Bilan de la pratique du mandat d’arrêt européen, par Laura Pivette (9/4/2013)

Le mandat d’arrêt européen a été introduit par la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 (ci-après « décision-cadre ») et remplace, entre les Etats membres, la procédure classique d’extradition. L’article 1er de cette décision-cadre définit le terme de mandat d’arrêt européen comme étant une « décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre Etat membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ».  L’article 2 en énonce le champ d’application, qui est assez large puisqu’il n’est pas cantonné à une catégorie particulière de criminalité grave ou transfrontalière. Ratione temporis, la décision-cadre s’applique à tous les faits qui ne sont pas prescrits, y compris ceux commis antérieurement à l’adoption de la décision-cadre. Les principales innovations du mandat d’arrêt européen sont : la forme « automatisée » de la procédure, de juge à juge, la suppression partielle du contrôle de la double incrimination (pour les 32 infractions figurant à l’article 2.2., il suffit que les faits commis soient incriminés selon le droit de l’Etat d’émission), l’encadrement des causes de refus d’extradition (articles 3 et 4 de la décision-cadre exposant les motifs obligatoires et les motifs facultatifs) et la remise des nationaux. L’instauration du mandat d’arrêt européen permet de simplifier et d’accélérer la procédure de remise des personnes condamnées ou soupçonnées en matière pénale, et constitue ainsi une avancée importante pour l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice (Considérant 5 de la décision-cadre de 2002). Cela dit, l’actualité récente (notamment l’affaire Aurore Martin) a permis de mettre en lumière les insuffisances du mécanisme. En effet, la question qui se pose est de savoir si cette procédure est respectueuse des droits fondamentaux et si certaines hétérogénéités dans sa mise en œuvre ne seraient pas contraires au droit de l’Union européenne.

Le présent article a pour objet de dresser un bilan global de la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen depuis son instauration, tout d'abord en analysant, d’une part, la transposition de la décision-cadre en France et en Allemagne et, d’autre part, en évaluant son efficacité sur le plan opérationnel, et ensuite en examinant les différents problèmes rencontrés en France et en Allemagne lors de sa mise en œuvre, notamment en matière de respect des droits fondamentaux.

 

Difficultés inhérentes à la transposition de la décision-cadre dans le droit interne des Etats membres.

La transposition de la décision-cadre a posé en France, ainsi qu’en Allemagne, quelques difficultés liées à la contradiction de celle-ci avec les Constitutions respectives des deux Etats. Dans ces deux pays l’enjeu de la transposition consistait dans la conciliation entre les droits fondamentaux contenus dans les constitutions nationales et la coopération renforcée entre Etats membres en matière pénale. En France, une réforme préalable de la Constitution a été nécessaire, tandis qu’en Allemagne une deuxième loi de transposition a dû être adoptée suite à l'annulation de la première, considérée comme contraire à la Loi fondamentale. En France, la non-conformité à la Constitution reposait sur le fait que la décision-cadre relative au mandat d’arrêt ne prévoyait aucun motif obligatoire ou facultatif de refus de remise lié au fait que l’infraction alléguée serait, selon l’Etat d’exécution, de nature politique (Conseil d’Etat, 26 septembre 2002, avis n° 368-282). Or, le Conseil d’Etat avait déclaré dans une avis du 9 novembre 1995, qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l’État doit se réserver le droit de refuser l’extradition pour des infractions qu’il considère comme politiques (Conseil d’Etat, avis n° 357-344 du 9 novembre 1995). Une révision de la Constitution est donc intervenue le 25 mars 2003 par la loi constitutionnelle n° 2003-267 relative au mandat d’arrêt européen et modifie l’article 88 de la Constitution qui, désormais, dispose que « la loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l’Union européenne ».  Finalement, la décision-cadre a été intégrée au droit français par la loi du 9 mars 2004 et figure désormais aux articles 695-10 et suivants du Code de procédure pénale. En Allemagne, la transposition de la décision-cadre a posé davantage de difficultés puisque la loi de transposition du 21 juillet 2004 (« Europäisches Haftbefehlgesetz » intégrée dans la huitième partie de la loi sur l’entraide internationale en matière pénale) a été déclarée nulle par la Cour constitutionnelle fédérale dans une décision du 18 juillet 2005. Ainsi, contrairement à la situation française, il ne s’agissait pas de la décision-cadre en elle-même qui était non conforme à la Loi fondamentale mais de la loi de transposition. La Cour a considéré que la loi en cause ne prenait pas suffisamment en compte l’interdiction d’extrader les nationaux contenue dans l’article 16 §2 de la Loi fondamentale, car le législateur n’avait alors pas fait usage de manière proportionnée de la marge de manœuvre laissée aux Etats à l’article 4 N° 7a de la décision-cadre, permettant de limiter l'atteinte aux droits fondamentaux garantis par la norme suprême. En vertu de cette disposition, un Etat peut en effet refuser la remise d’un de ses nationaux si « le mandat d’arrêt européen porte sur des infractions qui, selon le droit de l’Etat membre d’exécution, ont été commises en tout ou en partie sur le territoire de l’Etat membre d’exécution ou en un lieu considéré comme tel ». De plus, la Cour a jugé que la loi de transposition allait à l’encontre de l’article 19 §4 de la Loi fondamentale en ce qu’elle ne prévoyait aucun recours contre la décision d’approbation, même s’il est vrai que depuis l’instauration du mandat d’arrêt européen, la marge de manœuvre laissée à l’autorité d’approbation est faible par rapport à celle dont elle dispose en matière d’extradition classique. La deuxième loi de transposition a été adoptée le 20 juillet 2006 et ne diffère de la première qu’en ce qu’elle apporte les modifications et compléments nécessaires afin de se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 18 juillet 2005.

