La transposition du test en trois étapes de la Convention de Berne en droit national français et anglais à travers la directive 2001/29/EC, par Alix Van Der Wielen

La directive européenne DADVSI du 22 mai 2001 reprend les dispositions de la Convention de Berne de 1886 en disposant que toute exception au droit exclusif conféré au titulaire d’un droit d’auteur pour autoriser la reproduction de son œuvre doit être conforme à un examen en trois étapes. Appelés à transposer les exigences de la Convention en droit national, la France et le Royaume-Uni ont procédé différemment.

Les droits d’auteurs confèrent à leur titulaire un monopole d’exploitation sur certains droits patrimoniaux, parmi lesquels figure le droit de reproduction d’une œuvre ou d’une interprétation (P. Tafforeau, Droit de la Propriété intellectuelle, Paris, Gualino éditeur, 2007, p.26). L’article L. 122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que la reproduction d’une œuvre, « Consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte. » Cependant, les dangers inhérents aux monopoles appellent à l’établissement de limites et d’exceptions dans le souci de préserver le nécessaire équilibre entre les titulaires d’œuvres et les droits du public. Les travaux préparatoires de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 appelaient déjà à des limites aux protections absolues dans l’intérêt du public. L’article 9, §2 du texte, tel que modifié par l’acte de Paris, le 24 juillet 1971, laisse la compétence aux Etats signataires d’établir des exceptions au droit de reproduction à condition de réunir trois conditions. Ainsi faut-il que l’exception soit réservée à des cas spéciaux et «ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.»

L’intérêt croissant des systèmes juridiques pour les droits d’auteurs a amené l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle à présenter un arrangement particulier, le Traité sur les droits d’auteur du 20 décembre 1996 qui reprend les termes du « triple test » de la Convention de Berne. La Communauté européenne, conformément à ses obligations en tant que signataire du Traité, reprend ces droits et exceptions dans la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information » du 22 mai 2001 qui dispose en son Article 5(5) que les exceptions "ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit".

Les Etats membres de l’Union européenne appartiennent à différentes traditions en matière de droit d’auteur. Le Royaume Uni relève d’un système de ‘copyright’ où la balance des intérêts est biaisée en faveur des intérêts économiques en jeu. Le système français, par contre, est un exemple de système où le juge protège autant les droits patrimoniaux que les droits moraux. Bien que les deux pays aient transposé la directive en droit national avec du retard, et bien que la nature du test reste similaire, l’application du « triple test » diffère selon le pays.

A travers ces multiples étapes, le « triple test » aura donc connu des évolutions et, inévitablement, des modifications. Il s’agit donc d’examiner les changements de terminologie et leurs significations , l’origine de l’obligation de transposition et les conséquences qui en découlent et comment le « triple test » s’est vu appliqué en droit national.

Une notion évolutive ; des intérêts changeants

Les multiples transpositions du « triple test » entre l’élaboration de la Convention de Berne, la directive communautaire et les législations nationales ont eu des conséquences sur la nature et le contenu de cette notion. Introduit en 1967 à Stockholm, le « triple test » est le fruit d’un consensus nécessaire entre les Etats signataires de la Convention de Berne ; il fallait que les limites au droit de reproduction tiennent compte de la volonté de préserver les exceptions figurant déjà dans les systèmes juridique des Etats. Selon le Professeur Geiger, le consensus entre pays de droit d’auteurs et pays de copyright s’est noué autour d’un test au champ d’application large et à la rédaction vague auxquels pouvaient s’identifier les pays de traditions différentes, ce qui, selon lui, est bien la raison du succès de ce test (C. Geiger, “From Bern to national law, via the Copyright Directive: the dangerous mutations of the three-step test”, E.I.P.R. 2007, 29(12), para. 487).

