Les modes de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits de l'employeur en France et en Espagne: prise d'acte et démission provoquée

Résumé : En droit français tout comme en droit espagnol, le salarié aura la possibilité de rompre son contrat de travail de façon unilatérale en raison de faits de l'employeur allant à l'encontre de ses obligations contractuelles. Ce sont les figures de la prise d'acte en droit français et de la démission provoquée en droit espagnol. Cependant, ces deux figures légales présentent beaucoup de différences, bien que leur objectif final soit le même: la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié. 

Le droit du travail espagnol régule plusieurs modes de rupture du contrat de travail: le licenciement, l'accord des parties (exemple de la rupture conventionnelle ou bien de l'échéance du terme d'un contrat à durée déterminée), la rupture en raison de causes rattachées à la personne du salarié (décès, invalidité, démission volontaire) ou à celle de l'employeur, la retraite, la démission ou encore la catégorie des «causes mixtes». Entre dans cette catégorie la possibilité pour le salarié d'éteindre son contrat de travail en raison de fautes de l'employeur, par l'exercice de la «dimisión provocada», c'est à dire la démission contrainte ou provoquée, qui prendra la forme d'un auto-licenciement ou d'un licenciement indirect (auto despido, despido indirecto). Ce mode de rupture trouve son fondement dans les articles 49.1.j et 50 du Statut des Travailleurs espagnol (Estatuto de los Trabajadores), correspondant au Code du Travail français, lequel détaille les différentes fautes pouvant provoquer cette démission contrainte.

En droit du travail français, employeurs et employés disposent, tout comme en droit espagnol, d'un large éventail de modes de rupture du contrat de travail. Nous pouvons distinguer parmi ces derniers, le licenciement et les autres modes de rupture du contrat de travail tels que la démission, les accords de rupture, la retraite, la résiliation judiciaire et la prise d'acte.

La démission et la prise d'acte sont donc deux modes de rupture du contrat de travail mis à la disposition du salarié et pouvant être exercés de sa propre initiative. La prise d'acte de rupture du contrat de travail est caractérisée lorsqu'un salarié rompt son contrat en raison de reproches adressés à son employeur qui, selon la Cour de cassation, doivent «justifier» la rupture (1. Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Pascal Lokiec, Sophie Robin-Olivier et autres, Revue de droit du travail 2006 p.196). Il ressort en effet des arrêts du 25 juin 2003 que «lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire» (2. Cass.Soc.25 juin 2003, Bull. n°01.42-335 civ. V, n°209).

Par conséquent, en droit espagnol tout comme en droit français, le salarié aura la possibilité de rompre son contrat de travail en raison de faute(s) ou de fait(s) commis(s) par l'employeur pendant l’exécution même du contrat de travail.

Les questions qui se posent au moment d'étudier et de comparer la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits de l'employeur, en droit espagnol et en droit français, sont celles de l'encadrement par le droit, de la protection, de l'importance et de la marge de manœuvre qui lui sont accordés ainsi que les différents effets et conséquences qui dérivent de l'utilisation de ce mode de rupture par le salarié.

Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la régulation et à l'encadrement de la démission forcée et de la prise d'acte par le droit espagnol et par le droit français pour analyser, dans un second temps, les conséquences et les effets produits par ces deux initiatives.

I) La régulation de l'initiative du salarié au moment de rompre le contrat de travail en raison de fautes de l'employeur: une initiative davantage encadrée en Espagne.

La démission provoquée, en étant régulée par la loi et contrôlée par le pouvoir judiciaire, dispose d'un encadrement plus prononcé que la prise d'acte en droit français.

A) La source législative espagnole face à la régulation prétorienne française.

L'article 49.1.j du Statut des Travailleurs dispose que «la rupture du contrat de travail pourra subvenir à l'initiative du salarié, en cas d’inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles.»

