L’articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité : l’apport de l’arrêt Melki et Abdeli (CJUE, 22 juin 2010, C-188/10), par Laura Pivette
L’instauration récente, en France, du mécanisme de « Question prioritaire de constitutionnalité » a soulevé un certain nombre de questions quant à la compatibilité de ce mécanisme avec le droit de l’Union européenne. En effet, ce nouveau dispositif est intervenu afin de permettre la « renationalisation de certains contentieux » (selon les propos tenus, dans son discours du 1er mars 2010, par le Président de la République), ce qui, à première vue, va à l’encontre de la primauté du droit de l’Union européenne. La loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 a dessiné les contours de cette nouvelle procédure de contrôle a posteriori. En énonçant les différentes conditions devant être remplies par la question de constitutionnalité, le législateur a rendu cette procédure effective, notamment avec l’introduction du caractère « prioritaire » (article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel » en cas de concurrence entre un contrôle de constitutionnalité et un contrôle de conventionalité). Mais l’a-t-il fait au détriment du respect de la primauté du droit de l’Union européenne ? Si l’on se réfère au propos du secrétaire général du Conseil constitutionnel, ce caractère prioritaire était nécessaire afin d’empêcher que le nouveau dispositif n’implique « une nouvelle hiérarchie des normes avec au sommet le droit communautaire, puis le droit constitutionnel, puis le reste du droit ». Il y a donc là une véritable question de conformité du dispositif au regard de la primauté du droit de l’Union européenne et plus précisément au regard de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») concernant le renvoi préjudiciel. A l’occasion d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 22 juin 2010, la question de la conformité du nouveau dispositif s’est posée. La Cour de Justice a validé celui-ci, sous conditions. Cet arrêt permet de soulever d’intéressantes questions d’articulation entre constitutionnalité et conventionalité, cette fois sous un angle différent de celui des arrêts bien connus Nicolo (Conseil d’Etat, Ass. Plén. 20 octobre 1989) et Jacques Vabres (Cour de cassation, 24 mai 1975). Tout d’abord se pose la question de savoir en quoi la question prioritaire de constitutionnalité peut être contraire au droit de l’Union. Cette question nécessite de comprendre, au préalable, en quoi celle-ci est différente d’autres types de contrôle de constitutionnalité a posteriori, dans d’autres systèmes juridiques européens.
Ce billet s’attachera, dans un premier temps, à décrypter les techniques du contrôle de constitutionnalité a posteriori en France et en Allemagne, puis à comparer celles-ci avec la technique du renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice. Ensuite, il s’agira d’analyser l’arrêt Melki et Abdeli (CJUE, 22 juin 2010, C-188/10), ce qui sera aussi l’occasion d'examiner comment d’autres Etats de l’Union européenne articulent ces deux contrôles.
Les contrôles de constitutionnalité et le contrôle de conventionalité : quelles différences dans la technique ?
En France, la procédure dite de la « Question prioritaire de constitutionnalité » (ci-après « QPC »), intervenue avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a ajouté au contrôle a priori de la loi, un contrôle a posteriori, ouvert cette fois aux justiciables devant les juridictions administratives et judiciaires. L’introduction de ce nouveau dispositif a mis fin à une exception française. En effet, avant cette révision, tous les systèmes juridiques en Europe ayant mis en place un contrôle de constitutionnalité disposaient d'un contrôle a posteriori.
Il semblerait que ce constat illustre une tendance des droits constitutionnels européens à s’uniformiser. Néanmoins, l’exception française perdure en ce que la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 a mis en place un contrôle extrêmement spécifique par rapport aux mécanismes comparables dans d’autres systèmes juridiques européens. Ce qui fait sa spécificité, et mènera aussi à de nombreuses controverses, est son caractère « prioritaire » inscrit à l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1068 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (cf. infra, deuxième partie du développement).
Afin d’appréhender les enjeux de l’articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité, il faut au préalable bien maîtriser le mécanisme de la QPC et du renvoi préjudiciel. Il faut aussi analyser ce qui fait la spécificité du mécanisme français en comparaison, notamment, avec la « konkrete Normenkontrolle » (contrôle concret des normes) allemande, prévu à l’article 100 de la Loi fondamentale. Dans ce mécanisme, pour qu’un contrôle concret d’une norme soit recevable, plusieurs conditions doivent être remplies. Tout d’abord, comme pour la QPC, celui-ci doit intervenir dans le cadre d’une instance en cours. Ensuite, il doit s’agir d’une loi « formelle » c’est-à-dire une loi adoptée par l’organe législatif, ce qui exclut tout acte administratif ou règlementaire. De plus, cette loi doit être postérieure à la Constitution, ce qui ne constitue pas un critère en droit constitutionnel français. Par ailleurs, la juridiction faisant appel à la Cour constitutionnelle fédérale (ou, le cas échéant, à la Cour constitutionnelle du Land) doit être convaincue de l’inconstitutionnalité de la loi. Ce critère pourrait correspondre à la notion de « caractère sérieux » que doit avoir une QPC en droit français (articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958). Le dernier critère que doit remplir la question de constitutionnalité à l’allemande tient au caractère nécessaire du contrôle de constitutionnalité. En effet, la question de constitutionnalité n’est recevable que si elle est absolument nécessaire pour résoudre l’affaire pendante. Ce critère ne figure pas expressément dans la loi organique du 10 décembre 2009. On peut néanmoins considérer qu’il s’agit d’un critère implicite. Tout comme en Italie, en Espagne et en Belgique, les mécanismes français et allemand de contrôle de constitutionnalité a posteriori sont des contrôles concentrés, par opposition au contrôle diffus, pratiqué notamment au Portugal. Le contrôle concentré signifie qu’une seule instance a compétence pour juger de la constitutionnalité des lois. Cela permet une interprétation uniforme de la Constitution et empêche une multitude d’interprétations qui risquent d’être divergentes. En revanche, ce choix a pour conséquence un risque d’encombrement du rôle de la juridiction constitutionnelle. Par conséquent, chacun des systèmes juridiques a prévu un filtre pour les requêtes. En France, comme en Allemagne, les juridictions ordinaires jouent ce rôle de filtre.
On retrouve une parenté commune à la QPC, à la « konkrete Normenkontrolle » et au renvoi préjudiciel : ce sont toutes des questions préjudicielles au sens matériel du terme (LABAYLE H., Question prioritaire de constitutionnalité et question préjudicielle : ordonner le dialogue entre les juges ?). Elles reposent sur la même logique : le juge principal ne peut connaître de cette exception, il est alors obligé de surseoir à statuer et d’interroger le juge « naturel » ayant le monopole en la matière. L’article 267 du TFUE pose les conditions du renvoi préjudiciel. Elles sont fortement comparables à celles des questions de constitutionnalité précitées. En effet, on retrouve le critère de l’instance en cours, de la nécessité de la question (voir la « théorie de l’acte clair » en droit administratif français) et du sérieux des interrogations. Une différence notable entre, d’une part, la QPC et, d’autre part, le renvoi préjudiciel et la question de constitutionnalité à l’allemande, est que la QPC ne peut être soulevée d’office par le juge saisi, il appartient aux seules parties de soulever ce moyen. La procédure du renvoi préjudiciel est, quant à elle, une véritable procédure de « juge à juge ». Le traité organise « une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure non contentieuse, étrangère à toute initiative des parties et au cours de laquelle celles-ci sont seulement invitées à se faire entendre » (CJCE, 9 décembre 1965, Hessische Knappschaft, 44/65 ; CJCE 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft GmbH contre Eurocontrol, C-364/92). La QPC et le renvoi préjudiciel diffèrent donc par l’idée respective pour laquelle ils ont été créés. D’une part, il s’agit de donner un droit, à tout justiciable, de mettre en cause une loi en raison de sa non-conformité à la Constitution et, d’autre part, de permettre un « dialogue des juges » pour une application uniforme du droit de l’Union européenne.
