Le concept d’originalité dans la législation française du droit d’auteur et dans celle du copyright anglais par Laura DORSTTER

L'originalité est depuis longtemps clairement établie comme condition fondamentale de protection d'une œuvre intellectuelle en France et en Angleterre. Pourtant, la Cour de cassation et la Chambre des lords en ont une vision tout à fait différente. En effet, la jurisprudence française considère que l'originalité d'une œuvre est établie dès lors qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Les juges anglais, eux, distinguent l'originalité d'une œuvre par des critères plus précis: l'œuvre ne doit pas avoir été copiée, et l'auteur doit avoir investi du travail, de la compétence ou un certain effort dans la réalisation de celle-ci.

La doctrine a tendance à opposer de façon brutale le « droit d'auteur » des pays de droit civil, au « copyright » des pays de Common law. Aujourd'hui, bien que des différences apparentes résident entre certaines notions fondamentales, en pratique, ce soit disant fossé juridique s'estompe nettement.

L'originalité, condition première de protection d'une œuvre intellectuelle dans les deux systèmes, est au cœur de ce débat. En effet, les juristes français critiquent vivement la conception anglaise d'« originality », la considérant bien trop permissive. Il est facile d'arriver à cette conclusion lorsqu'on s'arrête aux seules définitions de cette notion données par les tribunaux. Pourtant, lorsque l'on regarde en détail l'application de la condition d'originalité, ces différences ne paraissent plus si évidentes.

I. Des conceptions a priori opposées

Si en droit d'auteur, on considère que l'originalité d'une œuvre est constituée par la marque de la personnalité de son auteur, pour le copyright, l'intérêt est porté sur le travail et l'effort fourni par l'auteur lors de la réalisation de son œuvre.

A – L'empreinte de la personnalité de l'auteur

En France, l'article L 112-1 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) dispose que «le présent code protège les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit ». En effet, le législateur entend protéger les œuvres de l'esprit le plus largement possible. Afin d'apporter quelques précisions quant à ce qui est considéré comme une œuvre de l'esprit, et d'illustrer la notion, les articles L 112-2 et suivant du CPI établissent une énumération non exhaustive, en distinguant les œuvres premières (livres, brochures, photos, la peinture, les œuvres d’architecture…), les œuvres dérivées créées à partir d'une œuvre première (traductions, adaptations...), et les titres originaux des œuvres.

Pourtant le législateur n'apporte aucune définition précise des œuvres concernées et aucune disposition du CPI ne nous permet d'établir les conditions de fond requises pour accéder à la protection.

C'est donc la jurisprudence qui est venue poser la condition essentielle d'originalité, requise pour toute œuvre de l'esprit afin d'obtenir la protection du droit d'auteur. Ainsi, la plupart des arrêts adoptent une approche classique et considèrent que l'originalité s'entend comme « le reflet de la personnalité de l'auteur »(C. Cass. ch. commerciale 25 mars 1991)ou encore « l’expression ou l’empreinte de la personnalité du créateur », « l’empreinte du talent créateur personnel » (C. Cass. civ. 1re, 13 novembre 1973 ).

Cette notion peut paraître très incertaine, mais la Cour de Cassation a adopté une position nécessairement floue car chaque auteur a sa propre personnalité et l'originalité requise variera également selon chaque œuvre en question. La doctrine, afin de mieux cerner cette notion, l'oppose à « la banalité » (« Propriété littéraire et artistique », Pierre-Yves Gautier) , et considère qu'elle « oscille entre mérite et nouveauté ». Cette notion demeure donc nécessairement très abstraite et semble être appliquée de plus en plus largement.

En effet, l'arrêt dit « Paradis » rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 13 novembre 2008 (pourvoi n° 1108) reconnaît le caractère original de l'inscription du mot « paradis » en lettres dorées « au-dessus de la porte des toilettes de l’ancien dortoir des alcooliques d'un établissement psychiatrique ». Alors que les demandeurs avancent que « l’originalité d’une œuvre ne saurait se déduire de choix matériels effectués par l’auteur sur des éléments préexistants », la Cour de cassation rejette le pourvoi considérant au contraire que les choix esthétiques effectués par l'auteur (« l’apposition du mot paradis en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s’écaille ») traduisaient sa personnalité. Il semble donc que dès lors que la personnalité de l'auteur est décelable par le choix qu'il a effectué, l'originalité est reconnue. Cela paraît contestable « dans la mesure où tout choix n'est pas, par essence, original » (« Starway to heaven: l'affaire Paradis », Valentin). Les prochains arrêts seront donc déterminants car ils permettront d'affirmer ou non la tendance à l'extension du champ de protection par le droit d'auteur.

