Le profilage ethnique : outil « efficace » pour le Tribunal Constitutionnel espagnol, discrimination raciale pour le Comité de l’ONU (STC 13/2001, arrêt Rosalind Williams Lecraft)
Il existe un débat constant entre l’importance de la sécurité nationale et la liberté de circulation des personnes. En effet, les Etats continuent de mettre en place un contrôle parfois excessif et contraire à la liberté de circulation des citoyens afin de lutter contre l’immigration irrégulière, au point de les discriminer selon leurs traits physiques. C’est ce qui ressort de la décision 13/2001 rendue par le Tribunal Constitutionnel espagnol, en date du 29 janvier 2001.
L’arrêt traite d’un recours présenté par Rosalind Williams Lecraft, d’origine afro-américaine, naturalisée espagnole. Celle-ci, à la gare ferroviaire de Valladolid (Castille et Léon), a refusé de montrer un document d’identité lors d’un contrôle de police. En effet, selon la plainte déposée, le policier lui a communiqué qu’il avait ordre de contrôler les personnes « comme elle ». Il lui aurait dit qu’elle se faisait contrôler parce qu’elle était « noire ». Elle argumente ainsi que ce type de contrôle constitue une discrimination raciale en ce que le policier s’est uniquement basé sur sa couleur de sa peau pour supposer qu’elle n’avait pas la nationalité espagnole. Elle ajoute qu’aucun autre voyageur ni membre de sa famille (son mari et son fils étant présents et d’aspect caucasien) n’a fait l’objet de contrôle.
Le Tribunal d’Instruction n°5 de Valladolid rejette la plainte déposée car le policier a agi dans le cadre de ses fonctions, en toute légalité, sans avoir humilié ni traité de manière incorrecte l’appelante. Cette dernière fait appel de la décision et présente un écrit au Ministère de l’Intérieur contre l’acte administratif du contrôle d’identité. Le Ministère de l’Intérieur rejette la plainte déposée, dans une décision du 15 mars 1996, car l’ordre établissant qu’un policier peut utiliser un critère physique (couleur de peau) n’est pas un ordre écrit, ainsi le recours déposé contre l’acte administratif n’a plus d’objet et ne peut être recevable.
R Williams Lecraft fait alors appel de la décision du Ministère de l’Intérieur devant la salle du contentieux administratif de l’Audience Nationale qui, dans un arrêt du 29 novembre 1996, rejette l’appel. Pour l’Audience Nationale, l’obligation de présenter un document d’identité fait partie intégrante de la vie en société et les policiers ont agi en toute légalité sur la base du droit espagnol de l’immigration.
Elle présente donc un recours de amparo devant le Tribunal Constitutionnel qui rejette aussi le recours et confirme les arguments établis dans la décision de l’Audience Nationale.
En dernier ressort, elle dépose une plainte individuelle devant le Comité des Droits de l’Hommes de l’Organisation des Nations Unies qui rend une décision historique le 27 juillet 2009 dans laquelle il établit que tout contrôle de police se basant sur des caractéristiques physiques (comme la couleur de peau) est illégal et peut avoir des conséquences dangereuses pour la société (racisme et xénophobie).
Ainsi, le Tribunal Constitutionnel espagnol privilégie la fonction régalienne de l’Etat pour assurer la protection de la sécurité nationale (I), tout en méconnaissant le droit à la dignité de la personne et sa liberté de circulation, comme le rappelle le Comité des droits de l’Homme de l’ONU (II).
I) La priorité de la sécurité nationale
Les juges espagnols décident que le critère racial peut être utilisé comme instrument habituel et efficace dans la lutte contre l’immigration irrégulière (A). Cependant, ils délimitent ses conditions d’application pour ne pas causer de préjudices au citoyen objet du contrôle (B).
A) L’utilisation du critère racial normalisé par le Tribunal Constitutionnel espagnol
1) Le cas espagnol
Le Tribunal Constitutionnel rejette toutes les branches du pourvoi ayant trait à la dignité de la personne, la liberté de circulation des personnes ainsi que l’interdiction de discrimination (articles 10.1, 17.2 et 14 de la Constitution espagnole).
