L’égalité de traitement en matière de prestations sociales dans l’Union européenne, au regard de l’ordonnance du Bundessozialgericht (B 4 AS 9/13 R) du 12 décembre 2013, par Mélanie Reuter

Résumé: Ce billet traite de la liberté de circulation des personnes et plus particulièrement de l’égalité de traitement des ressortissants de l’Union européenne en matière de droit aux prestations sociales. Si l’égalité de traitement des travailleurs relative à l’emploi, la rémunération et aux conditions de travail est acquise, la prise en compte de prestations sociales de type Hartz IV demeure encore incertaine.

 

A l’origine, les communautés européennes ont été créées afin de mettre en place un marché unique et faciliter ainsi les échanges économiques et commerciaux au sein de l’espace communautaire. Dans ce contexte, la liberté de circulation des personnes a tout d'abord été accordée aux travailleurs de la Communauté européenne par le Traité de Rome en 1957. Depuis le Traité de Maastricht (1992) et l'avènement de la citoyenneté européenne, les citoyens de l’Union européenne bénéficient également de la liberté de circulation. Cette liberté est garantie par le Traité de Lisbonne, les citoyens européens jouissent du droit „de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres“ (article 20 a) TFUE). La citoyenneté européenne est venue s’ajouter à la nationalité des ressortissants des Etats membres mais elle ne l’a fait pas disparaitre. Cependant, la liberté de circulation des travailleurs, telle qu’établie dans l’article 45 du TFUE, demeure l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne. En effet, cet article dispose que cette liberté implique « l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». Une directive très importante en matière de libre circulation des personnes a été adoptée le 29 avril 2004, la directive 2004/38 relative aux « droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et séjourner librement sur le territoire des Etats membres ». Ce texte modifie notamment le règlement 1612-68 et traduit un changement d’orientation, une volonté de dépasser une approche catégorielle de la libre circulation et de faire de la citoyenneté européenne un standard de la libre circulation. Toutefois si cette évolution est indéniable, les conditions de séjour entre une personne qui exerce et une personne qui n'exerce pas d'activité économique ne sont pas identiques et, par conséquent, les droits qui en découlent ne le sont pas non plus. C’est justement cette problématique qui a fait l’objet d’une ordonnance de la Cour fédérale sociale allemande (Bundessozialgericht), le 12 décembre 2013. Dans la présente ordonnance, la Cour fédérale sociale allemande a saisi la  Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, dans une affaire de droit à une aide sociale pour des ressortissants suédois qui vivaient en Allemagne depuis mai 2010. La mère de famille et une de ses filles, alors âgée de 16 ans, avaient exercé différents emplois d’une durée de moins d'un an jusqu’en mai 2011. Durant cette période, la famille percevait des aides sociales en vertu du livre II du code social allemand (« SGB-II »), mieux connues sous le nom de « Hartz IV ». Le Hartz IV est une prestation de protection de base pour les personnes valides à la recherche d'un emploi qui peut être perçu entre 16 et 65 ans. Il n'est pas nécessaire d'avoir touché une allocation chômage pour pouvoir en bénéficier. Il s'agit réellement d'une prestation spéciale à caractère non-contributif. Mais, les requérantes se sont vues retirer leur attestation du droit à la prestation par l'agence pour l'emploi allemande (« Arbeitsamt »). Cette dernière justifiait son geste par la réserve faite par l'Allemagne à la Convention européenne d'assistance sociale et médicale du Conseil de l'Europe. La Cour fédérale sociale allemande devait alors décider si l'exclusion de prestation nécessaire pour garantir un certain niveau de vie d'après le SGB-II à un citoyen européen à la recherche d'un emploi, est conforme au droit de l’Union européenne. C'est la raison pour laquelle la Cour fédérale sociale allemande pose alors une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si l'égalité de traitement de l'article 4 du Règlement 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, s'appliquait aussi pour le Hartz IV. De plus, la Cour fédérale sociale allemande souhaite savoir si, dans un tel cas,  des restrictions à l'égalité de traitement par des dispositions nationales conformément à l'article 24 paragraphe 2 de la directive 20014/38 étaient possibles et si un citoyen européen pouvait bénéficier du droit de séjour dans un autre pays membre alors que le but du séjour était uniquement de trouver un emploi. Par ailleurs, la Cour fédérale sociale allemande interroge la Cour de justice de l’Union européenne également sur la contradiction entre une telle mesure nationale et l'article 45 paragraphe 2 du TFUE au sens de l'article 18 TFUE, qui précise que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée notamment sur la nationalité.

