L’articulation du règlement sanitaire international de l’OMS avec le commerce international, par Victor Grandaubert

Destiné à lutter plus efficacement contre les nouvelles épidémies de ce début de XXIème siècle (SRAS, grippe aviaire, virus H1N1), le Règlement Sanitaire International de l’OMS a fait l’objet d’une révision en 2005. Conscient de l’impact que peut générer le règlement sur le commerce mondial, ce dernier intègre des dispositions relatives à la protection des flux commerciaux. A cet effet, dans le but d’articuler ces deux domaines, le règlement tend à poursuivre trois axes. Premièrement, il appelle à une coopération entre organisations internationales. Deuxièmement, il consacre le pouvoir souverain de l’Etat en matière de politique de santé tout en l’encadrant strictement et troisièmement, il impose le respect du principe de proportionnalité en toutes circonstances. Logiquement, une mesure sanitaire adoptée sur la base de ces considérations devra être perçue comme conforme aux accords de l’OMC.

 

Introduction :

Dans le cadre de la lutte contre la propagation des maladies contagieuses au niveau mondial, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) occupe une place essentielle. L’Assemblée mondiale de la santé, organe plénier de l’OMS, a ainsi adopté le 23 mai 2005 une version révisée du Règlement Sanitaire International (RSI) (Règlement Sanitaire International, 2ème éd., Genève, OMS, 2008). Entré en vigueur en 2007, le RSI est destiné à lutter contre toute pathologie humaine ou affection, qu’elle qu’en soit l’origine ou la source, ayant ou susceptible d’avoir des effets nocifs importants pour l’être humain (RSI, art. 1). L’une des thématiques majeures, régulièrement débattues au cours des conférences internationales en matière sanitaire, dont l’OMS est le successeur direct fut le souci de limiter les interférences créées par la protection de la santé publique avec le commerce international (World Health Organization, Yves Beigbeder, Max Planck Encyclopedia of Public International Law, 2006, § 3). C’est pourquoi le RSI prévoit que :

« l’objet et la portée du présent règlement consistent à prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et commerce internationaux. » (RSI, art. 2)

Erigé en principe directeur, cet article illustre bien la nécessité d’articuler deux domaines du droit international visant des objectifs apparemment antagonistes mais dont les interactions, dans un monde globalisé, s’accroissent manifestement. A la lecture des articles du RSI concernant le trafic international dont le commerce international se révèle être une des composantes (RSI, art. 1), il apparaît nécessaire de se poser la question suivante : dans quelle mesure les actions entreprises par les Etats membres de l’OMS, en application du RSI, peuvent-elles être conformes aux règles du commerce international, plus particulièrement en conformité avec le régime de l’OMC ? Compte tenu du caractère contraignant du mécanisme de règlement des différends de l’OMC, la non-conformité d’une mesure sanitaire avec le régime de l’OMC serait susceptible de mettre en échec l’application du RSI. Au contraire, dans le but d’assurer une telle conformité avec le droit du commerce internationale, le RSI propose de règlementer les interactions entre ces deux domaines en définissant trois axes. Premièrement, on constate que le règlement appelle à une coopération plus étroite entre organisations internationales (Partie I). Deuxièmement, s’il consacre le pouvoir souverain des Etats dans la détermination de leur politique sanitaire, le RSI décide de l’encadrer strictement (Partie II). Enfin, le RSI impose le respect du principe de proportionnalité en toutes circonstances (Partie III).

 

I. L’appel du règlement à une coopération internationale

 

Le RSI appelle à promouvoir une coopération entre organisations internationales (A). En particulier, ses capacités d’expertises peuvent justifier la nécessité d’une coopération avec l’OMC (B).

