pourrait être défini comme le niveau d’activité qui doit être maintenu durant l’exercice légitime du droit de grève afin de satisfaire les droits fondamentaux, les libertés publiques et les biens constitutionnels protégés et assuré par les services touchés alors par la grève.


 


B) Moyens alternatifs français


 


À cet égard, la France constitue un cas singulier par rapport aux autres pays européens, car le service minimum y est peu répandu et parce que ni la loi ni le dialogue sociale ne permettent d’assurer pleinement la conciliation de l’exercice du droit de grève avec la continuité du service public. Ce dernier point est tout de même à nuancer depuis 2007 avec l’approbation  d'une loi facilitant le dialogue social et depuis reprise par l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010.


Au sein de la communauté européenne, la France est souvent considérée comme étant l’un de seuls pays membres de l’Union Européenne à se distinguer par l’absence de reconnaissance d’un principe de continuité des services publics. La France a cette image de nation ou les droits des usagers sont les moins protégés.


 


La grosse différence avec l’Espagne comme évoqué déjà auparavant tient au fait que le droit de grève en France connaît peu de restrictions (lois spéciales interdisant l’exercice du droit de grève à certains fonctionnaires tels le personnel de Police ou les magistrats de l’ordre judiciaire).


Les obligations de concertation entre les partenaires sociaux pour éviter un conflit social sont plus formelles qu’autre chose contrairement au cas espagnol, où la concertation après le préavis de grève donne lieu à l’arrêt des services minimums (ou peut déboucher sur une résolution du problème).


 


Une petite avancée en 2007 a changé la donne, tout au moins en apparence. La loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs votée le 2 août 2007 (entrée en vigueur le 1er janvier 2008) institue des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics terrestres en cas de grève.


La loi instaure l'obligation pour les salariés d'indiquer quarante-huit heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève pour permettre aux collectivités locales de réorganiser le service sur les dessertes les plus importantes, en substituant des non grévistes aux grévistes.


Le gros poins négatif réside en ce que la loi ne va pas jusqu'à instaurer une obligation de maintenir un certain seuil de services minimums comme l'avait espéré plus de 80 % des français à l'époque (et la majorité des européens). Elle ne fixe aucun quota de fonctionnement des véhicules de transport, même durant les heures de pointe (laissée aux accords entre syndicats et autorités organisatrices des transports).


 


Au final et malgré ce changement, le dialogue social en France reste encore limité et se révèle être un des plus faibles en Europe et ce pour plusieurs raisons:


- un taux de représentativité particulièrement bas


- missions plus réduites des syndicats par rapport à d'autres pays européens.


 


Bien avant la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 (Cette loi du 21 août 2007 a été abrogée par l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010) et concernant le domaine du transport, il faut évoquer et saluer certaines initiatives prises à l'époque et ayant débouchées sur des mécanismes visant à instaurer ou renforcer le dialogue social:


1- le protocole signé en 1996 entre la direction de la RATP et la grande majorité des organisations syndicales puis renouvelé en 2001 avec l'accord de tous les syndicats a instauré un procédé appelé "alarme sociale" qui a permis de limiter sensiblement les conflits . Ce protocole stipule que « les partenaires sociaux doivent rechercher les moyens de rendre les conflits moins nombreux en répondant à l'aspiration des salariés et en observant une procédure d'anticipation des conflits » (...) (tiré de l'article 15).


2- la SNCF a instauré de son côté un protocole d'accord sur la prévention des conflits et sur le dialogue social instaurant le mécanisme dit "service prévisible". En fait, quelques jours avant le début de la grève, la direction prévoit un plan de transport qu'elle communique par la suite aux syndicats. Après quelques éventuelles modifications, ce même plan est publié à 16 heures au plus tard  la veille de la grève.


 


Cependant, ces deux « services garantis » ne sont pas coercitifs : S’il ne sont pas respectés lors d’une grève de transport terrestre, cette dernière ne serait être jugée illégale contrairement au cas de notre arrêt espagnol (mais l'entreprise recevra juste une amende). La grève n’irait pas à l’encontre de la constitution au sens ou ces deux instruments ne sont pas appréhendés par celle-ci.


