La saga Attridge v Coleman ou l’extension du champ ratione personae de la lutte contre les discriminations, par Asma Mzé

Initiée au Royaume-Uni, l’affaire Attridge v Coleman introduit la notion de discrimination « par association » au niveau européen et par ricochet dans le droit dans des Etats membres de l’UE. Toutefois, le raisonnement adopté par les instances impliquées dans l’application de cette nouvelle incrimination n’est pas uniforme. En outre, au-delà de la reconnaissance d’un droit, il s’agit aussi de l’éventuelle reconnaissance d’obligations à la charge des employeurs envers les personnes associées à des personnes handicapées qui est potentiellement en jeu.

Dans le cadre de l’emploi, au-delà des difficultés rencontrées par les personnes souffrant d’un handicap, celles auxquelles se heurtent les individus ayant à charge cette catégorie de personnes sont bien réelles. En effet, ces dernières se trouvent en quelque sorte associées à des personnes handicapées et doivent dès lors souvent concilier leurs obligations professionnelles avec celles qui leur incombent en vertu de leur position d’aidant... Ainsi, il n’est pas rare qu’elles aient à subir des pressions dans leur lieu de travail en raison des répercussions que leur activité d’ « ayant-charge » a sur leur situation, notamment au niveau de leur disponibilité. Ce type de discrimination, dite discrimination « par association » fondée sur le handicap, est donc une réalité à laquelle tout « ayant-charge » exerçant une activité professionnelle peut être confronté. Or, n’étant pas eux mêmes handicapés, leur situation n’est que rarement appréhendée par des dispositions légales spécifiques. Pourtant, la nécessité pour ces personnes de bénéficier d’un régime protecteur se fait de plus en plus ressentir. La question qui survient alors est la suivante : le principe d’égalité de traitement et l’interdiction de discrimination fondée sur le handicap s’appliquent-ils seulement à une personne handicapée ou peuvent-ils être invoqués par une personne qui ne souffre pas elle-même d’un handicap mais qui subi, en raison du handicap d’une personne à laquelle elle est associée, un traitement défavorable ? L’enjeu de la reconnaissance de la discrimination « par association » liée au handicap n’est pas des moindres puisqu’il s’agit d’accorder la possibilité d’une action en discrimination fondée sur le handicap à des personnes qui ne présentent pas elles-mêmes les caractéristiques visées par la loi, et ainsi d’étendre le champ d’application ratione personae du droit des discriminations en la matière. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’affaire Attridge v Coleman qui a introduit la notion de discrimination « par association » en raison du handicap au Royaume-Uni et, par le biais d’une question préjudicielle, en droit communautaire. Ainsi, il est pertinent d’analyser la manière par laquelle le juge anglais et le juge européen justifient l’introduction de la discrimination par association dans leur arsenal juridique contre la discrimination. De plus, en tant qu’Etat membre de l’Union Européenne, la France a entendu introduire cette notion dans son propre droit par un raisonnement qu’il est intéressant de mettre en parallèle avec celui des deux ordres juridiques susmentionnés.

L’introduction de la notion de discrimination par association en raison d’un handicap au Royaume-Uni. La notion de discrimination « par association » liée au handicap fût introduite au Royaume-Uni à l’occasion de l’affaire Attridge v Coleman qui visait alors à pallier une carence législative. En l’espèce, Melle Coleman était employée par la société « Attridge Law » (la société) jusque son acceptation de chômage volontaire (« voluntary redundancy »). En août 2005, elle intenta une action en licenciement implicite (« unfair constructive dismissal ») fondé sur un motif discriminatoire, en l’occurrence le traitement défavorable qu’elle aurait subi en raison du handicap de son fils. A l’appui de sa demande, elle arguait que bien que le Disability Discrimination Act 1995 (loi relative à la discrimination fondée sur le handicap, ci-après le DDA,) n’interdisait pas littéralement la discrimination « par association », la Directive Européenne de 2000 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (ci-après la Directive) interdit une telle discrimination de sorte que le DDA devait être interprété dans ce sens. Effectivement, il est un principe établi que les juridictions des Etats membres doivent interpréter les dispositions nationales conformément aux obligations qui incombent aux Etats membres en vertu du droit communautaire. L’Employment Tribunal de South London,par une décision du 23 mai 2006, décida de surseoir à statuer en attendant la réponse à la question préjudicielle qu’il avait posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-dessous CJUE, anciennement Cour de Justice des Communautés Européennes), à savoir, si la Directive interdit la discrimination uniquement à l’encontre d’employés souffrant eux-mêmes d’un handicap, ou si elle couvrait aussi les discriminations à l’encontre d’individus « associées » à des personnes handicapées, plus précisément en l’espèce, à l’encontre d’une employée ayant principalement à charge un enfant handicapé. La société interjeta appel de cette décision mais fût débouté par la même juridiction en 2007. Par un arrêt du 17 juillet 2008, la CJUE affirma que la Directive ne se limite pas à la protection des personnes souffrant d’un handicap, de sorte qu’une employée qui aurait subit un traitement défavorable, du fait non pas de son propre handicap mais de celui de son enfant qu’elle a principalement à charge, était fondée à s’en prévaloir. C’est suite à un nouvel appel interjeté par la société contre un arrêt de l’Employment Tribunal du 30 septembre 2008, qui a estimé que le Tribunal avait compétence pour connaître de l’action intentée par Melle Coleman, qu’est intervenu l’arrêt du 30 octobre 2009. Confirmant la décision précédente, l’Employment Appeal Tribunal (ci-après E.A.T.) applique le raisonnement de la CJUE en matière de discrimination par association fondée sur le handicap et interprète le DDA dans ce sens.

