L’audition de l’enfant et la reconnaissance des décisions en Europe : l’arrêt du „Bundesverfassungsgericht“ allemand du 29 octobre 1998 par Maureen Stephan
Dans l’arrêt présenté la Cour analyse la conformité de l’art.13 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, dans le cas particulier d’un enlèvement d’enfant par leur mère puis par leur père, avec les droits fondamentaux allemands. Cet article constitue une exception au principe du retour immédiat de l’enfant dans l’État dans lequel il avait sa résidence habituelle juste avant son déplacement illicite. Le droit allemand prévoit une audition de l’enfant dès 3 ans, alors que cela n’est pas prévu en droit français. Cette différence risque d’affecter la reconnaissance par les tribunaux allemands des décisions françaises à ce sujet.
Les enlèvements internationaux d’enfants constituent une importante source de conflits autant politiques que juridiques entre les États. On parle d’enlèvement international d’enfant, « legal kidnapping », lorsqu’un des parents, qui sans posséder de droit de garde exclusif de l’enfant, enlève celui-ci dans un autre pays; le plus souvent dans son pays d’origine. Ces enlèvements sont souvent suivis de demande de retour de l’enfant par l’autre parent. Les relations franco-allemandes, en particulier, ne sont pas épargnées par les problèmes engendrés lors de l’enlèvement international d’un enfant impliquant un couple franco-allemand. La décision de la Cour constitutionnelle allemande (« Bundesverfassungsgericht ») du 29 octobre 1998, présentée ici, concerne la célèbre affaire franco-allemande Tiemann/Lancelin, qui a défrayé la chronique pendant plus de trois ans ( 1997-1999), comme en atteste la presse de l’époque (Jan Kropholler, Internationales Privatrecht, 2006, Mohr Siebeck). Le journal allemand « Die Zeit » dans un article d’avril 1998 titrait « Entführung aus Liebe » (Enlèvement par amour); du côté de la presse française le journal « l’Humanité » dans un article du 3 avril 1999 titrait : « Deux enfants, deux pays, un imbroglio judiciaire ». Il s’agit ici d’un cas bien particulier, puisque les enfants issus du couple Tiemann/Lancelin ont été enlevés successivement par leurs deux parents. Dans un premier temps par Madame Lancelin depuis l’Allemagne vers la France puis huit mois plus tard par monsieur Tiemann vers l’Allemagne. Ceci a conduit à l’ouverture parallèle de procédures juridictionnelles en France et en Allemagne et notamment de deux procédures parallèles visant au retour des enfants dans le pays où ils avaient leur résidence habituelle immédiatement avant leur déplacement illicite. La décision de la Cour constitutionnelle allemande concerne l’application de la convention de la Haye du 20 octobre 1980. La Cour s’interroge sur la conformité de l’application de l’art.13 de la convention par la Oberlandesgericht Celle (Cour d’appel de Celle) avec les droits fondamentaux allemands, notamment avec les articles 6 al 2 et art. 2 al 2 GG en combinaison avec l’art. 103 al 1 GG (Grundgesetz : Loi fondamentale allemande) concernant le droit d’être entendu en justice. Dans la ligne directe de sa jurisprudence antérieure, la Cour constitutionnelle allemande rappelle la conformité de la convention, en particulier de la « relation principe/exception » du retour de l’enfant, avec la loi fondamentale. La Cour précise cependant que dans le cas particulier de demandes parallèles de retour de l’enfant, un contrôle tout particulier de l’intérêt supérieur de l’enfant s’avère nécessaire lors l’application de l’art.13 de la convention. La Cour constitutionnelle allemande reproche ainsi à la Cour d’appel de Celle de ne pas avoir mis de curateur de justice à la disposition des enfants et de ne pas leur avoir permis d’être entendus au cours de la procédure. Cette décision pose donc la question épineuse de l’audition des enfants au cours de la procédure des décisions de justice susceptibles de les affecter directement. Cette question pose notamment de sérieux problèmes lors de la reconnaissance par les tribunaux allemands de décision étrangère affectant des enfants, lorsque ces derniers n’ont pas été entendus au cours de la procédure. Il convient donc d’expliquer le raisonnement de la Cour constitutionnelle allemande; notamment son application de l’art.13 de la convention de la Haye du 20 octobre 1980 dans le cas particulier d’un enlèvement d’enfant successivement par leur mère puis par leur père (I), ce qui nous amènera à nous poser la question de la justification de l’audition d’enfant même très jeune par le juge allemand (II) et enfin nous envisagerons les solutions apportées par le règlement 2201/2003 quant au problème de reconnaissance des décisions en cas d’absence d’audition de l’enfant (III).