Cet article se consacrera au fait de savoir, si l’égalité de traitement entre les citoyens de l’UE concerne aussi la perception d’aides sociales, et dans le cas où la réponse serait positive, dans quelles conditions une différence de traitement serait tolérée au regard du droit de l’Union. Avant d’analyser en détails l’ordonnance de la Cour fédérale sociale allemande, il s’agira tout d’abord d’étudier le cadre législatif régissant l’obtention de prestations sociales.

 

L’encadrement de l’obtention des prestations sociales pour les ressortissants de l’Union européenne

 

L'égalité de traitement est un principe ancré dans le droit de l’Union européenne. Ce principe est énoncé dans le droit primaire, à l'article 18 du TFUE, comme étant une interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité. Mais, en droit positif le Règlement 883/2004, à l'article 4, et la directive 38/2004, à l'article 24, énoncent tous deux une égalité de traitement concernant la liberté de circulation et ils l’encadrent. L'article 24 de la directive précise que les citoyens de l'Union bénéficient de l'égalité de traitement par rapport aux citoyens nationaux. Cependant, dans certains cas, l'Etat membre d'accueil peut refuser d’accorder le droit à une prestation d'assistance sociale. Le but des prestations sociales étant d’assurer « une pleine assimilation au travailleur migrant » par rapport aux nationaux et non pas de lui permettre une intégration dans l’Etat membre d’accueil.

L'élément déterminant est le droit de séjour et il se présente sous trois formes : le séjour d'une durée de trois mois, d'une durée supérieure à trois mois et le droit de séjour permanent (période ininterrompue de 5 ans). Pour tout séjour d'une durée supérieure à trois mois, un ressortissant de l'Union européenne est soumis à certaines conditions telles que l'obligation d’exercice d'une activité économique, ou d’études ou le fait de disposer de ressources suffisantes et d'une assurance maladie. La directive précise que la personne ne doit pas « devenir une charge pour l'assistance sociale de l'Etat membre d’accueil pendant son séjour ». Par ailleurs, les États membres ne pourront pas fixer le montant des ressources qu'ils considèrent comme étant suffisantes mais ils devront tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée. La directive permet donc aux Etats membres de choisir entre deux possibilités : ils peuvent soit décider de mettre en place des limites à la liberté de circulation pour les séjours de plus de trois mois, soit maintenir une liberté de circulation en contrepartie de laquelle ils auront le droit de limiter l'accès à certaines prestations sociales durant les trois premiers mois de séjour (sauf pour les travailleurs et leur famille). La France, en transposant la directive 2004/38 du 29 avril 2004, a choisi la deuxième possibilité en faisant bénéficier les citoyens de l’Union européenne du RSA (auparavant RMI), d'après les conditions du droit de séjour et en posant la condition de résidence en France durant les trois mois précédant la demande (article L. 262-9-1 du Code de l’action sociale et des familles). L’Allemagne a, elle aussi, opté pour la deuxième possibilité de transposition de la directive dans son article 7 SGB II, où elle exclue la perception d'aides sociales pour les trois premiers mois de résidence.

 

Mais qu'en est-il des demandeurs d'emploi ? L’Allemagne peut-elle refuser aux requérantes suédoises à la recherche d'un emploi, une prestation sociale, au motif que le seul fait de faire valoir leur droit à la liberté de circulation pour trouver un emploi et sans lien réel avec le pays d’accueil n'est pas suffisant ? D'après l'article 45 du TFUE sur la liberté de circulation des travailleurs, la réponse est affirmative puisque la liberté de circulation permet de répondre à des emplois effectivement offerts. A considérer cette seule disposition, la libre circulation ne serait pas ouverte aux fins de recherche d’emploi. La Cour est allée plus loin dans l’arrêt Royer du 8 avril 1976 en y énonçant que les ressortissants de l’UE avaient le droit d’entrée et de séjour sur le territoire d’un Etat membre pour y rechercher une activité professionnelle (salariée ou indépendante).