L’alignement partiel du juge anglais au raisonnement de l’instance européenne.

L’effet utile des législations en cause Le point de départ du raisonnement de l’EAT et de la CJUE est commun. Leur postulat est qu’il doit être donné un effet utile aux législations qu’ils doivent respectivement appliquer, en l’espèce la Directive et le DDA. Les deux juridictions considèrent ainsi qu’il convient de prendre en compte la substance et non la lettre de ces textes. La CJUE considère qu’ « une interprétation de la directive 2000/78 limitant l’application de celle-ci aux seules personnes qui sont elles-mêmes handicapées serait susceptible de priver cette directive d’une partie importante de son effet utile » (§51). De même, l’EAT affirme que « l’interdiction de la discrimination “par association” est une extension de la portée de la loi telle que promulguée, mais n’est en aucune manière incompatible avec cette dernière. Au contraire, c’est une extension en pleine conformité avec les objectifs de cette législation.» (§14). Les deux juridictions tirent de la nécessité de donner un effet utile à ces instruments l’impératif de prohiber tout traitement défavorable lié à un handicap quand bien même la personne ciblée ne serait pas handicapée. Ainsi, elles prennent soin de préciser que ce n’est pas la qualité de la personne mais le motif pris en compte pour imposer une différence de traitement qui doit être pris en considération pour fonder son droit à se prévaloir des dispositions légales relatives à la discrimination. La CJUE note que « le principe d’égalité de traitement consacré par ladite directive dans ce domaine s’applique non à une catégorie de personne déterminée, mais en fonction des motifs visés » (§38). Dans une formule à peu près similaire, l’EAT déclare que « ce qui importe est que la supposée victime ait subi un traitement défavorable sur la base d’un « motif » prohibé, en l’espèce un handicap, et le fait qu’elle ne souffre pas elle-même de ce handicap n’est pas essentiel » (§16). Il est toutefois pertinent de souligner que cette solution peut-être plus aisément déduite du droit communautaire que du droit anglais. Pour le premier, l’article 2§1 de la Directive précise qu’une « discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée d’une manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a était et ne le serait dans situation comparable sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ». En revanche pour le second, le DDA est plus précis en ce que son article 3 (a) §4 spécifie qu’une « personne exerce une discrimination directe à l’encontre d’une personne handicapée si, en raison du handicap dont elle souffre, elle réserve à la personne handicapée un traitement moins favorable que celui qu’elle réserve ou réserverait à une personne qui ne présente pas ce handicap particulier ». Il ressort de ces dispositions que la Directive considère discriminatoire un traitement défavorable appliqué par référence à un motif prohibé, notamment le handicap, tandis que le DDA considère discriminatoire le traitement défavorable appliqué à une personne en raison de son propre handicap. Or, comme il a été relevé plus haut, le raisonnement des deux instances était que les textes susmentionnés ne s’appliquait pas à une catégorie de personnes en particulier mais selon la référence à un motif dont la prise en compte est considérée discriminatoire dans certains contextes. Par conséquent, il était plus évident d’introduire l’interdiction de la discrimination « par association » fondée sur le handicap en droit communautaire, puisqu’il était déjà centré sur les motifs sous-jacent à une discrimination, qu’en