Dans son fondement numéro huit, il commence par expliquer que la discrimination raciale est contraire aux principes d’une démocratie. Pour cela, il mentionne une décision qu’il a rendu en 1995 (Affaire Hitler s.s, STC 176/1995) dans laquelle il était question de la limite entre liberté d’expression, discrimination et incitation à la haine. Le Tribunal Constitutionnel affirme, dans cette décision, que le message discriminatoire est « en totale contradiction avec les principes d’un système démocratique de cohabitation pacifique ».[1]
Il définit ensuite le terme de discrimination et ces différents aspects, en se fondant sur les jurisprudences rendues par lui- même, en droit du travail. Il explique que :
"L'interdiction de la discrimination inscrite dans l’article 14 CE ne comprend pas seulement les discriminations manifestes, c’est-à-dire le traitement juridique différent manifeste et injustifié en défaveur de certaines personnes par rapport à d’autres, mais aussi [la discrimination] déguisée, c’est-à-dire le traitement formel ou apparemment neutre ou non discriminatoire qui, en raison des circonstances du cas, a un impact négatif sur la personne victime de la conduite répréhensible au regard de la Constitution dans la mesure où l'effet indésirable produit n’est pas justifié (il ne se fonde pas sur une exigence objective et indispensable pour atteindre un objectif légitime) ou n’est pas approprié pour atteindre cet objectif." [2]
Après la mention de ces termes généraux qui servent de base, le tribunal va donc étudier l’existence d’une discrimination raciale au regard de :
- l’article 72.1 du Décret Royal 1119/1986 du 26 mai 1986, (Uso de documentos de identidad) fondée sur le Règlement d’exécution de la Loi Organique 7/1985, du 1er juillet 1985, concernant les Droits et les Libertés des Etrangers en Espagne. Cet article disposait que :
"Les étrangers sont tenus d’être en possession de leur passeport [sic] ou d’un document avec lequel ils seraient entrés en Espagne, et, le cas échéant , le permis de séjour , et de les montrer quand ils sont requis par « les autorités ou leur agents, sans préjudice de pouvoir prouver leur identité par tout autre moyen s’ils ne les avaient pas avec eux ". [3]
- l’article 11 de la Loi Organique 1/1992, du 21 février 1992, relative à la protection de la sécurité des citoyens qui disposait que :
"Les étrangers qui sont sur le territoire espagnol sont tenus d'avoir des documents prouvant leur identité et le fait de séjourner légalement en Espagne, en conformité avec les règles en vigueur. "[4]
Pour le Tribunal, l’étude de l’existence de discrimination dépend de « la variété de circonstances, ce qui rend son évaluation éminemment casuistique ». En effet, le contrôle de police peut être considéré comme un instrument efficace pour les forces de l’ordre de lutte contre l’immigration irrégulière. De ce fait, selon le lieu et le moment dans lesquels se trouve la personne contrôlée - ici une gare ferroviaire de grande affluence-, il est habituel que soit mis en place de tels contrôles. Il n’est donc pas abusif de demander la présentation des documents d’identité, ni illogique de réaliser ces contrôles.
Ainsi, le Tribunal s’intéresse à un fait quelconque qui pourrait prouver que les caractéristiques physiques de Mme Williams Lecraft ont été employées dans un but différent que la simple vérification de sa nationalité. Si les caractéristiques raciales et ethniques ont été utilisées de façon « descriptive » et que le contrôle poursuit son but premier (éviter l’immigration irrégulière), alors aucune discrimination ne sera reconnue. En utilisant ces arguments, les juges réitèrent une doctrine énoncée dans la décision STC 126/1986 dans laquelle un couple de personnes d’origine gitane a été arrêté pour la commission de délits, en se fondant sur leur caractéristique ethnique.
Le Tribunal, dans le premier moyen de cette décision de 1986, avait admis que :
«Il est vrai que l'utilisation de références ethniques par les organes du pouvoir, à des fins strictement descriptives devrait être évitée, car ces références peuvent être mal comprises ou peuvent encourager des préjugés irrationnels dans notre société. Il est également vrai, cependant, que cette utilisation n’est pas en soi discriminatoire comme en témoignent les références qui vont dans le même sens, purement descriptif de la situation des plaignants […]» [5]
Pour le tribunal, aucune des circonstances intervenues durant l’intervention n’indique que le comportement du fonctionnaire de police ait été « guidé par un préjugé raciste ou une spéciale attention contre les membres d’un groupe ethnique déterminé ». Le contrôle policier a eu lieu dans un lieu de transit (une station ferroviaire) qui, par sa position géographique, permet l’entrée de personnes provenant de Portugal ou de France. Ainsi, le contrôle d’identité est une incommodité qui fait partie intégrante des charges inhérentes à la vie en société. Et dans le cas présent, la pratique ne constitue pas une discrimination raciale.[6]
2) Elément de comparaison avec la France
A titre de comparaison, en droit français, l’article 1 de la Constitution française garantit « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Le Code pénal définit la discrimination dans son article 225-1 comme étant
« toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, (...) de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.»