L'article 50 du même texte législatif dispose que «les causes suivantes justifieront l'extinction du contrat de travail à l'initiative du salarié:

a)Les modifications substantielles des conditions de travail portant préjudice à la formation professionnelle du salarié ou à sa dignité.

b)Le non versement ou les retards à répétition des salaires convenus.

c)Tout autre manquement grave de l'employeur, sauf en cas de force majeure, ainsi que son refus de réintégrer le salarié dans ses anciennes conditions de travail dans les cas prévus par les articles 40 et 41 de la présente loi (…).»

La démission provoquée est une extinction volontaire du contrat de travail se distinguant de la démission volontaire puisqu'elle se fonde sur des motifs concrets et non souhaités par le salarié.

L'article 1124 du Code civil espagnol relatif à l'inexécution des obligations dispose que «le contrat ne peut rester au libre arbitre des parties et doit être exécuté dans les termes conclus, sauf en cas de causes graves et justifiées qui en empêchent la bonne exécution». Le Tribunal Supremo espagnol, équivalent de la Cour de Cassation française, estime que les articles 49 et 50 du Statut des Travailleurs ont une fonction analogue à l'article ci-dessus (3.Arrêt Tribual Supremo, STS 20 juillet 2012 (RJ\2012\9609).

 
Cependant, le salarié ne pourra demander des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile dans le cadre de la démission provoquée, la jurisprudence espagnole estimant incompatibles les indemnités de l'article 50 du Statut des Travailleurs et les dommages et intérêts fondés sur le Code civil (4. Jesus Lahera Forteza, Professeur à l'Université Complutense de Madrid (Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Revue de droit du travail 2006 p. 196), à l'inverse de la jurisprudence française (5.Cass.Soc.15 mars 2006, n°03.45-031,Bull.Civ.V, n°109).
 
Dans le cas des modifications substantielles, nous remarquons une double exigence. 

En effet, il faut tout d'abord une modification des conditions de travail. Mais ce seul fait ne détermine pas l'application de l'article 50, l'élément essentiel n'étant donc pas tant la modification des conditions de travail sinon les effets, substantiels ou non, que cela provoque pour le salarié. Le préjudice devra être réel et sérieux, selon l'appréciation des juges, et affectant la formation professionnelle ou la dignité du salarié (6. Arrêt Tribunal Supremo STS 18 juillet 1996 (RJ\1996\6165), Arrêts Tribunal Superior de Justicia, STSJ Madrid 25 février 2008, STSJ Madrid 31 octobre 2006.).

En rapport à la formation professionnelle, il s'agira de l'attribution de fonctions de rang inférieur à celles que le salarié avait l'habitude d'occuper ou bien l'obligation d'effectuer des taches dégradantes en relation à sa position et à ses charges dans l'entreprise (El cese anticipado de la prestación de servicio en los procesos extintivos derivados del art.50 ET: una autotutela limitada, Rafael Alvarez Gimeno,Publication Aranzadi Social numéro 3/2011).

La charge de la preuve correspondra au salarié (8.Arrêt Tribunal Supremo STS 18 juillet 1996 (RJ\1996\6165):le salarié devra prouver que le préjudice est qualifié) ; il devra prouver que le préjudice est réellement important et qu'il ne représente pas une simple difficulté d'adaptation du salarié ou une incommodité (9. Arrêts Tribunal Supremo STS 11 décembre 1997 (RJ\1997\9163), STS 3 décembre 1987 (RJ 1987\8822): nécessité d'un changement intense.)

Quant à la dignité, il s'agit du respect dû à tout salarié qui réalise une activité professionnelle pour autrui et qui a le droit de rester à son poste avec décence et honneur. Sont généralement considérés comme des préjudices graves le fait de situer le salarié au même niveau ou sous les ordres de l'un de ses anciens subordonnés (10. Décisions du Tribunal Constitucional sur la dignité du salarié, STC 88/1985 19 juillet 1985 (RTC\1985\88), et STC 15 décembre 1983(RTC, 1983, 120)) ou bien lorsque le salarié subit des injures ou des comparaisons avec le reste des salariés de l'entreprise. Il peut également s'agir d'une marginalisation du salarié (11.Cours de Derecho del Trabajo, Ana Matorras, Universidad Pontificia Comillas, année universitaire 2010/2011).