droit anglais qui vise spécifiquement la catégorie de personnes visées. Toutefois, le juge anglais justifie sa position en affirmant qu’il peut « également être dit que l’un des aspect fondamental de la loi i.e. le DDA est l’interdiction des discriminations fondées sur le handicap, et le fait que le demandeur à l’action souffre lui-même du handicap en question n’est pas pertinent ». Néanmoins, conscient des limites imposées par la terminologie utilisée par le DDA, le juge anglais propose sa reformulation, affirmant qu’il est possible de déduire des mots qui sont consistant avec la loi si cela s’avère nécessaire pour le rendre compatible au droit communautaire (§121). Ainsi, la CJUE et l’EAT ont pareillement convenu que l’interdiction de la discrimination « par association » est conforme à l’objectif poursuivie par la Directive et le DDA, et que méconnaître l’existence d’une telle interdiction rendrait inopérante l’effectivité de ces textes. Toutefois, cette introduction était moins propice en droit anglais ce qui explique pourquoi le juge anglais a proposé une réécriture du DDA. Cependant, les raisonnements de l’EAT et de la CJUE se distinguent en certains points essentiels : le critère de l’association et, dans une certaine mesure, la personne à laquelle appartient le droit défendu. Le critère de l’association Les deux Tribunaux adoptent des raisonnements différents en ce qui concerne le lien qu’il doit exister entre la personne handicapée et la personne discriminée. La CJUE considère que « l’interdiction de discrimination directe s’applique également à un employé qui n’est pas lui-même handicapé, mais qui, comme dans l’affaire au principal, est victime d’un traitement défavorable en raison du handicap dont est atteint son enfant, auquel il prodigue lui-même l’essentiel des soins que nécessite son état » (§33). Même si elle n’en reprend pas les termes exactes, en accentuant le fait que la personne discriminée administre elle-même la plupart des soins à son enfant, la CJUE fait écho aux conclusions de l’Avocat Général qui souligne que les personnes souffrant de handicap « se trouvent contraintes de dépendre de personnes avec lesquelles ils ont un lien étroit » (§14). Mais, la position de la CJUE est plus nuancée que celle de l’Avocat Général en ce qu’elle n’affirme pas expressément la nécessité d’un lien étroit. Cependant, à la lecture de l’arrêt de la CJUE, il apparaît évident que l’existence d’un lien entre la personne discriminée et la personne dont l’handicap est pris en compte pour exercer un traitement défavorable est nécessaire. En outre, la Cour persiste à préciser que sa solution ne vaut que pour les cas semblable au cas d’espèce, c'est-à-dire ceux dans lesquels la personne discriminée « dispense l’essentiel des soins » dont son enfant handicapé a besoin. Cela est corroboré par l’observation par la Cour des implications de la reconnaissance de la discrimination « par association » en matière de charge de la preuve. Elle confirme le renversement de la charge de la preuve dès lors qu’il existe une présomption de discrimination et précise que « lesdits défendeurs pourraient contester l’existence d’une telle violation en établissant par toute voie de droit, que le traitement dont l’employé a fait l’objet est justifié par des facteurs objectifs et étranger (…) à toute relation que cet employé entretient avec une personne handicapée. Ainsi, l’association entre l’individu discriminée et la personne handicapée est une qualification primordiale qu’une personne qui subie un traitement défavorable en raison du handicap d’autrui doit établir pour pouvoir se prévaloir de la Directive.