De plus, l’article 432-7 du Code Pénal français établit les sanctions pour une personne dépositaire de l’autorité publique ayant commis un abus d’autorité en agissant de manière discriminatoire :
« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsqu'elle consiste :
1° A refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ;
2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque. »
S’agissant des contrôles d’identité, la Loi « Sécurité et liberté du 2 février 1981, dite « Loi Peyrefitte » marque d la naissance de leur réglementation, après un an de débats parlementaires houleux. C’est au nom de l’insécurité qu’est adoptée la disposition permettant de contrôler l’identité « pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens ». Dans l’hémicycle, les débats parlaient peu d’immigration à cette époque mais plutôt ; pour combattre la loi, de délit de « sale gueule ».[7].
L'article 434-16 du Code de Déontologie de la Police et de la Gendarmerie française décrit dès lors la procédure du contrôle d'identité : « Lorsque la loi autorise le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale à procéder à un contrôle d'identité, ce dernier ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou signe distinctif sauf dans les cas où le contrôle est motivé par un signalement précis ». [8]
Si le cadre de la procédure des contrôles est de plus en plus complet, ce sont les justifications et les mises en application de ces contrôles qui sont aujourd’hui critiquées. Chaque juridiction interprète à sa façon l’article 78-2 du code de procédure pénale. Et les termes précités de l’article 434-16 du Code de déontologie laisse aussi une grande marge d’interprétation.
La Cour de Cassation, dans un arrêt du 25 avril 1985 (n° du pourvoi 85-91324) [9] ne définit d’ailleurs pas les termes « indice objectif » mais considère que dès qu’il dispose d’un fondement légal, le contrôle effectué par les fonctionnaires de police ne peut être considéré comme nul.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel, après la saisine de 60 députés et 60 sénateurs, a considéré, dans sa décision n°93-323 du 5 août 1993, que la modification du septième alinéa de l’article 78-2 du Code de procédure pénale français et « la précision nouvelle selon laquelle peut être contrôlée l'identité de toute personne "quel que soit son comportement" va à l’encontre de la liberté individuelle des individus. Et, dans le neuvième « Considérant », il énonce que « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ».
La légalité des contrôles de police a aussi été mise en cause devant les juridictions judiciaires. En effet, pour la première fois en France, treize citoyens ont porté plainte, le 11 avril 2012, contre l’Etat pour faute lourde. Des policiers ont contrôlé les plaignants, âgés de 18 à 35 ans, pour leurs caractéristiques physiques, sans raison objective apparente. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté la demande des plaignants. Ceux-ci ont alors interjeté appel de la décision devant la Cour d’Appel de Paris (le prononcé du délibéré est prévu pour le 24 juin 2015). [10]
B) La proportionnalité du contrôle policier comme facteur non-discriminatoire
Le Tribunal constitutionnel espagnol pose une limite quant à l’extension du contrôle d’identité. En effet, il estime que si le contrôle est disproportionné, irrespectueux et humiliant, alors il pourra être considéré comme discriminatoire.
" [...] l'exercice des pouvoirs d’identification doit être effectué de manière proportionnelle, respectueuse, polie et, finalement, de façon à causer le moins d’incidences pour l’individu ". [11]
Le tribunal rappelle que l’appelante, dans son recours, ne remet pas en cause le traitement reçu par le fonctionnaire de police. D’autre part, aucun fait n’indique que le contrôle se soit déroulé de « manière déconsidérée, offensive ou gratuitement gênante pour la liberté de circulation de la requérante de amparo ». Le tribunal ajoute que la durée du contrôle a été aussi longue que le demandait son exercice.
Il mentionne également que la charge de la preuve de l’existence de discrimination raciale a été transférée à l’Administration, en conformité avec la doctrine du tribunal depuis sa décision STC 26/1981 du 17 juillet 1981. L’Administration a, selon le tribunal, correctement justifier que l’agissement du fonctionnaire de police était raisonnable et proportionnelle, en plus d’être conforme à la loi. [12]
Ainsi, le Tribunal Constitutionnel rejette alors le recours présenté par Rosalind Williams Lecraft en ce qu’elle n’a pas reçu de traitement humiliant ou tout simplement déconsidéré. La discrimination n’est pas fondée.
Il considère que le contrôle ayant accompli son objectif premier et ayant été effectué de façon proportionnelle et respectueuse, aucune discrimination raciale n’existe. Toutefois, on peut aussi s’interroger sur le respect de la liberté de circulation des personnes et aussi sur la peur que pourrait engendrer ce genre de décision, face à la montée de comportements racistes et xénophobes.
II) Le respect de l’individu et de sa liberté de circulation
Le vote dissident d’un des magistrats espagnol et la position du Comité des droits de l’Homme se rejoignent quant à l’inefficacité de se fonder sur le critère physique des individus dans la lutte contre l’immigration irrégulière (A). Ils voient dans la normalisation de ce critère, un danger pour la cohabitation des différentes cultures d’un même Etat (B).
A) Le critère racial : un instrument inefficace et illégal
Un des magistrats présent lors de la décision du Tribunal Constitutionnel espagnol se déclara opposé à l’argumentation et la décision retenue par le tribunal, considérant que les faits posent un problème beaucoup plus général, et qui va au-delà même de la simple situation individuelle de l’appelante. En effet, selon lui, le Tribunal doit prendre sa décision au regard de la Constitution mais aussi de la réalité sociale espagnole.
Pour lui, l’Espagne connait une réalité sociale particulière due, tout d’abord, à sa position géographique. En effet, l’Espagne constitue un pays de transit pour les étrangers tant vers ses pays voisins du continent que vers le Nord de l’Afrique. Or, le rôle de l’Espagne serait de faciliter ces déplacements.
Il développe son argumentation en citant les différentes législations tant au niveau interne qu’au niveau européen. Dans un premier temps, il explique que les modifications législatives en matière d’immigration, depuis la Loi Organique 7/1985 jusqu’à la Loi 4/2000 ont renforcé les « contrôles d’étrangers » de la même façon que d’autres Etats de la communauté européenne.[13] Il explique que le Tribunal aurait dû juger si les mesures adoptées étaient en soi proportionnées et si le contrôle effectué était nécessaire.[14] Selon lui, la proportionnalité et la nécessité du contrôles des étrangers en Espagne (donc à l’intérieur de l’espace communautaire) doit être mis en doute car ils vont à l’encontre la libre circulation des personnes, comme établi dans le droit européen. Pour appuyer son argument, il cite l’article 2 du Traité d’Amsterdam, alors en vigueur au moment des faits, ainsi que l’article 62 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne). Selon ces articles, l’Union Européenne a pour objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice dans lequel est garantie la libre circulation des personnes. Le magistrat ne nie pas l’utilité de « mesures adéquates concernant le contrôle des frontières extérieures, l’asile, l’immigration et la prévention et la lutte contre la délinquance ». Cependant, il rappelle que cet article met uniquement en avant le contrôle des frontières extérieures pour des personnes provenant d’Etats tiers. L’article 62 du TFUE vient renforcer cette idée dans la mesure où il prévoit l’absence de contrôle des personnes qui traverseraient les frontières intérieures (c’est-à-dire, dans l’espace Schengen).
Le magistrat juge donc que le contrôle était, en soi, inapproprié. De plus, l’introduction d’un critère fondé sur l’appartenance d’une personne à un groupe racial est, selon lui, contraire à l’article 14 de la Constitution espagnole. En outre, il critique l’absence d’analyse du Tribunal de l’acte administratif de l’article 10.1 de la Constitution qui devrait conduit à prioriser la dignité de la personne en tant que valeur supérieure de tout ordre juridique.