La question qui se pose alors est de savoir comment ces procédures de contrôle incident de constitutionnalité et de renvoi préjudiciel peuvent cohabiter dans le cas très particulier où une loi serait contraire non seulement à la Constitution mais aussi au droit de l’Union européenne.
L’articulation entre contrôle de conventionalité et contrôle de constitutionnalité.
En réalité, des difficultés liées à une concurrence entre le contrôle de conventionalité et le contrôle de constitutionnalité ne devraient apparaître que dans un cas de figure où des droits fondamentaux sont garantis aussi bien dans la Constitution que dans le droit de l’Union européenne. Or ceci n’est pas le cas dans l’arrêt Melki et Abdeli. Dans cette affaire, MM. Melki et Abdeli, ressortissants algériens en situation irrégulière en France, ont été contrôlés par la police en application de l’article 78-2 alinéa 4 du code de procédure pénale (CJUE, Melki et Abdeli, 22 juin 2010, point 16). Faisant par la suite l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d’une décision de maintien en rétention, ils ont soulevé devant le juge des libertés et de la détention l’inconstitutionnalité de l’article 78-2 alinéa 4. Ce dernier a ordonné la transmission de cette question de constitutionnalité à la Cour de cassation et a prolongé la rétention de MM. Melki et Abdeli pour une durée de 15 jours. Ce billet ne s’intéressera pas à la question de savoir si l’article 78-2 alinéa 4 était véritablement contraire au droit de l’Union. Seule la première question préjudicielle posée par la Cour de cassation, à savoir si la QPC contrevient à l’article 267 TFUE fera l’objet du présent développement. Dans son arrêt du 16 avril 2010, la Cour de cassation s'est bornée à reprendre le raisonnement des requérants faisant valoir que l’article 78-2 alinéa 4 du code de procédure pénale est contraire au principe de libre circulation des personnes posé par l’article 67 TFUE et que, par le truchement de l’article 88-1 de la Constitution, cet article 78-2 alinéa 4 est aussi contraire à la Constitution. Cette argumentation, tendant à faire entrer le droit de l’Union dans le bloc de constitutionnalité, est tout à fait contestable et contestée (voir notamment SIMON Denys, Conventionalité et constitutionnalité, pp. 22-23). Cela reviendrait à confier au Conseil constitutionnel le pouvoir de contrôler la conformité d’une loi à une disposition de droit international, ce à quoi il s’est toujours opposé (depuis la Décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975, IVG). La Cour de cassation aurait donc dû refuser de transmettre la QPC au motif, qu’en l’espèce, seule une non-conformité de la loi vis-à-vis du droit de l’Union européenne était en cause. De plus, la Cour de cassation part d’une deuxième prémisse contestable, considérant que la préséance du renvoi au Conseil constitutionnel signifie que la QPC bénéficie d’une priorité absolue et empêche alors les juges d’exercer toute action tendant à préserver le droit de l’UE et, notamment, empêche « tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité que, le cas échéant, après la décision du Conseil constitutionnel sur cette question, les juridictions des ordres administratif et judiciaire nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation, prévues à l’article 267 TFUE, de saisir la Cour de questions préjudicielles ». A ce propos, il est intéressant de rappeler la position du gouvernement allemand à propos de la conformité de la QPC au droit de l’Union puisqu’elle semble reposer sur cette même conception de la QPC : selon cette position, « l’exercice du droit de saisir la Cour à titre préjudiciel, conféré par l’article 267 TFUE à toute juridiction nationale, ne doit pas être entravé par une disposition de droit national qui subordonne la saisine de la Cour en vue de l’interprétation du droit de l’Union à la décision d’une autre