A propos de la notion de dommages et intérêts punitifs en droit français et américain, par Albane Pons
Résumé : Contrairement au système juridique américain qui permet l’octroi de dommages et intérêts punitifs, le droit français applique strictement le principe de la réparation intégrale qui exclut toute idée de sanction et de profit. Cependant, bien que ce concept de dommages et intérêts punitifs ne soit pas reconnu dans l’ordre juridique français, certains mécanismes tels que l’astreinte ou la clause pénale s’en rapprochent de par leur mode de sanction respectif. L’avenir des dommages et intérêts punitifs reste néanmoins incertain. En effet, de nos jours, ils font l’objet de nombreuses critiques aux Etats Unis et rencontrent des obstacles considérables à leur mise en œuvre en droit français.
En France le montant des dommages et intérêts est destiné à réparer le préjudice subi et uniquement le préjudice subi. Il s’agit du principe de la réparation intégrale qui établit une stricte équivalence entre le montant des dommages et intérêts et la réparation du préjudice. Ce principe de réparation intégrale découle des articles 1382 et 1149 du Code Civil qui prévoient respectivement que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » et que « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ». On parle alors de dommages et intérêts compensatoires, l’objectif étant de replacer la victime dans la situation la plus proche de celle dans laquelle elle se serait trouvée si le préjudice n’avait pas existé, excluant ainsi le profit.
A l’inverse, dans certains pays de Common Law, comme aux Etats-Unis, il est possible d’octroyer des dommages et intérêts qui réparent le préjudice mais également qui sanctionnent la faute. Ce type de dommages est plus connu sous le nom de dommages et intérêts punitifs. Il ne s’agit dès lors plus de réparer le dommage subi mais de priver l’auteur de la faute de tout gain dont il aurait pu bénéficier. Le versement d’une autre somme qui excède la simple réparation du dommage causé est ici exigé à titre de sanction. Le montant de cette somme se veut dissuasif afin de prévenir certains comportements abusifs et déloyaux. La nature du préjudice justifiant l'octroi des dommages et intérêts punitifs est souvent variable et imprécise. Pour caractériser le comportement de l'auteur du délit, ont utilise généralement des termes tels que la mauvaise foi, la fraude, la malice, l'oppression, la violence ou encore l’imprudence.
Les dommages et intérêts punitifs sont généralement accordés par un jury civil quand les dommages et intérêts compensatoires sont considérés comme insuffisants. La sanction sera prononcée et les dommages et intérêts seront attribués une fois que le lien de causalité direct entre le comportement du défendeur et le préjudice subi par le demandeur sera établi. Le préjudice doit être la conséquence prévisible et probable de l’attitude du défendeur.
A l’observation de ces deux différents systèmes juridiques on peut donc se demander si le principe de dommages et intérêts punitifs américain trouve son équivalent en droit civil. En d’autre termes existe-t’il une greffe juridique (legal transplant) de cette notion en droit français ou du moins un équivalent juridique qui pourrait être considéré comme similaire ? Afin de répondre à cette question il conviendra dans un premier temps d’analyser les différences entre le système américain et le système français : la reconnaissance du principe en droit américain et l’existence de mécanismes similaires en droit français. Par la suite, nous nous pencherons plus particulièrement sur les critiques et les limites d’un tel principe. Ensuite nous analyserons les origines du projet d’intégration des dommages et intérêts punitifs en droit français et nous détaillerons l’utilité d’un tel projet. Enfin, nous aborderons la question de l’avenir de la notion des dommages et intérêts punitifs de manière générale.
Différences entre les systèmes juridiques français et américain : la reconnaissance du principe des dommages et intérêts punitifs en droit américain et l’existence de mécanismes similaires en droit français
Les dommages et intérêts punitifs constituent un mode sanction consacré et reconnu en droit américain. Ces dommages et intérêts dépendent de la loi de chaque Etat (state law) et sont donc appliqués de manière différente au sein même du continent américain. Dans de nombreux Etats, comme la Californie et le Texas, ceux-ci sont déterminés par la loi (les « statutes ») mais ils peuvent également être fondés sur la jurisprudence. Beaucoup de ces lois des Etats sont le résultat du lobbying de certaines compagnies d’assurance pour imposer des plafonds légaux sur ces dommages et intérêts punitifs.
Sauf indication contraire par la loi, l'attribution de dommages et intérêts punitifs est laissée à la discrétion du juge et du jury civil. La règle générale est que les dommages et intérêts punitifs ne peuvent pas être attribués à la suite d’une rupture de contrat. Mais si un délit indépendant est commis dans le cadre contractuel, des dommages et intérêts punitifs peuvent alors être accordés pour ce délit. Ces derniers sont habituellement attribués lorsque le comportement du défendeur témoigne d'une intention réelle de nuire plutôt que d’une simple négligence.
