La lutte anti discrimination en Espagne
1. LES PRINCIPALES SOURCES TEXTUELLES DE LUTTE ANTI DISCRIMINATION DANS L’ORDRE JURIDIQUE ESPAGNOL.
La règlementation anti-discrimination en Espagne provient en grande partie du droit International et de l’Union Européenne. Elle se concentre surtout dans le domaine de l’emploi et le monde du travail, notamment en faveur des femmes.
Les sources constitutionnelles
La Constitution espagnole de 1978 énonce un principe d’égalité et de non-discrimination à l’article 14 : « Les espagnols sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, l’opinion ou tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ». Ce principe d’égalité et de non-discrimination est protégé par la Constitution. L’article 9 engage l’action des pouvoirs publics, afin d’assurer le respect de la liberté et l’égalité des individus, indépendamment de leur condition sociale. Il appartient aux pouvoirs publics espagnols, de promouvoir les conditions assurant l’effectivité et la réalité de la liberté et l’égalité des individus. Ces pouvoirs se voient reconnaitre les compétences nécessaires afin de supprimer les obstacles qui empêchent l’application de ce principe.
Les sources internationales
Le droit international est la source de nombreux textes relatifs à la non-discrimination des personnes.
Une grande partie de ces textes relatifs aux Droits de l’Homme à portée internationale ont été mis en place par les Nations Unies (ONU). Les principaux sont les suivants :
- La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, approuvée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. Cette déclaration est un des principaux textes affirmant le principe de non-discrimination et proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et droit, sans distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou de toute autre nature, l’origine national ou social, la position économique, la naissance ou tout autre condition.
- Le Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), fait à New York, le 19 décembre 1966 et ratifié par l’Espagne, le 13 avril 1977
- Le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et cultures (PIDCP), fait à New York, le 19 décembre 1966 et ratifié par l’Espagne le 13 avril 1977
- La Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEFDR), approuvée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 21 décembre 1965. L’Espagne a adhéré à cette convention le 13 septembre 1968.
- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDFDF) faite à New York, le 18 décembre 1979 et ratifiée par l’Espagne, le 16 décembre 1983.
- La Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou les convictions. Elle fut proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 25 novembre 1981
- La Convention contre la torture (CAT), du 10 décembre 1984, ratifiée par l’Espagne le 9 novembre 1987
- La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unis le 20 novembre 1989, ratifiée par l’Espagne le 30 novembre 1990
- La Convention relative aux droits des personnes handicapées, faite à New York le 13 décembre 2006 et ratifiée par l’Espagne le 23 novembre 2007
Toutes ces conventions contiennent une interdiction de discrimination.
D’autres organisations internationales ont adopté des textes relatifs au principe de non-discrimination. Ces textes s’appliquent également en Espagne. L’UNESCO et l’OIT sont des organisations internationales appartenant aux Nations Unies. L’OSCE est une organisation européenne pour la sécurité et la coopération en Europe.
UNESCO
L’Unesco a approuvé la Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, le 15 décembre 1960 à Paris.
OIT
L’OIT a approuvé plusieurs conventions relatives aux discriminations dans le domaine du travail et de l’emploi.
- Convention numéro 100, sur l’égalité de rémunération entre la main d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine pour un travail d’égale valeur, du 19 juin 1951, ratifiée par l’Espagne le 6 novembre 1967
- Convention numéro 111 relative à la discrimination en matière d’emploi et de profession, du 25 juin 1958, ratifiée par l’Espagne le 26 octobre 1967
- Convention numéro 117 relative aux normes et objectifs basiques de la politique sociale, du 22 juin 1962, ratifiée par l’Espagne le 19 février 1973
- Convention numéro 159 sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, du 20 juin 1983, ratifiée par l’Espagne le 17 juillet 1990
OSCE
- Décision numéro 1633 relative au renforcement de la tolérance et de la liberté des médias de l’information sur Internet, du 11 novembre 2004
- Décision numéro 621 de la tolérance et lutte contre le racisme, la xénophobie et la discrimination, du 29 juillet 2004
Les sources européennes
Le droit européen a permis une ample règlementation du principe de non-discrimination à travers le droit de l’Union Européenne et celui du Conseil de l’Europe.
L’Union européenne a renforcé le droit à la non-discrimination avec la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne[1]. En décembre 2009, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la Charte acquiert la même force juridique contraignante que les traités. Les Etats Membres de l’Union Européenne, tel que l’Espagne, ont l’obligation de respecter les dispositions de la Charte, uniquement lorsqu’ils transposent et appliquent le droit de l’UE. L’article 21 de cette Charte interdit les discriminations fondées sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, et les opinions politiques ou tout autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Si un Etat Membre ne transpose pas cette Charte, et ne respecte pas ces dispositions, il est possible de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Jusqu’en 2000, la législation en vigueur dans l’Union Européenne en matière de lutte anti discrimination s’appliquait exclusivement au domaine de l’emploi et de la sécurité sociale. Seulement était interdite la discrimination fondée sur le sexe. A l’heure actuelle, l’orientation sexuelle, les convictions religieuses, le handicap et l’âge sont reconnus comme des motifs de discrimination interdits en matière d’emploi et de travail. Le cadre juridique communautaire en matière de non-discrimination a été mis en place en 2000. Il est composé de directives relatives à l’égalité de traitement, telle que la directive sur l’égalité raciale (2000/43/CE). Cette directive interdit toute discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique dans le domaine de l’emploi. A été également publiée la directive sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (2000/78/CE). Elle interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans le domaine de l’emploi. Une autre directive importante est celle sur l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès aux biens et aux services (2004/113/CE), elle constitue une extension de la discrimination fondée sur le sexe au domaine des biens et services.
Au sein du Conseil de l’Europe, la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) établit l’interdiction générale de discrimination[2]. Cet article garantit l’égalité de traitement dans la jouissance des droits reconnus dans cette convention. La CESDH a été élaborée et signée par les Etats Membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950[3]. Tous les particuliers peuvent l’invoquer directement devant une juridiction nationale ou européenne selon le principe d’effet direct consacré par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Tous les Etats membres de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe sont tenus de respecter ladite convention. La CESDH a évolué et comprend plusieurs protocoles, dont le nº12. Il a été adopté en 2000 et étend le champ de l’interdiction de la discrimination prévu par l’article 14 de la convention, en garantissant l’égalité de traitement dans la jouissance de tous les droits prévus par la loi, y compris les droits reconnus par les législations nationales. Ce protocole a été ratifié par l’Espagne le 13 février 2008.
Les sources légales
La principale loi espagnole de lutte anti discrimination est la Loi organique 3/2007, du 22 mars 2007 pour l’égalité effective entre les hommes et les femmes. Elle a pour objectif d’obtenir l‘égalité réelle et effective entre les femmes et les hommes et l’élimination de toute discrimination fondée sur le sexe, en particulier celle qui affecte les femmes. Cette loi est la réponse du Gouvernement espagnol aux exigences du droit communautaire.
Une série de dispositions est également édictée au Chapitre III du Titre II de la Loi 62/2003, du 30 décembre 2003, relatives aux mesures fiscales, administratives et d’ordre social. Ce sont des dispositions relatives au principe de l’égalité de traitement qui ont pour objectif d’établir des mesures pour l’application réelle et effective du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, en particulier fondées sur l’origine raciale ou ethnique, la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle[4].
2. LES PRINCIPALES INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES, LEGISLATIVES OU ASSOCIATIVES DE LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION ET LEURS PRINCIPALES COMPÉTENCES.
La législation espagnole reconnaît le principe d’égalité de traitement comme l’absence de toute discrimination, directe ou indirecte, en raison du sexe, de l’origine raciale ou ethnique, de la religion ou les convictions, du handicap, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de l’identité du genre ou tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. Afin de lutter contre toutes ces catégories de discrimination, il existe en Espagne, le Ministère de la Santé, des Services Sociaux et de l’Egalité. Il appartient à ce ministère, entre autres compétences, de lutter contre toutes les catégories de discrimination et contre la violence dirigée contre les femmes. Divers institutions de lutte contre la discrimination sont rattachées à ce ministère.
Une de ces institutions est le Conseil de non-discrimination fondée sur l’origine raciale. Selon l’article 13 de la Directive 2000/43 CE, tous les Etats Membres ont l’obligation de désigner un ou plusieurs organismes responsables de la promotion de l’égalité de traitement entre toutes les personnes en raison de leur origine raciale ou ethnique. Siègent dans cette institution, les différentes administrations publiques territoriales, étatiques, autonomiques et locales, ainsi que les représentants des travailleurs et chefs d’entreprises et les représentants des mouvements associatifs, dont l’activité est liée à la promotion de l’égalité de traitement et la non-discrimination des personnes fondées sur l’origine raciale ou ethnique. Ce Conseil est doté de plusieurs compétences dont: celle de fournir une assistance aux victimes de discrimination raciale ou ethnique (directe ou indirecte) lorsque celles-ci portent plainte et celle relative à la promotion des mesures pour l’égalité de traitement et l’élimination de la discrimination raciale ou ethnique des personnes. Le Conseil élabore également des recommandations et les mesures nécessaires afin de respecter l’égalité de traitement entre toutes les personnes en raison de leur origine raciale ou ethnique. Ce Conseil est règlementé à l’article 33 de la Loi 62/2003, du 30 décembre 2003 relative aux mesures fiscales administratives et de l’ordre social[5].
Il existe également un institut de la femme, organisme autonome rattaché au Ministère de la Santé, des Services Sociaux et de l’Egalité. Son principal objectif est la promotion et le développement des conditions qui rendent possible l’égalité réelle et effective des femmes et des hommes. Cet institut s’occupe également de promouvoir la participation de la femme dans la vie politique, culturelle, économique et sociale. L’institut de la femme a été créé en 1983, conformément aux principes constitutionnels et à l’obligation des pouvoirs publics d’éliminer les obstacles qui empêchent la participation des citoyens dans tous les domaines de la société[6].
Il existe également les unités d’égalité « Unidades de Igualdad [7]», elles sont présentes dans chaque ministère. Ces unités ont été créés pour vérifier le respect du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble de l’Administration Générale de l’Etat espagnol. Le but est de réussir une application transversale du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans les pouvoirs publics, et plus particulièrement dans l’Administration Générale de l’Etat[8].
Une autre institution existe, celle de l’Observatoire Espagnol du Racisme et de la xénophobie. Cet observatoire dépend du Secrétariat Général d’Immigration et d’Emigration (Ministère de l’emploi et de la sécurité sociale). Cet observatoire a pour compétences[9] :
- La collecte et l’analyse de l’information sur le racisme et la xénophobie, le but étant de connaître la situation et les possibilités d’évolution. Ce travail est réalisé grâce à la mise en place d’un réseau d’information.
- La promotion du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination et de la lutte contre le racisme et la xénophobie
- La collaboration et coordination avec différents agents (publics et privés, nationaux et internationaux) liées à la prévention et lutte contre le racisme et la xénophobie
Cependant la figure la plus importante dans ce domaine reste celle du « defensor del pueblo ». Le défenseur du peuple est une institution espagnole crée par l’article 54 de la Constitution espagnole et développée par la Loi Organique espagnole du Défenseur du Peuple. Il est chargé de défendre les droits fondamentaux et libertés publiques des citoyens, à travers le contrôle des administrations publiques. Tout citoyen peut déposer une plainte au Défenseur du peuple pour demander son intervention. Il aura pour mission d’enquêter sur les actions ou mesures, présumées irrégulières, de l’Administration publique ou de ses agents. Pour pouvoir exercer ses fonctions, il peut saisir le Tribunal Constitutionnel espagnol à travers deux recours : le recours en amparo (« recurso en amparo ») et le recours en inconstitutionnalité (« recurso de inconstitucionalidad »). Le premier protège les citoyens face à une possible violation des droits fondamentaux recueillis dans la Constitution espagnole et le second permet de contrôler la constitutionnalité d’une norme hiérarchiquement inférieure.
3. LE RÔLE DES JUGES EN MATIERE DE LUTTE ANTI DISCRIMINATION ET JURISPRUDENCES RELATIVES AUX MODALITES DE PREUVES EXIGEES.
Le tribunal Constitutionnel espagnol est le principal garant de la constitution, notamment de l’article 14 qui établit le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination. Cependant il n’est pas le seul à établir des jurisprudences importantes en cette matière. Le Tribunal Suprême espagnol ainsi que les tribunaux inférieurs vérifient le respect de l’égalité de traitement et du principe de non- discrimination. Il serait impossible de citer toutes les jurisprudences relatives à ce sujet.
Nous n’évoquerons donc que les jurisprudences établies concernant la charge de la preuve en cas de discrimination.
La question de la charge de la preuve a été abordée dans le droit de l’Union, tout d’abord avec la Directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe, puis ensuite avec la directive 2006/54/CE qui énonce que « doivent être adoptées des dispositions afin de garantir que la charge de la preuve retombe sur le défendeur quand à première vue il y a un cas de discrimination ». Cette directive prévoit une clause permettant au droit interne des Etats membres d’appliquer un niveau de protection plus élevé[10].
En ce qui concerne les modalités de preuves exigées dans le Droit espagnol, il existe un assouplissement de la charge de la preuve de la discrimination et de la violation des droits fondamentaux. En principe, selon l’article 1214 du Code Civil espagnol et l’article 217 de la loi de procédure civile espagnole, c’est à la partie requérante qu’incombe la charge de la preuve. Cependant en matière de discrimination et violation des droits fondamentaux, le Tribunal Constitutionnel a affirmé dans la décision 90/1997, du 6 mai 1997 « l’importance des droits fondamentaux du travailleur et les difficultés liées aux systèmes de preuves de leur violation… constituent les principes selon lesquels la jurisprudence constitutionnelle applique la distribution de la charge de la preuve ». Dans une autre décision de 1997[11], le tribunal ajoute qu’il est nécessaire que la charge de la preuve soit répartie pour que l’interdiction de discrimination soit effective et réelle, « la preuve est un élément qui a d’importantes répercussions sur l’efficacité de la protection discriminatoire ».
La plupart des décisions concernent le domaine du travail. La décision 17/2005, du 1er février 2005 du Tribunal Constitutionnel Espagnol, relative à un cas de conduites anti-syndicales, illustre bien cette doctrine de l’assouplissement de la charge de la preuve. Le tribunal distingue deux éléments de preuves :
1. « Le premier, la nécessité du travailleur d’apporter un indice raisonnable démontrant que l’acte de l’entreprise porte atteinte à son droit fondamental (Sentence 38/1996)… , principe de preuve dirigé à mettre en avant, les arguments justifiants la décision de l’entreprise ; un indice qui comme l’a dit la Jurisprudence de ce Tribunal ne consiste pas en la seule allégation d’une violation constitutionnelle, mais qui doit permettre de déduire que cette violation se soit produite »[12].
2. « Seulement une fois rempli ce premier cas… c’est au défendeur qu’incombe la charge de la preuve, que son comportement a des causes absolument étrangères à la prétendue violation des droits fondamentaux, ainsi que ces causes ont eu une importance suffisante pour adopter la décision, seul moyen de détruire l’apparence de violation des droits créée par les indices… L’employeur doit accréditer que ces causes expliquent objectivement, raisonnablement et proportionnellement à elles seules sa décision [13] »[14].
Il n’existe pas, à proprement parlé, une inversion de la charge car la partie requérante doit apporter une preuve. Il s’agit d’une distribution de la charge de la preuve entre les parties qui déroge aux normes de procédures civiles générales.
4. LE CONCEPT DE DISCRIMINATION INDIRECTE EN ESPAGNE.
Le concept de discrimination indirecte est reconnu en Espagne à l’article 6 de la Loi 3/2007, du 22 mars 2007 relative à l’égalité effective entre hommes et femmes. Cet article reprend une notion déjà citée dans les directives et la jurisprudence communautaire. Cette notion était déjà appliquée par les tribunaux espagnols mais, pour la première fois, elle est reconnue dans l’ordre juridique espagnol. La discrimination peut être directe ou indirecte. Elle est directe quand le traitement inégal s’appuie sur des critères interdits pour justifier des différences de traitements. La discrimination est indirecte lorsque le traitement inégalitaire provient d’un critère apparemment neutre, mais qui, cependant, entraine ou peut entrainer une conséquence contraire ou un désavantage particulier à l’encontre de personnes[15].
Pour qu’il existe une discrimination indirecte dans le domaine du travail, 3 critères sont nécessaires :
- Une norme, une convention ou une décision apparemment neutre, c’est-à-dire, n’ayant pas d’objectif discriminatoire.
- Cette norme, convention ou décision doit provoquer un désavantage contre une personne à l’égard d’une autre, concernant un motif de discrimination interdit (ceux énumérés à l’article 14 de la Constitution Espagnole et les articles 4.2c) et 17.1 ET[16]).
- Cette norme, convention ou décision n’a pas de finalité légitime ni de justification objective.
Le cas de la sentence du Tribunal Supérieur de Justice de Cantabrie du 14 novembre 2005 en fournit un exemple. Une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits chimiques avait organisé une sélection de conducteurs d’installation, exigeant un niveau de formation professionnelle II. Aucune femme ne fut retenue pour la phase finale. Un syndicat porte plainte contre l’entreprise faisant valoir la discrimination indirecte en raison du sexe.
- La décision de l’entreprise est apparemment neutre puisque à aucun moment l’on interdit le recrutement de femmes pour ces postes.
- Toutefois, un certificat du Ministère d’éducation et de jeunesse du Gouvernement de Cantabrie démontre que les femmes « ont un moindre accès à la formation professionnelle II, étant majoritairement faite par les hommes, très peu de femmes ayant ce diplôme ». Les femmes souffrent donc d’un désavantage par rapport aux hommes dès lors que l’entreprise demande ce diplôme afin de réussir l’étape de sélection du personnel.
- De plus, la décision de l’entreprise ne se justifie pas car, dans la convention collective qui s’applique, il n’est pas exigé pour ce poste de formation professionnelle avancée. Un diplôme inférieur est suffisant.
Les trois critères permettant de déclarer une situation comme constituant une discrimination indirecte sont alors remplis.
De même, dans une décision datant du 22 novembre 2012 (C-385/11), la Cour de Justice de l’Union Européenne a également établi que le calcul de la retraite pour les personnes travaillant à mi-temps en Espagne discrimine les femmes[17]. Le système espagnol exige en effet une période de cotisation plus élevée pour les travailleurs à temps partiel, si on rapporte cette période en proportion aux autres travailleurs. Cetet situation constitue selon le CJUE une discrimination indirecte fondée sur le sexe pour les femmes, car 80% des travailleurs à mi-temps sont des femmes.
Dans la question préjudicielle présentée par le Tribunal des prud’hommes de Barcelone, il avait été établi que l’employée avait travaillé pendant 18 ans à temps partiel, 4 heures par semaine. Cela représente 10% de la journée légale de travail en Espagne, qui est de 40 heures par semaine. A 66 ans, elle a demandé à la Sécurité sociale espagnole sa retraite qui lui a été refusé car, selon cet organisme, elle ne réunissait pas le minimum cotisé, c’est-à-dire 15 ans. Le tribunal des prud’hommes de Barcelona a donc demandé à la CJUE si la règlementation espagnole relative aux retraites était contraire à la Directive sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.
Selon la CJUE, la règlementation espagnole est contraire à la Directive sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale. Pour la Cour, la législation espagnole exige aux travailleurs à temps partiel, en majorité des femmes, une période de cotisation proportionnellement plus élevée, en comparaison avec les autres travailleurs à temps complet, pour avoir le droit de recevoir sa retraite, sachant que le montant est déjà réduit proportionnellement au temps de la journée de travail. La Cour rappelle que l’on est face à une discrimination indirecte lorsque l’application d’une mesure nationale, même lorsqu’elle est formulée de manière neutre, porte préjudice dans les faits à un nombre beaucoup plus important de femmes que d’hommes.
5. LA NOTION DE DISCRIMINATION POSITIVE EN ESPAGNE.
Selon la définition donnée par la « Real Academia Española », la discrimination positive est une protection à caractère exceptionnelle, accordée en faveur d’un groupe qui a souffert historiquement d’une discrimination, en particulier en raison du sexe, de la race, de la langue ou de la religion, afin d’assurer sa pleine intégration sociale. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie des personnes défavorisées et de rendre effectif le principe d’égalité des chances.
Ainsi, lorsque l’on se réfère aux discriminations positives, il est fait référence aux actions ayant pour but la réduction ou l’élimination de pratiques discriminatoires allant à l’encontre de personnes historiquement excluent tel que les femmes, certains groupes ethniques, des groupes ayant des préférences sexuelles ou raciales. Le but est notamment d’augmenter leur représentation grâce au traitement préférentiel qui leur est réservé et les mécanismes de sélection visant ces objectifs.
En Espagne, la discrimination positive est surtout utilisée pour rendre effectif le principe d’égalité matérielle entre les hommes et les femmes. Ce principe est reconnu dans la Constitution Espagnole et dans les Traités et Conventions internationales signés et ratifiés par l’Espagne. A première vue, ces mesures semblent discriminatoires, mais dans la mesure où elles visent à réaliser l’égalité des groupes lésés historiquement et socialement, elles ne vont pas à l’encontre du principe d’égalité de traitement. L’égalité apparait comme réelle car elle prend en compte les différences et favorise la réalisation de résultats égaux.
Afin de pouvoir appliquer une discrimination positive, il est nécessaire de constater au préalable la présence d’une situation de discrimination sociale allant à l’encontre du groupe favorisé (Sentence du Tribunal Constitutionnel espagnol 128/187 et 269/1994). Les mesures de discrimination positive doivent être temporaires (Sentence du Tribunal Constitutionnel espagnol 128/1987) et comme l’action positive peut léser un droit fondamental, il est nécessaire qu’elle soit considérée comme raisonnable et proportionnelle (c’est-à-dire appropriée, nécessaire et génératrice de bénéfices supérieurs aux sacrifices que le traitement de faveur peut produire), (Décision du Tribunal Constitutionnel espagnol 229/1992 et 169/1994).
Généralement, les mesures visant la discrimination positive se présentent sous la forme de quotas ou de traitements préférentiels. Ils peuvent être plus ou moins rigides, selon la prise en compte du mérite. Par exemple, lorsque l’on réserve un minimum de place pour un groupe défavorisé, on parle de « discrimination positive rigide ». Aussi bien en Espagne qu’au sein de l’Union Européenne, on a essayé de limiter l’application de la discrimination positive rigide: celle-ci s’applique seulement pour les personnes handicapées.
La Loi Organique 3/2007, du 22 mars 2007 pour l’égalité effective entre les femmes et les hommes (dorénavant LOI) a introduit expressément pour la première fois dans l’Ordre juridique espagnol, la notion d’actions positives (Article 11 LOI). C’est la première fois qu’une disposition législative les légitime de manière directe. Cette disposition a la particularité de mentionner explicitement les femmes comme étant le groupe à favoriser, s’écartant du ton neutre et ambivalent du reste des articles de la LOI.
Par ailleurs, cette disposition législative vise à mettre en œuvre le concept de « présence ou composition équilibrée » .On entend par composition équilibrée, la présence d’hommes et de femmes au sein d’organes de décision, de sorte que les personnes appartenant à chaque sexe ne dépassent 60% et ne soient pas moins de 40% (Disposition additionnelle première LOI). Cette disposition s’éloigne de la parité absolue et des problèmes posés par les quotas, car elle est neutre. Elle se réfère indistinctement aux deux sexes. Cette composition est obligatoire au sein des Organes Administratifs de l’Administration Générale de l’Etat, des Organismes publics liés ou dépendants à l’Administration Générale de l’Etat et d’autres organismes.
Ce concept a eu une grande répercussion s’agissant des listes de candidatures pour les processus électoraux. Cette disposition a modifié la loi Organique espagnole concernant le Régime Electoral Général en introduisant un nouvel article, le 44 bis. Cet article a fait l’objet d’une question d’inconstitutionnalité et d’un recours d’inconstitutionnalité soulevé devant le Tribunal Constitutionnel espagnol. Dans sa décision, le Tribunal du 29 janvier 2008 a affirmé sa conscience du fait que cette disposition limite la liberté de choix des candidats des partis ou groupements politiques. Mais il considère que la mesure est légitime et raisonnable. La constitution espagnole concevant les partis comme des instruments pour la participation politique (Article 6 CE), il est alors possible de se servir d’eux afin de permettre la réalisation des droits exigés par l’article 9.2 de la Constitution. Le tribunal ajoute également que le législateur bénéficie d’une large liberté pour envisager les mesures de représentation afin de faciliter la participation de tous les citoyens.
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- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948
- Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme, 1950
- Convention numéro 100, sur l’égalité de rémunération entre la main d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine pour un travail d’égale valeur, 1951
- Convention numéro 111 relative à la non-discrimination en matière d’emploi et de profession, 1958
- Convention relative à la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, 1960
- Convention numéro 117 relative aux normes et objectifs basiques de la politique sociale, 1962
- Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 1965
- Pacte International relatif aux droits civils et politiques, 1966
- Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966
- Constitution Espagnole de 1978
- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979
- Loi Organique 3/1981, du 6 avril, du défenseur du peuple
- Convention numéro 159 sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983
- Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 1984
- Convention relative aux droits de l’enfant, 1989
- Statut des Travailleurs espagnol, 1995
- Directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe
- Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 2000
- Directive sur l’égalité raciale (2000/43/CE), 2000
- Directive sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (2000/78/CE), 2000
- Protocole nº12 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme, 2000
- Loi 62/2003, du 30 décembre, de mesures fiscales, administratives et d’ordre social
- Directive sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans l’accès aux biens et aux services (2004/113/CE), 2004
- Décision numéro 1633 relative au renforcement de la tolérance et de la liberté des médias de l’information sur Internet, du 11 novembre 2004
- Décision numéro 621 de la tolérance et lutte contre le racisme, la xénophobie et la discrimination, 2004
- Convention relative aux droits des personnes handicapées, 2006
- Directive 2006/54 CE du parlement européen et du conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte)
- Loi Organique 3/2007, du 22 mars pour l’égalité effective entre les hommes et les femmes
- Traité de Lisbonne, 2009
[1] Publiée le 18 décembre 2000 dans le Journal Officiel des Communautés Européennes.
[2] Article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme (CESDH).
[3] La CESDH a été ratifiée par l’Espagne le 26 septembre 1979.
[4] Article 27 de la Loi 62/2003, du 30 décembre, des mesures fiscales, administratives et d’ordre social
[5] Selon le site internet du Ministère de la santé, des services sociaux et de l’égalité
[6] Selon le site de l’Institut de la femme et pour l’égalité des chances, http://www.inmujer.gob.es/
[7] La création des Unités d’égalité est prévu à l’article 77 de la Loi Organique 3/2007, pour l’égalité effective entre les hommes et les femmes
[8] Selon le site internet du Ministère de la Santé, des Services sociaux et de l’égalité
[9] Selon le Décret-Loi 343/2012, du 10 février, par lequel se développe la structure organique basique du Ministère de l’emploi et de la sécurité sociale
[10] Article 4.2 de la Directive 2006/54/CE
[11] Sentence 82/1997, du 22 avril, du Tribunal Constitutionnel espagnol
[12] Sentences du Tribunal Constitutionnel espagnol: 166/1987, 114/1989, 21/192, 266/1993, 293/1994, 180/1994 et 85/195)
[13] Sentences du Tribunal Constitutionnel espagnol: 38/1981, 104/1987, 21/1992, 85/1995, 136/1996
[14] Selon LOUSADA AROCHENA. J.F, La prueba de la discriminación y del acoso sexual y moral en el proceso labora: www.ccoo.es
[15]Sentences du Tribunal Constitutionnel espagnol 198/2006, 203/2000,156/2006, 3/2007
[16] Statut des Travailleurs espagnol, 1995
[17] Selon LEGALTODAY.COM, La pensión de jubilación contributiva a los trabajadores a tiempo parcial discrimina a la mujer, 2012