Le concept de "l'école des fans" a-t-il valeur d'œuvre ? - A propos d'un arrêt du Bundesgerichtshof par Kian TAWADJOH
La similitude des programmes télévisuels dans les pays européens et aux Etats-Unis trouve son origine dans un marché international du format d’émission. Ces « formats » sont très attractifs pour les diffuseurs. Dans un arrêt du 26 juin 2003, le Bundesgerichtshof (BGH) s’est prononcé sur la qualité à accorder au « format » d’émissions de divertissement. Il a refusé de le protéger par le droit de la propriété intellectuelle, se distinguant des positions défendues par d’autres juges en Europe, notamment en France. Il est alors intéressant d’étudier plus en détail le concept de « format » et la valeur que lui est accordée. Aussi le BGH, avec cette décision, s’oppose-t-il à une tendance plus générale observée en droit d’auteur. Bundesgerichtshof vom 26/06/2003, IZR 176/01 – Sendeformat
La fin des monopoles étatiques concernant la radio et la télévision s’est accompagnée de changements profonds des paysages audiovisuels des pays qui ont libéralisé ce domaine. La naissance de chaînes privées, le développement de nouvelles techniques de diffusion ou encore la multiplication du nombre de chaînes reçus ne sont que des exemples des changements intervenus depuis. Caractéristique de la libéralisation de ce domaine est la concurrence très grande qui existe entre les différentes chaînes de télévision, concurrence qui est d’autant plus importante que le nombre de chaînes qui se disputent le spectateur augmente quasiment de jour en jour. Dans ce marché très concurrentiel ce sont en première ligne les séries télévisées ainsi que les émissions de divertissements qui permettent aux chaînes, tout en gardant des coûts de production raisonnables, d’acquérir des parts de marché relativement importantes. Or ces taux d’audience se traduisent par une valeur économique proportionnelle : il faut donc aux chaînes trouver le bon produit, le bon format. Lorsque l’on compare les différents programmes de télévision européens et américains, plus particulièrement les émissions de divertissement on retrouve dans le « top five » des différents pays des titres qui nous sont tous familiers des programmes télévisuels francais. « ¿ Quiere ser millionario ? » (Espagne), « Deutschland sucht den Superstar »(Allemagne), « I’m a Celebrity - Get Me Out of Here »(Grande-Bretagne), « Attention à la Marche » (France) ou encore « Survivor : Thailand »(Etats-Unis). Les émissions citées sont diffusées dans cinq pays différents mais un équivalent existe dans chacun des pays et dans beaucoup d’autres. Ces émissions présentent donc une très grande mobilité transfrontalière, mais contrairement aux séries télévisées, dont c’est l’original qui est importé et diffusé, pour les émissions de divertissements, c’est le concept qui l’est. Ici nous allons nous intéresser à la valeur juridique qui est accordée à ces « formats » et à la justification juridique du point de vue du droit de la propriété intellectuelle. Le « format » d’émission correspondant à la structure qui est retrouvée de façon identique dans les différents épisodes. Pour fondement à cette étude servira un arrêt du Bundesgerichtshof (BGH), la Cour de cassation allemande, du 26 juin 2003, l’arrêt « Sendeformat ». Dans celui-ci le BGH se prononce contre une protection par le droit d’auteur des « formats » d’émissions de divertissement. Cet arrêt s’est trouvé critiqué par une grande partie de la doctrine allemande relativement à la valeur accordée par la Cour aux « formats » d’émissions de divertissements. De plus par son résultat cet arrêt s’oppose à la tendance générale en ce domaine juridique qui consiste à élargir de plus en plus son domaine d’application. Il convient donc tout d’abord de brièvement relater les faits à l’origine de l’arrêt. Ensuite il faut s’intéresser à la notion de « format » avant de pouvoir étudier sous un angle comparatif l’arrêt du BGH par rapport aux positions et argumentations présentes dans la jurisprudence française. Enfin pourra-t-on considérer les conséquences et intérêts de cet arrêt.