juridiction nationale » (CJUE, Melki et Abdeli, 22 juin 2010, point 37). En droit allemand, une question de constitutionnalité n’est pas recevable lorsque la loi en cause est contraire au droit de l’Union et ce en raison de la primauté du droit de l’Union européenne (BVerfG 85, 191 (203 ff.), NJW 2003 1232). Il semblerait alors que la question de constitutionnalité s’efface au profit de la question de conventionalité en cas de concurrence. Il est évident, qu’en retenant l’interprétation de la Cour de cassation, la QPC se heurte de plein fouet au principe de primauté du droit de l’Union. Il semblerait, néanmoins, que cette interprétation n’est pas la plus adéquate. En effet, une autre interprétation de la loi organique du 10 décembre 2009 a été proposée par le gouvernement français (en accord avec le gouvernement belge, dont le système de contrôle a posteriori tel que prévu à l’article 26, § 1er de la Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle belge contient aussi ce même caractère prioritaire), fortement appuyée par les décisions du Conseil constitutionnel du 12 mai 2010 et du Conseil d’Etat du 14 mai 2010. Cette interprétation a eu pour effet de « sauver » la QPC d’une possible incompatibilité avec le droit de l’Union européenne. En effet, le Conseil constitutionnel a déclaré que les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 « ne font pas obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige » (Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010). Il ajoute à cela que la QPC n’empêche pas les juridictions administratives et judiciaires de respecter l’article 267 TFUE et de saisir à tout moment la Cour de Justice d’une question préjudicielle. En fait, la priorité d’examen des moyens de constitutionnalité sur les moyens de conventionalité n’est que procédurale et ne remet nullement en cause le principe de la primauté du droit de l’Union (GUILLAUME M., La Question prioritaire de constitutionnalité). De même, l’effet immédiat du droit de l’Union, (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’Etat c. SA Simmenthal, aff. 106/77 ; CJCE, 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89 ; CJUE, 19 janvier 2010, Seda Kükükdeveci contre Swedex GmbH, C-555/07) reste ainsi garanti si l’on suit l’interprétation du Conseil constitutionnel, puisque le droit de l’Union s’oppose simplement à ce que le contrôle de conventionalité soit empêché. Le Conseil d’Etat s’est prononcé 2 jours plus tard sur cette même question dans une décision qui avait un tout autre objet (CE, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305). Cette décision va tout à fait dans le même sens que celle du Conseil constitutionnel puisque le Conseil d’Etat a considéré que « le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu’il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l’article 267 TFUE, une question préjudicielle ». Il faut tout de même préciser qu’à « tout moment » signifie que la Cour de Justice peut être consultée, soit en même temps soit après le Conseil constitutionnel, de manière à respecter le caractère prioritaire de la QPC. La lecture conciliatrice ainsi proposée a donc permis de « vider de son venin » (LABAYLE H., Question prioritaire de constitutionnalité et question préjudicielle : ordonner le dialogue des juges ?, RFDA 2010, p. 15) le caractère prioritaire de la question et de rendre le dispositif compatible avec le droit de l’Union, aux yeux de la Cour de Justice. Néanmoins, un bémol doit être apporté dans l’hypothèse où une juridiction effectuerait un renvoi préjudiciel après avoir posé une question de constitutionnalité qui aurait été écartée par le Conseil constitutionnalité. En réalité, si la juridiction concluait à une inconventionalité, ceci pourrait être interprété comme un désaveu de la décision du Conseil constitutionnel. La marge de manœuvre du juge de droit commun est alors mince.