Malgré l’avis dissent du magistrat, le Tribunal rejette le pourvoi. La requérante présente alors un recours devant le Comité des Droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies. Le Comité va rendre, le 27 juillet 2009, une décision historique. Il s’agit du premier organe des Nations Unies à se prononcer sur le profilage ethnique durant les contrôles de police. Il décide que :
« Dans ces circonstances [celles de l’affaire], le Comité ne peut que conclure que l’auteur a été individualisée pour ledit contrôle d’identité uniquement en raison de ses caractéristiques raciales, et que celles-ci ont constitué l’élément déterminant pour soupçonner d’elle une conduite illégale. Le Comité rappelle ainsi sa jurisprudence selon laquelle toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination si les critères de différentiation sont raisonnables et objectifs et si l’objet est licite en vertu du Pacte. Dans l’affaire présente, le Comité décide que les critères de proportionnalité et d’objectivité ne sont pas remplis. De plus, aucune satisfaction n’a été offerte à l’auteur du recours, par exemple, par la présentation d’excuses comme réparation. »
Le Comité rend alors une décision à faveur de la requérante. Et même s’il ne remet pas en cause les contrôles d’identité, il énonce qu’en l’espèce, les critères de proportionnalité et d’objectivité ne sont pas respectés. La pratique est donc déclarée discriminatoire et illégale.
Cette décision met en avant les controverses existantes par le profilage : celles de la limite entre sécurité nationale et liberté de circulation. Ces lacunes tiennent, en premier lieu, à l’absence de sources institutionnelles : les contrôles ne laissent généralement pas de trace administrative (sauf s’ils déclenchent des poursuites pénales) et ne font pas l’objet d’un traitement statistique systématique. Ensuite, les policiers n’ont pas de connaissances profondes sur le thème des droits fondamentaux.
Il a été démontré que le profilage ethnique et racial produit plus de résultats négatifs que positifs. Pour pallier ce problème constant des violations de droits fondamentaux des personnes, deux solutions majeures sont mises en avant, au niveau européen. Tout d’abord, il est recommandé aux Etats membres d’établir dans leurs normes des instruments précis pour que les policiers puissent être encadrés et restreints dans la pratique de ces contrôles. De plus, il faudrait que cette modification soit accompagnée d’une formation des forces de l’ordre, en matière de discriminations et de droits fondamentaux.
La seconde solution est la mise en place de récépissés lors de la mise en œuvre d’un quelconque contrôle de police. En effet, comme mentionné plus en avant dans ce commentaire, il est difficile, notamment en France, de publier des études statistiques de la pratique des contrôles d’identité car si aucun début de preuve de la commission d’un délit est trouvé, il n’existe aucune trace de ce contrôle. Ce projet a été mis de côté en 2012 par le gouvernement mais, en avril 2015[15], trente-cinq parlementaires ont demandé à ce qu’il soit de nouveau mis à l’ordre du jour, avec l’appui de l’association Collectif Contre le Contrôle au Faciès.[16]
B) Des conséquences dangereuses : la possible montée de comportements xénophobes et racistes
En reprenant les arguments du magistrat qui a émis un vote dissident, une autre problématique doit être relevée. Les conséquences vont bien plus loin que les simples autorités judiciaires. En effet, le thème de l’immigration est un thème sensible (encore aujourd’hui encore plus avec le problème des traversées de bateaux depuis le continent africain jusqu’en Espagne, Grèce ou Italie). Le risque de montées de comportements xénophobes, les amalgames entre couleur de peau et immigrant irrégulier est présent.
Le magistrat le rappelle en précisant qu’« en effet, dans le premier cas cela ne conduit pas seulement à une plus grande intensité du contrôle, sinon aussi à l’attribution aux étrangers d’une image socialement négative, susceptible de provoquer, comme il est arrivé dans d’autres pays européens, des réactions xénophobes ». [17]
Comme de nombreuses sociétés aujourd’hui, l’Espagne se caractérise par un melting pot de nationalités au sein de son territoire. Elle est une société multiraciale. Ces citoyens sont soient des personnes étrangères en situation régulière soit des personnes de nationalité espagnole. L’introduction d’éléments ethniques ou raciaux remettrait donc en question la cohabitation pacifique que le Tribunal avançait dans sa décision. Cela engendre une image négative des personnes immigrées en situation régulière mais aussi une difficulté plus grande pour toute personne immigrée ayant la volonté de s’intégrer dans la société espagnole.