Dans l’arrêt Collins du 23 mars 2004, la CJUE a considéré que, du fait de la citoyenneté européenne, il n’était plus possible d’exclure du principe fondamental d’égalité de traitement, une prestation financière destinée à faciliter l’accès à l’emploi sur le marché du travail d’un Etat membre. Par conséquent, un ressortissant qui séjourne sur le territoire d’un autre Etat membre a le droit aux aides à la recherche d’emploi (aux allocations d’attente au 1er emploi).

Le problème qui se pose alors est que cette solution est difficilement conciliable avec l’article 24§2 de la directive de 2004 qui autorise l’Etat membre d’accueil à refuser le versement d’une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour, et au-delà lorsque les ressortissants recherchent un emploi.  Nous sommes face à deux logiques différentes : celle du juge et celle du politique. Mais, la CJUE est intervenue en 2009 dans les affaires Vatsouras et Koupatantze en affirmant que la dérogation à l’égalité de traitement de l’article 24 de la directive ne visait pas les prestations d’aide à la recherche d’emploi. Toutes les prestations financières, dès lors qu’elles concernent une aide à la recherche d’emploi, sont soumises au principe d’égalité de traitement. L’Etat d’accueil est tout de même autorisé à exiger qu’un « lien réel » soit établi entre le demandeur d’emploi et le marché du travail comme condition de versement de la prestation. Il s’agit là d’une condition plutôt souple car la simple preuve de la recherche d’un emploi suffit à établir ce « lien réel ». 

 

Les Etats membres sont donc partagés entre le respect du principe d’égalité de traitement et la crainte du « tourisme social ». L’Allemagne oppose son « véto » à la jurisprudence de la Cour concernant les prestations à caractère non contributif pour les chercheurs d’emploi c’est-á-dire pour le Hartz IV.

 

La difficulté liée à la spécificité des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif 

 

Les prestations spéciales à caractère non contributif sont définies à l’article 70 du Règlement 883/2004. Une prestation spéciale à caractère non contributif est une prestation destinée à « couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale […] et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné ». La particularité de ces prestations est qu’elles relèvent à la fois d'une législation en matière de sécurité sociale et du régime de l'assistance sociale. A l’annexe X de ce règlement, tous les Etats membres énumèrent les prestations de leurs législations qui répondent aux critères définis à l’Article 70. En Allemagne, il s’agit « des prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi ». Depuis le 1er janvier 2005, il est possible pour une personne de percevoir le « Hartz-IV », officiellement appelé l’allocation chômage  (Arbeitslosengeld II). Cependant, cette dénomination « d’allocation chômage » ne correspond pas à tout à fait à ce dont il s’agit puisqu’il est possible de la percevoir sans jamais avoir travaillé et donc sans jamais avoir cotisé. Mais, la « clause d’exclusion », (article 7§2 du SGB-II), opère une discrimination quant à la nationalité puisqu’elle procède à une distinction entre un allemand qui peut toucher cette aide – seulement en respectant les conditions posées par l’article 7 SGB-II c’est-à-dire l’âge, la capacité de travail, la domiciliation en Allemagne et un faible montant de ressources disponibles – et un sans-emploi, ressortissant d’un autre Etat membre auquel la prestation est catégoriquement refusée pour toute la durée de ses recherches. La Cour de justice doit se prononcer sur la validité de cette discrimination. Tout dépendra de son interprétation de l’article 4 du Règlement 883/2004 et de la portée de ce principe d’égalité de traitement. En France, pour pouvoir bénéficier du Revenu de solidarité active (RSA) – équivalent du Hartz IV – les ressortissants d’autres Etats membres de l’Union doivent remplir les conditions qui permettent de jouir d'un droit de séjour et doivent ainsi résider en France depuis au moins 3 mois au moment de leur demande. Un ressortissant à la recherche d’un emploi peut donc, à compter de 3 mois suivant son arrivée, percevoir le RSA au même titre qu’un ressortissant de nationalité française pour toute la durée de sa recherche d’emploi, ou encore si son salaire n’est pas suffisant pour assurer un niveau de vie nécessaire. La France n’a pas compté le RSA parmi les prestations au sens de l’Annexe X du règlement 883/2004, même si celle-ci revêt un caractère non contributif. .