 

La décision-cadre et sa transposition dans l’ordre interne pose une nouvelle question essentielle, celle de l’égalité de traitement entre nationaux et résidents. En effet, la remise des nationaux présente une véritable innovation par rapport à la procédure classique d’extradition. Cette innovation laisse supposer que, dorénavant, nationaux et résidents bénéficieront d’un même traitement en cas d’émission d’un mandat d’arrêt européen à leur encontre. Dans ses rapports de 2006 et 2007, la Commission a constaté que la majorité des Etats membres ont intégré dans leur législation le principe du traitement national. Or, dans une décision du 5 septembre 2012, il apparaît que la législation française transposant la décision-cadre (l’article 695-24 du Code de procédure pénale) est contraire au droit de l’Union européenne et, plus précisément, à l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après «TFUE») énonçant le principe de non-discrimination.  En l’espèce, il s’agit d’un ressortissant portugais, arrêté sous le coup d’un mandat d’arrêt européen pour trafic de stupéfiants commis en 2002 au Portugal et pour lequel il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement. Or celui-ci travaille en France depuis 2008, où il s’est marié en 2009. La Cour de cassation pose alors la question préjudicielle suivante : le motif de non-exécution du mandat d’arrêt européen contenu à l’article 3 point 6 et  transposé à l’article 695-24 du Code de procédure pénale peut-il être appliqué exclusivement aux nationaux ? Selon cet article, si le mandat d’arrêt a été délivré aux fins d’exécution d’une peine, l’Etat peut s’engager à exécuter cette peine sur son territoire et ce afin de faciliter la réinsertion sociale du détenu, après exécution de sa peine. La Cour de Justice déclare que si les Etats bénéficient en effet d’une marge de manœuvre pour apprécier au cas par cas le degré d’intégration du citoyen européen concerné, « il ne peut exclure de manière absolue et automatique de ce champ d’application les ressortissants d’autres Etats membres qui demeurent ou résident sur son territoire quels que soient les liens de rattachement que ceux-ci présentent avec ce dernier ». Par conséquent, la législation française est contraire au droit de l’Union européenne. Concernant le droit allemand, dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 novembre 2012, la question de savoir si la législation allemande est conforme au principe de non-discrimination a été évoquée. En effet, le demandeur avait soulevé un argument tenant à la vérification du principe de réciprocité apparemment non respecté par l’Etat requérant, en l’occurrence l’Allemagne, puisqu’il refuserait systématiquement la remise de ses nationaux. La Cour de cassation avait écarté cet argument au motif que « la décision-cadre du 13 juin 2002 [et] les articles 695-11 et suivants du code de procédure pénale ne soumettent pas la mise à exécution du mandat d’arrêt européen à la vérification par l’Etat requis d’une réciprocité de la part de l’Etat requérant ». Néanmoins, si tel était le cas, la législation allemande serait alors en contradiction avec les objectifs d’égalité de traitement entre nationaux et résidents contenus dans la décision-cadre. L’article 80 de la loi sur l’entraide judiciaire en matière pénale prévoit une procédure spéciale en cas de remise des nationaux. En effet, la remise d’un allemand dans le cadre d’un mandat d’arrêt n’est possible que si l’Etat d’émission propose, après avoir condamné la personne à une peine d’emprisonnement ou autre sanction, de le remettre aux autorités allemandes et si les faits commis ont un lien suffisant avec l’Etat d’émission. Si la seconde condition n’est pas remplie, il faut, au moins, que les faits ne présentent pas de lien avec l’Allemagne. Cette législation ne peut donc pas être interprétée comme permettant un refus systématique de remise des nationaux mais prévoit néanmoins un traitement différent pour les nationaux par rapport aux résidents.