 

A) La nécessité d’une coopération au niveau international

L’article 14 § 1 du RSI souligne que «[l]’OMS coopère et, le cas échéant, coordonne ses activités avec d’autres organisations intergouvernementales et organismes internationaux compétents, pour la mise en œuvre du présent règlement, notamment par des accords et arrangements similaires. » Selon le RSI, ces institutions seraient entre autres l’ONU, l’OIT, le FAO et l’OACI (RSI, p. 2). Si la liste établie par le RSI n’est pas exhaustive,  il est toutefois surprenant de ne pas y avoir inclus l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de manière expresse, particulièrement à la lecture de l’objet et de la portée du règlement, mentionnés en introduction. Dans le cadre de l’OMC, les questions sanitaires sont notamment abordées au sein du Comité sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et les accords administrés par l’OMC n’ignorent pas non plus la protection de la santé publique (GATT, art. XX b), GATS, art. XIV b), Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), art. 2, Accord SPS). En outre, lors de l’élaboration de la version révisée du RSI, la nécessité d’aboutir à « une étroite concertation […] entre l’OMS et l’OMC au niveau international » avait été clairement abordée (Les accords de l’OMC et la santé publique, étude conjointe de l’OMS et du Secrétariat de l’OMC, Genève, 2002, p. 67).

Puisque l’article 56.4 du RSI concernant le Règlement des différends dispose qu’ «[a]ucune des dispositions du présent règlement ne porte atteinte au droit qu’ont les Etats Parties en vertu de tout accord international auquel ils sont Parties, de recourir aux mécanismes de règlements des différends mis en place par d’autres organisations intergouvernementales ou en vertu d’un accord international », une coopération directe avec l’OMC s’avère d’autant plus souhaitable considérant que cette organisation possède un mécanisme de règlement des différends obligatoire pour ses membres, susceptible de mettre en échec l’application du règlement. En effet, nul doute que ce mécanisme dont la compétence ratione materiae porte sur les mesures entravant le commerce attirera dans son champ d’application toutes mesures sanitaires pouvant affecter ce dernier.

 

B) Le rôle de l’OMS en tant qu’expert international en matière sanitaire

Plus particulièrement, la coopération entre l’OMS avec l’OMC peut se justifier sur le fondement suivant : l’OMS constitue une source légitime d’expertise internationale en matière sanitaire. A ce titre, cette organisation est compétente pour édicter des normes internationales spécifiques concernant les risques d’épidémies. Par conséquent, dans le cadre de l’accord SPS, il résulte de l’article 3.2 que « [l]es mesures sanitaires ou phytosanitaires qui sont conformes aux normes, directives ou recommandations internationales seront réputées être nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, et présumées être compatibles avec les dispositions pertinentes du présent accord et du GATT de 1994 » (Accord SPS, art. 3.2). En outre, dans le cadre de l’Accord OTC, « [c]haque fois qu'un règlement technique sera élaboré, adopté ou appliqué en vue d'atteindre l'un des objectifs légitimes expressément mentionnés au paragraphe 2, et qu'il sera conforme aux normes internationales pertinentes, il sera présumé ‑ cette présomption étant réfutable ‑ ne pas créer un obstacle non nécessaire au commerce international. » (Accord OTC, art. 2.5)

 

II. L’encadrement du pouvoir souverain des Etats membres en matière de politique sanitaire

 

Rappelant le principe de souveraineté de l’Etat dans la détermination de sa politique sanitaire(A), le RSI enjoint toutefois les Etats à respecter des principes essentiels du droit de l’OMC afin d’encadrer ce pouvoir (B).

 

A) Le principe de souveraineté de l’Etat

Dans cette partie, il s’agit de s’intéresser au rôle dévolu par le RSI aux Etats dans l’articulation des politiques sanitaires et commerciales. Si le RSI attribue des obligations internationales aux Etats, ces derniers n’en restent pas moins souverains comme le déclare l’article 3.4 : « les Etats ont le droit souverain de légiférer et de promulguer la législation en vue de la mise en œuvre de leurs politiques en matière de santé. Ce faisant, ils doivent favoriser les buts du présent règlement. » Cette position est notamment explicitée dans l’article 43.1 du RSI qui souligne que « [l]e présent règlement n’empêche pas les Etats Parties d’appliquer dans le but de faire face à des risques particuliers pour la santé publique ou à des urgences de santé publique de portée internationale, des mesures sanitaires conformes à leur législation nationale applicable et aux obligations que leur impose le droit international qui a) assurent un niveau de protection de la santé identique ou supérieur aux recommandations de l’OMS ». Cette position est actuellement celle admise par les groupes spéciaux de l’OMC lorsqu’ils sont amenés à vérifier la conformité d’une mesure sanitaire adoptée par un Etat sur le fondement de l’exception de protection de santé publique retenue à l’article XX b) du GATT. De même, la jurisprudence de l’OMC consacre, elle aussi, le pouvoir souverain de l’Etat, particulièrement eu égard à la définition du risque (Organe d’appel : CE – Amiante, 2001, § 168) et tout comme le RSI subordonne son exercice au respect de principes cardinaux de l’OMC.