B – Travail, compétence ou jugement

En Angleterre, la notion d'originalité a été introduite comme condition de protection dès 1862 dans le Fine Art Copyright Act pour les peintures, dessins et photographies, et est devenue une obligation légale plus générale en 1911, réaffirmée en 1988 par le Copyright Designs and Patent Act (CDPA) de 1988.

On peut dès à présent constater que si l'originalité est une notion fondamentale en droit de la propriété intellectuelle en France, aucune disposition légale de la sorte n'existe, excepté pour les titres des œuvres (Article L 112-3 du CPI), ce qui pourrait laisser penser que le droit anglais lui accorde une place plus importante comme critère de protection. Mais en pratique, il apparaît que le seuil d'originalité imposé par la loi anglaise est bien plus bas que celui imposé que les tribunaux français.

En effet, la section 1(1) du CDPA dispose que « le « copyright » est un droit de propriété qui subsiste dans les œuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques originales, les enregistrements sonores, films et émission, (...) ». Le législateur procède donc par l'énumération exhaustive des œuvres protégées, et distingue les œuvres de première catégorie, qui doivent être originales, des œuvres de deuxième catégorie, les « entrepreneurial works » qui sont protégées « à moins qu'elles ne soient directement copiées d'une œuvre antérieure du même genre » (Section 5A(2), 5B(4) et 8(2) du CDPA, 1988.).

Ainsi, alors que « toute œuvre de l'esprit » doit être originale pour obtenir une protection selon la jurisprudence française, en Angleterre, seules les œuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques doivent être originales pour bénéficier de la protection du « copyright » (au fil des années, il semble également que les films soient implicitement rentrés dans cette catégorie ).

Par ailleurs, aucune précision n'est apportée quant au sens du terme « originalité » dans le CDPA.

La Chambre des Lords a donc été amenée à le définir.

Premièrement, dans l'arrêt University of London Press v. University Tutotial Press de 1916, Lord Peterson explique que « le mot « original » ne signifie pas que l’œuvre doit être l'expression d'une pensée originale ou inventive (...). L’œuvre ne doit pas être copiée d'une autre œuvre, et doit émaner de son auteur ». Le juge met l'accent sur le fait que le mot « original » doit être compris d'une façon bien particulière: aucun intérêt n’est porté au fait que l’œuvre est inventive, nouvelle ou unique. On s'intéresse à l'auteur de l’œuvre; il doit l'avoir créée, et non copiée.

Puis, dans l' arrêt de 1964, Ladbroke v. William Hill, Lord Peterson définit la notion d'originalité plus précisément tout en reprenant le premier critère dégagé. Ainsi, pour qu'une œuvre soit considérée comme originale, elle doit émaner de l'auteur, et un certain degré de « travail, compétence ou jugement » doit avoir été entrepris dans la création de l’œuvre.

Cependant, bien que la formule « travail, compétence ou jugement » caractérise le test effectué par les tribunaux anglais pour déterminer si une œuvre est originale, il est important de signaler que les termes « capital », « effort », « connaissance », « ingéniosité », ou encore « investissement » ont également été utilisés à différentes occasions, ce qui laisse la loi bien incertaine.

D'ailleurs, dans l'arrêt Macmillan v. Cooper de 1923, le juge souligne le fait que « l'originalité dépend des faits de chaque affaire ».

Cette position a fait bondir la doctrine et les juristes français, qui considèrent que cette approche reflète étroitement la vision américaine du « sweat of the brow » (« sueur du front »), qui récompense avant tout le travail fourni lors de la création d'une œuvre, et non son caractère original. On constate facilement la différence d'interprétation dans les deux pays. Si les juges français attendent de l'œuvre à protéger qu’elle soit caractérisée par l’empreinte de la personnalité de l’auteur, les juges anglais, eux, prêtent plus attention à la réalité de son effort et de son travail.