Au contraire, l’EAT ne tient pas compte du critère de l’association, considérant qu’ « en pratique, il n’est peut-être pas commun qu’un employé subisse une discrimination en raison du handicap d’une personne à laquelle il n’est pas, d’une manière ou d’une autre « associé », mais l’existence d’une telle association n’est pas une condition d’illégalité». De plus, en reformulant les dispositions pertinentes du DDA pour l’interpréter conformément à la Directive, il n’utilise pas de terme transcrivant la nécessité d’un quelconque lien et se borne à préciser qu’une personne subit une discrimination directe lorsqu’elle est traitée de manière défavorable en raison de l’handicap d’autrui (§15). Le Tribunal explique cela par un souci d’économie procédurale et de clarté. En effet, il souhaite de la sorte éviter que le débat ne glisse sur le point de savoir quel degré d’association doit exister entre deux personnes pour que l’une puisse prétendre avoir été discriminée en raison du handicap de l’autre : « Je préférerais éviter d’employer une terminologie qui conduirait les tribunaux à s’enliser dans un débat sur ce qui équivaut ou non à une « association », alors que cela ne devrait pas être le point central de la discussion” (§16). Ainsi, l’EAT pousse jusqu’au bout le raisonnement de la C.J.C.E. selon lequel seul le motif de la discrimination devrait-être pris en compte et non la qualité de la personne. Toute personne qui subie une discrimination en raison du handicap d’un tiers est donc fondée à introduire une action sur la base des dispositions relatives à la discrimination en raison d’un handicap, même si elle n’est pas la personne ayant à charge ce tiers ou qu’elle n’a pas de lien avec la personne dont le handicap a été pris en compte pour exercer le traitement défavorable qu’elle a subie. Cette interprétation reste cependant conforme au droit communautaire puisqu’une telle interprétation de la décision de la Cour est plus protectrice de la victime de la discrimination. Comme le juge anglais l’a souligné, il est relativement rare qu’une personne soit discriminée en raison du handicap d’une personne qui lui est complètement étrangère. Cependant, dés lors que l’on admet, à l’instar de la CJUE, que seul le motif pris en considération pour exercer une discrimination importe et non les caractéristiques de la personne discriminée, tout renvoi à une catégorie de personne, même indirect, n’a pas lieu d’être. Or, la CJUE maintient en quelque sorte la prise en compte de la catégorie de personnes visées par la Directive en retenant le critère de l’association. Ainsi, la Cour apporte limite sa propre décision. Même si elle ne considère plus comme illégal exclusivement le traitement défavorable exercer sur une personne handicapée en raison de son propre handicap, un intérêt est tout de même porté à la personne handicapée, et pas seulement au motif pris en compte comme l’indique le raisonnement de la Cour, puisque l’aboutissement de l’action dépendra de l’existence d’un lien entre la personne discriminée et une personne souffrant d’un handicap. Incidemment, seules les personnes subissant un traitement défavorable en raison de leur handicap ou de celui d’une personne à laquelle elle est associée pourrait se prévaloir de la Directive selon la jurisprudence communautaire. Cette position maintien une insécurité juridique puisqu’il n’est en outre pas précisé dans quelle mesure une personne est considérée être associée à une autre. Au vu des observations de la Cour selon laquelle cette jurisprudence est limitée aux cas semblables à ceux de l’espèce, il est à craindre qu’un certain nombre de personnes seront écartées des bénéfices apporté par l’extension du champ d’application du droit des discriminations.

Cette différence sur la nécessité ou non d’un lien entre les personnes impliquées explique aussi en quoi les décisions des deux instances différent concernant a qui appartient le droit défendu lorsqu’une action en discrimination par association est traitée.

Le droit défendu par les deux instances Selon les Conclusions de l’avocat général la discrimination « par association » affectent les personnes handicapées car elles peuvent aboutir à ce que « la personne visée par la classification suspecte soit exclue de toute une série de possibilités dont elle aurait autrement bénéficié » (§14). Ainsi, une autre forme de discrimination envers les personnes souffrant d’un handicap est la discrimination de personnes auxquelles elles sont étroitement liées, bien qu’elle ne fasse pas partie de la catégorie visée. Il s’agit, selon les termes de l’avocat général, d’une manière « plus subtile et moins flagrante de léser la dignité et l’autonomie de personnes appartenant à une catégorie suspecte » (§12). L’Avocat Général justifie sa position en ce que la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, à laquelle la Directive fait référence, vise à « l’intégration sociale et économique des personnes handicapées » (§43). Ainsi, pour justifier l’introduction de la discrimination « par association » en droit communautaire, les conséquences qu’une telle discrimination a sur la personne dont le handicap est pris en compte sont d’une importance majeure.

L’EAT s’est complètement distancié de ce raisonnement et considère le préjudice subi suite à la discrimination « par association » par la personne discriminée elle-même et non la personne handicapée. Ainsi, le juge anglais propose d’introduire des dispositions distinctes propres à interdire la discrimination « par association ». En revanche, la position de la CJUE sur ce point n’est pas tout à fait claire. En effet, elle ne reprend pas l’argumentaire de l’Avocat General à ce sujet mais ne l’écarte pas non plus en établissant explicitement sa propre position. Ainsi, sans pour autant mentionner les implications d’une discrimination « par association » sur la personne dont le handicap est pris en compte, la Cour fait aussi référence à la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs.