Cependant, issus d’un consensus qui devait protéger deux traditions juridiques, les termes de la Convention ont été modifiés dans un sens où les intérêts protégés par le copyright dominent sur ceux du droit d’auteur. Le Traité dispose en effet, dans le troisième critère du « triple test » que les intérêts légitimes auxquels il ne faut pas porter préjudice sont ceux de l’auteur. Il est alors important de noter que la Convention de Berne ne comporte aucune définition de ce que constitue un auteur ; cet élément est laissé à l’appréciation des systèmes juridiques nationaux. La directive DADVSI protège les intérêts du titulaire du droit d’auteur. Cette extension du champ d’application de la directive conserve la protection des droits de l’auteur en fonction de l’effort et de la personnalité qu’il aurait investi dans son œuvre, mais rend explicite l’équivalence de la protection pour d’autres acteurs économiques qui auraient pu, par la suite, acquérir des droits dans l’œuvre. Si cette différence marque une évolution à partir de la notion romantique de l’auteur qui crée son œuvre seul et isolé pour reconnaitre la réalité commerciale du secteur culturel, elle marque aussi une certaine victoire de l’influence des pays de copyright qui font ainsi reconnaitre la valeur contractuelle sous jacente aux droits d’auteurs. Le professeur Gaudrat considère que cette transposition constitue une prorogation d’un monopole économique exorbitant et y voit même la reconnaissance d’un principe renversé de fair use américain (P. Gaudrat, « Le droit d'auteur au lendemain de la transposition », RTD Com. 2007 para. 11).

La Convention de Berne n’a pas vocation à protéger les droits voisins (les droits des artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes et vidéogrammes et entreprises de communication audiovisuelle). Ceux-ci relèvent de la Convention de Rome de 1961 qui ne reprend pas le « triple test » dans ses dispositions. Le Professeur Gaudrat critique donc la décision de la Commission de reprendre le « triple test » dans sa directive relative aux droits d’auteurs comme aux droits voisins. (P. Gaudrat, ibid, para. 10). Le choix d’étendre le champ d’application du « triple test » a pour conséquence de renforcer des droits qui appartiennent à des acteurs économiques, ce qui peut paraître contraire aux justifications du droit d’auteur français (qui protège en vertu du lien entre la personnalité de l’auteur et son œuvre). Cependant, cette critique risque de méconnaitre l’intention de la Commission dans son choix de reprendre et transformer la norme.

Le « triple test » comme limite normative ; une obligation uniquement pour le législateur ?

Les Etats membres de l’Union européenne étaient tous signataires de la Convention de Berne et du Traité OMPI. Ils étaient donc obligés de respecter le « triple test » ainsi qu’il était formulé dans ces Conventions. Pourquoi alors reprendre l’obligation dans un instrument européen ? Si la directive ne cherche qu’à transposer le test du Traité OMPI, le destinataire de l’obligation reste le législateur national. Le champ d’application de la Convention de Berne est clair ; il s’agit de s’assurer que les exceptions prévues par le droit des Etats signataires respectent le « triple test. » Renforçant l’argument de la limite normative, le Professeur Geiger note que, si la Cour considère que c’est bien la notion qui doit être transposée, la clause qui la contient est alors susceptible d’être dotée d’effet direct (C. Geiger, « La transposition du test des trois étapes en droit français», Recueil Dalloz 2006 p. 2164.) Cependant, la rédaction du test en utilisant des termes vagues ferait obstacle à son invocation lors d’un recours préjudiciel. C’est ce qui a amené certains auteurs à conclure que le « triple test » n’était pas à transposer en droit interne en tant que tel. Cette opinion a aussi été renforcée par la pratique de la Commission dans la rédaction des directives précédentes de ne pas rendre obligatoire le « triple test. »