 


Enfin et pour finir le commentaire de l’arrêt on se demandera relativement à l’ordre juridique espagnol : Que se passe t-il si lesdits services imposés par l’autorité du gouvernement approprié selon le lieu de la grève, ne sont pas respectés par les syndicats ou assemblées des travailleurs espagnols (même dans le cas où les services minimums ont été contestés et qu’une jurisprudence administrative a été saisi à cet effet ?)


 


C) Imposition et Sanction des services minimums


 


1-Quelle autorité impose et fixe les services minimums ?


 


La convocation de grève est présentée premièrement au ministre de travail qui doit l’autoriser puis pendant un délai minimum de 10 jours, la direction d’entreprise et les syndicats doivent négocier soit l’annulation de la grève soit les conditions de services minimums. Si cela échoue comme c’est le cas ici, le gouvernement fixe par arrêtés les conditions du service minimums qui seront obligatoirement exécutoires.


 


En France, dans les services essentiels où le service minimum existe depuis longtemps dans quelques domaines particuliers tels que le nucléaire, l'audiovisuel, la santé et le contrôle aérien,  c’est l’autorité administrative qui organise par voie de circulaires « à caractère réglementaire » le service minimum.


 


2- les sanctions


 


Il a deux possibilités quant aux sanctions liées au non respect des services minimums en Espagne :


- même si ce n’est pas l’objet de ce procès comme le rappelle la juge, cela peut déboucher sur une responsabilité aussi bien sur le plan individuel de chacun des salariés grévistes n’ayant pas respecté le service minimum exigé, que sur le plan collectif pour les syndicats en faute.


- Ou bien et c’est la possibilité qui nous intéresse en l’occurrence, la déclaration soit de l’illicéité de la grève pour exercice abusif d’un droit soit de l’irrégularité de celle-ci pour non exécution des conditions requises de forme ou de fond exigés par la règlementation en vigueur.


 


La cour se base sur une décision du Tribunal suprême en date du 22 novembre 2000 R 1386/2000, selon laquelle les seules grèves pouvant être en principe déclarées illicites ou abusives par présomption légale, hormis celles qui le sont de part leur finalité expresse ou celles qui n’ont pas respectées les règles d’appel à la grève, sont les grèves tournantes (affectent successivement les différents ateliers d’une usine ou services d'une entreprise de telle sorte que les effectifs ne soient jamais au complet et que les pertes de salaire ne soient pas trop importantes) c'est-à-dire celles effectuées par les salariés qui prête services dans des secteurs stratégiques et ayant la finalité d’interrompre le processus productif, ainsi que les grèves du zèle (consistant à exécuter le travail en appliquant à la lettre tous les règlements, afin d'en ralentir le plus possible l’exécution).


Pour tous les autres types de grève, il y a une présomption de légalité sans exclure qu’elles puissent être abusives suivant les circonstances.


Même esprit juridique en France ou toute forme de grève est en principe licite sauf texte légal ou règlementaire précisant les formes que doivent revêtir les arrêts de travail pour constituer une grève.


 


Une grève en principe licite, peut devenir fautive ou abusive si elle est exercée à mauvais escient ou si les circonstances sont elles que les limites du droit de grèves sont transgressées autant en Espagne qu’en France.


La seule différence tient au fait que le juge français aura plutôt tendance à disqualifier la grève (à dire qu’un mouvement collectif n’est pas une grève) tandis que le juge espagnol la déclarera illégale.


 


En l’espèce, il faudra cependant que le juge examine les preuves avancées par la partie lésée, donc ici l’entreprise Métro de Madrid, sachant son préjudice doit être grave et intentionnel de la part des grévistes.


La juge au regard des preuves incontestables, et suivant les articles 10 et 11.D du RDL 17/1977, et par inobservance totale des services minimums établis (fixés à 50% par le gouvernement autonomique) afin de garantir la prestation d’un service d’intérêt général, déclare les grèves du 29 et 30 juin 2000 illégales conformément au même article 10 dudit décret.


 


Dans son contrôle de proportionnalité, la cour insiste sur le nombre élevé d’usagers affectés dans leur déplacement et qui se sont retrouvés dans l’impossibilité d’aller à un autre point dans la ville, que se soit pour recevoir des soins, aller au travail ou bien emmener les enfants à l’école…


Selon la juge, il y a une disproportion évidente dans l’exercice du droit de grève qui premièrement a engendré des pertes économiques considérables pour l’entreprise Métro mais qui également aurait pu être évitée et remplacée par des moyens alternatifs comme saisir les tribunaux afin de faire annuler la réduction salariale de 5% (concernant les fonctionnaires, et finalement baissée à 1%).


 


Conclusion


 


Cet arrêt est historique : c’est la première fois qu’une grève est déclarée illégale pour ne pas avoir respecté les services minimums.


La décision a donc un caractère dissuasif et comme l’affirme la présidente régionale, Esperanza Aguirre, cela pourrait garantir qu’il n’y est plus jamais dans la communauté de Madrid une grève qui ne respecte pas les services minimums.


Elle ouvre également la voie à la réclamation d’un montant de 6,5 millions d’euros de part de Métro.


 


Différence de vision :


- Espagne :


1- Une législation permet au gouvernement d'assurer un service public lors de grève touchant les services essentiels afin de prendre des mesures pour assurer le fonctionnement des services (en cas d'échec lors du dialogue avec les partenaires sociaux comme ce fut le cas dans l'arrêt).


2- L’Espagne à l’heure actuelle, se trouve dans cet esprit ou doivent cohabiter les droits fondamentaux en toute proportionnalité, comme le rappelle l’organisation des consommateurs et usagers qui affirme dans un communiqué à la suite de l’arrêt rendu que le droit de grève n’est pas un droit absolu et que d’autres droits méritent également un degré de protection équivalent, comme la liberté de circulation des habitants de Madrid. Le système espagnol est considéré en Europe comme globalement positif puisque la combinaison des règles de service minimum avec les mécanismes de prévention a permis d’éviter d’importants conflits sociaux. Il y a un souci d’éviter la grève qui se révèle être le symbole ultime de l’échec dans les mœurs en Espagne.


-En France :


1- L’équilibre entre le droit de grève et les droits fondamentaux des usagers tel le droit de circulation n’est pas respecté (aucune législation précise sur le service minimum sauf quelques petites exceptions)


2- La particularité de la France tient à l’addition de 3 éléments principaux :


- un droit de grève large,


- une continuité du service public très partiellement garantie.


- un dialogue social limité (renforcé par la loi de 2007).


3- Réflexion de l’arrêt par rapport à la situation en France : d’un côté l’instauration d’un vrai service minimum à respecter en France permettrait une meilleure prise en compte des usagers sachant que la continuité des transports collectifs est un élément fondateur du service public et une condition essentielle du droit du transport. Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit de grève à mon sens mais plutôt de l’équilibrer avec d’autres biens constitutionnels à protéger et par la même éviter de grosses pertes économiques pour les services publics.


Pour aboutir à un contexte moins conflictuel et ainsi éviter d’en arriver à la grève, en somme suivre l'exemple espagnol plutôt souple et efficace, il faudrait plus d’implication de la part des salariés dans l’entreprise c'est-à-dire qu’ils se syndiquent davantage afin de plus participer au dialogue sociale et faire poids dans l'entreprise avant d'en arriver à la grève.


 


BOUSSENDORFFER Florent


 


Bibliographie:


Sources espagnoles:


♦ Francis Lefebvre, Memento practico social, 2010 ♦ Carlos Molero Manglano, José Manuel Sanchez-Cervera Valdés, Maria José Lopez Alvarez, Ana Matorras Diaz-Caneja, “Manual de Derecho del trabajo”, Décima Edicion  -♦ Frederico Duran Lopez, “la nueva regulacion de la huelga y del cierre patronal”  ♦ “Estudios sobre la huelga”, 2005


.Sources françaises:


J. PELISSIER, G. AUZERO et E. DOCKES, Droit du travail,précis dalloz 25ème édition ♦ ANTOINE MAZEAUD, Droit du travail,Montchrestien 7ème édition ♦ F. FAVENNEC-HERY et P-Y.  VERKINDT, Droit du travail, L.G.D.J 2ème édition ♦ Jean Pélissier, « Droit du travail », 2010