Au niveau européen, il n’est donc pas clairement établi qu’ il s’agit de défendre le droit des personnes handicapées. Dans ce contexte, il pourrait être considéré ou non que la personne discriminée est l’instrument qui sert à une discrimination contre une personne qui souffre de handicap. Dans le deuxième cas de figure, il y aurait donc une sorte de démembrement du droit à la non discrimination, le droit de la personne souffrant d’un handicap et celui de la personne qui subit la différence de traitement, les deux étant interdépendant. En allant au bout de cette logique, puisqu’il est porté atteinte au droit de la personne souffrant d’un handicap au travers du traitement défavorable infligé à la personne qui lui est associée, la première, bien qu’elle n’ait pas subie de traitement défavorable serait alors à même d’invoquer son propre droit.

Inversement, puisque le critère de l’association n’est pas pris en compte par l’EAT, la reformulation du DDA laisse entendre que c’est un droit propre à la personne subissant un traitement défavorable en raison du handicap d’un tiers qui est reconnu, indépendant de celui de la personne souffrant d’un handicap. Les dispositions concernant la discrimination de telles personnes sont envisagées dans des dispositions distinctes de celles traitant de la discrimination de personnes handicapées. Il ressort du §15 de l’arrêt que, contrairement à ce qu’avançait l’avocat général pour la CJUE, c’est la dignité et l’autonomie même de la personne qui subie un traitement défavorable qui est remise en cause par la discrimination, même si elle n’est pas handicapée.

Le nombre d’observations déposées par les Etats membres lorsque l’affaire Attridge v Coleman a été traitée par la CJUE démontre à quel point la question de la discrimination par association est une question importante pour le droit des discriminations en général. Alors que la discrimination par association fondée sur un handicap n’avait était reconnue par aucune instance anglaise ni même européenne, elle a servi de tremplin à la reconnaissance de la discrimination par association, pour quelque motif que ce soit, dans d’autres ordres juridiques, notamment au sein de l’ordre juridique français dans lequel la jurisprudence est allée jusque reconnaître le droit à la non discrimination syndicale par association.

La discrimination par association dans la jurisprudence française. Les répercussions que la reconnaissance d’une telle discrimination a sur le droit national des Etats membres, en ce qu’elle crée une nouvelle incrimination, n’est pas négligeable. Exemple peut-être donné du cas français où la discrimination par association a été consacrée la première fois par un arrêt du Conseil de Prud’hommes de Caen (25 novembre 2008), qui a mis en œuvre le raisonnement de la HALDE (délib. 26, n°2007-75, 27 mars 2007) qui conseillait l’adoption de l’approche de la CJUE dans l’affaire Coleman. En l’espèce se posait la question de savoir si le fait le licenciement prononcé à l’encontre d’une employé en raison des liens qui l’unissait à un délégué syndical de l’entreprise pouvait être sanctionné sur la base de l’article L.122-45 du code du travail qui dispose qu’ « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (…) en raison (…) de ses activités syndicales » . Bien que la CJUE ait précisé que sa décision est circonscrite à « une situation telle que celle en cause » (§33), la HALDE considère que suite à la décision de la Cour, la discrimination par association, quelque soit le motif sur laquelle elle est fondée, est interdite en toute circonstance. Ainsi, tout comme l’EAT l’avait fait pour le DDA, elle entend interpréter l’article L.122-45 du code de travail à la lumière de la décision de la CJUE. Le Conseil de Prud’hommes s’appuie jusqu’ alors sur le raisonnement de l’E.A.T. Il suit les recommandations de la HALDE en précisant donc que « le principe d’égalité de traitement peut-être invoqué non seulement par les personnes qui se disent victime (…) d’une discrimination en raison de (...) leurs activités syndicales, mais encore par toute autre personne qui leur serait étroitement associé ». Puisque la HALDE a défini la discrimination par association comme « la discrimination d’une personne en raison des liens qui l’unissent à une autre personne (délégué syndical, senior, personne handicapée…) », contrairement à l’EAT, le juge français reprend le critère de l’association. Il est intéressant de noter que la discrimination en raison des activités syndicales n’est pas mentionnée par l’article 1er de la Directive. En conséquence, il apparaît que les juges français entendent étendre la portée de l’arrêt à tous les motifs discriminatoires interdit par le droit français, quand bien même il n’aurait pas d’équivalent en droit communautaire. Même si cette décision n’est pas commandée par le droit européen et va même au-delà de ce dernier, elle n’est pas incompatible avec les obligation des autorités française en vertu du Traité instituant la Communauté Européenne puisqu’elle est plus favorable aux personnes qui subissent une discrimination. De plus, il semble que le Conseil entende aligner le régime des sanctions des discriminations par association à raison de la sanction qui aurait été prononcée pour une discrimination envers une personne littéralement visée par la législation pertinente. En effet, il prononce la nullité du licenciement alors que le conjoint d’un délégué syndical ne bénéficie pas en principe de la protection exorbitante de droit commun des délégués syndicaux. En outre, il conviendra brièvement d’analyser dans quelle mesure la reconnaissance de la discrimination par association pourrait conduire à la reconnaissance d’une obligation d’aménagement de l’employeur dans la situation précise des personnes associées à des personnes handicapées en raison des soins qu’elles leur administrent.