 

Problèmes posés lors de la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen par les Etats membres.

Dans ses rapports du 24 janvier 2006, du 11 juillet 2007 et  du 11 avril 2011, la Commission européenne (ci-après « Commission ») dresse le bilan de sept ans de mise en œuvre du mandat d’arrêt européen. Dans son premier rapport, la Commission conclut que malgré les retards de certains Etats dans la transposition de la décision-cadre, la mise en œuvre est quasi générale et, pour l’essentiel, judiciarisée. Pour ce qui est de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure, la Commission observe que celle-ci est plus rapide et plus efficace, notamment parce qu’elle limite les motifs de non-exécution. Néanmoins, il est important de noter que les législations nationales diffèrent en ce qui concerne les motifs facultatifs de non-exécution (article 4 de la décision-cadre), ce qui peut mener à une application hétérogène du mandat d’arrêt au sein de l’Union. Pour ce qui est de la remise des nationaux, la plupart des Etats ont opté pour un traitement égal de leurs nationaux et de leurs résidents. Toutefois, la France et l’Allemagne réservent une place tout à fait particulière à leurs nationaux dans leurs législations respectives (cf. supra, paragraphe précédent). La célérité de la procédure est due, notamment, à l’adoption par les Etats membres d’un formulaire unique et de plusieurs modes de transmission. Celle-ci ne devant pas se faire au détriment du respect des droit fondamentaux, auquel l’article 1 §3 de la décision-cadre fait référence. Cette nouvelle procédure est plus respectueuse du « délai raisonnable » (principe contenu notamment à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Dans son deuxième rapport, la Commission constate que le mandat d’arrêt européen est pleinement entré dans la pratique malgré des difficultés constitutionnelles intervenues, notamment en Allemagne (voir supra).  Si certains Etats doivent encore  effectuer des efforts pour se conformer à la décision-cadre, le bilan est positif en termes d’efficacité, de judiciarisation, de célérité et de respect des droits fondamentaux. C’est finalement dans son dernier rapport que de nouvelles problématiques sont soulevées. Le mandat d’arrêt européen apparaît toujours comme un instrument de reconnaissance mutuelle relativement efficace dans la pratique puisque, sur 54 689 mandats émis entre 2005 et 2009, 11 630 ont été exécutés (Statistiques compilées : Conseil 9005/5/06 COPEN 52 ; 11371/5/07 COPEN 106 ; 10330/2/08 COPEN 116 ; 9743/4/09 COPEN 87 ; 7551/7/10 COPEN 64). De plus, en termes de délais, une extradition entre pays de l’UE ne prend plus aujourd’hui que 14 à 17 jours si la personne y consent et 48 jours si elle n’y consent pas, alors qu’elle pouvait durer plus d’un an auparavant. Néanmoins, alors que les deux rapports précédents concluaient à un bilan positif en matière de respect des droits fondamentaux, la Commission relève cette fois les insuffisances, notamment en ce qui concerne les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. La Commission rappelle ici les six mesures prioritaires contenues dans la feuille de route adoptée par le Conseil le 30 novembre 2009 (Résolution du Conseil du 30 novembre 2009. JO C 295 du 4 décembre 2009, p.1). En effet, les principales protestations en ce qui concerne le fonctionnement du mandat d’arrêt européen concernent l’absence d’un droit de représentation juridique dans l’Etat émetteur pendant le déroulement de la procédure de remise ainsi que les conditions et la durée de détention provisoire contestables dans certains Etats membres. Elle évoque aussi, pour la première fois, le principe de proportionnalité selon lequel les mandats ne devraient pas être émis pour des infractions mineures et demande aux Etats membres de procéder à un contrôle de proportionnalité avant d’émettre un tel mandat. 