 

Concernant la conformité de l’exclusion du Hartz IV avec le droit européen, deux tribunaux sociaux régionaux allemands (« Landgerichte ») avaient auparavant retenus des solutions différentes relatives à la conformité de la clause d’exclusion de l’article 7 § 2 du SGB-II au droit européen. Par conséquent, un citoyen européen à la recherche d’un emploi pouvait se voir refuser un revenu minimal de subsistance. Le tribunal social du Land Niedersachsen avait, en effet, jugé que l'exclusion de prestation de l'article 7 § 2 SGB-II était conforme au droit européen. Le tribunal du Land Nordrhein-Westphalen a contredit cette décision et a accordé en 2013 le droit à une famille roumaine de bénéficier de l'aide sociale Hartz IV. En vertu du Traité d’Adhésion, la Roumanie, aux côtés de la Bulgarie, membres de l’Union européenne depuis 2007, avait dû patienter jusqu’au 1er janvier 2014 pour faire bénéficier leurs ressortissants de la liberté de circulation des travailleurs dans le cadre du délai de transition. Le délai de transition est une période de 7 ans maximum durant laquelle les « anciens » Etats membres de l’Union européenne ont la possibilité de restreindre la liberté de circulation des ressortissants des nouveaux Etats membres. Le débat sur le « tourisme social » refait alors surface en 2013 et, en Allemagne, il est souvent repris par divers partis politiques pour stigmatiser certains ressortissants de l’Union. C’est la raison pour laquelle, la perception du Hartz IV par des ressortissants non allemands qui n’ont jamais travaillé dans le pays d’accueil est un sujet assez délicat. Pour cela, la Cour fédérale sociale allemande a opéré un renvoi préjudiciel devant la CJUE afin de d’obtenir une réponse claire quant à sa clause d’exclusion et le statut du Hartz IV.

 

Le régime des non-actifs ne semble pas compatible avec l’idée de citoyenneté européenne car tous les citoyens ne reçoivent pas le même traitement : les citoyens de l’Union qui exercent une activité bénéficient du droit de séjour contrairement aux citoyens de l’Union qui n’exercent pas d’activité et dont le droit de séjour est alors conditionné.

 

La Cour de justice de l’Union devrait se prononcer en faveur des requérantes et interpréter  l'article 4 du Règlement 883/2004 en ce sens qu’il est possible pour un citoyen européen de bénéficier du droit de séjour – même si le but du séjour est de trouver un emploi - et par conséquent des aides sociales, telle que Hartz IV, et ce sur le fondement la liberté de circulation des personnes et du principe de non-discrimination affirmée dans l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne  et indirectement à dans l’article 6 Traité de l’Union européenne.

 

Cette solution serait tout de même difficilement conciliable avec l’article 24§2 de la directive de 2004 qui autorise l’État membre d’accueil à refuser le versement d’une prestation d’assistance sociale pendant les 3 premiers mois ou, le cas échéant, pendant une période plus longue de séjour lorsque le ressortissant de l’Union est à la recherche d’un emploi. Il en va de même pour l’article 7§1 b) de la directive qui précise que ceux qui ne travaillent pas ne doivent pas devenir une charge pour le système du pays d’accueil.

Une contradiction majeure apparait alors entre ce qu’impose la Cour de justice au nom de la citoyenneté et ce que prévoit le droit dérivé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



BIBLIOGRAPHIE:

 

Ouvrages :

Oppermann/Classen/Nettesheim, Europarecht 5. Auflage, C.H. Beck

DGB, Informationen zur Freizügigkeit von Arbeitnehmerinnen und Arbeitnehmern in der EU, 2013

 

Textes officiels :

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Traité de l’Union européenne

Règlement 883/2004 du 29 avril 2004

Directive 2004/38 du 29 avril 2004

Code de l’action sociale et des familles

 

Décisions et arrêts:

Landessozialgericht Niedersachsen-Bremen, ordonnance du 26.02.2010 – L 15 AS 30/10

Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen, ordonnance du 10.10.2013 – L 19 AS 129/13

CJUE, affaire 48/75, Royer du 8 avril 1976

CJUE, affaire 292/89, Antonissen du 26 février 1991

CJUE, affaires jointes C‑22/08 et C‑23/08, Vatsouras et Koupatantze du 4 juin 2009

 

Site internet:

http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_mov...

http://revdh.org/2013/06/18/tourisme-social-libre-circulation-des-citoye...