En tout état de cause, le renvoi préjudiciel opéré par la Cour de cassation (Cour de cassation, Melki et Abdeli, 16 avril 2010) a été l’occasion de faire valider le nouveau dispositif par la Cour de Justice. Une telle solution était loin d’être certaine ainsi qu’en témoignent les conclusions contraires de l’avocat général Mazak qui a en effet considéré que les articles de la loi organique, en ce qu’ils prévoient la priorité de la QPC, vont à l’encontre de la primauté du droit de l’Union et de l’article 267 TFUE (Prise de position de l’Avocat général M. Jan Mazak présentée le 7 juin 2010). La Cour de Justice valide finalement le mécanisme de la QPC mais elle précise les trois conditions que doit respecter la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales afin que celle-ci soit compatible avec l’article 267 TFUE : il faut que les juridictions nationales restent libres « de saisir à tout moment de la procédure […] la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire », « d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union » et « de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union ». Si l’on compare ces conditions avec les décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat en mai 2010, force est de constater qu’elles ressemblent fortement aux décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. Ceci aurait dû laisser présager une parfaite compatibilité du dispositif avec le droit de l’Union. Or la Cour de cassation n’a pas été du même avis. Dans un arrêt du 29 juin 2010, celle-ci tire les conséquences juridiques de l’arrêt de la Cour de Justice et retient que la priorité d’examen de la QPC n’est pas applicable devant elle dans l’hypothèse où elle est saisie d’une question portant à la fois sur la constitutionnalité et la conventionalité d’une loi. Elle justifie cela par le fait que, dans une telle hypothèse, elle ne pourrait pas prendre les mesures provisoires et conservatoires qui permettraient de remplir les exigences du droit de l’Union. Or la Cour de cassation aurait pu trouver au sein même du droit de l’Union de telles compétences en matière de mesures provisoires et conservatoires (CJUE, Factortame affaire C-213/89, § 21 et s.). Finalement, la Cour de cassation n’a pas été prête à clore la question de l’incompatibilité de la QPC avec le droit de l’Union. Il se pourrait alors que le législateur ait à intervenir afin de conférer à la Cour de cassation le pouvoir d’adopter les mesures adéquates permettant de satisfaire aux obligations posées par la Cour de Justice.
Conclusion :
Avant l’instauration du contrôle a posteriori, le seul contrôle que pouvaient effectuer les juges nationaux était le contrôle de conventionalité et plus précisément le contrôle de la conformité d’une loi au droit de l’Union européenne. Ainsi, la Constitution s’effaçait quelque peu au profit du droit de l’Union. Le législateur, guidé par la volonté de redonner à la Constitution tout son sens, a donc décidé de créer un système de contrôle a posteriori. Celui-ci est venu concurrencer le système des questions préjudicielles devant la Cour de Justice lorsqu’était en cause un droit protégé aussi bien par le droit de l’Union que par la Constitution. C’est aussi la raison pour laquelle la question de constitutionnalité est devenue « prioritaire » par rapport aux questions préjudicielles devant la Cour de Justice, avec la loi organique du 10 décembre 2009. La Cour de cassation, comme l’illustre parfaitement l’arrêt Melki et Abdeli, tend à privilégier la saisine de la Cour de Justice et non celle du Conseil constitutionnel et ce au détriment du caractère « prioritaire » de la QPC. La Cour de Justice, quant à elle, réaffirme la primauté du droit de l’Union, mais ne s’oppose pas à ce que la question de constitutionnalité soit prioritaire dans la mesure où il ne s’agit que d’une caractéristique procédurale qui ne remet pas en cause la primauté du droit de l’Union et par ce biais la primauté de sa juridiction. Finalement, en ce qui concerne le Conseil constitutionnel, celui-ci a pour la première fois saisi la Cour de Justice d’une question préjudicielle (décision du Conseil constitutionnel n° 2013-314 QPC du 4 avril 2013 concernant la décision-cadre instaurant le mandat d’arrêt européen). Il s’agit d’une grande avancée pour le « dialogue des juges » puisque le Conseil constitutionnel s’y était jusqu’alors obstinément refusé et percevait ce procédé comme une « subordination au juge communautaire » (BLUMANN C. et DUBOUIS L., Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Litec, 2010). Ce constat laisse penser que la traditionnelle concurrence entre la juridiction constitutionnelle et la Cour de Justice tend à laisser place à une coopération entre ces juridictions.