Quant au Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, celui-ci a tout d’abord rappelé qu’il est légitime d’effectuer des contrôles d’identité de façon générale pour permettre la sécurité du citoyen et pour la prévention de la commission de délits ou encore dans le but de contrôler l’immigration irrégulière. Cependant, quand les autorités effectuent lesdits contrôles, l’utilisation des seules caractéristiques physiques ou ethniques ne doit pas être prise en compte pour supposer qu’une personne est en situation irrégulière dans le pays. Il ne faut pas non plus que les contrôles soient mis en œuvre de telle façon que seules les personnes avec des caractéristiques physiques ou ethniques déterminées soient contrôlées. Cela pourrait impliquer une propagation des comportements racistes et xénophobes. Mais cela n’engendrerait aucun résultat positif pour la politique de lutte contre les discriminations raciales.
Dans un livre intitulé Identification policière par le profil ethnique en Espagne (publié en 2013), les auteurs évoquent d’un “racisme institutionnalisé”. En 1968, la première référence à ce concept avait été faite par deux auteurs, Carmichael et Hamilton, pour parler du racisme qui faisait partie de la société américaine dans son ensemble, de ses institutions et aussi des individus.[18] Ces pratiques ont pour conséquences la création de stéréotypes” qui renforcent l’inégalité raciale au sein d’une même société.
C’est ce que décrit aussi l’Avocat à la Cour d’appel de Paris, spécialiste des questions d’égalité et de non-discrimination, Slim Ben Achour, dans un article pour le Huffington Post France, publié le 3 avril 2015, dans le cadre du procès des « contrôles au faciès » :
« A ce titre, le 17 janvier dernier, le Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a tout récemment rappelé aux hommes et femmes politiques français leur responsabilité éminente dans la montée de l'intolérance dans notre pays.
A l'exécutif actuel de faire en sorte que l'oracle ne se produise pas.
Il y contribuera, notamment, en combattant sérieusement les représentations racistes d'une société minée par son passé colonial, en arrêtant de ruser avec les principes intangibles de la République et, enfin, en assumant les engagements fondamentaux pour une société libre et fraternelle, peuplée d'égaux. » [19]
Le rapport présenté le 17 février 2015, par le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a communiqué son inquiétude quant à la montée de l’intolérance en France, comme mentionné par Mr BEN ACHOUR. Il conclut ainsi :
« Le Commissaire salue les efforts consentis de longue date par la France en matière de lutte contre l’intolérance, le racisme et les discriminations. Il considère cependant que le recul de la tolérance et, en particulier, la montée du discours de haine enregistrés depuis 2009 exigent des efforts soutenus et une approche globale. L’élaboration et application par la France d’un plan national d’action sur les droits de l’homme pourrait valablement renforcer les efforts menés par des autorités dans ce domaine. » [20]
BIBLIOGRAPHIE :
Articles :
- 34 députés frondeurs se mobilisent pour mettre fin au contrôle au faciès, L’Obs, publié le 23 avril 2015 : http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/931-socialistes-deputes-frondeurs-mobilisent-mettre-contr.html
- Affaire Rosalind Williams Lecraft contre Espagne, documents variés, page de Women’s Link Worlwilde : http://www.womenslinkworldwide.org/wlw/new.php?modo=detalle_proyectos&tp=casos&dc=25
- BEN ACHOUR S., Contrôle au faciès : un régime de ségrégation assumé par le gouvernement, Huffington Post France, publié le 3 avril 2015 : http://www.huffingtonpost.fr/slim-ben-achour/controle-au-facies-justice_b_6998338.html
- Contrôle au faciès : 13 plaignants devant la Cour d’Appel de Paris, Radio France Internationale (RFI), publié le 26 février 2015 : http://www.rfi.fr/france/20150226-controle-facies-13-plaignants-devant-cour-appel-paris-droits-homme-defenseur-jacques-toubon/
- FERRE N., Contrôles d’identité : la discrimination légale, octobre 2009 : http://www.gisti.org/spip.php?article1741
- HULLOT-GUIOT K., Contrôles d’identité : le récépissé permet de limiter les abus, Libération, publié le 4 juin 2012, consulté le 28 avril 2015 : http://www.liberation.fr/societe/2012/06/04/controles-d-identite-le-recepisse-permet-de-limiter-les-abus_823529
