Le droit des biens, droit commun de la propriété intellectuelle ? - Regard franco-allemand sur un article de Christophe Caron, par Thomas Lemieux

En 2004, le professeur Christophe Caron étudiait, dans un article, les rapports qu’entretiennent droit des biens et droit de la propriété intellectuelle. Il se demandait ainsi si le droit des biens pouvait être considéré comme le droit commun de la propriété intellectuelle. Cette question fondamentale en droit français ne l’est pas moins en Allemagne. Cet article se propose d’analyser, à partir de l’article du Professeur Caron, les réponses apportées à la question en France et en Allemagne.

« La propriété littéraire est une propriété » a écrit Alphonse Karr au XIXe siècle dans sa revue satirique Les Guêpes. A première vue, la lapalissade est parfaite. On peut sourire. Mais dans l’ombre du truisme se cache l’une des questions fondamentales de la propriété intellectuelle : les droits d’auteur, des dessins et modèles, des brevets et des marques, souvent dénommés propriétés, ont-ils quelque chose à voir avec la propriété du droit des biens ? N’y a-t-il pas usurpation de terme juridique ?

Cette question se pose depuis longtemps. Dès les lois révolutionnaires de 1791 et 1793, le législateur employa le terme propriété pour désigner le droit accordé aux inventeurs et aux auteurs. Aujourd’hui le terme propriété intellectuelle couvre également le droit des marques et le droit des dessins et modèles. Cependant, malgré l’utilisation d’un terme qui renvoie au droit des biens, le droit de la propriété immatérielle a évolué en dehors du giron du Code civil comme le prouve la création en 1992 du Code français de la propriété intellectuelle. Dans un article paru à l’occasion du bicentenaire du Code civil français, un auteur rappelait que « s’agissant de l’immense majorité des créations immatérielles, ces questions sont réglées sans recours au code civil. » (REVET Th., « Le Code civil et le régime des biens : questions pour un bicentenaire », Dr. et patr., mars 2004, p. 20 cité par PASSA J., Traité de droit de la propriété industrielle, T.1, LGDJ, 2e édition, 2009, p. 14.).

Ainsi les rapports entre les deux droits n’apparaissent pas clairement. Si l’utilisation du terme propriété semble plaider pour une certaine unité entre le droit des biens et le droit de la propriété intellectuelle, l’évolution distincte de ces deux domaines laisse au contraire penser qu’il s’agit véritablement de deux matières différentes.

C’est avec cette problématique des rapports entre droit de la propriété intellectuelle et droit des biens qu’a voulu se confronter le professeur et avocat Christophe Caron, dans une étude parue elle aussi l’année du bicentenaire du Code civil et intitulée : « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle » (CARON C., « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle », JCP 2004 I n° 162).

Dans une perspective de droit comparé, il sera intéressant de voir comment la doctrine allemande répond aux interrogations évoquées par Christophe Caron. Cela permettra d’éclairer la position du droit allemand sur la question des relations entre droit des biens et droit de la propriété intellectuelle.

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Dans sa première partie, le professeur Caron affirme que le droit des biens peut être considéré comme le droit commun de la propriété intellectuelle. Pour cela il s’appuie sur des arguments qui veulent démontrer qu’il existe en droit de la propriété intellectuelle comme en droit des biens, sur l'objet protégé, non seulement un pouvoir de droit mais aussi un pouvoir de fait.

Avant d’analyser les rapports entre sujet et objet de droit, l’auteur pose tout d’abord la question de la qualification de chose. Peut-on qualifier les œuvres de l’esprit, les marques et inventions de choses ? La question semble ne pas poser beaucoup de difficultés. Le Professeur Caron l'affirme : « une personne est susceptible d’exercer un pouvoir sur une chose appropriée qui sera immatérielle ». L’auteur rappelle d’ailleurs que cela était déjà admis du temps des romains.