Par ailleurs, chaque système juridique a pu connaître des difficultés liées à la hiérarchie des normes entre la Constitution d’une part et le droit de l’Union d’autre part. Il suffira, à cet égard, de rappeler le célèbre arrêt « So lange » (So lange-II-Beschluss de 1986, confirmé en 2009 dans une décision relative au Traité de Lisbonne. Voir aussi la décision de la Cour italienne de 1984, Granital), dans lequel la Cour fédérale allemande déclare faire prévaloir la norme communautaire uniquement sous réserve que cette dernière présente un niveau de protection des droits fondamentaux équivalent aux standards constitutionnels. Il n’est donc pas tout à fait anormal que la France, à son tour, rencontre des difficultés dans son « dialogue des juges » en ce qui concerne la QPC.
Si la question de l’articulation entre conventionalité et constitutionnalité semble être résolue, une difficulté persiste toutefois. Il s’agit du cas de figure où une loi transposant une directive serait présumée inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel serait-il compétent pour en juger alors que la validité d’un acte dérivé du droit de l’Union européenne relève du monopole de la Cour de Justice ? Depuis 2006, le Conseil constitutionnel contrôle la correcte transposition des directives par les dispositions législatives mais ne contrôle pas la constitutionnalité de la directive elle-même (Décision du 27 juillet 2006, n° 2006-540 DC). La différence entre contrôle de la loi de transposition et contrôle de la directive est mince mais cette distinction permet toute incompatibilité avec le droit de l’Union.
Bibliographie
Ouvrages:
MAUGÜE Christine, STAHL Jacques-Henri, La question prioritaire de constitutionnalité, Paris, Dalloz, 2011
CARCASSONE Guy, DUHAMEL Olivier, La question prioritaire de constitutionnalité, Paris, Dalloz, 2011
BLUMANN Claude, DUBOUIS Louis, Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Litec, 2010
ROUSSEAU Dominique, BONNET Julien, L’essentiel de la QPC, Paris, Gualino, 2012
MAGNON Xavier, BIOY Xavier, MASTOR Wanda, MOUTON Stéphane, Le réflexe constitutionnel : question sur la question prioritaire de constitutionnalité, Bruxelles, Bruylant, 2013
BLECKMANN Albert, Staatsrecht I : Staatsorganisationsrecht, Köln, C. Heymanns, 1994
DEGENHART Christoph, Staatsorganisationsrecht, Heidelberg, C.F. Müller, 2007
DETTERBECK Steffen, Öffentliches Recht: ein Basislehrbuch zum Staatsrecht, Verwaltungsrecht und Europarecht, München, F. Vahlen, 2011
SACHS Michael, Grundgesetz: Kommentar, München, C.H. Beck, 2009
Revues juridiques:
LABAYLE H., Question prioritaire de constitutionnalité et question préjudicielle : ordonner le dialogue des juges ?, RFDA 2010, p. 659
FOMBEUR Pascal, Question prioritaire de constitutionnalité, droit constitutionnel et droit de l’Union européenne, Recueil Dalloz 2010, p. 1229
SIMON Denys, Conventionalité et constitutionnalité, Pouvoirs, 2011/2 n° 137, p. 19-31
DUTHEIL DE LA ROCHERE Jacqueline, La question prioritaire de constitutionnel et le droit européen, Revue trimestrielle de droit européen 2010, p. 577
MANIN Philippe, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit de l'Union européenne, AJDA 2010 p. 1023
LEVADE Anne, Priorité n'est pas primauté ou comment articuler contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité, Constitutions 2010 p. 229
GAUTIER Marie, La question de constitutionnalité peut-elle rester prioritaire ?, RFDA, 2010 p. 449
Textes officiels:
Loi organique du 2009 : articles 23-1 et suivants de l’ordonnance 1958
Décisions et arrêts:
CJUE, Melki et Abdeli, 22 juin 2010, affaire C-188/10
CJUE, Simmenthal, 9 mars 1978, affaire 106/77
Cour de cassation, 16 avril 2010, arrêt n° 12003 ND
Cour de cassation, 29 juin 2010, req. N° 10-40.001
Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010
Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305
Site Internet: