La preuve du blanchiment de capitaux: une affaire d’Etats ? - par Sandrine Cullaffroz-Jover
Réflexions à partir de La Configuration jurisprudentielle du délit de blanchiment d’argent issu du trafic de stupéfiants: un renversement de la charge de la preuve ?, Dolorès Delgado Garcia, La preuve indiciaire dans le délit de blanchiment d’actifs, Rapport du Ministère Public Espagnol, Septembre 2006.
L’ampleur de la criminalité transnationale appelle une globalisation du droit pénal. Dans cette perspective, l’uniformisation des règles de preuves, qui conditionnent la qualification des infractions, paraît plus qu’opportune. Mais, l’harmonisation du droit qui en résulte n’est pas toujours le fait du législateur national : le juge également contribue à cette évolution. Madame le Procureur Dolorès Delgado Garcia, à l’occasion d’un rapport sur la Configuration jurisprudentielle espagnole du délit de blanchiment d’argent issu du trafic de stupéfiants, rend compte de ces réalités. En effet, la notion de preuve semble faire ici l’objet de références moins par désir de créer une sphère pénale mondiale que par l’obligation de mener une action efficace.
La libéralisation des échanges s’est accompagnée d’une globalisation de la criminalité, notamment en matière de blanchiment de capitaux issu du trafic de stupéfiants. En effet, les nouveaux instruments financiers internationaux permettent aujourd’hui de procéder dans la plus grande discrétion et la plus grande efficacité aux opérations de placement, de conversion, ou de dissimulation des capitaux obtenus illégalement. Or, si le délinquant méconnaît volontiers les frontières, le juge, lui, applique naturellement le droit du for, les divergences de législations bénéficiant alors à la pratique délictueuse. Aussi très tôt, pour préserver des intérêts supranationaux comme la santé publique ou l’économie légale, les Etats se sont accordés sur la nécessité de mener une politique pénale commune. Toutefois, il est regrettable que ces initiatives n’aient traité que trop vaguement la question des règles de preuves, qui régissent souvent la qualité de la répression. En effet, la preuve vient vérifier les éléments constitutifs de l’infraction, elle permet donc à la fois de qualifier le comportement délictueux et de condamner le blanchisseur. D’autre part, l’administration de la preuve est soumise ici à deux difficultés : d’abord, l’accusation doit évidemment démontrer que le délinquant a sciemment effectué une opération de blanchiment, mais aussi, il lui faut établir que les capitaux utilisés avaient une origine frauduleuse et que celle-ci ne pouvait être ignorée ; ensuite, les investigations visant à réunir ces preuves sont compromises par la dimension transnationale du délit et la variété des procédés mis en œuvre par le délinquant. Dès lors, il s’avère nécessaire d’aménager la charge de la preuve pour pouvoir faciliter les poursuites et sanctionner efficacement l’activité délictueuse.
Toutefois, un allègement du régime probatoire traditionnel pose le problème du respect des droits de la défense. En effet, en vertu de la présomption d’innocence, l’accusation doit apporter la preuve de ses allégations onus probandi incumbit actori ; et le doute doit profiter à l’accusé in dubio pro reo. Chaque Etat doit donc concilier à la fois ces impératifs au devoir de répression, tout en tenant compte de son ordre juridique interne. Il en résulte nécessairement des disparités au moment de la création du droit. En France et en Espagne, cependant, on peut constater certains rapprochements dans l’application des normes. Les juges internes de ces deux pays pouvant statuer selon leur intime conviction, ils ont la possibilité de procéder librement à des références croisées. Cette démarche d’uniformisation révèle la volonté des tribunaux européens de s’inscrire dans des relations interétatiques, en tenant compte de l’économie générale des dispositions internationales déjà en place en matière de blanchiment.
En dépit des exigences légales, l’observation de la jurisprudence des chambres criminelles européennes permet donc d’identifier une harmonisation ipso facto. Après avoir mis au jour le traitement différencié des difficultés probatoires propres au blanchiment en France et en Espagne (I), nous exposerons les exemples de la convergence des systèmes juridiques sous l’influence du droit international (II).
I - Le traitement différencié des difficultés probatoires propres au blanchiment de capitaux issus du trafic de stupéfiants en France et en Espagne.
L’administration de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction en matière de blanchiment étant peu praticable, chaque système juridique a dû pallier la difficulté afin de faciliter les poursuites : tandis que les tribunaux espagnols pratiquent avec précaution le jeu de la preuve indiciaire (a), le législateur français multiplie les incriminations (b).
a) L’encadrement spécifique de la preuve indiciaire par les tribunaux espagnols.
1. Un cadre juridique favorable à l’atténuation des aspects subjectifs de l’infraction. Le droit pénal espagnol incrimine, de façon générale et unitaire, le délit de blanchiment à l’article 301 du Code Pénal (CP ci-après) comme la participation ou l’assistance apportée à une opération permettant la dissimulation du produit d’un délit ou d’un crime. Le rattachement au trafic de stupéfiants représente « un tipo agravado » de l’infraction, mais n’est pas considérée comme une incrimination distincte à la différence du modèle français (Note : Article 301.1.2 CP espagnol, et article 324-1 CP français établissant le délit de blanchiment et article 222-38 du même code établissant le délit de blanchiment de capitaux issu du trafic de stupéfiants). Il en résulte que la connaissance exacte de l’origine frauduleuse des fonds n’a pas à être spécialement établie, il suffit que l’auteur de l’infraction ait eu conscience qu’il manipulait des actifs illégitimes. D’autre part, la loi précise que le comportement délictuel doit être réalisé « sabiendo » ou « a sabiendas » de l’origine frauduleuse, c'est-à-dire qu’il suffit que l’auteur puisse s’être représenté l’origine frauduleuse des fonds, conformément à la volonté européenne (Note : Dans ce sens, l’article 6.3.a) de la Convention du Conseil de l’Europe relative au Blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990, dispose que l’auteur « devait présumer que le bien constituait un produit »). Enfin, l’élément intentionnel devra être déduit des circonstances objectives de l’espèce (dans ce sens, Sentencia Tribunal Supremo (STS) núm. 1501/2003 de 19 diciembre).
2. Le traitement jurisprudentiel des circonstances objectives de l’espèce. 2.1. Opportunité d’une solution jurisprudentielle. Le droit espagnol s’avère particulièrement protecteur des garanties procédurales, trente ans de dictature franquiste n’étant certainement pas étrangers à cette sensibilité. Notamment, l’article 24.2 de la Constitution Espagnole, garde-fou des droits de la défense, consacre le principe de la présomption d’innocence. Par conséquent, « il n’est pas concevable d’instaurer une présomption légale contra reo en Espagne» (Dolorès Delgado García), c'est-à-dire un texte qui réduirait l’administration de la preuve par l’accusation à certains faits dont la teneur d’après la loi, permettrait de déduire indirectement la culpabilité, le doute n’étant alors plus favorable à l’accusé. D’autre part, la tradition judiciaire espagnole est propice à la résolution de questions juridiques spécifiques par les tribunaux: d’abord, par la coexistence de deux Cours Supérieures de Justice (Le Tribunal Constitucional (TC), qui connaît des recours en protection des droits fondamentaux, et le Tribunal Supremo (TS), qui connaît des recours en cassation), ensuite, par la structure des jugements faisant souvent l’objet d’une argumentation assez dense permettant des développements théoriques complets, contrairement à la sobriété des décisions françaises. 2.2. Le mécanisme de la preuve indiciaire. « Ce qui est normal, c’est l’absence de preuve directe du blanchiment, eu égard à la capacité de camouflage et d’hermétisme avec laquelle agissent les organisations criminelles ; et, ce qui est habituel, c’est l’usage de la preuve indirecte. » (Dolorès Delgado García). Tandis que la preuve directe vérifie immédiatement les éléments constitutifs de l’infraction, la preuve indiciaire – dont la désignation au singulier prête à confusion – vérifie l’existence de plusieurs faits certains et concordants qui permettront, d’après le juge, d’établir indirectement les éléments constitutifs de l’infraction et de déduire la culpabilité de l’accusé, le doute étant ainsi mis à l’écart mais après l’appréciation des faits. 2.4. Une présomption de culpabilité du fait du juge bien encadrée. Dans la mesure où le mécanisme de la preuve indiciaire renforce le rôle du juge dans la « pondération des éléments d’inculpation et de défense » (Dolorès Delgado García) en mettant en place une présomption de culpabilité, les deux Cours Supérieures de Justice ont encadré strictement son exercice afin de concilier le devoir de répression avec les droits de la défense (STC, núm. 24/1997 de 11 febrero, et STS, núm. 1629/2000 de 19 de octubre, consacrent la légitimité du recours à la preuve indiciaire avant de préciser les composantes du mécanisme). Afin d’éviter une condamnation sur la base de simples soupçons, l’aménagement des règles d’administration de la preuve s’est accompagné d’un renforcement des règles de rédaction du jugement (STS, núm. 1629/2000 de 19 de octubre). Par conséquent, d’une part, les éléments formels requis pour pouvoir fonder une condamnation sur la base de la preuve indiciaire sont: 1°que le jugement énumère les indices qui ont permis au juge de conclure à la condamnation, et 2°qu’il mette en évidence le raisonnement à partir duquel le tribunal est arrivé à cette conclusion. D’autre part, les caractéristiques matérielles requises sont ainsi définies: 1°que les indices soient pleinement avérés – de manière à ne pas être amené à présumer à partir d’une présomption antérieure –, 2°qu’ils soient en nombre suffisant,- en effet, une preuve indirecte isolée n’est pas probante car équivoque par nature –, 3°qu’il existe une cohérence entres les différents indices – de manière à ce qu’ils renforcent la présomption –, et 4°qu’il existe, enfin, entre les preuves indirectes et la présomption de culpabilité, « une relation précise et directe selon règles du critère humain » (Ce passage cité ici est en réalité un renvoi au droit commun du droit de la preuve: article 1253 du Code Civil Espagnol) – c'est-à-dire que la déduction faite par le juge de la culpabilité de l’accusé ne peut pas être arbitraire, ou infondée, elle doit répondre aux « règles de la logique et de l’expérience » (Dolorès Delgado Garcia).
b) La multiplication des incriminations en France.
1. Un dispositif interne éclaté. 1.1. Des difficultés probatoires liées à la codification française. Le délit spécial de blanchiment de capitaux issus du trafic de stupéfiants est sanctionné à l’article 222-38 du Code Pénal français, tandis que le délit général de blanchiment figure à l’article 324-1 du même code. Le comportement est défini comme le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine illicite du produit d’une infraction - le trafic de stupéfiants étant spécialement visé par l’article 222-38 CP –, ou d’apporter son concours à une opération de placement, conversion ou dissimulation de cette origine illicite. Il en résulte que l’accusation devra établir une relation spéciale entre le produit du blanchiment et un trafic de stupéfiants, ainsi qu’une connaissance précise de l’origine de ces fonds par le blanchisseur. Aussi, l’incrimination générale est souvent préférée. D’autre part, l’élément intentionnel de l’infraction n’apparaît plus dans la lettre de la loi depuis la réforme du code pénal du 13 mai 1996 (La loi n°96-392 du 13 mai 1996 a supprimé l’adverbe « sciemment » de l’incrimination spéciale du blanchiment de capitaux issus du trafic de stupéfiants). Cependant, l’article 121-3 al. 1 du Code Pénal établissant « qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », a vraisemblablement vocation à s’appliquer en matière de blanchiment. 1.2. La non justification de ressources, une nouvelle incrimination intimement reliée au blanchiment de capitaux issus du trafic de stupéfiants. Le législateur français a progressivement adapté le code pénal aux nouvelles manifestations délictuelles; il en résulte une gamme d’infractions intimement liées au blanchiment. En outre, lors de la phase la plus avancée du blanchiment, appelée intégration, le délinquant va réinvestir les fonds d’origine frauduleuse dans le marché économique légal : concrètement, il va acheter des biens immobiliers, des produits de luxe, etc. Or, l’article 321-6-1 CP condamne le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant, notamment, au trafic de stupéfiants. Par cette disposition, le législateur semble manifestement vouloir sanctionner des individus dont la preuve d’une participation à un acte de blanchiment ne peut être directement apportée alors même que des éléments circonstanciés laissent présumer du contraire.
2. Le délit de non justification de ressources et l’aménagement légal de la charge de la preuve. 2.1. La présomption légale de culpabilité instaurée par l’article 321-6-1 CP. L’article 321-6-1 CP réprime une situation vraisemblablement irrégulière : un individu, entretenant des relations avec une ou plusieurs personnes se livrant au trafic ou à l’usage de stupéfiants, ne peut justifier par des revenus légaux un train de vie suspect. Le législateur a attribué à ces indices une force probante suffisante pour fonder une condamnation, en l’absence de preuves directes de participation à un acte de blanchiment. Ainsi, l’objet de la présomption légale est d’établir les éléments factuels qui permettent d’évincer le doute, et de présumer la culpabilité a priori, ou plus exactement la mauvaise foi de l’accusé. En instituant un tel délit, le droit français a réagi par anticipation aux difficultés liées à la charge de la preuve, alors que le droit espagnol proposait une solution a posteriori, suite à la constatation de ces difficultés en cours de procédure. Pour renverser la présomption, l’accusé devra donc assumer la charge de la preuve de sa bonne foi, aussi peut-on s’interroger sur la compatibilité d’une telle disposition avec le respect des droits de la défense. 2.2. La loi française à la lumière du droit européen. « Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les Etats contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil » (CEDH, Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, §17). « L'article 6.2 – consacrant la présomption d’innocence – ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense » (CEDH, Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, §28, et dans le même sens, Cass.crim, 6 novembre 1991, n°91-82211, Bull. crim. n°397, et C.C. n°99-411, DC du16 juin 1999). Aussi, la loi française ne va pas à l’encontre des principes recteurs de la procédure pénale puisque, d’une part, la présomption établie prétend protéger des intérêts supérieurs, - la santé publique et l’économie légale - et que d’autre part, le procès reste soumis au principe du contradictoire - les éléments à charge pouvant être discutés et la présomption de culpabilité réfutée par la défense au cours du procès -, et que l’accusation n’est pas dispensée d’apporter un certain nombre de preuves concluantes - les éléments visés par la loi permettant d’établir la présomption-. La présomption légale de culpabilité, pour ne pas aller à l’encontre des droits fondamentaux, doit donc constituer un moyen de preuve pour l’accusation et non une déclaration de culpabilité pour le tribunal. On peut par ailleurs constater que cette méthode rapproche la procédure pénale de la procédure civile, qui est soumise à un système accusatoire, c'est-à-dire un système où les parties assument seules l’administration des preuves à charge et à décharge dans un but d’économie procédurale.
II - La convergence des systèmes juridiques sous l’influence du droit international.
L’observation de la jurisprudence des tribunaux français et espagnol permet de constater un rapprochement des solutions en faveur d’un partage efficace de la charge de la preuve en matière de blanchiment mais respectueux des droits de la défense (a). Cette orientation serait-elle influencée par le consensus politique réalisé en matière de confiscation du produit du blanchiment (b) ?
a) Des rapprochements jurisprudentiels constatés en Europe en faveur d’un partage efficace de la charge de la preuve mais respectueux des droits de la défense.
1. Les facteurs de l’harmonisation. 1.1. Des références croisées au sein des jugements. Les tribunaux européens semblent suivre une politique d’ouverture internationale. Les juges espagnols, par exemple, motivent aujourd’hui leurs décisions en utilisant indistinctement les normes internationales et le droit interne relatives à la répression du blanchiment en les plaçant sur un pied d’égalité (Dans ce sens, STS, 18 décembre 2001, notamment, envisage « un ensemble de conventions internationales et de normes de droit interne »). Cette démarche permet non seulement d’enrichir le corpus législatif espagnol, mais aussi d’envisager la démarche du juge de façon dynamique, supposant une étude comparatiste au moment de la délibération. Enfin, les magistrats espagnols ont choisi d’évoquer des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, à l’appui de leur argumentation (Dans ce sens, STS 8 mai 2003, et STS 26 juin 2003), laissant augurer une véritable volonté d’harmoniser les solutions. Il est intéressant de constater que la jurisprudence espagnole ne s’inspire pas directement du droit d’un autre Etat membre en particulier, mais recherche l’harmonisation dans la légitimité européenne. 1.2. La preuve comme instrument de l’harmonisation. « L’évolution ne s’apprécie pas uniquement dans le contenu des résolutions mais aussi dans la terminologie utilisée par la Haute Cour (termes qui jusqu’ici étaient étrangers à notre vocabulaire juridique : recyclage, blanchiment, purification, etc.), et à la référence extraordinaire qui est faite aux normes internationales au sein même des jugements » (Dolorès Delgado Garcia). Ainsi, le juge espagnol a d’abord participé à l’harmonisation du droit matériel du blanchiment, ce qui n’allait pas être sans effet sur la procédure. En effet, « la détermination du moment ou phase du blanchiment qui nous intéresse en l’espèce, va avoir une importance extraordinaire. D’une part, la façon d’appréhender les investigations va être différente, et, d’autre part, les éléments probatoires à utiliser en fonction de cela pour prouver la réalisation de l’infraction du blanchiment et la participation des accusés le seront également.» (Dolorès Delgado Garcia). Raisonnablement, plus la phase de blanchiment est avancée, plus l’intégration des fonds a été réalisée, plus il est difficile d’apporter des preuves de l’origine illicite. Or, au moment de l’appréciation « des éléments à la charge et à la décharge de l’accusé» (Dolorès Delgado Garcia), et ce quel que soit le système juridique considéré, la condamnation ne pourra être prononcée que si le juge estime que les preuves présentées par l’accusation établissent une présomption de culpabilité et que, corrélativement, les pièces produites par la défense ne permettent pas l’acquittement. Il revient au tribunal le soin d’évaluer la force probante de ces dernières, selon des critères qui peuvent très bien permettre l’harmonisation. Comme le souligne Dolorès Delgado Garcia, « finalement c’est l’appréciation que fera le juge des contre arguments et du silence de l’accusé qui sera déterminant ».
2. Le juge comme acteur de l’harmonisation. 2.1. Le juge français : une appréciation exigeante des preuves à charge. La présomption légale française applique a priori une signification délictuelle à un ensemble d’éléments factuels. Or, la protection des droits de la défense implique que le juge du fond ne soit pas privé d’un véritable pouvoir d’appréciation pour autant (CEDH, Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, §28). Aussi, la Cour de Cassation a récemment déclaré « qu'en se bornant à constater qu' X et Y... ne pouvaient justifier de l'origine des fonds qu'ils détenaient sur différents comptes bancaires et des immeubles dont ils étaient propriétaires, sans caractériser le moindre élément relatif à leur train de vie à l'égard duquel ils auraient eu à justifier des ressources correspondantes, la cour d'appel a violé l'article 321-6-1 du code pénal » (Cass.crim, 20 février 2008, n° 07-81247). Le juge français veut limiter, ainsi, la portée du délit de non justification de ressources ; si une présomption légale soulage l’accusation du fardeau de la preuve, une interprétation aveugle de la loi aurait pour effet de fonder une condamnation sur de simples soupçons. Aussi, les tribunaux français partagent la même sensibilité que les tribunaux espagnols pour le respect des droits de la défense, dont ils sont les garants. 2.2. Le juge espagnol : une appréciation pragmatique des preuves à décharge. Un premier arrêt du 23 mai 1997 du Tribunal Supremo est venu systématiser les indices à prendre en compte pour établir une présomption de culpabilité en matière de blanchiment – lesquels devraient sembler familiers au juriste français - : une augmentation inhabituelle du patrimoine de l’accusé injustifiée par une activité ou un commerce licite, et la constatation d’une quelconque relation avec des individus ou groupes de personnes liés au trafic de stupéfiants (STS núm. 755/1997 de 23 mayo). Puis, un arrêt du 25 février 2004 de la même juridiction conclut expressément que la transparence du système financier impose aux prévenus d’apporter la preuve de l’origine licite des capitaux, et que cette exigence ne présente pas les caractères d’un renversement de la charge de la preuve car « elle ne contraint personne à produire une preuve impossible, diabolique ou coûteuse, pour démontrer quelque chose d’aussi facilement démontrable que l’origine licite des capitaux ». Aussi, « la disculpation est entre les mains des accusés» (STS núm. 1504/2003 de 25 febrero). Dès lors, on ne peut que constater que la pratique de la présomption espagnole rejoint les caractéristiques de la présomption légale française et quel que soit le moyen utilisé, l’objectif est manifestement de réprimer efficacement l’activité délictueuse par le biais du jugement, le partage de la charge de la preuve étant alors la voie et le juge, le guide.
b) Un rapprochement influencé par les dispositions internationales instaurées en matière de confiscation du produit de l’infraction?
La mesure de confiscation du produit du blanchiment est une mesure accessoire à la peine qui porte à la fois sur les biens ayant servi au blanchiment et sur les biens issus du blanchiment. Elle présente un double intérêt: d’abord, celui de sanctionner le comportement du délinquant, et ensuite, prévenir, à long terme, l’activité délictuelle, par l’effet dissuasif de la saisie des bénéfices indus dérivés de l’infraction. Lorsque le blanchiment est rattaché à un trafic de stupéfiants, les articles 374 CP espagnol et 222-49 CP français imposent aux juges internes de prononcer la confiscation des biens d’origine illicite. Dans cette perspective, la plupart des instruments internationaux ont proposé très tôt le renversement de la charge de la preuve pour faciliter la détermination de cette origine illicite (Article 5, num.7 de la Convention de Vienne de 1988, Article 12, num.7 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000, Recommandation num.19 du Plan d’Action pour la prévention et le contrôle de la criminalité organisée en Europe du 27 mars 2000). La doctrine européenne semble assez favorable à ce mouvement : « la matière relative à la saisie n’a rien à voir avec la question de la culpabilité » (Dolorès Delgado Garcia), puisqu’elle s’intéresse à l’objet et non à l’auteur du délit. Ainsi, il revient à l’inculpé de prouver l’origine légale des valeurs en sa possession, ce qui revient plus ou moins à adapter au droit pénal la logique administrative du droit fiscal. On peut comprendre en effet, que ce qui concerne une chose, le patrimoine, n’implique pas les mêmes considérations que ce qui concerne la personne, l’accusé. En pratique, pourtant, il est difficile de dissocier les preuves ayant permis la qualification de l’infraction et la détermination des valeurs à saisir, car dès que le prévenu ne peut justifier ses ressources, il offre à l’accusation une preuve supplémentaire de sa culpabilité et augmente la valeur de son patrimoine saisissable. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le développement du renversement de la charge de la preuve en matière de confiscation a précédé de peu les réflexions sur l’aménagement de la charge de la preuve en matière d’inculpation.