En Allemagne l’approche est différente. L’article fondamental du droit de la propriété est le § 903 du BGB (le code civil allemand). Ce § énonce que seules les Sachen (biens) sont susceptibles d’être appropriés. Et le BGB a défini le terme juridique de Sachen. Au § 90 BGB il est clairement énoncé : « Sachen im Sinne dieses Geseztes sind nur körperliche Gegenstände » (une traduction serait : au sens de cette loi ne sont des biens que les choses corporelles). Le BGB exclut donc de tout rapport de propriété les choses qui n’ont pas une existence matérielle.

Il faut d’ailleurs rappeler ici que le droit allemand n’utilise véritablement le terme de geistiges Eigentum (propriété intellectuelle) que du bout des lèvres. Ainsi, la plupart du temps, on ne parle pas de propriété littéraire et artistique mais de Urheberrecht (droit d’auteur) et pas de propriété industrielle mais de gewerblicher Rechtsschutz (protection juridique industrielle). Car l’utilisation du terme Geistiges Eigentum est très vivement critiquée par certains auteurs (Par exemple REHBINDER M., Urheberrecht, C. H. Beck 14e édition, 2006, p. 41, n° 97), même si cette pensée est minoritaire. La plupart des auteurs, que nous retrouveront par la suite, s’accordent pour reconnaître qu’il existe bien entre l’auteur et son œuvre, l’inventeur et son invention, le titulaire de la marque et la marque des rapports de droit qui peuvent être qualifiés de propriété.

« Mais s’agit-il encore de propriété au sens classique du terme » s’interroge Christophe Caron ? La réponse, selon cet auteur, devrait être positive ; la propriété intellectuelle contient des éléments qui peuvent être comparés à ceux de l’article 544 du Code civil. Ainsi le droit de jouir de la chose de l’article 544 CC correspond en propriété intellectuelle à la possibilité d’exploiter la chose immatérielle. Quant à la possibilité de cession des biens incorporels, Christophe Caron l’analyse comme le droit de disposer prévu par l’article 544 CC. Enfin le caractère absolu de la propriété se retrouve bien dans l’opposabilité erga omnes des droits de propriété intellectuelle.

Cependant certains auteurs considèrent que l’on ne peut pas réduire la propriété intellectuelle à la propriété de l’article 544 CC. En effet la propriété littéraire et artistique contient des prérogatives de droit moral qu’on ne retrouve pas du tout dans la propriété du droit des biens. Ainsi Pierre-Yves Gautier préfère définir le droit d’auteur comme un monopole accompagné d’un droit moral (GAUTIER P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF Droit, collection droit fondamental, 7e édition, 2010, p. 27-28).

En droit allemand un auteur a analysé les caractéristiques du droit de la propriété intellectuelle par rapport au droit des biens (JÄNICH V., Geistiges Eigentum – eine Komplementärerscheinung zum Sacheigentum ?, Jus Privatum 66, Mohr Siebeck, 2002). Pour lui, il est possible de considérer que les prérogatives prévues par le droit de la propriété intellectuelle sont analogues à celles prévues par le § 903 BGB. Ce paragraphe énonce que le propriétaire peut disposer de la chose comme bon lui semble (dans la limite de la loi et des droits de tiers). Pour Volker Jänich, ce pouvoir de disposer peut être comparé à celui que détient le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur son œuvre, sa marque ou son invention. Pour sa démonstration l’auteur prend l’exemple du droit d’auteur. Il ne s’agit certes pas véritablement d’une propriété au sens d’Eigentum, mais plutôt d’un pouvoir sur l’œuvre (Werkherrschaft) qui se rapproche dans ses caractéristiques du droit de propriété. Ainsi seul l’auteur peut décider librement d’autoriser l’utilisation de son œuvre, par la personne et aux conditions qu’il souhaite (Sur la théorie de Werkherrschaft : SCHACK H., Urheber- und Urhebervertragsrecht, Mohr Lehrbuch, Mohr Siebeck, 4e édition, 2007, p. 3, n° 4).

