Commentaire de la décision „Webseitenanzeige“, Bundesgerichtshof, 24 février 2011, par Marine Milochau

La décision „Webseitenanzeige“ intervient alors que l’Europe est en plein débat sur la question de la brevabilité des logiciels. Pour la première fois, la BGH identifie les types de fonctionnalité nécessaires pour surmonter l’exclusion.  Elle propose un contrôle en deux temps : tout d’abord, si le logiciel implique, au moins en partie, une invention dans un domaine technique, puis dans un second temps, s'il s'agit d'un programme d'ordinateur « en tant que tel », ceci étant exclu lorsque le programme d’ordinateur peut résoudre un problème technique avec des moyens techniques.
 
Alors que l'Europe se pose la question de savoir s'il faut, à l'instar des Etats-Unis ou du Japon, accepter généreusement la brevetabilité des logiciels, la Cour fédérale allemande (Bundsgerichtshof) semble, avec la décision « Webseitenanzeige », apporter une solution originale. La BGH, dans cet arrêt récent en date du 24 février 2011 contribue à l'évolution de la jurisprudence abondante sur ce thème en relevant les conditions permettant aux programmes d’ordinateurs de surmonter leur exclusion traditionnelle de la matière brevetable. 
 
Il est ici question du brevet allemand DE 101 15 895 de Siemens AG, qui revendique une méthode pour générer un historique à partir d'un site internet. Le brevet était essentiellement dirigé vers un concept de connexion et d'exploitation de la séquence des pages de sites complexes afin de faciliter le retour de l'utilisateur à certaines pages du site internet. En première instance, le Bundespatentgericht (tribunal fédéral pour les brevets) avait fait valoir que la méthode revendiquée n'était pas une invention dans un domaine technologique et a donc exclu la protection par un brevet. La question qui se posait devant la BGH était donc de savoir si une invention de ce type était brevetable ou si le logiciel ne pouvait être protégé que par un droit d'auteur, comme l'exige la règle du § 1 PatG en relation avec le § 69a Abs. 3 UrhG et ce, en conformité avec le droit européen. Ceci revenait à poser une des questions qui agite le plus la propriété industrielle, tant en France qu'en Allemagne, depuis plusieurs années : un programme d'ordinateur est-il brevetable ? Et si oui, à quelles conditions? On sait en effet que tout n'est pas brevetable. La BGH en donne une nouvelle illustration et considère, en l’espèce, que le brevet n'a pas lieu d'être puisque le logiciel ne répond pas aux exigences techniques requises. Pour la Cour, ce logiciel était revendiqué « en tant que tel », puisque, en plus de ne pas avoir de caractère technique, il ne comportait pas d'instructions permettant de résoudre des problèmes techniques spécifiques avec des moyens techniques. 
 
Cette solution marque une nouvelle étape dans la réflexion concernant la brevabilité des programmes d'ordinateur, en durcissant les conditions d'accès au brevet logiciel allemand. Elle est donc tout à fait importante, d’autant que la BGH utilise ici un nouveau critère dans son raisonnement, le critère de l’invention, se démarquant ainsi des décisions de l’OEB et des juges français. Cette décision « Webseitenanzeige » conduit donc à s’interroger sur le raisonnement de la BGH au regard de l'évolution législative et jurisprudentielle européenne. 
 