L’arrêt concerne le « format » de l’émission de divertissement française « L’école des fans ». Chacune des émissions est centrée sur plusieurs enfants entre 4 et 6 ans et un chanteur célèbre. Chaque enfant est questionné par le modérateur, ensuite il chante une chanson puis sera noté par les autres enfants. Pendant la performance de chacun, la caméra pivote entre l’enfant et ses parents et proches qui se trouvent parmi le public présent dans la salle. A la fin de l’émission l’invité célèbre performe également une de ses chansons puis distribue des cadeaux aux enfants. La plaignante, qui a acquis les droits exclusifs de cette émission de la SARL Jacques Martin – Production, a considéré que le « format » de cette émission était protégé par le droit de propriété intellectuelle. Elle a par ailleurs estimé que l’émission « Kinderquatsch mit Michael » constituait un plagiat de ce « format » de diffusion, n’ayant pas seulement repris le même type d’animateur, mais également le déroulement de l’émission, les prises de vue de la caméra ainsi que le rythme de l’émission. La plaignante a requis que l’accusée soit condamnée à s’abstenir de diffuser l’émission « Kinderquatsch mit Michael ». L’accusée a quant à elle contesté la possibilité de protéger le « format » de « l’école des fans » ainsi que son imitation par le droit de la propriété artistique. La plainte fut rejetée par toutes les instances.
La valeur du « format » était donc la question centrale. Nous l’avons évoqué dans l’introduction : la similarité des programmes est le produit d’un marché international des « formats » d’émission. Cet intérêt croissant pour le « format » d’émission et donc l’extension du marché correspondant est fondé sur deux raisons principales. D’une part une question de coûts : il est bien moins cher d’acheter un « format » d’émission (voir ci-après le « format package ») que d’investir temps et personnel dans l’élaboration d’un « format » nouveau. D’autre part il y a une diminution du risque de « flop » importante. Acheter un « format » qui a déjà fait ses preuves dans un autre pays présente une probabilité de succès qu’un nouveau « format » ne peut apporter. Quant aux différentes attentes entre téléspectateurs des différents pays européens et américains celles-ci existent mais peuvent facilement être prises en compte par des modifications marginales. Le terme de « format », tel qu’il est employé, est un terme qui trouve son origine dans le milieu des médias. Comme le constate le BGH dans son arrêt. Ce terme a trouvé entrée dans la discussion en matière de propriété artistique via les discussions relatives à la protection des « formats » d’émission. Il est donc intéressant de considérer à quoi ce terme fait référence dans son contexte originel. Dans ce contexte le terme est retrouvé en langue anglaise (qui est la langue majoritairement employée dans le commerce télévisuel transfrontalier) dans les expressions « paper format », « programme format » et « format package ». Les deux premières expressions correspondent à deux étapes successives dans le passage d’une idée au produit fini. Le « paper format » correspond à la mise par écrit sous forme de concept élaboré de l’idée de base. Cette forme écrite n’est néanmoins qu’une forme de transition vers le « programme format » qui correspond à la production de l’émission qui sera diffusée. Enfin le « format package » est le produit qui sera proposé sur le marché international de la télévision. Il comprend outre le concept (qui sera matérialisé par des émissions déjà diffusées dans le pays d’origine), la « production bible » (qui est le plan de production permettant de profiter de l’expérience acquise au cours de la production de l’émission originale) et encore la « ratings bible » (qui correspond aux taux d’audiences dans les différentes catégories de téléspectateurs). Dans son arrêt « Sendeformat », le BGH procède à une définition précise de ce qu’il entend par « format ». Il s’agit de l’ensemble des caractéristiques qui sont capables de donner une structure de base aux différents épisodes d’une émission, indépendamment du contenu de chacun, et de ce fait permettent au téléspectateur de l’identifier comme partie d’une suite d’émissions. Il énumère alors un certain nombre d’éléments possibles, tels que titre, le déroulement général, certains participants, la manière de la modération, l’éclairage ou encore les prises de vue. En donnant cette définition du « format » le BGH reconnaît que le « format » d’une émission de divertissement correspond au concept de celle-ci et que ce concept se réalise dans l’émission de divertissement. Ce concept est donc une unité formée par des éléments de forme et de contenu. D’un point de vue terminologique on peut noter ici que le juge allemand parle de « format » alors que son homologue français emploi le terme de « concept » ou de « format-concept ».