William Cornish, ancien professeur de droit de la propriété intellectuelle à l'université de Cambridge et David Llewelyn, professeur à l'université de King's College à Londres, défendent la position anglaise: selon eux, dégager des critères objectifs à partir desquels les juges déduisent s'il y a protection ou non par le copyright réduit de façon considérable les « jugements subjectifs et incertains ».

C – Les titres

Enfin, l'une des différences les plus prononcées concerne les titres des œuvres littéraires et artistiques. En France, l'originalité est une condition légale de protection des titres des œuvres (Article 112-3 CPI). En Angleterre, la protection des titres a été expressément exclue par la jurisprudence. Ainsi dans l'arrêt Francis Day & Hunter v. 20th Century Fox de 1940, la Chambre des Lords a considéré que le titre du film « The man who broke the bank in Monte Carlo » était trop court pour être protégé (la protection n’est accordée que pour ce qui a nécessité une certaine quantité de travail). Les tribunaux français auraient adopté une position différente.

II. Des points de convergence: vers une réconciliation des deux systèmes

Bien que ces différences semblent opposer radicalement le système français au système anglais, il est nécessaire de remarquer les points de similitude importants, ainsi que certains développements récents du droit européen qui ont rapproché les deux notions, et leur application.

A – L'objet de l'originalité

S'il y a un point où les juridictions françaises et anglaises semblent en parfait accord, c'est sur l'objet de l'originalité et la dichotomie « idée/expression ». En effet, il est largement admis des deux côtés de La Manche que le droit d'auteur et le copyright ne protègent pas les idées originales mais leur forme d'expression lorsqu'elles sont originales. Ainsi, « le code de la propriété intellectuelle ne protège pas les idées exprimées mais seulement la forme originale sous laquelle elles sont présentées » (Civ 1ère, 25 mai 1992). La même règle a été dégagée en Angleterre, et réaffirmée à plusieurs occasions (Kenrick v. Lawrence, 1890; Designers Guild v. Russell Williams, 2000).

Cela s'explique par le fait que protéger les idées reviendrait à brider la créativité et la liberté d'expression. Or, cette question est primordiale puisqu'elle détermine la portée de la protection accordée. Ainsi, on ne protège pas l'idée d'une histoire d'amour entre deux personnes appartenant à deux familles « ennemies », mais son expression originale: « Roméo et Juliette », « The notebook »...

B – L'indifférence de la qualité de l'œuvre

De plus, les œuvres originales sont protégées en France et en Angleterre, quelle que soit leur qualité. En effet, l'article L 122-1 du CPI dispose que « les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit (...) quel que soit leur mérite ». Les juges anglais ont également dégagé cette règle dans l'arrêt Université of London Press v. University Tutorial Press en tentant de définir ce qu'est une œuvre littéraire: la protection par le copyright est accordée à tout travail écrit, « peu importe si le style est recherché et la qualité élevée ». En effet, les juges ne veulent pas avoir à décider ce qui est « bon », ou esthétique, et ce qui ne l'est pas puisqu' ils n'ont pas la compétence pour le faire.

Mais ceci n'a pas empêché les juges anglais d’avoir recours, au cas par cas, à des critères complémentaires tenant à la qualité de l’œuvre. En effet, dans l'arrêt Hollinrake v. Truswell de 1894, ainsi que dans l'arrêt Exxon v. Exxon de 1982, les juges ont déclaré qu'une œuvre littéraire devait apporter « une information, des instructions, ou du plaisir ».

Ainsi, la critique traditionnelle française selon laquelle le droit anglais protège trop largement les « œuvres », en ne s'appuyant que sur la seule notion de travail ne paraît plus tout à fait fondée. Il apparaît en effet que beaucoup d'autres critères rentrent en compte. De plus, s'il est vrai que les juges anglais se fondent sur le test de « labour, skill or judgement », dans l'arrêt Merchandising Corporation of America v. Harpbond de 1983, ils ont clairement refusé de protéger les peintures sur visage, considérant que le travail fourni était trop insignifiant. Certains professeurs comme Bently et Sherman y voient là une exception.

C – Les programmes d'ordinateur et les bases de données

Enfin, depuis l'avènement des nouvelles technologies d'information et de communication, la jurisprudence française et anglaise se sont radicalement rapprochées.

Ainsi, concernant, les programmes d'ordinateur, la Cour de Cassation a adopté une approche beaucoup plus subjective du concept d'originalité. En effet, dans l'arrêt Pachot de 1986, les juges français ont consacré un test d'originalité beaucoup plus proche de la conception anglaise d'« originality ». L’assemblée plénière a décidé que « le logiciel doit être examiné en fonction de l’apport intellectuel de l’auteur et rechercher si celui-ci a fait preuve d’un effort personnalisé ». On remarque tout de suite que l'accent est porté sur « l'accomplissement d'un travail individuel et intellectuel », et non sur la personnalité de l'auteur. La Cour de cassation s'est donc nettement rapprochée de la position anglaise.

Depuis, les directives européennes sur la protection des programmes d'ordinateur de 1991 et des bases de données de 1996, ont également voulu éclaircir cette notion et ont donné une nouvelle interprétation du caractère original requis pour leur protection, considérée comme étant plus proche de la définition française d'originalité.

L'article 1-3 de la directive 91/250/CEE du Conseil dispose que « un programme d'ordinateur est protégé s'il est original, en ce sens qu'il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer s'il peut bénéficier d'une protection ». Cependant, il n’a pas été jugé nécessaire en Angleterre d’adapter la loi anglaise sur ce point car il a été considéré que l’exclusion par le droit anglais de la simple copie nécessitait bien une part de cette « création intellectuelle », laquelle n’impliquait pas explicitement la nécessité de la marque du talent ou de la personnalité de l’auteur.

L'article 1-3 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil dispose également que « les bases de données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées comme telle par le droit d'auteur. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de cette protection ». Contrairement aux programmes d'ordinateur, l'Angleterre a adopté une nouvelle position, nécessairement plus « occidentale ». Ainsi, depuis sa transposition dans l'ordre juridique anglais, la définition européenne a été reprise dans le CDPA de 1988, et les bases de données ne sont protégées que si elles représentent « the author's own intellectual creation ».

Les juridictions françaises et anglaises ont ainsi fait un pas vers l'autre, réduisant nettement les différences dans leur conception de la notion d'originalité, et ainsi dans les œuvres qu'elles protègent.

En réalité, la différence de définition du concept d’originalité entre les droits français et anglais s’explique aussi par la différence des droits accordés par le droit d’auteur et le copyright.

Le droit d’auteur français accorde en effet à l’auteur un droit moral (droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre) et un droit patrimonial (droit exclusif d'exploitation) et protège donc la création alors que le copyright a pour principal objectif, comme l’étymologie du mot l’indique, de protéger le détenteur du droit de copie contre toute reproduction du support matériel de l’œuvre.

Il est dès lors naturel que les critères d’originalité du droit français soient plus orientés sur la qualité intrinsèque de l’œuvre et ceux du droit anglais sur des critères plus économiques.

Bibliographie:

Code de la Propriété Intellectuelle Commenté 2008, édition Dalloz. Copyright Designs and Patent Act 1988 Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données “Blackstone's Statutes on Intellectual Property”, 9e édition, de Andrew Christie et Stephen Gare “Intellectual Property Law”, 3e édition, de Lionel Bently et Brad Sherman “Intellectual Property: Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights”, 6e édition, de W. Cornish et D. Llewelyn “Propriété littéraire et artistique”, 6e édition, de Pierre-Yves Gautier “Droit d’auteur et copyright : quelles relations ? » par Michel Vivant, disponible en ligne: http://droit-internet-2001.univ-paris1.fr/pdf/vf/Vivant_M.pdf “Copyright v. droit d'auteur” par Christophe Espern, disponible en ligne: http://www.invention-europe.com/Article114.htm « Originalité en droit d'auteur v. Originality in copyright » disponible en ligne: http://p-l-atitudes.blogspot.com/ “Droits d'auteur et base de données, logiciel », disponible en ligne: http://www.pifrance.com/propriete-intellectuelle.php?item=15 L'arrêt « Paradis » du 13 novembre 2008, disponible en ligne: http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_56...« La dissociation de l’originalité et de l’empreinte de la personnalité de l’auteur pour protéger une œuvre », par Yves Léopold Kouahou, Doctorant, disponible en ligne: http://www.village-justice.com/articles/dissociation-originalite-emprein... « Starway to heaven: l'affaire Paradis » disponible en ligne: http://p-l-atitudes.blogspot.com/2008/11/starway-to-heavenlaffaire-parad...