Si certains ordres juridiques appliquent tel quel le principe des dommages et intérêts punitifs, d’autres, plus méfiants refusent une stricte application du modèle américain. Cependant bien que ce mécanisme ne soit pas explicitement reconnu dans certains ordres juridiques il existe plusieurs dispositifs légaux qui pourraient s’y apparenter de par leurs similitudes. C’est le cas en France : ces dommages et intérêts ne sont pas consacrés dans l’ordre juridique français et sont totalement inconnus du Code civil. En outre les tribunaux français n'ont jamais accordé des dommages et intérêts punitifs et se limitent à appliquer le principe de la réparation intégrale. Cependant bien que les dommages et intérêts punitifs ne soient pas expressément intégrés dans l’ordre juridique français on observe qu’ils peuvent trouver leur équivalent par l’intermédiaire de deux mécanismes : la clause pénale et l’astreinte. Ces dispositifs, bien que différent des dommages et intérêts punitifs, s’en rapprochent néanmoins de par leurs modes de sanctions respectifs.
L’astreinte correspond à une condamnation à verser une indemnité pécuniaire qui peut varier à raison de tant de jour, semaine ou mois de retard. Comme les dommages et intérêts punitifs elle constitue une sanction pécuniaire ordonnée par le juge du fond à l’encontre du débiteur récalcitrant afin de lui faire exécuter ses obligations. Par ailleurs l’astreinte est également accordée en plus des dommages et intérêts compensatoires et est laissée à l’entière discrétion du juge. La notion de sanction dans l'application de l’astreinte se rapproche de celle qui peut être rencontrée lors de l'octroi des dommages et intérêts punitifs : le rôle de l'astreinte est de sanctionner la faute du débiteur commise à l’encontre du créancier et en lui faisant payer une somme d'argent proportionnelle au retard dans l'exécution de son obligation cela aura comme conséquence de le dissuader de prolonger ce comportement.
L’autre mécanisme similaire aux dommages et intérêts punitifs est la clause pénale. Elle consiste en une clause contractuelle qui établit par avance l’indemnité qui sera due par l’une des parties à un contrat si elle ne respecte pas les obligations découlant de ce dernier. C’est une sanction civile prévue par les parties lors de la conclusion d’un contrat. La clause pénale se rapproche de la notion de dommages et intérêts punitifs en ce que le débiteur sera amené à verser une indemnité supérieure au coût réel du préjudice qu’il a causé. Par ailleurs une telle clause a pour but de sanctionner le débiteur si il ne respecte pas ses obligations contractuelles. La principale différence avec le concept de dommages et intérêts réside dans le fait que les indemnités versées ne sont pas octroyées par le juge mais sont prévues à lors de la rédaction des dispositions contractuelles.
Critiques et limites du principe de dommages et intérêts punitifs
Le principe des dommages et intérêts punitifs fait actuellement l’objet de différentes critiques aux Etats Unis qui ont pour conséquence de limiter sa mise en œuvre en droit français.
Tout d’abord, en étudiant le mode de fonctionnement d’un tel mécanisme dans le système américain on constate que la première critique réside dans sa nature quasi criminelle ayant pour conséquence d’imposer des sanctions pénales sur le défendeur. Or les dommages et intérêts punitifs sont accordés dans le cadre d’une procédure civile. Dans ce genre de situation le défendeur ne bénéfice donc pas des garanties habituelles rencontrées lors de procédures pénales, ce qui est manifestement injuste. En France, si on appliquait tel quel ce principe de dommages et intérêts punitifs on rentrerait en conflit avec plusieurs principes de la responsabilité civile. En effet, en droit civil français, la notion de responsabilité dispose seulement d'une fonction réparatrice. L'idée de punition, telle qu’on peut la rencontrer dans le concept de dommages et intérêts punitifs, est exclue. Enfin si l’on prend en compte l’intervention du juge civil dans le domaine pénal on constate que bien que la distinction entre les juridictions civiles et pénales soit très nette en droit civil, elle reste plus ténue en droit de la Common Law. La responsabilité civile est investie d’une fonction d’indemnisation, ce qui la distingue de la responsabilité pénale qui poursuit une finalité sociale de punition du coupable. C’est le droit pénal qui a la fonction de punir et la fonction répressive est étrangère au système de la responsabilité civile.