Vers une obligation d’aménagement de l’employeur ? Le droit communautaire, tout comme le droit de la plupart des Etats membres prévoit une obligation à la charge de l’employeur de prévoir des aménagements spécifiques pour les personnes handicapées. L’article 5 de la directive prévoit que concernant les personnes souffrant d’un handicap, des aménagements raisonnables doivent être pris. Il s’agit, selon la CJUE de « mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi » (§39). De même, le DDA prévoit une obligation de « resasonable adjustements ». Toutefois, aucune obligation d’aménagement n’est imposable, dans ces deux ordres juridiques, concernant les personnes qui assistent une personne handicapée. Inversement en France, l’article 212-4-1-1 prévoit que « les aidants familiaux et les proches de la personne handicapée bénéficient dans les mêmes conditions d’aménagements d’horaires individualisées propres à faciliter l’accompagnement de cette personne handicapée ». En reconnaissant la discrimination par association, les instances européennes et anglaises ont considéré que les personnes qui prodiguent des soins ou assistance à des personnes handicapées sont confrontées à un risque particulier de discrimination. Conjugué à la nécessité de promouvoir l’assistance aux personnes handicapées, la reconnaissance de la discrimination par association pourrait aboutir à la reconnaissance au niveau européen, et par extension au niveau du droit national des Etats membres, à une obligation pour l’employeur de prévoir des aménagements spécifiques pour les personnes ayant à charge des personnes handicapées.

Bibliographie : • Michael Bradford, Discrimination law : theory and context : text and material, 2008. • Revue du droit européen relatif à la non-discrimination, édition n°5, juillet 2007. • DDA applies to associative discrimination, Equal Opportunities Review, 2009, 195, 25-27 • To care and care not, Matthew Clayton, Employer's Law 2009/010, Dec/Jan, 16-17 • Greater rights, but less certainty - the price of EU law, IDS Employment Law Brief 2009, 891, 2.

Référence des arrêts cités (dans l’ordre d’apparition) : • EBR Attridge Law LLP (formerly Attrige Law), Mr S Law v Ms S Coleman Appeal No. UKEAT/0071/09/JOJ, Employment Appeal Tribunal, 30 0ctobre 2009 2009 WL 3447849 : http://www.incomesdata.co.uk/areas-of-expertise/employment-law/downloads... • C.J.C.E., S. Coleman contre Attridge Law et Steve Law, C-303/06 : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62006J0303:FR...

• EBR Attridge Law LLP (formerly Attrige Law), Mr S Law v Ms S Coleman, No 2303745/2005 , Employment Tribunal, 30 septembre 2008 • CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. M. Poiares Maduro : http://www.halde.fr/IMG/alexandrie/3391.PDF • Enault, La HALDE c SAS ED, Conseil de Prud’hommes de Caen, 25 novembre 2008 http://www.chroniqueouvriere.fr/IMG/pdf/CPH_Caen_25_Novembre_2008.pdf • Déliberation de la HALDE, délib. 26, n°2007-75, 27 mars 2007 : http://www.halde.fr/spip.php?page=article&id_article=12644

Référence des législations citées (dans l’ordre d’apparition) : • Disability Discrimination Act 1995 adopté par le parlement britannique : http://www.opsi.gov.uk/acts/acts1995/Ukpga_19950050_en_1 • Directive 2000/78/EC du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0078:fr...