S’il est vrai qu’en France comme en Allemagne, les textes refusent expressément les brevets logiciels, la jurisprudence semble quant à elle accorder quelques exceptions.  Bien qu'une harmonisation à l'échelle de l’Union européenne n'existe pas pour les brevets logiciels, il est un point sur lequel la France et l'Allemagne sont accordés : le maintien du principe d'exclusion des logiciels de la protection. La France est le premier pays européen à avoir procédé à cette exclusion, par la loi du 2 janvier 1968 (Article 7). Puis l'Allemagne a suivi, poussée par l'adoption de la Convention sur le brevet européen suite à la conférence de Munich de 1973 en excluant les programmes d’ordinateur « en tant que tels » de la protection des brevets dans le § 1 PatG. L'article 52 de la CEB exclut en effet les programmes d'ordinateurs « en tant que tels » de la protection des brevets. Les tribunaux suivent volontiers ce mouvement tendant à exclure les logiciels de la brevabilité. Ainsi, le 28 mai 1975, la Cour de Cassation considère que « si la brevabilité est refusée par la loi aux programmes d'ordinateurs, elle est au contraire expressément accordée à tous les procédés et appareillages industriels ». Il n’en demeure donc pas moins possible, en France comme en Allemagne, de breveter un logiciel s’il n’est pas revendiqué « en tant que tel ». La formule est cependant particulièrement délicate à appréhender : dans sa décision « Webseitenanzeige », la BGH élabore un nouvel examen en deux étapes afin de savoir si l'invention répond aux critères permettant de surmonter l'exclusion traditionnelle des programmes d'ordinateurs. Il est décidé, pour une méthode comprenant l'affichage des pages web visitées par un utilisateur, que « pour les inventions en relation avec les appareils et processus du traitement de données électroniques, il faut préciser si l'objet de la découverte a au moins un aspect technique (§ 1 PatG). Ensuite, il faut examiner si cet objet constitue seulement un programme d'ordinateur « en tant que tel » et dans ce cas exclu de la protection offerte par le brevet. L'exclusion n'intervient pas, quand lors d'un contrôle supplémentaire, il s'avère que le programme peut résoudre un problème technique avec des moyens techniques ». 
 
La BGH établit ainsi un contrôle en deux étapes, permettant la brevabilité des inventions relatives aux programmes d’ordinateur. L’exclusion légale s’appuyait à l’origine sur le fait que les programmes d’ordinateur n’étaient pas des inventions. Or la BGH semble ici justifier la brevabilité d’un programme d’ordinateur sur le critère même de l’invention, et non sur un simple critère industriel ; la première étape de ce contrôle est donc de savoir si le programme d'ordinateur possède un caractère technique, et la seconde pose la question de savoir si le logiciel doit être considéré comme un programme d'ordinateur « en tant que tel », et ainsi de savoir s'il propose une solution pour un problème technique spécifique par des moyens techniques. 
 
La Cour de cassation française, tout comme la BGH avaient très vite opté, afin de déterminer la brevetabilité des logiciels, pour le critère technique, en application des directives d’examen de l’OEB de juin 1985 qui disposent que « lorsque l’objet revendiqué concerne seulement le fonctionnement interne commandé par un programme d’ordinateur connu, il serait susceptible d’être breveté, s’il produit un effet technique ». Mais, comme la notion de programme d’ordinateur « en tant que tel », le « caractère technique » est un principe abstrait, si ce n’est confus. Quand peut-on considérer qu’un programme d’ordinateur revêt un caractère technique ? La réponse a été apportée, en Allemagne, par la BGH dans une décision « Seitenpuffer » du 11 juin 1991. La Cour y considère qu’une invention liée à un logiciel est technique « quand elle concerne la capacité fonctionnelle du traitement de données en tant que tel, et fait en sorte de permettre une synergie directe des éléments ». Elle précise aussi que la question de la technicité et des autres exigences de la brevabilité doivent être évaluées séparément. L’OEB tente aussi de définir le caractère technique dans la décision IBM (T 935/97) du 4 février 1999 en considérant qu’il faut rechercher si « le programme une fois mis en œuvre ou chargé sur un ordinateur, produit ou est capable de produire un effet technique allant au-delà des instructions physiques « normales » existant entre le programme et l’ordinateur ». Cette décision a intéressé la Haute juridiction allemande, qui a retenu dans une importante décision « dynamische Dokumentengenerierung », le 22 avril 2010, un nouveau critère dans le contrôle de la brevabilité des logiciels, exigeant que  le logiciel soit « déterminé par des faits extérieurs en dehors de l’ordinateur ». Néanmoins, cette option n’est pas retenue par la BGH dans la présente décision « Webseitenanzeige », qui préfère au critère technique, la solution technique à un problème technique, c’est-à-dire le critère de l’invention. L’OEB y avait également fait référence dans la décision T 887/92 de 1997. Les juridictions françaises semblent beaucoup plus réticentes et préfèrent réitérer le contrôle unique sur le fondement du caractère technique (TGI Paris 20 novembre 2007, « Infomil »). Dans la présente décision, la BGH estime alors que le caractère technique est évident, et ce, bien que la demande ne mentionne pas explicitement les composantes techniques du logiciel. Conformément aux précédents arrêts « dynamische Dokumentengenerierung » (22 avril 2010) et « Wiedergabe topographischer Informationen » (26 octobre 2010), la première étape a pu être passée avec succès par un logiciel, et ce bien que les moyens techniques nécessaires à l'application de la méthode revendiquée ne soient pas explicitement revendiqués dans la demande. Mais un logiciel peut être considéré comme ayant un caractère technique et voir le brevet lui être refusé si le programme d'ordinateur est revendiqué « en tant que tel ». C'est donc bien la deuxième étape qui s'avère juridiquement la plus importante et la plus délicate.
 