Aux yeux du BGH ce « format » n’est donc qu’une sorte de conteneur vide dans lequel chacune des émissions est coulée. Il compare d’ailleurs le format d’une émission de divertissement à un « plan » ou encore des « instructions de réalisation ». Sans méconnaître la possible qualité individuelle et particulière à cette performance il n’y voit pas le résultat d’un modelage créateur d’un sujet particulier (« das Ergebnis der Gestaltung eines bestimmten Stoffes »). La position adoptée par la jurisprudence française en ce domaine est différente. Celle-ci, aussi, considère le « format » comme suite logique de l’idée non protégée. Dans un arrêt du TGI de Paris du 3 janvier 2006 relatif à une émission diffusée sur France 2 (« Code de la route : le grand examen »), celui –ci reprend la définition du « format » protégeable tel qu’élaboré par les professionnels de l’audiovisuel. Pour le TGI le « format » afin d’être protégé doit correspondre à une mise en forme de l’idée ainsi que présenter le critère d’originalité. Or ce dernier est de plus en plus vague. On est passé, par nécessité (en raison de l’extension des domaines et activités protégés par le droit de la propriété intellectuelle), d’une conception subjective de l’originalité (l’empreinte de la personnalité de l’auteur), à une conception plus objective (l’apport intellectuel). Le TGI précise dans son arrêt qu’un « format » protégeable doit outre l’idée comprendre « le titre, la configuration d’un programme de télévision, la structure et l’enchaînement de l’émission ». Ce raisonnement relatif au « concept » d’émission et à la valeur qui lui est accordée fut déjà employé par le TGI de Paris dans le jugement Chemouny contre la Société Tf1 du 30 juin 1999. Le juge refuse de protéger un « concept » d’émission constitué par la découverte d’un numéro de téléphone au terme d’une série de questions alors que titre d’émission, mise en scène, type de candidats sont différents. On voit à travers ces deux jurisprudences malgré une définition comparable du « format » d’émission une conclusion différente. Le BGH refuse de façon catégorique de reconnaitre la qualité d’œuvre protégeable par le droit de la propriété littéraire et artistique à un « format » d’émission de divertissement. Alors que fondé sur une définition comparable (énumération d’un certain nombre d’éléments constitutifs du cadre et du contenu), le juge français y voit une œuvre originale pouvant être protégée. Néanmoins cette position du juge français n’est pas aussi affirmée qu’il n’y parait. Xavier Daverat, commentant un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 11 mars 1993, voit dans le rapprochement du « concept » d’émission de l’œuvre audiovisuelle par le juge du fond une attitude « plus laxiste sur les critères d’accès à la protection quand l’attitude incriminée est caractérisée ». Dans cette affaire la réutilisation des éléments caractéristiques a été faite sans aucun effort de différenciation.
Cette différence d’appréciation est également présente concernant la notion de « concept ». Le juge français a notamment considéré que ne pouvait être repris, même en le modifiant, un « concept » d’émission de télévision (Cass. Com. Du 7 février 1995, Société Tf1 contre Société Antenne 2). Les définitions données aux termes « format » et « concept » dans le cadre des émissions de télévisions par le juge allemand et français sont comparables. Ce qui diffère est la prise en compte de l’effort individuel du créateur du « concept » / « format ». Pour le juge français cette démarche intellectuelle mérite considération, donc protection. Le juge allemand défend lui une position complètement opposée à celle, notamment défendu par le juge français dans le jugement TF1 contre Antenne 2. Pour lui ce n’est pas le rôle du droit de la propriété intellectuelle de protéger des œuvres uniquement contre leur utilisation comme modèle pour la réalisation d’autres sujets (« gegen ihre bloße Benutzung als Vorbild zur Formung anderer Stoffe »). La protection qui est donc plus facilement accordée en France ou dans d’autres pays (notamment en Grande-Bretagne ou en Espagne) repose sur des exigences moins élevées. Comme l’exprime Norbert P. Flechsig, le raisonnement appliqué pour protéger le « format » d’émission par le droit de la propriété intellectuelle n’est pas très convaincant. Le juge étranger (au système allemand) n’explique pas de façon suffisamment claire où réside le caractère particulier du « format » d’émission en tant que création artistique. Flechsig suppose par ailleurs que cette argumentation ne fait que dissimuler le besoin de protection des coûts de développement et d’investissement. Or comme il le précise justement ce n’est pas le rôle du droit de propriété intellectuelle que de protéger de telles prestations économiques. Néanmoins ce refus général de protéger le « format » d’émissions de divertissement par le droit de la propriété intellectuelle ne doit pas être considéré comme absolu. En effet des réalisations artistiques au sein de ce type d’émissions peuvent être protégées. Selon l’arrêt « Sendeformat » cela semble, pour le BGH, toutefois n’être le cas que pour des créations d’univers fictifs dans le cadre desquelles les épisodes de l’émission se déroulent. Parmi les critiques que l’arrêt a provoquées de la part de la doctrine allemande, ce point fut l’une des cibles. En effet une création personnelle et intellectuelle ne suppose pas forcément qu’un univers fictif soit créé. Est également questionné dans quelle mesure des « formats » d’émissions de divertissement n’élaborent pas par nature un univers fictif tel que le requiert le BGH pour être protégés. Autre critique exprimée à l’égard de l’arrêt concerne la formule : instruction, détachée du contenu, pour l’élaboration de sujets comparables (« vom Inhalt losgelösten bloßen Anleitung zur Formgestaltung gleichartiger Stoffe »). Cette formulation par sa nature abstraite doit pouvoir être utilisé comme « Obersatz », c'est-à-dire pouvoir être utilisé pour déterminer la qualité d’un fait par son possible rattachement ou non à cette formulation légale. Or en l’occurrence peuvent être qualifié à la lumière de cette formulation des œuvres qui sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle, tels que les instructions données par un réalisateur de films ou un chorégraphe alors que ces catégories sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle. Le BGH s’est montré maladroit ici, la formulation perdant tout son sens en dehors du cadre télévisuel.
La portée et l’intérêt de l’arrêt « Sendeformat » sont multiples. Dans un marché international du « format » d’émissions de divertissement se pose tout d’abord la question : quelle loi et donc quelle protection sont appliquées à des « formats » d’émissions de divertissement générés à l’étranger (donc notamment en France) et utilisés en Allemagne ? C’est le droit international privé allemand qui est applicable aux situations dans lesquelles des biens immatériels sont utilisés en Allemagne lorsque se pose la question de leur protection par le droit de la propriété intellectuelle. Or selon ce dip la réponse à cette question est à chercher dans le droit allemand relevant. De ce fait des références à l’étranger pour la reconnaissance de créations artistiques sont exclues. Ce qu’avait notamment été avancé par la plaignante dans l’arrêt « Sendeformat ». Mais cet arrêt présente un intérêt plus large. Il s’oppose à une tendance générale en droit de la propriété intellectuelle qui vise à protéger des biens présentant une valeur économique importante par ce droit alors que ces biens sont à la frontière de ce qui peut être qualifié d’œuvre protégeable par ce droit. Cette tendance générale est justifiée de la même façon que l’est l’emploi du brevet. La protection des œuvres et les droits qui en découlent pour leur auteur représentent un encouragement à la création de nouvelles œuvres. La communauté profite donc d’un plus grand choix, d’une plus grande diversité Ici l’application de ce raisonnement est plus que questionnable. L’uniformisation des programmations télévisuelles dans les pays européens et aux États-Unis ces dernières années ne valide pas cette logique. Le BGH s’est prononcé en faveur de l’intérêt de la communauté au détriment de celui des diffuseurs. Prévaut pour lui le libre emploi du format d’émission de divertissement et non la protection de l’intérêt économique.
Bibliographie
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Sur une « généralisation » du droit d'auteur Xavier Daverat, La Semaine Juridique Edition Générale n°52, 24 Décembre 1997