 

La mise en œuvre du mandat d’arrêt européen a soulevé des questions quant à sa conformité aux droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne la suppression de la double incrimination. L’article 2§2 de la décision-cadre dresse une liste de 32 infractions pour lesquelles le contrôle de la double incrimination n’est pas nécessaire, et pour lesquelles il suffit donc que les faits commis soient qualifiés d’infraction au sens du droit de l’Etat d’émission. Récemment, lors de l’arrestation le 2 novembre 2012 d’une militante basque en France (affaire Aurore Martin), en exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré à son encontre le 13 octobre 2010 par le tribunal central d’instruction de Madrid, plusieurs questions se sont posées quant à la conformité du mandat d’arrêt européen aux exigences de respect des droits fondamentaux prévues à l’article 6 du TFUE. En l’espèce, le mandat d’arrêt avait été délivré pour « participation à une organisation terroriste et terrorisme » et ce, selon le droit espagnol. Cette qualification se rapporte à trois séries de faits : tout d’abord des faits commis en Espagne consistant en la participation, en la qualité de membre d’un parti politique, à des manifestations publiques en 2006 et 2007, ensuite la rédaction d’un article dans lequel elle se présente comme membre dudit parti et enfin des faits commis sur le territoire français, consistant en la participation à des manifestations publiques du même parti en 2006 et 2007. Suite à la notification du mandat d’arrêt délivré à son encontre, l’intéressée interjette appel de la décision d’approbation devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau qui confirmera sa remise par un arrêt du 23 octobre 2010. Le pourvoi en cassation formé par la suite aboutira, le 15 décembre 2010, à la confirmation de l’arrêt d’appel. L’un des principaux moyens de son pourvoi intéresse la qualification de « participation à une activité terroriste » qui serait en inadéquation avec les faits commis. Ce moyen met en relief toute la problématique liée à la suppression de la double incrimination car, si les faits commis en Espagne sont qualifiables de participation à une organisation terroriste en raison de l’illégalité du parti en Espagne, cette activité relève, selon le droit français, de la liberté d’expression puisqu’en France ce même parti politique est légal. Sur ce point,  la Cour se cantonne au constat que cette qualification « relève expressément  de l’une des catégories d’incriminations visées à l’article 695-23 alinéa 2 du code de procédure pénale » et conclut qu’il n’y a « donc pas lieu de procéder au contrôle de la double incrimination ». Un tel cas de figure ne s’étant jamais produit, le juge aurait pu poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin d’appliquer le droit de l’Union de manière uniforme (LABAYLE H. « L’affaire Aurore Martin, le mandat d’arrêt européen et le pouvoir politique : ni lu, ni compris ? », 2012). De plus, le considérant 12 de la décision-cadre énonce que « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’une mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de […] opinions politiques ». Ceci laisserait penser que lorsque l’Etat d’exécution considère que le mandat a été émis pour punir une personne pour ses opinions politiques, ceci pourrait alors constituer un motif de refus permettant de pallier cette difficulté liée à la suppression de la double incrimination. Dans un tel cas de figure, la France aurait donc pu refuser d’exécuter le mandat d’arrêt en considérant que les faits commis en Espagne et en France relevaient de la liberté d’expression dans la mesure où il ne s’agissait que de participations à des manifestations. Or, il faut rappeler que ce principe ne figure que dans un considérant, et n’est pas inscrit au titre des motifs obligatoires ni facultatifs de refus de remise, ce qui en limite considérablement la portée. De plus, le droit positif ne semble pas prendre en compte cette problématique. En effet, la Cour de Justice s’est déjà prononcée sur cette question par une décision du 3 mai 2007 et a validé la décision-cadre en considérant que la double incrimination était supprimée uniquement pour des infractions d’une certaine gravité et que le mandat d’arrêt européen rend plus rapide et plus efficace la procédure d’extradition au sein de l’Union européenne, mais non pas au détriment des droits fondamentaux.

Dans l’affaire Aurore Martin, le problème juridique soulevé est plutôt lié au fait qu’un même parti politique a deux statuts différents de part et d’autre de la frontière, ce qui amène à se demander s’il ne faudrait pas uniformiser certaines dispositions de la législation pénale des Etats membres afin d’éviter ce type de situation puisque les Etats ne disposent d’aucune marge de manœuvre permettant de refuser la remise dans le cas où les faits commis ne pourraient constituer des infractions au sens du droit national.

 