Le Royaume Uni a choisi d’adhérer à la conception du « triple test » comme étant une limite normative. Ainsi, dans les travaux préparatifs de la direction des droits d’auteur du Patent Office, il est précisé que le Royaume Uni considérait que le « triple test » de la nouvelle directive s’inscrivait dans la lignée des précédentes directives et donc que « les exceptions amendées telles qu’il est proposé, ainsi que d’autres exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins dans le Copyright Patents and Designs Act 1988 non modifiées sont considérées comme se conformant au test en trois étapes » (Department of Trade and Industry, Consultation Paper on Implemenation du 7 août 2002). Le législateur anglais a donc considéré qu’il était le destinataire du « triple test » et s’est contenté de déclarer que sa législation y était conforme. Certains auteurs ont considéré qu’il s’agissait d’un refus d’attribuer des outils au juge anglais pour critiquer le champ d’application d’une loi (W. Cornish et D. Llewellyn, Intellectual Property : Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights, Londres, Sweet & Maxwell, 2007, page 474). Cependant, il serait étonnant qu’un système juridique attribue des moyens aux juges judiciaires de critiquer les modalités de la loi alors que la séparation des pouvoirs en Angleterre signifierait qu’ils ne devraient que l’interpréter et l’appliquer. Il est plus probable que le Royaume Uni a fait le choix d’une liste d’exceptions, d’interprétation stricte, tout en sachant que le juge de common law disposera toujours d’une marge de manœuvre et un recours à l’equity pour éviter d’arriver à des solutions trop injustes.

Le « triple test » ; une disposition dotée d’effet direct ?

Il se pourrait néanmoins que la directive cherche à aller plus loin que fixer une limite normative. Son effet serait alors de transposer le concept du « triple test » en droit national et d’admettre que le destinataire de l’obligation pourrait aussi être le juge. Le moment d’application du « triple test » deviendrait double ; premièrement, lors de l’élaboration des exceptions figurant dans la loi et, deuxièmement, lors de l’examen par le juge dans chaque cas d’espèce. Cela signifierait que les obligations du « triple test » seraient d’application plus large que la simple rédaction des exceptions figurant dans la loi. L’intégration du « triple test » en droit français a été accomplie par la loi du 1er aout 2006 à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.

La transposition française de la directive donne une place importante au juge qui endosse la responsabilité de contrôler au cas par cas si la mise en œuvre des exceptions respecte les critères du « triple test». La conséquence est que le juge peut refuser la protection d’une exception prévue par la loi dans un cas où il considère qu’il est porté atteinte aux droits du titulaire du droit en question. Cela nécessiterait d’examiner dans chaque cas quels pourraient être les intérêts en présence : d’une part ceux de l’auteur ou propriétaire des droits et, d’autre part celui du public. C’est un pouvoir d’interprétation très large qui a conduit certains auteurs à se demander si l’application du « triple test » ne donnerait pas au juge un « pouvoir discrétionnaire de remettre en cause toutes les exceptions sur le fondement de son sentiment de l'équité » (P. Gaudrat, op. cit., para 106). Il suffirait donc qu’un auteur ou les titulaires des droits soutiennent que l’exception, bien qu’à priori applicable en l’espèce, porterait atteinte à l’exploitation normale de leurs droits pour préserver leurs droits dans des cas où la loi aurait expressément exclu leur application. Le Professeur Geiger commente ce développement en soutenant que cette illicéité déclarée à posteriori conduit à « un manque de prévisibilité quant à l'utilisation des espaces de libertés prévus à son profit par la loi » (C. Geiger, ibid. p. 2164). Ce risque n’est pas purement théorique ; la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 février 2006 a appliqué le « triple test » et a écarté l’application de l’exception de copie privé en considérant que la réalisation d’une copie privée était contraire à l’exploitation normale d’une œuvre (Cass. 1re civ. 28 févr. 2006).