Sur le non versement ou les retards à répétition des salaires convenus, la principale obligation de l'employeur est celle du versement ponctuel du salaire convenu avec le salarié. Tout retard dans le versement des salaires n'est pas forcément suffisant pour invoquer une inexécution de l'employeur. En effet, un retard ponctuel peut être excusé et ne justifie pas à lui seul l’extinction indemnisée du contrat de travail. L’élément clé est l'existence d'une réitération et d'un retard notable, continu, chronique (12. El Asesor Laboral, Guillermo Barrios, Yolanda Cano, Javier Hierro, Ana de la Puebla, Aranzadi 3ème édition, 2009, p.155; Arrêt Tribunal Superior de Justicia STSJ 25 septembre 2007 (n° 2471/2007): pas de faute en cas de retard sporadique et conjoncturel). Par exemple, un retard de dix-huit mensualités ou d'un trimestre représentera une inexécution grave de l'employeur de ses obligations contractuelles. Mais le retard de trois mensualités sur une relation professionnelle de vingt ans, sans reproches ni incidents remarquables, ne représentera pas le même manquement ni la même gravité (13. Cours de Derecho del Trabajo, Ana Matorras, Universidad Pontificia Comillas, année universitaire 2010/2011). En principe, le non-paiement des salaires devra être total et devra obéir à des raisons totalement étrangères au salarié ( 14. Arrêt Tribunal Supremo STS 18 septembre 1989 (RJ\1989\6455).

Enfin, sur les autres inexécutions, il s'agit d'une clause ouverte, qui permet d’ajouter toute autre conduite de l'employeur reprochable qui ne rentre dans aucune autre des deux autres causes précédemment mentionnées. Il peut s'agir par exemple de manquements concernant la sécurité ou l’hygiène sur le lieu de travail. Ce sont tous les autres motifs dérivant d'une conduite grave et coupable de l'employeur qui porte préjudice au droit des salariés (15. Cours de Derecho del Trabajo, Ana Matorras, Universidad Pontificia Comillas, année universitaire 2010/2011). Enfin, pourront y être inclus les cas de mobilité géographique et de modifications substantielles des conditions de travail (jours de travail, horaires et distribution du temps de travail, régimes de gardes, système de rémunération) respectivement régulés par les articles 40 et 41 du Statut des Travailleurs.

Face à cette régulation législative espagnole, complétée par la jurisprudence des tribunaux sociaux, et établissant une liste des motifs permettant la démission contrainte, le Code du travail français ne mentionne pas la prise d'acte. C'est en effet la jurisprudence française qui a consacré et développé la notion de la prise d'acte, apparue par les arrêts de la Cour de Cassation du 25 juin 2003. La prise d'acte de rupture a été considérée comme un mode original de rupture, limitée au contrat à durée indéterminée. Si le salarié prend acte de la rupture d'un contrat à durée déterminée, il s'agira juridiquement d'une rupture anticipée du contrat soumise aux règles prévues à l'article L1243-3 du Code du Travail français (16. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.427.)A l'inverse, le droit espagnol n'établit pas cette limite.

De plus, la Cour de cassation française ne se prononce pas quant aux causes auxquelles est soumise la prise d'acte, ne se contentant que d'exiger un motif suffisamment grave (17. Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Pascal Lokiec, Sophie Robin-Olivier et autres, Revue de droit du travail 2006 p. 196 ; Cass.Soc, 19 janvier 2005, n°03-45.018 Bull. civ. V, n° 12), ne détaillant et ne classant pas les possibles motifs de rupture comme le fait le Statut des Travailleurs.

La régulation de la démission forcée est donc davantage encadrée par le droit espagnol que la prise d'acte par le droit français, puisque celle là impose des catégories de causes pouvant être invoquées par le salarié, tant dans le but de protéger les contrats conclus entre les parties que dans celui de protéger les salariés en ne laissant pas aux juges la tâche de définir le cadre légal. Intéressons nous donc à présent à la place du juge dans l'initiative du salarié étudiée.