Et comme Christophe Caron, Volker Jänich ne s’arrête pas à la seule définition du droit de propriété pour trouver des points communs entre droit des biens et droit de la propriété intellectuelle (JÄNICH V., op. cit., Teil 2 : Sacheigentum contra geistiges Eigentum, p. 185 et s). Il compare, par exemple, les mécanismes de publicités présents dans les deux domaines juridiques.

L’auteur français, quant à lui, note que certaines notions de droit des biens peuvent se retrouver en droit de la propriété intellectuelle. Pour lui le régime des œuvres dérivées et composites rappelle l’accession immobilière de l’article 565 CC, les mécanismes de l’indivision se retrouvent dans les œuvres de collaboration ou dans la copropriété des brevets et les démembrements de propriété tel que l’usufruit existent aussi en propriété intellectuelle (exemple de l’usufruit spécial du conjoint survivant). Si on peut encore accepter que l’action en contrefaçon puisse être comparée à l’action en revendication du droit des biens, il semble cependant plus discutable de parler d’expropriation en évoquant les exceptions de droit d’auteur, comme le propose Christophe Caron. Ces exceptions représentent la limite des droits accordés par le code de la propriété intellectuelle et s'il fallait absolument les comparer avec un mécanisme de droit des biens, ce serait davantage celui des servitudes légales.

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Après avoir analysé le pouvoir de droit tel qu’il existe en propriété intellectuelle, Christophe Caron se penche sur le pouvoir de fait : la possession, qui se définit, indépendamment de tout rapport de droit, comme la maîtrise réelle d’une chose. Deux conditions doivent être réunies pour pouvoir parler de possession : tout d’abord la maîtrise de la chose (corpus), ensuite la volonté de se comporter en maître de la chose (animus).

Si, en droit allemand, on reconnaît qu’il existe des points communs entre la propriété et les droits de propriété intellectuelle, il est cependant exclu pour Volker Jänich, comme pour la plupart des auteurs, de pouvoir parler de possession (Besitz) en propriété intellectuelle. Cela s’explique par ce qui a été évoqué plus haut concernant la qualification juridique de Sache. La possession est indissociable de la Sache (bien, chose corporelle). Le droit allemand ne peut donc accepter de parler de possession pour des biens de propriété intellectuelle.

En revanche en droit français, il existe en propriété intellectuelle des mécanismes qui évoquent clairement la possession. Ainsi Christophe Caron prend pour exemple la présomption de titularité du droit d’auteur pour une personne morale qui accomplit des actes de possession sur l’œuvre (présomption édictée par les juges au visa de l’article L 111-3 CPI, v. contra Frédéric Pollaud-Dulian, qui est opposé à l’utilisation du terme de possession en droit d’auteur, POLLAUD-DULIAN F., Le droit d’auteur, Economica, corpus droit privé, 2005, p. 37).

Christophe Caron laisse cependant en suspend la question de savoir si on peut généraliser la notion de possession à tout le droit d’auteur. Il indique cependant les enjeux pratiques d’une telle question. Cela reviendrait tout d’abord à reconnaître que l’animus, la volonté de se comporter en tant que propriétaire d’une chose, est l’élément essentiel de la possession, au détriment du corpus (c’est-à-dire la maîtrise physique de la chose). Ensuite, il évoque aussi la possibilité d’utiliser la possession pour des questions de preuves, même si, au premier abord, il semble précisément difficile de pouvoir prouver que l’on est possesseur d’une chose immatérielle du fait même de son immatérialité. Enfin il va jusqu’à proposer d’utiliser la fonction acquisitive de l’article 2276 (ex-art. 2279) du Code civil pour l’acquéreur de bonne foi (il faut rappeler que la Cour d’Appel de Paris a refusé l’application de cet article à la propriété intellectuelle en 2001, CA Paris, 1ère chbre, 10 septembre 2001). On ne peut cependant que le suivre lorsqu’il dit que ces réflexions sont « un peu hétérodoxes » et que, introduire un tel mécanisme en droit d’auteur poserait de graves problèmes pour le droit moral.