Le danger de dénaturer le « triple test » est d’autant plus grand lorsque le juge applique cumulativement les trois étapes de la disposition. Cette application cumulative du « triple test » semble compromise puisqu’il requiert d’abord, dès la deuxième étape, de prendre en compte l’atteinte à l’exploitation de l‘œuvre. La prise en compte de l’exploitation reflète l’évolution de la notion depuis la Convention de Berne, puisque qu’il s’agit alors d’une prise en compte de l’exploitation économique d’une œuvre. De plus, l’examen de cette exploitation intervient avant, et parait donc plus important que l’examen de ce que pourraient être les intérêts légitimes du titulaire des droits. La prise en compte des perspectives culturelles et sociales, qui justifient l’existence des monopoles en droit d’auteur, prennent donc une place secondaire, derrière la perspective économique, sans doute au détriment du public.

La transposition du « triple test » en droit national sert d’illustration du conflit entre intérêts économiques et espace public. La disposition est destinée à établir un équilibre entre, d’une part, les intérêts légitimes qu’un titulaire de droit d’auteur aurait sur l’expression d’informations communiquées au public et, d’autre part, les intérêts que le public pourrait avoir de librement disposer de ces mêmes expressions qui circulent dans un espace commun de libre échange. Le « triple test » illustre aussi la complexité des rapports entretenus par des systèmes juridiques distincts. L’évolution de la notion à travers ces différents systèmes, d’abord international, puis européen et, enfin, nationaux, a fait évoluer le champ d’application et le contenu de la notion. Cependant, le choix des législateurs quand à l’effet du « triple test » et la possibilité offerte ou non de former des recours devant le juge ont eu des conséquences sur le régime et le rôle des exceptions en droit d’auteur très différents selon les pays. En effet, l’intérêt des régimes d’exceptions diminuerait si ceux-ci pouvaient être contournés facilement. Ainsi, la reprise d’une notion dans une directive qui voulait harmoniser certains aspects du droit d’auteur en Europe a eu l’effet contraire en créant de nouvelles disparités entre droits nationaux. Le « triple test » a donc en France et en pratique « pour effet de remettre en cause les espaces de libertés au sein du droit d’auteur » alors qu’au Royaume-Uni, son rôle est toujours de légitimer les exceptions dont le public peut se prévaloir (C. Geiger, op. cit., para. 6). Les conséquences de ces nouvelles disparités sur les libertés publiques illustrent les risques inhérents à la modification des champs d’application de provisions dont la portée devrait être limitée.

Bibliographie

Ouvrages

Cook, T. et Brazell, L., The Copyright Directive; UK Implementation, Bristol, Jordans Publishing, 2004.

Cornish, W. et Llewellyn, D., Intellectual Property : Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights, Londres, Sweet & Maxewll, 2007.

Tafforeau, P., Droit de la Propriété intellectuelle, Paris, Gualino éditeur, 2007.

Articles

Department of Trade and Industry, Consultation Paper on Implemenation du 7 aout 2002

Gaudrat, P., « Le droit d'auteur au lendemain de la transposition », RTD Com. 2007 p. 107.

Geiger, C., “From Berne to national law, via the Copyright Directive: the dangerous mutations of the three-step test”, E.I.P.R. 2007, 29(12), 486-491.

Geiger, C., « La transposition du test des trois étapes en droit français», Recueil Dalloz 2006 p. 2164.

Hart, M. et Holmes, S., “Implementation of the Copyright Directive in the United Kingdom”, E.I.P.R. 2004, 26(6), 254-257.

Jehoram, H., “Is there a hidden agenda behind the general non-implementation of the EU three-step test?”, E.I.P.R. 2009, 31(8), 408-410.

Koelman, K., “Fixing the three step test”, E.I.P.R. 2006, 28(8), 407-412.

Textes Officiels

Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886.

Copyright Designs and Patents Act 1988

Traité OMPI dur les droits d’auteur du 20 décembre 1996

Directive 2001/29/CE relative au droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information du 22 mai 2001

Copyright and Related Right Regulations 2003, SI 2003/2498

Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 (loi DADVSI)

Décisions

Affaire 6/64, Costa c ENEL, 1964 ECR 585

Cass. 1re civ. 28 févr. 2006.