La répartition de la charge de la preuve en matière de discrimination fondée sur le sexe, un exemple allemand (BAG, 8. Senat, 24 avril 2008, 8 AZR 257/07), par Mariam Mainguy
La lutte contre les discriminations fondées sur le sexe en matière d’emploi est une priorité des politiques sociales communautaires. L’arrêt de la Cour fédérale allemande du travail s’inscrit dans cette logique, assouplissant la répartition de la charge de la preuve en faveur des salariés d’un côté et rappelant sa jurisprudence antérieure, particulièrement rigoureuse à l’égard des justifications de l’employeur de l’autre. On retrouve en France une tendance jurisprudentielle semblable.
La participation des femmes au marché de l’emploi est un préalable nécessaire à la réalisation des objectifs généraux de croissance, d’emploi et de cohésion sociale dans l’Union européenne (Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions, L’égalité entre les femmes et les hommes – 2009). L’égalité entre les femmes et les hommes étant un principe fondamental du droit de l’Union européenne (2e cons. de la directive 2006/54 du 5 juillet 2006) et une valeur commune aux Etats membres (art. 2 TUE tel que modifié par le traité de Lisbonne), la vulnérabilité des femmes sur le marché de l’emploi et leur sous-représentation aux postes à responsabilités préoccupent les institutions européennes. Des politiques sociales actives sont menées depuis les années 1990 à l’échelle européenne pour lutter contre les discriminations et les préjugés à leur encontre et favoriser une véritable égalité des chances des hommes et des femmes sur le marché de l’emploi. Un des aspects de ces politiques, promues par la Commission européenne, est la conciliation de la vie familiale et professionnelle (JACQUOT S., « De l’égalité à l’emploi: la conciliation travail/famille et la modernisation de la protection sociale au niveau européen », Revue de droit sanitaire et social 2009, p. 1048). Dans ce contexte, l’arrêt de la Cour fédérale allemande du travail (Bundesarbeitsgericht, ci-après BAG) du 24 avril 2008 (8 AZR 257/07) constitue une belle illustration de la volonté de faciliter les recours contre les discriminations fondées sur le sexe. Bien qu’elle se réfère au régime légal antérieur de lutte contre les discriminations, la solution demeure valable sous l’empire de la loi générale relative à l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz, ci-après AGG). L’AGG, entrée en vigueur le 18 août 2006, a été adoptée dans le cadre de la transposition allemande de quatre directives relatives à la lutte contre les discriminations et à la mise en œuvre de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Les directives communautaires adoptées dans les années 2000 ont contraint aussi bien l’Allemagne que la France, à réaménager leur cadre juridique en matière d’inégalités (AUBIN C., JOLY B., « De l’égalité à la non-discrimination: le développement d’une politique européenne et ses effets sur l’approche française », Droit social n° 12, 2007), en intégrant des concepts issus du droit communautaire (discriminations directes et indirectes) et en instituant des garanties procédurales spécifiques en faveur des victimes de discrimination.
Ce cadre commun de lutte contre les discriminations posé, il revient aux juges nationaux de se l’approprier et de l’adapter aux spécificités de leurs ordres juridiques respectifs. Comment la juridiction allemande a-t-elle réagi à cette « greffe » communautaire? L’effectivité de la protection contre les discriminations étant pour beaucoup dépendante des règles de répartition de la charge de la preuve, quel parti ont adopté les juges allemands? Quelle est la ligne jurisprudentielle adoptée par les juges français, soumis au même cadre communautaire? Quels sont les points que les jurisprudences française et allemande doivent encore éclaircir? Quelles conséquences ont ces jurisprudences pour l’employeur?
En matière de discrimination en droit du travail, le salarié est systématiquement le demandeur à l’action. Ceci tient aux rapports de subordination entre le salarié et l’employeur et à la marge d’appréciation de ce dernier pour gérer et diriger son entreprise. Or, le droit commun veut que la charge de la preuve pèse sur le demandeur. Tenant compte de la difficulté d’établir l’existence d’une discrimination pour les salariés, le droit communautaire a, le premier, souligné la nécessité d’alléger les règles de preuve en faveur des victimes de discrimination (CJCE, H.K.c/ Danfloss du 17 octobre 1989, C-109/88, § 14). La Cour de justice a par la suite précisé sa pensée, parlant de déplacement de la charge de la preuve et concluant que « dans une situation de discrimination apparente, c’est à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence » constatée (Enderby, 27 octobre 1993, C-127/92). Cette jurisprudence a été reprise à l’art. 4 § 1 de la directive 97/80 du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discriminations fondées sur le sexe : « il incombe à l’employeur de prouver que cette disposition, ce critère ou cette pratique sont appropriés et nécessaires et peuvent être justifiés par des facteurs objectifs et indépendants du sexe des intéressés ». La directive 2006/54, refonte de 7 directives en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes, a repris ces règles de preuve plus favorables aux victimes dans son art. 19 al. 1. Les droits français et allemands ont calqué la répartition de la preuve en matière de discrimination sur les dispositions communautaires (v. art. 10 directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail). Celui ou celle qui s’estime victime d’une discrimination doit présenter devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Il appartient ensuite au défendeur de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (v. arrêt de principe, C. cass. Soc. 23 novembre 1999 : Bull. civ. N° 447 ; art. L 1134-1 du Code du travail reprenant l’art. 4 de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations). En droit allemand, le § 22 AGG contient des règles similaires: si le demandeur présente des indices qui font présumer une inégalité de traitement fondée sur un des motifs contenus au § 1 AGG, la charge de la preuve incombe à l’autre partie qui doit démontrer qu’il n’y a pas eu violation des dispositions pour la protection contre les discriminations et ce, en justifiant la différence de traitement par des raisons objectives ou en démontrant que la différence de traitement est autorisée par l’AGG.
Comment l’arrêt du BAG du 24 avril 2008 s’articule-t-il avec le droit communautaire?
La décision a éclairci les contours du régime de la preuve en droit allemand en matière de discrimination sur le fondement du § 611a BGB (Bürgerliches Gesetzbuch). Cette disposition a été introduite dans le code civil allemand le 13 août 1980 par la loi de transposition de la directive communautaire 76/207 du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Le § 611a BGB, abrogé le 17 août 2006, était applicable à l’espèce conformément au § 33 al. 1 AGG, l’époque des faits étant antérieure à cette date. La solution s’applique cependant au contentieux des discriminations régi par l’AGG, la lettre du § 611a al. 1 ayant été reprise au § 22 AGG et étendue à tous les motifs de discrimination du § 1 AGG (race ou origine ethnique, sexe, religion ou convictions, handicap, âge ou orientation sexuelle).
En l’espèce, une salariée, chef de service chez Sony, s’était vue refuser en 2005 une promotion de directeur du service International Marketing et préférer un collègue masculin. Elle avait remplacé l’ancien directeur de service au moment de la vacance du poste et celui-ci lui avait assuré qu’elle prendrait sa succession à la tête du service. La requérante se disait victime d’une discrimination fondée sur le sexe et demandait à être indemnisée pour le préjudice subi, l’employeur ayant eu connaissance de sa grossesse au moment de la prise de décision.
Le 28 avril 2006, l’Arbeitsgericht de Berlin accueillit favorablement sa demande d’indemnisation et condamna l’entreprise à lui verser la différence de rémunération entre les deux postes, celui qu’elle occupait et celui qu’elle convoitait, pour une période de six mois. L’employeur fit appel du jugement devant le Landesarbeitsgericht. Celui-ci, estimant que la salariée avait failli à son obligation de présenter des éléments de fait faisant présumer une discrimination en raison du sexe, condition sine qua non au renversement de la charge de la preuve (§ 611a alinéa 1 phrase 3 BGB), infirma la décision des juges du fond le 19 octobre 2006. La salariée forma alors un pourvoi en cassation devant le BAG, lequel cassa le jugement en appel par un arrêt du 24 avril 2008 et renvoya l’affaire devant la même juridiction.
Après avoir estimé que le pourvoi était recevable et rappelé le sens et la portée du § 611a à la lumière du droit communautaire, le BAG a exposé, de manière très didactique, le raisonnement à suivre en présence d’une discrimination et inauguré un examen en deux temps des éléments de fait apportés par le demandeur à l’action, en harmonie avec les objectifs communautaires (1). Revers de cette jurisprudence très favorable aux victimes de discrimination, les juges français et allemands font montre d’une grande sévérité à l’égard des employeurs (2). Des incertitudes demeurent quant à l’appréciation des éléments de fait permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, que ce soit en France ou en Allemagne (3).
1. Une jurisprudence favorable à l’établissement de la présomption de discrimination
Au vu de l’arrêt du 24 avril 2008 du BAG, les juges allemands doivent en premier lieu examiner individuellement les faits présentés par le salarié pour déterminer si la présomption de discrimination peut être mise en oeuvre. La Cour précise que la notion de « présomption » s’entend ici de la possibilité pour le salarié de faire peser la charge de la preuve sur l’employeur s’il réussit à présenter des éléments de fait faisant supposer une discrimination (point 25 de l’arrêt). Afin que la présomption puisse produire tous ses effets, à savoir le déplacement de la charge de la preuve sur l’employeur, les juges doivent être convaincus de la haute vraisemblance überwiegende Wahrscheinlichkeit de l’existence d’un lien de causalité entre l’appartenance à un groupe présentant des caractéristiques susceptibles de fonder une discrimination, comme le fait d’être une femme, et la différence de traitement subie. Mais lorsque les éléments de fait présentés par le salarié, pris isolément, sont insuffisants pour faire jouer la présomption, comme c’était le cas en l’espèce, les juges doivent procéder à un examen d’ensemble de ces éléments, puis en déduire s’ils sont susceptibles de mettre en œuvre la présomption. Si c’est le cas, il incombe à l’employeur de prouver que des raisons objectives et étrangères à toute discrimination ont motivé son choix. Outre une plus grande effectivité de la protection contre les discriminations par le biais de cet examen en deux étapes, le salarié peut se prévaloir devant les tribunaux d’une importante palette d’éléments de fait.
La présomption de discrimination peut se déduire du non-respect de dispositions formelles visant à empêcher une différence de traitement injustifiée de certains groupes de salariés. C’est notamment le cas lorsque l’employeur enfreint le § 11 AGG (ancien § 611b BGB) en diffusant des offres d’emploi qui ne s’adressent qu’aux hommes ou aux femmes (BAG, 27 avril 2000, 8 AZR 295/99 ; 5 février 2004, 8 AZR 112/03). Ne sont pas concernées ici les hypothèses où l’appartenance à un sexe donné est une exigence professionnelle déterminante en raison de la nature ou des conditions d’exercice de l’activité en cause (§ 8 AGG, ancien § 611a alinéa 1 phrase 2 BGB ; BAG, 28 mai 2009, 8 AZR 536/08 – caractère non-discriminatoire d’une offre d’emploi d’éducatrice dans un internat de jeunes filles s’adressant exclusivement à des candidats de sexe féminin; v. aussi en droit européen l’art. 14 al. 2 de la directive 2006/54 du 5 juillet 2006, en droit français l’art. L. 1133-1 du Code du travail modifié et la délibération n°2009-21 du 26 janvier 2009 de la HALDE).
Le comportement ou les déclarations de l’employeur sur les raisons de son choix qui seraient fondées sur un motif discriminatoire suffisent à établir une présomption de discrimination (arrêt postérieur de la CJCE en ce sens, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme c/ NV Firma Feryn, 10 juillet 2008, C-54/07). La jurisprudence, aussi bien allemande que communautaire, y est très sensible. Dans l’arrêt du 24 avril 2008, le BAG a relevé que le Landesarbeitsgericht aurait dû davantage tenir compte des allégations de la salariée concernant les propos de l’ancien directeur de service: étonné de la voir contrariée par l’attribution du poste à l’un de ses collègues masculins, il lui aurait dit qu’elle pouvait s’estimer heureuse de continuer à remplir des fonctions correspondant à la description de son poste, car en règle générale, les salariées revenant d’un congé maternité se voient attribuer des tâches de moindre importance. Si cette déclaration était avérée, elle indiquerait l’existence de discriminations à répétition à l’égard des femmes dans l’entreprise et aurait donc pu faire naître une présomption de discrimination (point 42 de l’arrêt).
Cette importante limitation du pouvoir de gestion et de direction de l’employeur s’accorde avec l’art. 15 de la directive 2006/54, dont le délai de transposition a expiré le 15 août 2008, et qui, reprenant les termes de l’art. 2 al. 7 de l’ancienne directive 76/207 CE, prévoit qu’ « une femme en congé de maternité a le droit, au terme de ce congé, de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui soient pas moins favorables et de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elle aurait eu droit durant son absence. » La volonté des juges allemands de favoriser les actions en discrimination est palpable et s’inscrit dans la lignée des politiques sociales communautaires.
Cet important allègement des règles de preuve pesant sur le salarié, demandeur à l’action, a conduit les juges à durcir leur appréciation des éléments de justification apportés par l’employeur.
2. D’importantes contraintes pour l’employeur et une exigence de transparence
Les exigences des juges français et allemands vis-à-vis de l’employeur sont très élevées. L’employeur doit donc adopter une démarche transparente lors de ses prises de décision en matière de ressources humaines et bannir tous comportements ou déclarations pouvant faire suspecter une discrimination. Une information des cadres à ce sujet peut s’avérer nécessaire afin d’éviter toute impossibilité de se justifier en cas de litige (BURG I., « Vermeidung einer Beweislastumkehr bei Diskriminierungsvorwürfen », PersF 2009, Heft 3, pp. 92-94).
En droit allemand, l’employeur ne peut objectivement justifier sa décision qu’en se fondant sur des éléments qu’il a extériorisés au moment de la décision suspecte - d’embauche, de promotion, de mutation etc (arrêt du BAG, NJW 2004, p. 2112, cité par ROLFS C., Wessel S., « Aktuelle Rechtsprechung und Praxisfragen zur Benachteiligung wegen des Geschlechts », in : NJW 2009, n°46, p. 3332). D’où la nécessité pour l’employeur d’une part d’exprimer davantage ses motivations lors d’une prise de décision ayant trait aux ressources humaines, d’autre part de les mettre par écrit, de les dater et de documenter les critères sur lesquels s’est fondée la sélection (STEINKÜHLER B., KUNZE K., « Note sous arrêt Anmerkung », AuA 2008, p. 759). Dans le cas contraire, il ne pourra pas renverser la présomption de discrimination devant un juge allemand. Ces recommandations valent aussi pour les employeurs en France.
Dans une espèce assez semblable à celle soumise au BAG, la Cour de cassation a apporté des précisions quant à la preuve pesant sur l’employeur (C. cass., Soc., 16 décembre 2008). La Haute juridiction a d’abord rappelé qu’au vu de l’art. L 1142-1 C. trav. interprété à la lumière de la directive 76/207, une salariée pour laquelle une promotion avait été envisagée par l’employeur, ne pouvait se voir refuser celle-ci en raison de la survenance d’un congé de maternité. Affirmer que la salariée et le candidat finalement promu étaient dans des situations différentes ne suffisait pas à établir l’absence de discrimination. Pour justifier objectivement la promotion, l’employeur aurait dû prouver que par rapport à la salariée se disant victime de discrimination, le candidat masculin pouvait apporter à l’entreprise une valeur ajoutée supplémentaire, en lien avec le poste à pourvoir (PERRIN L., « Discrimination : congé de maternité et refus d’accorder une promotion », Dalloz actualité, 12 janvier 2009).
Cette rigueur quant aux justifications de l’employeur est en accord avec la jurisprudence communautaire (v. CJCE Bilka - Kaufhaus GmbH contre Karin Weber von Hartz, 13 mai 1986, C-170/84 ; H.K. c/Danfloss préc. ; Enderby préc.). Mais des zones d’ombre subsistent quant aux éléments de fait à présenter par le demandeur pour établir une présomption de discrimination.
3. Incertitudes quant aux éléments de fait fondant la présomption de discrimination
Le mode de la preuve (témoignages, écrits, aveux, note de service, courriers, mails...) en matière de discrimination n’a pas été précisé par les législateurs français et allemand, ce qui laisse la porte ouverte à un vaste champ d’éléments susceptibles de faire présumer une discrimination. La transposition des directives étant encore très récente, les critères d’appréciation de ces éléments restent à affiner, comme pour la grossesse ou la preuve statistique.
La prise en considération de la grossesse ou du congé de maternité constitue certes per se une discrimination directe (CJCE, Dekker, 8 novembre 1990, C-177/88), mais la simple invocation devant le juge de l’état de grossesse au moment de la prise de décision suffit-elle à fonder la présomption de discrimination? C’était en tout cas un des moyens du pourvoi dans l’arrêt du 24 avril 2008. Le Landesarbeitsgericht considérait au contraire que la seule connaissance par l’employeur de la grossesse de sa salariée ne permettait pas de faire jouer la présomption. Le BAG a semblé poser une exigence supplémentaire pour ne pas retenir l’existence d’une présomption de discrimination : l’absence d’un « lien temporel étroit » entre l’annonce par la salariée de sa grossesse et la décision de promotion. En d’autres termes, il faut déterminer si le moment de la prise de décision est dépendant de l’annonce par la salariée de sa grossesse, la simple coïncidence de ces deux évènements n’étant pas significative. En droit français, avant la toute récente recodification du Code du travail, l’art. L.122-25 de ce Code était particulièrement favorable aux femmes enceintes : « en cas de litige, l’employeur est tenu de communiquer tous les éléments de nature à justifier sa décision. Si le doute subsiste, il profite à la salariée en état de grossesse ». Il ne semblait donc pas que la salariée devait produire d’autres éléments que ceux tenant à son état de grossesse au moment des faits pour faire peser sur l’employeur l’obligation de justifier sa décision (FROUIN J.-Y., « La preuve en droit du travail », Semaine sociale Lamy, 29.05.2006, n°1263, pp 6-11). Les art. L.1132-1 et L 1142-1 du Code du travail modifié vise la grossesse comme motif discriminatoire prohibé notamment en matière de promotion professionnelle, mais la disposition prévoyant la quasi-inversion de la charge de la preuve décrite plus haut a été supprimée.
Les données statistiques sont considérées comme un moyen de preuve recevable en droit communautaire (v. CJCE, Enderby, 27 octobre 1993, C-127/92). En pratique, elles peuvent s’avérer très utiles pour lutter contre les « plafonds de verre » (ROLFS C., WESSEL S., « Aktuelle Rechtsprechung und Praxisfragen zur Benachteiligung wegen des Geschlechts », NJW 2009, n°46, p. 3331) - expression désignant, dans une structure hiérarchique, l’inaccessibilité des niveaux supérieurs à certaines catégories de personnes, notamment les femmes. Mais les juges allemands sont loin d’être unanimes à ce sujet.
Consciente de la difficulté de faire céder lesdits « plafonds de verre », la 15ème section du Landesarbeitsgericht Berlin-Brandenburg a considéré que la seule présentation de statistiques illustrant la répartition des sexes au sein des postes à responsabilités de l’entreprise suffisait à faire présumer une discrimination en raison du sexe, dans les cas où une promotion serait attribuée à un homme plutôt qu’à une femme (26 novembre 2008, 15 Sa 517/08, « GEMA-Urteil »).
La juridiction de renvoi, désignée par le BAG dans l’arrêt du 24 avril 2008, a explicitement désapprouvé cette solution (LArbG Berlin-Brandenburg, 2. Kammer, 12 février 2009, 2 Sa 2070/08, points 48 et 49). Les données statistiques peuvent certes servir à établir une présomption de discrimination (point 47), mais à condition qu’elles fassent ressortir un lien entre la procédure d’attribution des postes et la répartition des sexes dans l’entreprise. En l’espèce, les juges ont rejeté l’argument statistique. La salariée n’aurait pas démontré que la part des candidatures masculines retenues était disproportionnée au regard du nombre de candidatures masculines et féminines à des postes à responsabilités (point 53 de l’arrêt). En 2006, le Landesarbeitsgericht Köln n’avait pas admis la preuve statistique comme indice d’une discrimination retenant que l’employeur avait le droit de favoriser ceux qu’il estime être les meilleurs et qu’une proportion d’hommes plus élevée aux postes à responsabilités pouvait tout simplement traduire une insuffisance de candidatures féminines (13 juin 2006, 9 Sa 1508/05).
Ces divergences quant à l’admission des données statistiques comme indice d’une présomption de discrimination sur le sexe, auraient dû être tranchées fin janvier 2010 par la Cour fédérale du travail (8 AZR 436/09), mais le prononcé de la décision a été reporté. Une telle confrontation jurisprudentielle ne semble pas avoir eu lieu en France.
Les juges nationaux se voient ainsi confier un rôle central dans la lutte contre les discriminations, qu’il s’agisse d’aménager la répartition de la charge de la preuve ou d’éclaircir les conditions de recevabilité des éléments de fait pouvant fonder une présomption de discrimination.
Bibliographie sélective:
Autres commentaires de la décision:
BURG I., « Vermeidung einer Beweislastumkehr bei Diskriminierungsvorwürfen », PersF 2009, Heft 3, pp. 92-94
RAIF A., ArbuR 2009, p.97
STEINKÜHLER B., KUNZE K., AuA 2008, p. 759
Documentation générale et spécialisée sur le sujet:
AUBIN C., JOLY B., « De l’égalité à la non-discrimination: le développement d’une politique européenne et ses effets sur l’approche française », Droit social n° 12, 2007
FROUIN J.-Y., « La preuve en droit du travail », Semaine sociale Lamy, 29.05.2006, n°1263, pp 6-11
JACQUOT S., "De l’égalité à l’emploi: la conciliation travail/famille et la modernisation de la protection sociale au niveau européen", Revue de droit sanitaire et social, 2009, p. 1048
PELISSIER J., SUPIOT A., JEAMMAUD A., Droit du travail, Précis Dalloz, Paris, 24e éd., 2008
PERRIN L., « Discrimination : congé de maternité et refus d’accorder une promotion », Dalloz actualité, 12 janvier 2009
ROLFS C., WESSEL S., « Aktuelle Rechtsprechung und Praxisfragen zur Benachteiligung wegen des Geschlechts », NJW 2009, n°46, pp. 3329 et s.