Ainsi, pour Christophe Caron, le droit des biens peut bien être reconnu comme le droit commun de la propriété intellectuelle. En effet, un certain nombre de mécanismes de droit des biens ont été transposés, adaptés en droit des propriétés immatérielles. Malgré une analyse qui révèle également des points communs entre le Sachenrecht d’un côté et le Urheberrecht et la gewerblicher Rechtschutz de l’autre, le droit allemand distingue clairement les deux domaines juridiques.

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Mais quand Christophe Caron évoque ensuite, dans son article, les dangers d’un droit commun des biens de la propriété intellectuelle, il n’est plus possible de comparer les solutions de l’auteur avec les solutions de la doctrine allemande puisque la définition de Sache du § 903 BGB exclut du champ du droit des bien allemand les choses immatérielles. Cependant il est intéressant de faire des parallèles entre les arguments développés par le professeur Caron et les perspectives du droit allemand concernant l’évolution des rapports entre droit des biens et propriété intellectuelle.

L’auteur français évoque le danger d’une uniformisation excessive que pourrait introduire le droit commun des biens. En effet, comme il le rappelle, le droit de la propriété intellectuelle regroupe des situations juridiques assez différentes. Si le droit de la propriété littéraire et artistique prend en compte des problématiques de droit personnel de l’auteur, le droit de la propriété industrielle alui une vocation essentiellement économique. Et même au sein de cette branche on peut distinguer le droit des brevets et le droit des marques : le premier a vocation à récompenser l’inventeur ayant permis un progrès technique de part une activité inventive. Le second règle un rapport entre un signe et la personne ayant décidé de l’utiliser pour distinguer des produits ou services.

Pour mieux souligner les différences, Christophe Caron propose une nouvelle classification des droits de propriété intellectuelle en trois domaines : le droit sur les créations (droit d’auteur, des dessins et modèles, droit des brevets et des obtentions végétales), les droits d’occupation (droit des marques et des appellations d’origine contrôlées), et le droit sur les investissements (droit des producteurs culturels et des producteurs des bases de données). Ce que veut démontrer l’auteur, c’est la diversité des droits encadrés par le code de propriété intellectuelle et que plusieurs qualifications de ces droits sont possibles.

La crainte du professeur Caron porte plus particulièrement sur le droit moral du droit d’auteur dont l’influence pourrait être limitée en cas d’uniformisation excessive de la propriété intellectuelle. Le droit moral est cependant la spécificité essentielle du droit d’auteur, et il ne semble pas qu’on aitl’intention de la remettre en question. Comme le reconnaît lui-même Christophe Caron, ces inquiétudes semblent infondées.

Paradoxalement, alors que l’auteur français évoque la crainte d'une uniformisation du droit de la propriété intellectuelle, c’est ce pour quoi plaide, dans une certaine mesure, Volker Jänich pour l'Allemagne (JÄNICH V., op. cit., Teil 3, § 43 Systeminkonsistenzen im geistigen Eigentum und ihre Bewältigung – ein Plädoyer dür ein Gesetzbuch geistigen Eigentums). En effet, le droit allemand de la propriété intellectuelle est composé de différentes lois. Jänich s’appuie sur les points communs unifiant les différentes branches de la propriété intellectuelle allemande pour défendre la création d’un code unique regroupant à la fois le droit d’auteur, le droit des dessins et modèles, celui des brevets et celui des marques. Et il prend comme exemple de codification le code français de propriété intellectuelle (JÄNICH V., op. cit., Teil 3, § 43 IV. 2. a. Vergleich mit anderen Regelungen).

On voit donc bien que s’il y a bien deux logiques différentes de chaque côté du Rhin, les deux auteurs plaident pour l’existence d’un code de la propriété intellectuelle en dehors des règles de droit commun du Code civil ou du BGB.