La décision « Webseitenanzeige » s’inscrit alors dans la lignée des nombreuses décisions de la BGH proposant des critères pour le contrôle relatif à l’exclusion des logiciels de la matière brevetable. Pendant longtemps, les juridictions allemandes se sont contentées de reprendre l’unique condition proposée par l’OEB, cette dernière semblant à présent être la seule en accord avec l’article 27 de l’accord ADPIC qui estime qu’il y une brevabilité de principe des inventions dans tous les champs technologiques. La Cour de cassation, quant à elle, a cependant établi comme premier critère de contrôle de la brevabilité des logiciels, le caractère industriel (Cass. com. 28 mai 1975). 
 
En l’espèce, la BGH identifie positivement, pour la première fois, les types de fonctionnalités nécessaires pour surmonter l'exclusion. Cette méthode diffère de la pratique de l'OEB qui ne propose qu'un véritable obstacle dans son contrôle : le caractère technique (la question du problème technique étant résolue au moment d'évaluer l'activité inventive – art 56 CEB). Seules les nouvelles caractéristiques contribuant à la solution du problème technique sont alors prises en compte. Au contraire, la BGH a déterminé dans un premier temps si le logiciel implique, au moins en partie, une invention dans un domaine technique (§ 1 Abs. 1 PatG), ce qui rappelle la condition d’application industrielle propre au droit des brevets. Dans un second temps, on ne se pose plus que la question de savoir s'il s'agit d'un programme d'ordinateur « en tant que tel ». La BGH a pendant longtemps effectué un contrôle en une fois, quasi similaire à celui de l'OEB, comme par exemple dans la décision « dynamische Dokumentengenerierung » (22 avril 2010). Il s'agissait ici d'un logiciel permettant la reproduction d'images médicales. La Cour estima qu'il n'y avait ni caractère nouveau, ni caractère technique, mais se limita à la question technique, sans proposer de nouvelles étapes dans le contrôle de la brevabilité. La décision « Webseitenanzeige » propose donc un autre moyen de contrôle, allant au-delà de la simple différenciation entre programmes d'ordinateurs revêtant un caractère technique et programmes d'ordinateurs « en tant que tels ». Cette dernière qualification  reste cependant obscure, bien qu'utilisée à la fois dans le système allemand et français, mais aussi par l'OEB. La décision de 2011 n'apporte pas beaucoup de changement à la définition, si ce n'est de la rendre encore plus difficile à appliquer, puisque, selon la BGH, un logiciel ayant un caractère technique peut être considéré comme un programme d'ordinateur « en tant que tel » - quand, pour l’OEB, le caractère technique devrait au contraire permettre de considérer que le logiciel n’est pas revendiqué en tant que tel. Ceci n'est pas sans rappeler la décision « Logikverifikation » du 13 décembre 1999 dans laquelle la BGH s'était arrêtée à la détermination du caractère technique, sans répondre à la question posée qui entendait trouver une définition d'un programme d'ordinateur dit « en tant que tel ».  Le juge français se sert quant-à-lui de cette notion afin de distinguer : si un logiciel n'est légalement pas brevetable, il n'en est pas de même pour un procédé mis en œuvre par ce logiciel. L’évolution de la technologie informatique a en effet conduit les juges français à se poser la question de savoir si cette exclusion devait rester formelle.  Le juge français semble exclure assez fermement la protection par brevet des programmes d’ordinateur. Lorsque la cour d’appel de Paris, dans l’arrêt « Schlumenberger » du 15 juin 1981, a considéré que les exceptions à la brevabilité posées par l’article 52 de la Convention de Munich, devaient être interprétées restrictivement, c’était afin de ne pas faire  obstacle à la brevabilité de « procédés dont une ou plusieurs étapes sont réalisées par un ordinateur devant être commandé par un programme ». Avec cette décision, le juge français se positionne en faveur d’un tempérament à l’exclusion par le brevet, si le procédé revendiqué inclut la mise en œuvre d’un ou plusieurs logiciels, sans pour autant se limiter à ces seuls logiciels. L’exception semble uniquement possible si le programme d’ordinateur répond à une exigence d’application industrielle, ce qui diffère de la tendance allemande, qui rattache avec la décision « Webseitenanzeige » le critère de l’invention au logiciel. 
 