- Identificación policial por perfil étnico en España, divers auteurs, Tirant Lo Blanch, Valence, 2013: http://www.uv.es/garciaj/pub/2013_perfil_etnico.pdf
- La politique du reçu de contrôle d’identité, Collectif contre le contrôle au faciès : http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/outils-ressources/politique-de-recu-de-controle/
- Le Défenseur des droits, Rapport relatif aux relations Police/ Citoyens et aux contrôles d’identité : http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/rapport_controle-identite-final_0.pdf
- « La base de l’humiliation », IV. Les normes nationales et internationales applicables, p.8, page de Human Rights Watch, 26 janvier 2012 : http://www.hrw.org/fr/node/104542/section/9#_ftn143
Jurisprudences :
- Arrêt 13/2001 du Tribunal Constitutionnel espagnol : http://hj.tribunalconstitucional.es/es-ES/Resolucion/Show/SENTENCIA/2001/13
- Arrêt 176/1995 du Tribunal Constitutionnel espagnol : http://portal.uclm.es/descargas/idp_docs/jurisprudencia/caso%20hitler%20s.s..pdf
- Arrêt de la Cour de Cassation, 25 avril 1958 (n°pourvoi 85-91324) http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007065358&fastReqId=524407651&fastPos=2
- Décision du Conseil Constitutionnel n° 93-323 DC du 05 août 1993 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/pdf/conseil-constitutionnel-10491.pdf
- Communiqué du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, 27 juillet 2009 : http://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/decision-sp_20090812.pdf
Rapports :
- Rapport par MUIŽNIEKS N., Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe suit à sa visite en France, du 22 au 26 septembre 2014, p. 13, point n°43 : http://infomie.net/IMG/pdf/rapport_par_nils_muiznieks_suite_a_sa_visite_en_france_du_22_au_26_septembre_2014.pdf
Textes de loi :
- Code de déontologie de la police et de la gendarmerie française : http://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Presentation-generale/Deontologie-et-controle
- Code de procédure pénale français (article 78-1 et suivants) : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=C8F6AB60EC9EA1FB07B339BC4D0BB2E1.tpdila19v_2?idSectionTA=LEGISCTA000006151880&cidTexte=LEGITEXT000006071154&dateTexte=20150419
- Décret Royal 1119/1986 du 26 mai 1986, (Uso de documentos de identidad) par lequel s’approuve le Règlement d’exécution de la Loi Organique 7/1985, du 1er juillet 1985, concernant les Droits et les Libertés des Etrangers : http://boe.vlex.es/vid/organica-derechos-libertades-extranjeros-15515131
- Guide pour comprendre et prévenir le profilage ethnique discriminatoire, Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 2010 : http://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/1133-Guide-ethnic-profiling_FR.pdf
[1] STC 176/1995: “En definitiva, a ese mensaje racista, ya de por si destructivo, […]. Es evidente que todo ello está en contradicción abierta con los principios de un sistema democrático de convivencia pacífica […].”
[2] « la prohibición de discriminación consagrada en el art.14 CE comprende no solo la discriminación patente, es decir, el tratamiento jurídico manifiesta e injustificadamente diferenciado y desfavorable de unas personas respecto a otras, sino también la encubierta, esto es, aquel tratamiento formal o aparentemente neutro o no discriminatorio del que se deriva, por las diversas circunstancias de hecho concurrentes en el caso, un impacto adverso sobre la persona objeto de la práctica o conducta constitucionalmente censurable en cuanto la medida que produce el efecto adverso carece de justificación (no se funda en una exigencia objetiva e indispensable para la consecución de un objetivo legítimo) o no resulta idónea para el logro de tal objetivo”.
[3] « Los extranjeros están obligados a llevar consigo el pasaporte [sic] o documento con base en el cual hubieran efectuado su entrada en España, y, en su caso, el Permiso de residencia, y a exhibirlos, cuando fueran requeridos por 'las autoridades o sus agentes, sin perjuicio de Poder demostrar su identidad por cualquier otro medio si no los llevaran consigo.”
[4] “los extranjeros que se encuentren en territorio español están obligados a disponer de la documentación que acredite su identidad y el hecho de hallarse legalmente en España, con arreglo a lo dispuesto en las normas vigentes”.