 

B) Le respect des principes de transparence et de non discrimination

Le RSI exige toutefois les Etats à se conformer aux standards du droit de l’OMC incorporés dans ses dispositions. L’article 42 concernant la mise en œuvre des mesures sanitaires par les Etats indique que « [l]es mesures sanitaires prises en vertu du présent règlement sont mises en œuvre et menées à bien sans retard et appliquées de manière transparente et non discriminatoire. » Le respect du principe de transparence est exigé par l’article X du GATT. Quant au principe de non discrimination, véritable « charpente de tout le système commercial multilatéral » (David Luff, le droit de l’OMC – Analyse critique, 2004, p. 41), il est inscrit à l’article I : 1 du GATT portant clause de la nation la plus favorisée. De même ces principes font aussi partie des dispositions des Accords SPS et OTC. Enfin, leur importance est telle que le chapeau de l’article XX contenant les exceptions au GATT s’y réfère aussi. Par conséquent des mesures violant le GATT adoptées pour lutter contre une épidémie ne devront pas être « appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international » (GATT, art. XX). Si l’on peut déduire directement de la rédaction de cette disposition l’obligation de non discrimination, on déduira l’obligation de transparence de l’esprit du texte de l’article XX, particulièrement en relation avec la jurisprudence de l’Organe d’appel qui a souligné que « le texte introductif de l’article XX n’est en fait qu’une façon d’exprimer le principe de bonne foi […] principe général du droit international » (Organe d’appel : Etats-Unis – Crevettes, 1998, § 158).

 

III. Le respect du principe de proportionnalité : une exigence fondamentale

 

Le respect du principe de proportionnalité s’impose comme un des éléments fondateurs du règlement (A) qui exige son application autant dans la détermination d’une mesure sanitaire par l’OMS que dans la mise en œuvre par les Etats de mesures internationales ou internes (B).

 

A) L’établissement du règlement sur le respect du principe de proportionnalité 

L’emploi de l’adjectif ‘fondamental’ dans ce contexte ne se réfère pas à la valeur normative que pourrait posséder le principe de proportionnalité en droit international mais au fait qu’en étant prévu dans l’article 2 du RSI, article portant sur son objet et sa portée, ce principe se trouve au fondement des relations entre santé publique et commerce international. Les mesures prises pour lutter contre les épidémies doivent être proportionnées et limitées aux risques qu’elles présentent pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux. En d’autres termes, ce principe constitue une véritable clé de voûte de l’articulation entre l’OMS et le droit du commerce international (Les accords de l’OMC et la santé publique, étude conjointe de l’OMS et du Secrétariat de l’OMC, Genève, 2002, p. 63). En effet, la méconnaissance du principe de proportionnalité conduit à la création d’entraves inutiles pour le commerce. De même, le droit de l’OMC s’attache à ce que les Etats respectent ce principe. Celui-ci affirme que les mesures sanitaires prises en vertu de l’article XX b) du GATT de 1994 doivent être nécessaires (Organe d’appel : CE – Amiante, 2001, §§ 170 et s.) et être appliquées de façon à ne pas constituer une restriction déguisée au commerce international afin d’être licites (GATT, chapeau de l’art. XX). Au même titre, on observe un langage similaire dans l’article 2 de l’Accord SPS ainsi que dans l’article 2 de l’Accord OTC relatifs à la nécessité des mesures prises en vertu de ces accords.

 

B) Les applications du principe de proportionnalité

Premièrement, l’application de ce principe est recommandée lorsque l’OMS effectue une évaluation des risques (RSI, art. 5.4), détermine si un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale (RSI, art. 12.4) ou bien formule des recommandations temporaires ou permanentes (RSI, art. 17 § d).