Ceci ouvre la voie aux débats que nous connaissons aujourd’hui et aux nombreuses décisions plus ou moins cohérentes sur le sujet. Une harmonisation dans ce domaine pourrait cependant clarifier la situation. Une directive communautaire du 14 mai 1991 se pencha sur la protection des logiciels en Europe. La conclusion, peu surprenante, réaffirme que la protection des logiciels en Europe se fait par le droit d’auteur. Suite au « livre vert sur le brevet communautaire » du 24 juin 1997, une conférence intergouvernementale s’était tenue au mois de juin 1999, à Paris, afin de discuter du projet de réforme des brevets en Europe. Quant à la question de la brevabilité des logiciels, il fut décidé de modifier l’article 52 de la CEB. Cependant, suite aux nombreuses protestations et à l’opposition massive des députés européen, l’article 52 de la CEB a été maintenu. Face à la nécessité de clarifier cette question, le 24 octobre 2008, la président de l’OEB, Alison Brimelow, a soumis à la grande chambre de recours de l’OEB, quatre questions relatives à la brevabilité des programmes d’ordinateurs.  Mais à ce jour, aucune réponse claire n’a été encore apportée. 
 
 
Néanmoins, les progrès technologiques en matière d’informatique nous conduisent à nous poser la question suivant : la propriété industrielle doit-elle rester industrielle ? Faut-il faciliter l’accès aux brevets pour les programmes d’ordinateurs ? Depuis quelques années, l’Europe est secouée par un débat assez vif sur cette question. La volonté qu’a eue la conférence intergouvernementale de Paris de juin 1999 de supprimer l’exception de l’article 52 de la CEB pour les logiciels, a réveillé les mentalités. Menés par Microsoft, IBM, Hewlett-Packard ou encore par l’OEB, les partisans d’une réforme favorable aux brevets logiciels se voulaient défenseurs du progrès technique. Cependant, une telle mesure ne profiterait guère à l’Europe. Tout d’abord d’un point de vue économique, cette mesure entrainerait un blocage de la recherche en matière de logiciels dont les éditeurs américains dominent le marché. Il deviendrait alors impossible de créer un logiciel qui n’exploite pas un procédé déjà breveté. De plus, certains informaticiens considèrent, d’un point de vue technique, que cela reviendrait à breveter un théorème mathématique. Cette réforme entraverait aussi les logiciels libres et Open Source, en particulier Linux. C’est ainsi que l’on trouve dans le camp des opposants, la FFII (association pour une infrastructure de l’informatique libre), Eurolinux, GNU/Linux, les éditeurs de logiciels libres et Open Source, des académiciens, ainsi que le fondateur du World Wide Web, Tim Beners-Lee. 
 
 
 
 
Bibliographie : 
 
André R. Bertrand, Droit d’auteur, Dalloz 2010
Albert Chavanne, Jean-Jacques Burst, Droit de la propriété industrielle, Dalloz 2012
Bernhard Jestaedt, Patentrecht : Ein fallbezogenes Lehrbuch, Gebundene Ausgabe 2008
Philipp Schuler, Softwarepatente in Europa – Zur Patentierbarkeit computerimplementierter Erfindungen, Taschenbuch 2007
BGH GRUR 2011, 610, Webseitenanzeige