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Dans la dernière partie de son article, Christophe Caron évoque un danger qui semble plus menaçant : celui d’une réception excessive de l’immatériel en dehors du Code de la propriété intellectuelle.

En effet, si on considère que le droit des biens est le droit commun de la propriété intellectuelle, tout ce qui n’est pas prévu par le Code de la propriété intellectuelle serait du ressort du droit des biens et donc de la propriété de droit commun. Mais cela conduirait à un résultat aberrant puisque les choses immatérielles ne répondant pas aux conditions strictes du Code de la propriété intellectuelle seraient finalement parfois mieux protégées. En effet la propriété de l’article 544 du Code civil est perpétuelle, tandis que les droits sur les biens immatériels sont limités dans le temps. De plus, il existe en droit d’auteur des exceptions au monopole, permettant par exemple de citer une œuvre ; la propriété du Code Civil ne connaît pas de telles exceptions. Or, si le droit de la propriété intellectuelle connaît des conditions de protection, c’est justement pour éviter que tout et n’importe quoi puisse sortir du domaine public.

Pour justifier ses craintes, l’auteur donne l’exemple de certaines choses immatérielles qui bénéficient déjà d’une protection en dehors du champ de la propriété intellectuelle. Ainsi les dénominations sociales, les noms commerciaux et les enseignes sont protégées alors que rien n’est spécialement prévu par le Code de la propriété intellectuelle. Pour Christophe Caron, il ne peut alors que s’agir d’une protection fondée sur le droit de propriété du droit des biens.

En droit allemand, de part la restriction déjà plusieurs fois évoquée concernant la qualification de choses, il est impossible de concevoir une protection des biens immatériels en dehors du droit spécial de la propriété intellectuelle. D’ailleurs le législateur allemand a réglé la question de la protection des dénominations sociales, noms commerciaux et enseignes dans la loi concernant le droit des marques (§ 5 MarkenG). Ainsi ces signes distinctifs bénéficient d’un régime proche de celui des marques mais avec des conditions propres qui sont énoncées au § 15 MarkenG.

Concernant les noms de domaine, Christophe Caron rappelle qu’en France, certaines décisions ont accordé une protection à des noms de domaine même génériques (CA Paris, 18 oct. 2000 : D. 2001, jurispr. p. 1379, note G. Loiseau ; Com. comm. électr. 2001, comm. 60, et nos obs. - T. com. Marseille, 26 oct. 2000 : D. 2001, act. jurispr. p. 546, obs. C. Manara). Une telle protection ne peut donc pas se baser sur le droit des marques. En Allemagne, on reconnaît qu’il existe des caractéristiques communes entre le droit des noms de domaine et le droit de propriété. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un droit absolu tel que peut l’être le droit de propriété (GÖTING H.-P., Gewerblicher Rechtsschutz, C. H. Beck, 9e édition, 2010, p. 390 et s.). Il ne s’agit en fait que d’un droit d’usus sur le nom de domaine qui n’a qu’une fonction d’adresse. Ce droit est cédé par contrat par l’agence allemande des noms de domaine la DENIC. Cependant le droit allemand reconnaît aussi la possibilité de protéger le nom de domaine par le droit des marques si le nom permet de distinguer de produits ou services.