Deuxièmement, le respect de ce principe intervient dans l’application des mesures internes adoptées par les Etats membres de l’OMS. D’une part, le principe de proportionnalité qui se manifeste, nous l’avons déjà mentionné, dans l’exigence d’éviter toute entrave inutile au trafic international et donc au commerce international, devra être respecté lorsque les Etats sont sommés d’appliquer soit des recommandations temporaires (RSI, art. 15.2) soit des recommandations permanentes (RSI, art. 16) adoptées par l’OMS. D’autre part, l’article 43.1 qui autorise les Etats à prendre des mesures sanitaires supplémentaires exige que « [c]es mesures ne doivent pas être plus restrictives pour le trafic international ni plus intrusives ou invasives pour les personnes que les autres mesures raisonnablement applicables qui permettraient d’assurer le niveau approprié de protection de la santé. ». Les développements précédents illustrent ainsi le besoin pour l’OMS de chercher à se mettre en conformité avec le droit de l’OMC et à trouver un juste équilibre entre l’importance de la protection de la santé, l’efficacité des mesures et leurs impacts sur le commerce (Les accords de l’OMC et la santé publique, étude conjointe de l’OMS et du Secrétariat de l’OMC, Genève, 2002, p. 64).

 

Bibliographie

 

I. Doctrine et références bibliographiques

 

A. Traités  et ouvrages generaux

LEE Kelley, The World Health Organization (WHO), New York: Routledge, 2009, 157 p.

LUFF David, Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruxelles : Bruylant L.G.D.J., 2004, 1277 p.

VAN DEN BOSSCHE Peter, The Law and Policy of the World Trade Organization, New York: Cambridge University Press, 2005, 737 p.

 

B. Traités et ouvrages speciaux

AGINAM Obijiofor, Global Health Governance, International Law and Public Health in a Divided World, Toronto: University of Toronto Press, 2005, 202 p.

BERMANN George A., MAVROIDIS Petros J., Trade and Human Health and Safety, New York: Cambridge University Press, 2006, 339 p.

COOPER Andrew F., KIRTON John J. (ed.), Innovation in Global Health Governance, Critical Cases, Farnham: Ashgate, 401 p.

 

C. Articles, rapports et essais

BEIGBEDER Yves, World Health Organization, Max Planck Encyclopedia of Public International Law, 2006, disponible sur: www.mpepil.com

 

II. Jurisprudence Internationale

 

Organe de règlement des différends de l’OMC

 

Rapports de l’Organe d’Appel

 

Etats Unis –Normes concernant l’essence nouvelle et anciennes formules, (Plaignant : Venezuela) (Etats-Unis – Essence), WT/DS2/AB/R, rapport distribué le 29 avril 1996 et adopté le 20 mai 1996.

Etats Unis –Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, (Plaignants : Inde, Malaisie, Pakistan, Thaïlande) (Etats-Unis – Crevettes), WT/DS58/AB/R, rapport distribué le 12 octobre 1998 et adopté le 6 novembre 1998.

Communautés européennes – Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, (Plaignant : Canada) (CE – Amiante), WT/DS135/AB/R, rapport distribué le 12 mars 2001 et adopté le 5 avril 2001.

 

III. Conventions et traités multilatéraux

 

Accord de Marrakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce du 15 avril 1994

o   Annexe 1A : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

o   Annexe 1A : Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires

o   Annexe 1A : Accord sur les obstacles techniques au commerce

o   Annexe 1B : Accord général sur le commerce des services

o   Annexe 2 : Mémorandum d’Accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends.

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947

Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santédu 22 juillet 1946

 

IV. Documents et décisions des organisations internationales intergouvernementales

 

Les accords de l’OMC et la santé publique, étude conjointe de l’OMS et du Secrétariat de l’OMC, Genève, 2002, 192 p.

Règlement Sanitaire International, deuxième édition, OMS, 2005, 89 p.

 

V. Sites Internet

 

Max Planck Encyclopedia of Public International Law: www.mpepil.com

Organisation Mondiale du Commerce : www.wto.org

Organisation Mondiale de la Santé : www.who.int