Une autre question, celle du respect du principe de proportionnalité, soulevée pour la première fois par la Commission dans son rapport du 11 avril 2011, intéresse l’atteinte aux droits fondamentaux que peut constituer le mandat d’arrêt européen. En effet, le non-respect généralisé du principe de proportionnalité mènerait-il à un abus du mandat d’arrêt européen ? Il est fréquent que des mandats d’arrêts européens soient délivrés pour des infractions mineures, et ce au détriment de la confiance accordée jusqu’alors à cette procédure simplifiée. La Commission insiste sur la nécessité, pour les Etats membres, de trouver un consensus selon lequel « un contrôle de la proportionnalité est nécessaire » afin d’éviter que des mandats d’arrêt soient émis pour des infractions mineures, bien que relevant du champ d’application de la décision-cadre. Pour cela, la Commission propose une grille de lecture composée de différents critères à prendre en compte pour évaluer la nécessité de l’émission d’un mandat d’arrêt européen : « la gravité de l’infraction, la durée de la condamnation, l’existence éventuelle d’une autre procédure qui soit moins lourde […] et une analyse du rapport coûts-avantages de l’exécution du mandat d’arrêt européen ». Des abus dans l’émission de mandats d’arrêt peuvent avoir d’importantes conséquences pour les individus, notamment lorsqu’ils sont placés en détention provisoire alors que cela aurait été considéré comme inapproprié en dehors du cadre du mandat d’arrêt européen. La Commission recommande aux Etats membres d’utiliser le « manuel modifié » adopté par le Conseil en juin 2010 comme référence et ainsi de faire usage raisonnablement du pouvoir discrétionnaire que représente le mandat d’arrêt européen (article 2 paragraphe 1 : « un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits… »). Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2012, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Colmar et autorisant ainsi la remise d’un français aux autorités judiciaires allemandes en exécution d’un mandat d’arrêt européen, cette question de la proportionnalité a été soulevée par le défendeur. La Cour rejette l’argument en considérant, comme l’avait fait la cour d’appel auparavant, qu’elle n’a pas à procéder à un contrôle de proportionnalité puisque celui-ci doit avoir lieu avant l’émission d’un mandat d’arrêt européen et ne saurait constituer un motif de refus supplémentaire au stade de la décision d’approbation (voir aussi le rapport de la Commission du 11 avril 2011).

 

Pour conclure, le mandat d’arrêt européen a largement remplacé la procédure classique d’extradition entre les Etats membres et permet une remise plus rapide et plus efficace, notamment parce que les gouvernements n’interviennent plus dans cette nouvelle procédure « judiciarisée ». En revanche, la mise en œuvre de la décision-cadre de 2002 n’est pas exempte de tout défaut, comme le montrent les quelques exemples ci-dessus. La pratique du mandat d’arrêt s’est heurtée, notamment, au respect des droits de l’Homme, à un certain abus du mécanisme ainsi qu’à des problèmes liés à l’application uniforme du droit de l’Union tels que ceux liés à l’interprétation ou aux transpositions parfois très différentes de la décision-cadre.

 

Bibliographie :

Ouvrage:

Europäisches Strafrecht, Bernd Hecker, 4° Edition, Springer, 2012

Revues juridiques:

PRADEL J. Le mandat d‘arrêt européen, Revue Dalloz 2004, p.1392

LEMOINE P. La coopération judiciaire entre les Etats: L’exemple de l’extradition et du mandat d‘arrêt européen à travers la jurisprudence de la Chambre criminelle, Revue de science criminelle 2009, p.297

COMBEAUD S. Première réussite pour le principe de reconnaissance mutuelle : le mandat d’arrêt européen, Revue internationale de droit pénal 2006, pages 131 à 142

GUSY C. La mise en œuvre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice en Allemagne Revue française d’administration publique 2009, pages 61 à 71

CHAVENT-LECLERE A.-S Question préjudicielle et mandat d’arrêt européen, Revue procédures n°1 juin 20011, comm. 31

GAZIN F. Non-discrimination à raison de la nationalité, Revue Europe n°11, Novembre 2012, comm. 427

Textes officiels:

Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres

Code de procédure pénale : articles 695-10 et suivants

Articles 78 et suivants de la loi du 23 décembre 1982 sur l’entraide judiciaire en matière pénale [Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (IRG)]dans sa version résultant de la loi sur le mandat d’arrêt européen du 20 juillet 2006

Rapports de la Commission :

Rapport de la Commission fondé sur l’article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres du 24 janvier 2006 (version révisée)

Rapport de la Commission sur la mise en œuvre, depuis 2005, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres du 11 juillet 2007

Rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur la mise en œuvre, depuis 2007, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, du 11 avril 2011

Décisions et arrêts:

Crim 15 décembre 2010 N° de pourvoi : 10-88204

Crim 28 novembre 2012 N° 12-87.131

CJCE, 3 mai 2007, affaire C-303/05

CJUE 5 septembre 2012, affaire C-42/11

CJUE 16 novembre 2010, affaire C-261/09

OLG Stuttgart, 29 juin 2009

Sites Internet:

 http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/judicial_cooperation_in_criminal_matters/l33167_fr.htm

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0175:FIN:FR:PDF

http://www.gdr-elsj.eu/2012/11/11/cooperation-judiciaire-penale/2485/