[5] STC 126/1986, FJ 1: “Es cierto que la utilización por los órganos del poder de referencias de carácter étnico, aunque sea con finalidades estrictamente descriptivas, debe ser evitada, pues esas referencias pueden prestarse a malentendidos o alentar prejuicios irracionales presentes en nuestra sociedad. No menos cierto es, también, sin embargo, que ese uso no es en sí mismo discriminatorio como lo prueban las referencias del mismo sentido puramente descriptivo a la condición de los recurrentes […]” http://tc.vlex.es/vid/1-2-stc-3-15033564
[6] “Ninguna de las circunstancias acaecidas en dicha intervención indica que el comportamiento del funcionario de la Policía Nacional actuante fuese guiado por un prejuicio racista o por una especial prevención contra los integrantes de un determinado grupo étnico, como se alega en la demanda. Así, la actuación policial se produjo en un lugar de transito de viajeros, una estación de ferrocarril, en el que, de una parte, no es ilógico pensar que exista mayor probabilidad que en otros lugares de que las personas a las que selectivamente se solicita la identificación puedan ser extranjeras, y, de otro, las incomodidades que todo requerimiento de identificación genera son menores, así como razonablemente asumibles como cargas inherentes a la vida social”.
[8]Projet du Code de Déontologie de la Police en date du 23 novembre 2012
[9] Cour de Cassation, 25 avril 1985 (pourvoi n° 85-91324) : http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007065358&fastReqId=524407651&fastPos=2
[10] Affaire de la plainte contre l’Etat français dans le cadre du “contrôle au faciès » http://www.rfi.fr/france/20150226-controle-facies-13-plaignants-devant-cour-appel-paris-droits-homme-defenseur-jacques-toubon/
[11] “[…] el ejercicio de las facultades de identificación ha de llevarse a cabo de forma proporcionada, respetuosa, cortés y, en definitiva, del modo que menos incidencia genere en la esfera del individuo”.
[12] “Conforme a las líneas generales de la doctrina que sobre la distribución de la carga de la prueba se contiene ya en la STC 26/1981, de 17 de julio, se ha trasladado a la Administración la carga de justificar que su actuación goza de cobertura legal y se ajusta a criterios de razonabilidad y proporcionalidad, lo que se ha efectuado adecuadamente.”
[13] “Las modificaciones de la legislación española sobre extranjería, desde la Ley Orgánica 7/1985, de 1 de julio, hasta la Ley 4/2000, de 11 de enero, han ido acentuado con intensidad creciente el objetivo de “control de extranjeros”, al igual que en otros Estados de la Europa comunitaria.”
[14] “Las medidas adoptadas para control general de los extranjeros, a mi entender, han de someterse necesariamente a un juicio de proporcionalidad para que sus fines no resulten distorsionados y, en particular, para determinar si tales medidas, aun siendo acorde con esa finalidad, son en sí misma proporcionadas”.
[15] « 34 députés frondeurs se mobilisent pour mettre fin au contrôle au faciès », L’Obs, publié le 23 avril 2015 : http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/931-socialistes-deputes-frondeurs-mobilisent-mettre-contr.html
[16] “La politique du reçu de contrôle d’identité » : http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/outils-ressources/politique-de-recu-de-controle/
[17] “En efecto, en el primer caso no solo conduce a una mayor intensidad del control, sino a que, se atribuya a los extranjeros una imagen socialmente negativa, susceptible de provocar, como ha ocurrido en varios países europeos, reacciones xenófobas”
[18] “. La primera referencia al término “racismo institucionalizado” aparece en 1968 acuñada por Carmichael y Hamilton para referirse a un racismo que formaba parte de la sociedad norteamericana en su conjunto, de sus instituciones y también practicada individualmente […]”http://www.uv.es/garciaj/pub/2013_perfil_etnico.pdf
[19] BEN ACHOUR S., Contrôle au faciès : un régime de ségrégation assumé par le gouvernement, Huffington Post, publié le 3 avril 2015 : http://www.huffingtonpost.fr/slim-ben-achour/controle-au-facies-justice_b_6998338.html
[20] Rapport par MUIŽNIEKS N., Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe suit à sa visite en France, du 22 au 26 septembre 2014, p. 13, point n°43 : http://infomie.net/IMG/pdf/rapport_par_nils_muiznieks_suite_a_sa_visite_en_france_du_22_au_26_septembre_2014.pdf