B) La déclaration judiciaire d'extinction du contrat de travail imposée au salarié espagnol et la rupture unilatérale par le salarié français.

La démission provoquée est conditionnée à une décision de justice. En effet, la seule commission d'une faute par l'employeur entrant dans l'une des catégories détaillées par l'article 50 n'est pas suffisante. Les Tribunaux Sociaux (Juzgados de lo Social) des différentes Communautés Autonomes devront constater la faute de l'employeur, le contrat n'étant rompu que lorsque ainsi le déclare une décision de justice. Le salarié devra présenter une réclamation judiciaire sollicitant l'extinction du contrat de travail. La procédure judiciaire se terminera par la résolution du contrat de travail à la date de la notification de la décision de justice (18. Asesor Laboral, Guillermo Barrios, Yolanda Cano, Javier Hierro, Ana de la Puebla, Aranzadi 3ème édition, 2009, p.155). La démission contrainte correspond donc à une résolution judiciaire du contrat de travail. L'inconvénient de ce système résidant dans le fait que si le salarié cesse de travailler et que le juge considère que le grief reproché à l'employeur n'était pas suffisamment important pour justifier la décision du salarié de cesser le travail et que les raisons sont insuffisantes pour déclarer que la résiliation du contrat de travail justifie le versement d'une indemnisation, ce dernier pourrait prendre le risque de perdre son travail sans compensation (19. Jesus Lahera Forteza, Professeur à l'Université Complutense de Madrid (Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Revue de droit du travail 2006 p. 196).

A l'inverse, la résiliation judiciaire en droit français était, avant que la prise d'acte soit consacrée, la voie traditionnelle permettant au salarié d'obtenir la résiliation de son contrat en raison des manquements de son cocontractant. La Cour de Cassation n'a cependant pas définit la nature juridique de la prise d'acte, en se contentant de relever que celle-ci produit les effets d'une démission ou d'un licenciement (20. Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Pascal Lokiec, Sophie Robin-Olivier et autres, Revue de droit du travail 2006 p. 196). La prise d'acte de rupture, contrairement à la démission contrainte, doit être adressée directement à l'employeur. Si elle est adressée au juge prud'homal, elle est analysée comme une demande de résiliation judiciaire. La Cour de Cassation, par un arrêt du 16 mai 2012 (21. Soc.16 mai 2012,n°10.15-238), a considéré que «si la prise d'acte de rupture du contrat de travail n'est soumise à aucun formalisme et peut valablement être présentée par le conseil du salarié au nom de celui-ci, c'est à la condition qu'elle soit adressée directement à l'employeur» (22. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.428)

Le salarié français aura par conséquent la possibilité, contrairement au salarié espagnol, de résilier de manière unilatérale son contrat de travail en raison de faits reprochables de son employeur, profitant ainsi d'une plus grande liberté et marge de manœuvre, là où le droit espagnol préfère protéger le contrat conclu par les parties.

Intéressons nous à présent aux différents effets que font produire ces deux droits à l'initiative du salarié étudiée.

II) Les conséquences de la rupture par le salarié du contrat de travail: effectivité et indemnisation.

La rupture du contrat de travail par le salarié est-elle immédiate? A quels types d'indemnisations ouvre t-elle droit?

A) Effectivité de la rupture: immédiateté ou interdiction de cesser le travail ?

La prise d'acte entraîne la rupture immédiate du contrat de travail. Tout comme le licenciement ou la démission, c'est un acte unilatéral de volonté qui, lorsqu'il a été valablement émis, produit tous ses effets, aussi bien vis-à-vis de l'autre partie au contrat qu'à l'égard de son auteur. Elle ne pourra donc pas être rétractée (23. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.430.)