I. L’art.13 de la convention de la Haye du 20 octobre 1980 à l’épreuve d’enlèvements d’enfants successivement par chacun des parents.
La convention de 1980, ratifiée par plus de 70 États, constitue un outil très efficace dans la lutte contre les enlèvements d’enfant transfrontaliers. Cette convention est entrée en vigueur en France le 29 novembre 1983 et en Allemagne le 1er décembre 1990. Cette convention ne comporte pas de règle de conflit de juridiction ou conflit de loi et ne concerne ni la reconnaissance ni l’exécution des décisions. Elle n’a pas pour but non plus de trancher sur le droit de garde des enfants mais seulement de rétablir un statut quo ante (Hoffman/Thorn, Internationales privatrecht, 2007, C.H.Beck).
.Le principe de retour immédiat
Le principe directeur de la convention est le retour immédiat de l’enfant dans l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement illicite ou son non-retour. En effet on considère que c’est la juridiction de l’État dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle, qui sera la mieux à même de statuer par la suite sur le droit de garde des parents. Il y a déplacement illicite et donc « enlèvement » lorsque ce déplacement est effectué en violation d’un droit de garde précédemment établi ou non encore définitivement tranché par une juridiction notamment lors d’un divorce; ce qui était le cas dans l’affaire Tiemann/Lancelin au moment de l’enlèvement par la mère des enfants.
.Les exceptions au retour immédiat de l’enfant : Art.13 de la convention de la Haye du 20 octobre 1980
En vertu de l’art.13 al 1 b de la convention le juge peut refuser de renvoyer l’enfant dans son pays de résidence habituelle s’il estime que « le retour de l’enfant l’exposerait à un risque physique ou psychique ou à une situation qui pourrait lui nuire ». Le juge peut également refuser le retour de l’enfant si ce dernier s’y oppose et qu’il apparaît opportun de tenir compte de son avis compte tenu de son âge et de sa maturité, en vertu de l’art.13 al 2 de la convention. Il n’est fait ici aucune allusion directe à l’audition de l’enfant. La Cour constitutionnelle allemande place cependant dans son raisonnement l’intérêt supérieur de l’enfant au tout premier rang. Elle estime dans le cas présent que l’intérêt de l’enfant n’a pas été pris suffisamment en compte. En effet c’est en principe aux parents, en tant que représentant légaux de l’enfant, que revient la tâche de défendre l’intérêt de l’enfant et d’assurer ainsi leur droit d’être entendu en justice. Cependant dans le cas d’un enlèvement illicite, les parents font prévaloir leurs intérêt propres au détriment de l’intérêt de leur enfant ; d’où la nécessité de nommer une personne neutre palliant ce manque. Depuis la réforme du droit de l’enfance du 1er juillet 1998, le juge a donc l’obligation de nommer un curateur de justice ayant pour devoir de déterminer quelles conséquences physiques et psychologiques un retour entraînerait pour l’enfant, en vertu du §50 FGG (Gesetz über die freiwillige Gerichtsbarkeit : Code de la juridiction gracieuse). Par ailleurs la Cour rappelle que les décisions de retour de l’enfant ne constituent en aucun cas une décision sur la garde de l’enfant et que par conséquent, contrairement à ces dernières décisions, une audition de l’enfant ne s’avère pas obligatoire. Elle estime cependant que dans le cas particulier des enfants Tiemann/Lancelin une audition s’avère nécessaire puisqu’ils sont exposés à deux décisions de retour successives (Dr. Ansgar Staudinger, « Die neuen Karlsruher Leitlinien zum Haager Kindesentführungsübereinkommen », IPRax 2000, p.197). Il apparaît donc intéressant d’étudier la procédure d’audition de l’enfant par les juges allemands.
II. L’audition de l’enfant par les juges allemands et français
. L’audition de l’enfant : un droit fondamental
Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle allemande que l’enfant doit être sujet de la procédure familiale et non son objet (Mallory Völker, «Le règlement « BIIBIs » du point de vue d’un juge aux affaires familiales », in Fulrichon/Nourissat, Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, thèmes et commentaires, Dalloz 2005, p.294). Il en découle un droit pour l’enfant d’être entendu dès lors qu’une décision judiciaire est susceptible de l’affecter. Ce droit de l’enfant d’être entendu en justice est un droit fondamental qui résulte de l’art.6 al 2 GG. Selon les règles de procédure françaises, l’enfant n’est pas partie à la procédure, ce qui montre bien la différence raisonnement des juges français et allemands. Les juges allemands aux affaires familiales ont le devoir d’auditionner les enfants dès l’âge de trois ans, au plus quatre ans. En effet, ils estiment qu’à partir du moment où les enfants peuvent s’exprimer de façon compréhensible, ils sont susceptibles d’apporter des éléments intéressants dans un dossier. Le juge français, quant à lui, considère que les enfants peuvent être entendus lorsqu’ils ont atteint l’âge de onze/douze ans, âge auquel ils ont atteint un degré de maturité et de discernement suffisant (Véronique Chaveau, «Les enlèvement transfrontières », in Fulrichon/Nourissat, Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, thèmes et commentaires, Dalloz 2005, p.258). L’audition de l’enfant par le juge français dépend donc de l’appréciation du discernement de l’enfant par ce dernier en vertu de l’art.388-1 du Code civil. Bien plus qu’une différence d’âge pour l’audition des enfants il existe ici une différence dans l’office du juge. En effet, le juge allemand « doit » entendre les enfants alors que le juge français « peut » les entendre.
.Le déroulement de l’audition
En droit allemand c’est le juge lui-même qui doit procéder à l’audition de l’enfant, ceci résultant du principe procédurale d’immédiateté de la preuve. Le droit français prévoit que l’audition de l’enfant pourra être effectuée par le juge ou une personne qu’il désigne en vertu de l’art.388-1 du Code civil. Lors de l’audition le juge allemand prend différents éléments en compte, notamment la pression potentielle exercée par les parents sur l’enfant et le stade de développement psychologique de l’enfant. Sur ce dernier point il convient de noter que les juges aux affaires familiales allemands ont accès à une formation continue concernant tout ce qui touche aux enfants, bien que celle-ci ne soit pas obligatoire. Le juge allemand prend également en compte la situation sociale de l’enfant. Dans la détermination de celle-ci le juge allemand est épaulé par le « Jugendamt » (Office de la jeunesse). Cet organisme inconnu du droit français est par ailleurs partie au procès dans les procédures judiciaires devant le juge aux affaires familiales. Pour enlever le caractère solennel d’une telle audition et éviter une pression psychologique supplémentaire sur l’enfant, ce dernier est souvent entendu non pas en salle d’audience mais dans le bureau du juge ; le juge étant en civil. Il arrive également que l’audition de l’enfant ait lieu à son domicile ou encore à l’école. Le plus souvent l’enfant est seul avec le juge, mais comme en droit français en vertu de l’art. 388-1 al. 2 C.civ, d’autres personnes, telles que l’avocat de l’enfant ou encore son curateur de justice, pourront être présentes. Ces disparités entre le droit français et le droit allemand conduisent à des situations de conflit entre les deux pays, notamment au moment de la reconnaissance de décisions. Le règlement BIIBis permet-il d’y remédier ?
III. L’audition de l’enfant dans le règlement n°2201/2003 (BIIbis)
Le règlement (CE) n° 2201/2003 est entré en vigueur le 1er mars 2005, remplaçant le règlement (CE) n°1347/2000 pour tous les contentieux intracommunautaires concernant notamment la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de responsabilité parentale. Ce règlement vient s’articuler avec la Convention de la Haye du 20 octobre 1980, renforçant ainsi la lutte contre les enlèvements d’enfants au sein de l’union européenne.
. L’audition de l’enfant
Contrairement à la Convention de la Haye du 20 octobre 1980, l’art.13 al 2 de la convention mis à part, le règlement BIIBis prévoit explicitement l’audition de l’enfant. En effet selon l’art.11.2 du règlement : « Lors de l’application des articles 12 et 13 de la CLH80, il y a lieu de veiller à ce que l’enfant ait la possibilité d’être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n’apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité ». Cette disposition constitue cependant une règle a minima puisqu’il ne s’agit que d’offrir à l’enfant la possibilité d’être entendu. Il convient cependant de remarquer que le règlement allègue une importance particulière à l’audition de l’enfant. Ainsi il est précisé dans le considérant 19 du règlement, que sans avoir pour objectif de modifier les procédures nationales applicables aux auditions d’enfants, « l’audition de l’enfant joue un rôle important dans le présent règlement ».
.La reconnaissance des décisions
Il résulte de l’article 21.1 BIIBis que « les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ». Ce principe connaît cependant des exceptions. L’art. 23b notamment dispose qu’ « une décision rendue en matière d’autorité parentale n’est pas reconnue si, sauf en cas d’urgence, elle a été rendue sans que l’enfant, en violation des règles fondamentales de l’État membre requis, ait eu la possibilité d’être entendu », ce qui précisément est le cas de l’Allemagne. Le juge allemand refusera donc, comme avant, de reconnaître les décisions rendues par un juge étranger en matière d’autorité parentale si ce dernier a omis d’entendre l’enfant. Il convient cependant d’espérer que les juges européens prendront conscience de l’importance de l’audition des enfants dans les décisions susceptibles de les affecter et qu’ils mettront tout en œuvre pour éviter que leur décision ne soit pas reconnue par leur homologue étranger. Les juges doivent toujours garder à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant quitte à devoir faire des concessions. Enfin il apparaît opportun de remarquer que le recours aux tribunaux ne constitue pas le seul moyen efficace pour lutter contre les enlèvements internationaux d’enfants. En effet, en Allemagne par exemple, sur les 70 à 100 demandes de retour traité par an, seulement 30 à 40% de ces demandes sont tranchées par une juridiction, les autres demandes étant réglées à l’amiable (Dr. Andrea Schulz, « Internationale Regelung zum Sorge- und Umgangsrecht », FamRZ 2003, p.342). Concernant les relations franco-allemandes et la résolution de ces problèmes par ces deux pays, il convient de noter l’existence depuis le 29 octobre 1999 d’une commission parlementaire franco-allemande de médiation.
Bibliographie sélective:
Ouvrages
- Fulchiron/Nourissat, Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, thèmes et commentaires, Dalloz 2005.
- Hoffmann/Thorn, Internationales Privatrecht, 9 Auflage, 2007, C.H.Beck.
- Kropholler, Internationales Privatrecht, 6 Auflage, 2006, Mohr Sibeck.
Articles
- Ancel/Watt, « L’intérêt supérieur de l’enfant dans le concert des juridictions : le règlement Bruxelles II bis », Revue critique de droit international privé, 2005, p 569-605.
- Staudinger, “Die neuen Karlsruher Leitlinien zum Haager Kindesentführungsübereinkommen“, IPRax 2000, Heft 3, p 194-202.
Textes officiels
Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
Règlement n°2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale