La régulation des salaires suite à l’accord de coalition
Résumé : L’Allemagne fait figure d’exception dans l’Union Européenne s’agissant du recours à la fixation d’un salaire minimum légal. L’interventionnisme étatique dans la fixation des salaires n’étant pas en accord avec la tradition allemande, plutôt tournée vers la négociation. Pourtant depuis l’arrivée au pouvoir de la grande coalition au Bundestag, la mise en place d’un salaire minimum légal interprofessionnel n’a jamais été aussi proche, l’Allemagne se prépare donc à entrer dans une nouvelle ère.
Introduction :
Sur les vingt-huit pays que compte désormais l’Union Européenne, sept seulement n’ont pas instauré de salaire minimum légal. On retrouve à coté de l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Autriche ainsi que Chypre.[1]
Pourquoi une telle réticence à instaurer un salaire minimum ? La situation en Allemagne s’explique par la place laissée aux conventions collectives. Le droit du travail reposant sur le principe de l'autonomie de volonté qui est un principe fondamental.[2] L’Etat allemand a jusqu’alors gardé ses distances, comme le rappelle Thomas Lakies, juge au Arbeitsgericht de Berlin, dans son article « Die schwarz-rote Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ».
En Allemagne la question du salaire minimum a déchainé les passions, notamment lors des dernières élections au Bundestag. Certains politiques et experts n’y voyant qu’une mesure contreproductive du fait d’une possible diminution du nombre d’emplois et donc un risque d’augmentation du chômage suivi par une montée du travail au noir. Une autre critique importante faite à ce projet est le fait qu’en Allemagne les conditions de vie comme de travail différent fortement entre chaque Bundesland. Une telle mesure ne peut donc avoir lieu au niveau national.[3] En effet, bien que la réunification allemande se trouve vingt-cinq ans derrière nous, les inégalités Est/Ouest sont encore criantes. En effet, il y a deux fois plus de salariés gagnant moins de 8,50€ de l’heure à l’est (27%) qu’a l’Ouest (15%).[4]
Pourtant le SPD (les sociaux-démocrates allemands) avait mis comme condition sine qua non pour la participation à un gouvernement d'union avec la CDU-CSU d'Angela Merkel la création d'un salaire minimum légal, encore inexistant à l'échelle nationale et interprofessionnelle.
Cette mesure est depuis inscrite dans le contrat de coalition (Koalitionsvertrag). La création d’un salaire minimum interprofessionnel au niveau national, de 8,50 Euro bruts par heure est donc le fruit des négociations entre la CDU/CSU et le SPD.
Pour le moment les salaires minimums fixés conventionnellement sont les seuls qui ont cours en Allemagne. Avec ce projet de salaire minimum légal, l’Allemagne pourrait se rapprocher sensiblement du « modèle français » et à fortiori européen. Il reste à savoir qui en profitera, si des mécanismes de contrôle de son application ainsi que de réévaluation sont prévus.
I La mise en place d’un salaire minimum
- L’instauration du salaire minimum légal interprofessionnel
En Allemagne, traditionnellement, il revient aux partenaires sociaux de fixer un salaire minimum par branche professionnelle, l’Etat restait donc en retrait de la régulation des conditions de travail. Le salaire minimum conventionnel n’est attribué qu’aux salariés syndiqués, c’est d’ailleurs ce qui explique que le taux de salariés syndiqués est bien plus important en France qu’en Allemagne. En France, outre le Smic qui est d’origine légale, un salaire minimum peut également être d’origine conventionnel, mais celui-ci devra être supérieur au salaire minimum d’origine légale.
Le salaire minimum conventionnel auquel un salarié peut prétendre varie en France comme en Allemagne par rapport à l'emploi qu'il occupe. Mais sans salaire minimal légal, certaines rémunérations peuvent se révéler insuffisantes ; en Allemagne, en 2011, 5,6 Millions de salariés gagnaient moins de 8,50 Euro par heure.
Le salaire minimum légal allemand doit entrer en application à partir du 01.01.2015, certaines dérogations sont tout de même acceptées. Selon la „Koalitionsvereinbarung“ (accord de coalition) les conventions collectives conclues par les partenaires sociaux représentatifs prévoyants un salaire horaire inferieur à 8,50 Euro pourront encore s’appliquer jusqu’au 31.12.2016. Le salaire minimum légal devra donc attendre le 01.01.2017 pour être appliqué „sans aucune restriction“.[5]
A coté de la création du salaire minimum légal, c’est également l’élargissement du champ d’application du « Arbeitnehmer-Entsendegesetz » à toutes les branches dont il est question, car pour le moment celle-ci ne s’applique qu’à un nombre limité de branches.5 Cette loi permet la fixation de standards portants sur les conditions de travail, comme la fixation d’un salaire minimum, ceux-ci, ne pourront pas être inférieur à 8,50 Euro de l’heure après entrée en vigueur de la loi mais pourront tout de même différer entre les différents Länder.
En France, la loi no 70-7 du 2 janvier 1970 remplaça le Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti) par le Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance), qui a pour but non plus de seulement garantir le pouvoir d’achat des salariés comme le faisait le Smig mais surtout de l’améliorer.[6] Ce minimum s’impose non seulement à tous les employeurs privés en France, mais également aux employeurs de droit public puisque le paiement d’une rémunération au moins égale au Smic est un principe général du droit pour le Conseil d’Etat (CE 23 avril 1982, req n°36851).[7]
- Les exceptions au champ d’application du salaire minimum
Le salarié doit pouvoir vivre de son travail, comme énoncé à l'art. 4 de la charte sociale européenne qui prévoit que le droit à une rémunération équitable inclut d’ailleurs également l'assurance d'un niveau de vie décent au salarié ainsi qu'à sa famille.[8] Pourtant, le salaire minimum prévu s’appliquera-t-il réellement à chaque salarié ?
La question se pose en effet, car de nombreuses réticences existent quant à l’idée d’accorder à certaines catégories d’emplois ce salaire minimum. Outre les emplois saisonniers, de nombreux politiques de la CDU/CSU souhaitent qu’une importante partie des « Mini-jobbers » en soient également exclus. Ainsi les retraités qui exercent un mini-job pour arrondir leur fin de mois, les étudiants ainsi que les jeunes devraient, du point de vue de la CDU en être exclu.[9] La raison invoquée est le fait que le salaire minimum a pour but d’assurer la protection des salariés et non pas de pousser les « jeunes » à renoncer à une formation du fait du montant « attractif » du salaire minimum.[10] Les exceptions définitives au champ d’application seront énumérées dans la future loi. Par contre, étant donné que le salaire minimum ne portera que sur les salariés, celui ci exclura de facto les stagiaires ainsi que les apprentis dont la rémunération est réglée dans une loi à part, le Berufsbildungsgesetz (§17).10
Du coté français, le Smic s'applique à la quasi-totalité des salariés, certaines catégories en sont tout de même écartées. Le Smic concerne tous les salariés majeurs, quel que soit le mode de rémunération retenu, que ce soit à l’heure, au mois, à la tâche (Cass. Soc. 16 déc. 1981, n79-40.206) ou encore à la commission, au pourboire, etc. S’agissant des apprentis, ceux-ci bénéficient d’une rémunération variant en fonction de l’âge et de l’ancienneté. Pour les salariés âgés de moins de 18 ans, non-apprentis, le Smic comporte un abattement sauf si le salarié a passé plus de six mois dans la branche d’activité. [11]
Par ailleurs le Smic n’étant applicable qu’aux salariés titulaires d’un contrat de travail, en sont donc exclus, les dirigeants de sociétés (mis à part ceux qui cumulent leur mandat avec un contrat de travail) et les stagiaires en entreprise.[12]
Au lieu donc d’une application uniforme, certaines exceptions sont tout de même de mise, bien que le projet allemand tende plus à vouloir limiter son champ d’application.
II Contrôle et revalorisation du salaire minimum
- Le contrôle du respect de l’application du salaire minimum
La mise en place d’un salaire minimum en Allemagne doit être suivie d’un mécanisme de contrôle afin de s’assurer de son respect par les employeurs. Dans le cas contraire, l’on assisterait à un avantage concurrentiel pour les employeurs qui ne respecteraient pas cette loi.[13]
Il existe déjà en Allemagne des possibilités de contrôle de l’application des salaires minimums conventionnels, ainsi que des possibilités de sanction en cas de son non respect dans les §16 à 23 du « Arbeitnehmer-Entsendegesetz », ceux-ci vaudront également pour le salaire minimum légal.14
En France le Smic est une somme minimale due par heure travaillée, l’employeur qui ne le respecterait pas s’expose à des sanctions pénales. En effet, l’article R. 3233-1 du code du travail dispose que son non-respect est puni par une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe.13 L’employeur s’expose aussi à un rappel de salaires demandés par le salarié n’ayant pas reçu le minimum légal.[14]
Le contrôle effectif de l’application du salaire minimum est fondamental pour les emplois pour lesquels aucune durée concrète n’est prévue ou qui prévoiraient un salaire mensuel fixe. Dans de tels cas le salaire mensuel doit être divisé par le nombre d’heures travaillées afin d’arriver au salaire horaire brut (OLG Karlsruhe: Arbeitnehmer-Entsendegesetz - Berechnung des Mindestentgelts, NStZ-RR 2002, 277). Celui-ci pour être légal, devra être supérieur ou égal au salaire minimum horaire tel que fixé dans la future loi.
Concernant les Mini-Jobs, leur rémunération est souvent fixée à un salaire mensuel (450€ depuis le 1/1/2013) sans définir la rémunération horaire. Avec la future entrée en vigueur du salaire minimum, les « Minijobeurs » ne devront au maximum plus que 53h de travail par mois pour un tel salaire, ou bien ils devront être payés en plus pour chaque heure supplémentaire.[15] Cette idée est décriée par de nombreux politiques qui veulent à tout prix exclure certains mini-jobs du champ d’application de la prochaine loi.
- La revalorisation du salaire minimum légal
En France, l'article L. 3321-2 du Code du travail dispose que « le salaire minimum de croissance assure aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles la garantie de leur pouvoir d'achat et une participation au développement économique de la nation ».
Sans une revalorisation régulière, les buts poursuivis ne pourraient plus être atteints.
Dans le projet allemand, la méthode de revalorisation du salaire minimum légal est inscrite dans le contrat de coalition. Il y est stipulé que celui-ci devrait être défini par une commission à intervalles réguliers. Celle-ci sera composée de sept membres, ceux-ci seront nommés par les organisations patronales ainsi que par les syndicats, trois seront issus du patronat, trois du coté des salariés ainsi qu’un à la présidence tournante. De plus un comité d’experts sera créé mais celui-ci n’aura pas de droit de vote.
En France, les règles de revalorisation du salaire minimum ont été modifiées par un décret no 2013-123 du 7 février 2013. La garantie du pouvoir d’achat est désormais assurée par l’indexation du Smic sur l’inflation, mesurée pour les 20% des ménages ayant les revenus les plus faibles, comme l’indique l’art L. 3231-5 du code du travail. Pour ce qui est de la participation au développement économique de la nation, le Smic est désormais revalorisé sur la base de la moitié du gain de pouvoir d'achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés, et non plus des seuls ouvriers.[16] Le Smic suit l’inflation, ce qui permet de garantir le maintien du pouvoir d’achat.[17]
Alors que la fréquence des revalorisations du salaire minimum ne sont pas encore fixées en Allemagne, en ce qui concerne la France, le Smic est révisé et relevé tous les ans à une date fixée par le gouvernement. Celle-ci est actuellement le 1er janvier comme le dispose l’article L. 3231-6 du code du travail. Dernièrement, le décret publié au journal officiel du vendredi 20 décembre 2013 a porté le montant brut à 9,53 euros au 1er janvier 2014.[18] Des revalorisations supplémentaires en cours d’année sont également possibles si l’indice des prix à la consommation augmente d’au moins 2% par rapport à l’indice constaté lors de la fixation du dernier montant de celui-ci, comme le dispose l’art. L 3231-5 du code du travail.
L’Allemagne prend donc le même chemin qu’ont tracé la majorité de ses voisins européens. Pourtant, que ce soit en France ou en Allemagne, le salaire minimum légal n’est pas non plus l’assurance d’avoir un salaire décent. A l’image des salariés employés à temps partiel, sachant que ce qui est garanti est un salaire minimum horaire. Sa mise en œuvre prochaine en Allemagne permettrait également de limiter un certain dumping social. Les deux systèmes poursuivent le même but, qui est de permettre aux salariés d’avoir une vie descente grâce à un salaire minimum, tout en allant plus loin en France avec l’assurance « d’une participation au développement économique de la nation ».
[1] Le Monde 22/11/2013 Salaire minimum : le grand écart européen http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/22/salaire-minimum-le-gra....
[2] Picker: Niedriglohn und Mindestlohn(RdA 2014, 25) §26.
[3] Rechtsanwalt Professor Dr. Jobst-Hubertus Bauer in, Deutschlands Zukunft gestalten – Koalitionsvertrag zwischen CDU/CSU und SPD, NZA 2014, 12.
[4] Thomas Lakies, Die «schwarz-rote» Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ,ArbRAktuell 2014, 1. Ausgabe.
[5] Thomas Lakies, Die «schwarz-rote» Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ,ArbRAktuell 2014, 1. Ausgabe.
[6] Répertoire de droit du travail Dalloz, Salaire (Fixation, montant) §307, Alain Bouilloux, 2011.
[7] Elsa Peskine, Cyril Wolmark, Droit du travail 2014 §358, Dalloz, 8eme edition, 2013.
[8] Picker: Niedriglohn und Mindestlohn(RdA 2014, 25) §28.
[9] Rentner und Studenten: 42 Prozent der Minijobber droht Ausschluss vom Mindestlohn- Spiegel, 29/01/2014
[10] Thomas Lakies, Die «schwarz-rote» Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ,ArbRAktuell 2014, 1. Ausgabe.
[12] 105-45 Quels sont les bénéficiaires du Smic et quelles sont les sanctions s’il n’est pas respecté, - La paye au quotidien – Lamy.
[13] Thomas Lakies, Die «schwarz-rote» Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ,ArbRAktuell 2014, 1. Ausgabe.
[14] Elsa Peskine, Cyril Wolmark, Droit du travail 2014 §359, Dalloz, 8eme edition, 2013.
[15] Thomas Lakies, Die «schwarz-rote» Lohnregulierung nach der Koalitionsvereinbarung ,ArbRAktuell 2014, 1. Ausgabe.
[16] Répertoire de droit du travail Dalloz, Salaire (Fixation, montant) §310s, Alain Bouilloux, 2011.
[17] Elsa Peskine, Cyril Wolmark, Droit du travail 2014 §360, Dalloz, 8eme edition, 2013.
[18] Service-public.fr.