A l'inverse, le salarié espagnol, par l'exercice de la démission provoquée, ne pourra pas quitter son poste jusqu'à ce que soit rendue la décision de justice. En effet, la rupture n'intervenant pas avant le prononcé du jugement, le salarié est en faute s'il quitte son poste. D'où un régime d'exceptions afin de permettre au salarié de cesser le travail avant la décision de justice dans les cas les plus sérieux comme l'atteinte à sa santé, à sa sécurité ou à sa dignité (24. Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Pascal Lokiec, Sophie Robin-Olivier et autres, Revue de droit du travail 2006 p. 196; Cass.soc, 19 janvier 2005, Bull. civ. V, n° 12; Arrêt Chambre sociale, Tribunal Supremo, STS 3 juin 1988 (RJ\1988\5210)).  Cependant, la relation professionnelle ne s'éteindra pas avant que la décision de justice ne soit rendue. Si au long de la procédure, le contrat de travail est rompu par abandon, licenciement ayant une cause réelle et sérieuse ou par un autre motif, l'initiative de la démission provoquée prendra fin. Cependant, la Chambre Sociale du Tribunal Supremo a affirmé, par un arrêt du 20 juillet 2012, que le salarié conservera son droit à l'indemnisation, même s'il quitte son poste avant que ne soit rendue la décision de justice, pour des raisons autres que sa santé, sécurité ou dignité. Le Tribunal Supremo a considéré que l'obligation de continuité du contrat de travail pouvait être trop «rigide» et qu'il était nécessaire d'introduire une plus grande flexibilité. Ainsi, les juges se sont accordés sur le fait de ne pas obliger le salarié à maintenir des conditions de travail pouvant impliquer un grave préjudice patrimonial ou une perte d'occasions professionnelles (25. Arrêt Chambre sociale, Tribunal Supremo, STS 20 juillet 2012 (RJ\2012\9609)), bien que la décision de justice reste nécessaire pour prononcer la résolution du contrat de travail. Cet arrêt s'inscrit dans la lignée d'autres arrêts récents du Tribunal Supremo prenant en compte la situation économique du salarié pour que celui-ci quitte son poste de travail (26. Arrêt Chambre sociale, Tribunal Supremo, STS 17 janvier 2011 (RJ\2011\532)). La jurisprudence espagnole rapproche donc la démission provoquée de la prise d'acte en permettant une certaine immédiateté de la rupture du contrat de travail.

B) Variété des indemnisations accordées suite à l'initiative du salarié : licenciement, démission ou autre ?

Lorsque les fautes de l'employeur entraînent la démission contrainte du salarié espagnol, l'employeur sera obligé de verser au salarié une indemnisation égale à celle prévue pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse (despido improcedente) correspondant, comme le dispose l'article 56 du Statut des Travailleurs, à 33 jours de travail par année de travail, avec une limite de 24 mensualités. Pour les manquements signalés à l'article 50.1 c) du Statut des Travailleurs et régulés par les articles 40 et 41 sur les modifications des conditions de travail ou les mobilités géographiques, le salarié pourra, dans un délai d'un mois à compter de ces modifications, opter pour résilier son contrat de travail et recevoir une indemnisation correspondant à 20 jours de travail par année de travail. Il s'agit d'un cas intermédiaire car ce sont des modifications qui causent un préjudice au salarié mais de façon moins grave que les modifications substantielles et qui sont justifiées par une nécessité professionnelle de l'employeur sans inexécution de sa part, comme l'indiquent les articles 40 et 41 du Statut des Travailleurs.

Le droit espagnol établit donc deux régimes d’indemnisation différents suivant la modification apportée au contrat de travail, produisant les effets d'un licenciement ou bien correspondant à une indemnité particulière de «conciliation» mais ne produisant ni les effets d'un licenciement ni d'une démission.