Enfin Christophe Caron évoque le débat sur l’image des biens. Il indique que si l’on octroie au propriétaire d’un bien un monopole perpétuel sur l’image de son bien alors même qu’aucune originalité n’est nécessaire, alors le droit d’auteur perd de son attrait. En Allemagne il est reconnu que la photographie non autorisée d’un bien peut être considérer comme une atteinte au droit de propriété au sens du § 1004 BGB (PRÜTTING H., Sachenrecht, C. H. Beck, 33e édition, 2008, p. 231-232, n° 572). Cependant un arrêt rendu en 1989 par le Bundesgerichtshof (BGH, Cour fédérale de justice allemande), considère qu’il n’est pas porté atteinte à la propriété lorsque la photo a été prise d’un endroit accessible au public (BGH NJW 1989, p. 2251). La Cour de cassation avait dans un premier temps refusé cette solution et considéré que l’exploitation d’un bien sous forme de photographie portait atteinte au droit de jouissance du propriétaire (Cass, civ. 1ère, 10 mai 1999). Cependant, en 2004, l’Assemblée Plénière a clairement énoncé que le propriétaire d’un bien ne disposait d’aucun droit exclusif sur l’image de celui-ci et qu’il ne pouvait s’opposer à l’utilisation de l’image que si elle lui causait un trouble anormal (Cass, AP, 7 mai 2004).

On voit que les liaisons entretenues, en France, par le droit des biens et le droit de la propriété intellectuelle, sont aussi stimulantes que dangereuses. En effet, comme l’indique Christophe Caron, si le droit des biens a, à l’avenir, vocation à accueillir les biens immatériels dans son champ, la propriété intellectuelle y perdrait de sa spécificité. Pour éviter que cela se produise, l’auteur indique quelques solutions que nous pouvons élargir au vu des solutions du droit allemand. Il propose ainsi que le Code civil fasse référence à la propriété intellectuelle. On pourrait penser à un renvoi du Code civil au code de la propriété intellectuelle. Le code civil énoncerait donc le principe de l’existence d’une propriété sur les biens immatériels mais la description des régimes serait toujours réservée au Code de la propriété intellectuelle. C’est ce que semble faire l’avant projet de réforme du droit des biens de l’association Henri Capitant. Ainsi dans cet avant-projet, il est énoncé à l’article 520 que les choses incorporelles sont des biens lorsqu’elles font l’objet d’une appropriation. Cependant il est clairement établi que le Code Civil ne préjudicierait pas aux dispositions du CPI (art. 517 de l’avant projet de réforme). D’ailleurs un tel ajout permettrait d’énoncer clairement que le droit de la propriété intellectuelle est un droit spécial. Et en poussant la logique jusqu’au bout il faudrait intégrer à ce droit spécial, et donc au Code de la propriété intellectuelle, tous les biens incorporels dont le régime n’est pas encore prévu par la loi, comme le fait déjà le droit allemand, ce qui lui donne une plus grande visibilité.

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Pour conclure, s’il est possible de considérer en droit français que le droit des biens représente le droit commun de la propriété intellectuelle, le droit allemand se refuse à accepter ce rapport entre les deux domaines. Quant au développement de la protection des choses immatérielle en dehors du champ de la propriété intellectuelle, le droit allemand peut nous montrer comment les choses peuvent être réglées, notamment en prévoyant dans le Code de la propriété intellectuelle un encadrement entre autres des noms commerciaux, dénominations sociales et enseignes.

 

 

Bibliographie :

CORNU G., Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Montchrestien, Domat Droit Privé, 10è édition.

GAUTIER P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF Droit, collection droit fondamental, 7e édition, 2010.

GÖTTING H.-P., Gewerblicher Rechtsschutz, C. H. Beck, 9e édition, 2010.

JÄNICH V., Geistiges Eigentum – eine Komplementärerscheinung zum Sacheigentum ?, Jus Privatum 66, Mohr Siebeck, 2002.

PASSA J., Traité de droit de la propriété industrielle, T.1, LGDJ, 2e édition, 2009.

POLLAUD-DULIAN F., Le droit d’auteur, Economica, corpus droit privé, 2005.

PRÜTTING H., Sachenrecht, C. H. Beck, 33e édition, 2008.

REHBINDER M., Urheberrecht, C. H. Beck 14e édition, 2006.

SCHACK H., Urheber- und Urhebervertragsrecht, Mohr Lehrbuch, Mohr Siebeck, 4e édition, 2007.