A la différence de l’indemnisation prévue pour la démission provoquée, la prise d'acte quant à elle peut produire trois effets différents: les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une démission ou d'un licenciement ayant une cause réelle et sérieuse. Pour la première, le salarié qui prend acte de la rupture en raison de fautes suffisamment graves de l'employeur a droit à l'indemnité légale ou éventuellement conventionnelle de licenciement, à l'indemnisation compensatrice de préavis et à l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En revanche, si le salarié n'arrive pas à rapporter la preuve que la prise d'acte de rupture était justifiée, il sera considéré comme démissionnaire et il n'aura donc droit à aucune indemnité de l'employeur et ne pourra pas non plus prétendre aux allocations d'assurance chômage. Enfin, la Cour de Cassation dans un arrêt du 26 janvier 2011 (27. Soc, 26 janvier 2011, n°09-71.271, RDT 2011.175, obs. Jean Pélissier) affirme la licéité d'une clause contractuelle rendant la rupture imputable à l'employeur, en absence de toute faute commise par celui-ci, en cas de changement de contrôle, de fusion absorption ou de changement significatif d'actionnariat. L'indemnisation prendra alors la forme d'un licenciement ayant une cause réelle et sérieuse (28. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.428-430.).

 

En conclusion, bien que le droit espagnol et le droit français fassent partie de la même famille de Droit romano-germanique, nous pouvons observer au moment de les comparer, que le droit espagnol, en régulant la démission provoquée dans le Statut des Travailleurs, encadre davantage cette initiative que le droit français, en établissant une liste de possibles causes d'extinctions, les effets et les conséquences de cette action. Il se montre cependant plus protecteur que le droit français, ne laissant pas au juge le pouvoir de réguler cette initiative du salarié. Cependant, par l'arrêt du 20 juillet 2012, le Tribunal Supremo vient assouplir la Loi espagnole, se rapprochant quelque peu de la régulation prétorienne française, celle-ci accordant davantage de souplesse à l'initiative du salarié et une plus grande autonomie vis-à-vis du pouvoir judiciaire.

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

-El Asesor Laboral, Guillermo Barrios, Yolanda Cano, Javier Hierro, Ana de la Puebla, Aranzadi 3ème édition, 2009, pages 154-155

-Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, pages 427-431

Articles de doctrine

-El cese anticipado de la prestación de servicio en los procesos extintivos derivados del art.50 ET: una autotutela limitada, Rafael Alvarez Gimeno, Publication Aranzadi Social, numéro 3/2011

 -Prise d'acte et rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Pascal Lokiec, Sophie Robin-Olivier et autres, Revue de droit du travail 2006 page 196

Codes

-Statut des Travailleurs (Real Decreto Legislativo 1/1995, de 24 de marzo, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores)

-Código civil, Tecnos, Edición 2008

Jurisprudence

-Soc,Tribunal Supremo STS 20 juillet 2012 (RJ\2012\9609)

-Soc,Tribunal Supremo STS 18 juillet 1996 (RJ\1996\6165)

-Soc,Tribunal Supremo STS 11 décembre 1997 (RJ\1997\9163)

-Soc,Tribunal Supremo STS 3 décembre 1987 (RJ\1987\8822)

-Soc,Tribunal Supremo STS 18 septembre 1989 (RJ\1989\6455)

-Soc,Tribunal Supremo STS 3 juin 1988 (RJ\1988\5210)

-Soc,Tribunal Supremo STS 20 juillet 2012 (RJ\2012\9609)

-Soc,Tribunal Supremo STS 17 janvier 2011 (RJ\2011\532)

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Madrid 25 février 2008 (n°144/2008)

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Madrid 31 octobre 2006 (n°833/2006)

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Pais Vasco 25 septembre 2007 (n°2471/2007)

 

-Cass.Soc, 19 janvier 2005,n°03-45.018 Bull.Civ.V, n°12

-Cass.Soc, 25 juin 2003,n°01.42-335 Bull.Civ.V, n°209

-Cass.Soc.16 mai 2012,n°10.15-238, publié au Bulletin

-Cass.Soc.15 mars 2006,n°03.45-031 Bull.Civ.V, n°109

-Cass.Soc.26 janvier 2011,n°09-71.271 Bull.Civ.V, n°35

Sites internet

-Westlaw.es

-Dalloz.fr

Autres

-Cours de Derecho del Trabajo, Ana Matorras, Universidad Pontificia Comillas, Année universitaire 2010/2011