Une autre critique provenant du système américain consiste à dire que les sommes octroyées à la victime sont excessives, inutiles et contreproductives. En effet les montants astronomiques accordés au titre de ces dommages peuvent avoir pour conséquence d’augmenter le coût de la production et des services et pourraient également décourager certaines entreprises par crainte d’un tel litige. En réponse à cette allégation, la Cour suprême des Etats-Unis, dans l’arrêt BMW of North America a mis en place des lignes directrices pour l'évaluation de dommages et intérêts punitifs. Selon elle, la conduite répréhensible du défendeur doit être évaluée et cette évaluation doit constituer l’indice le plus important à prendre en compte lors du calcul du montant de dommages et intérêts punitifs. La Cour a également déclaré qu'il était possible d'évaluer le caractère excessif de dommages et intérêts punitifs en appliquant un ratio entre le montant des dommages et intérêts compensatoires et celui des dommages et intérêts punitifs. Cette critique liée aux montants octroyés constitue l’un des obstacles majeurs à l’application d’un tel mécanisme en France. En effet les dommages et intérêts punitifs ne sont pas adaptés dans l’ordre juridique français pour des raisons d’ordre économique. Si ces derniers étaient mis en œuvre les risques économiques seraient importants et les coûts des transactions astronomiques. L’ampleur des frais et les montants disproportionnés sont régulièrement soulevés. De même, la condamnation d’un débiteur à payer une somme faramineuse dont on sait qu’elle dépasse largement sa solvabilité semble aberrante. Par ailleurs le principe de la réparation intégrale, contrairement aux dommages et intérêts punitifs s’oppose totalement à un quelconque enrichissement de la victime. Le but est de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si elle n'avait subi aucun préjudice.
Face à ces critiques et ces limites on peut donc légitimement s’interroger sur l’avenir des dommages et intérêts punitifs. Les critiques émanant du système américain seront elles prisent en compte pour une meilleure application du principe ? Quelle position le droit français adoptera t’il face à toutes ces limites ? Cependant avant de rentrer plus dans les détails de la mise en ouvre d’un tel mécanisme en droit français il faut tout d’abord se pencher sur les origines de ce projet. Quel a été l’élément déclencheur ?
Origines et élément déclencheur du projet d’intégration des dommages et intérêts punitifs en droit français
La responsabilité civile a connu ces dernières années une certaine évolution ; en effet la fonction de peine privée de cette dernière semble connaître un certain regain d’intérêt. Selon Boris Starck, la responsabilité civile serait investie d’une double fonction : celle de « garantie » et celle de « peine privée ». A l’inverse de son rôle de « garantie » qui est bien connu par le droit français, la fonction « peine privée » de la responsabilité civile a souvent été négligée par la doctrine. Cependant elle n’a pas complètement disparu et s’est même réaffirmée dans certains domaines. Comme le démontrait Stéphane Piedelièvre, « on ne peut nier aujourd'hui que le droit de la responsabilité revêt parfois un caractère sanctionnateur que ce soit de manière avouée ou inavouée ». De nombreux exemples vont dans ce sens. En premier lieu, l’utilisation de plus en plus fréquente de la clause pénale et de l’astreinte renforce ce rôle « sanctionnateur » de la responsabilité civile.
On notera également certaines tendances jurisprudentielles qui semblent de moins en moins réticente à l’égard de ces dommages et intérêts punitifs. En effet dans certains arrêts on constate un renforcement de cette fonction « sanctionnatrice » de la responsabilité civile. Tout d’abord en matière de réparation des atteintes à la vie privée dans où l’on assiste de plus en plus à des condamnations au paiement de dommages et intérêts « gonflés ». La Cour de Cassation a souvent rappelé que l’indemnité devait être calculée « en fonction de la valeur du dommage sans que la gravité de la faute puisse avoir aucune influence sur le montant de ladite indemnité ». Cependant comment expliquer cette tendance à l’octroi de dommages et intérêts « gonflés » ? Il est clair que le principe de la réparation intégrale mis en œuvre pour réparer un simple préjudice moral n’aurait pas donné lieu à de tels dommages et intérêts. En effet, « seule la gravité de la faute et les impératifs de sanction et de dissuasion permettent d'expliquer les dommages-intérêts « gonflés » dans ce domaine » car « si les juges s'étaient bornés à appliquer strictement le principe de la réparation intégrale, ici pour réparer un préjudice simplement moral, les dommages-intérêts auraient été bien moindres. ». Par ailleurs dans un arrêt de la Chambre mixte du 6 septembre 2002 concernant une affaire de loterie publicitaire, la Cour de Cassation a autorisé les victimes de ces loteries publicitaires à intenter une action en justice sur le fondement du quasi contrat afin de récupérer le gain qui leur avait été promis. Comme l’expliquait le Professeur Denis Mazeaud, le quasi contrat joue un rôle assez particulier. Alors qu’il était « traditionnellement appréhendé comme un mécanisme de compensation ou de restitution en faveur de l'auteur d'un fait profitable d'autrui, il constitue désormais aussi une technique de sanction des promesses sans lendemain ». La Cour se base sur le mécanisme du quasi contrat pour sanctionner une faute ou un comportement ainsi que pour dédommager la victime comme le font les cours américaines lorsqu’elles ont recours aux dommages et intérêts punitifs. Les cours françaises comme les cours américaines réparent le préjudice et sanctionnent la faute.
Après avoir vu pourquoi le droit français voulait intégrer ce mécanisme, il serait pertinent de se pencher plus en détails sur l’utilité de cette intégration ainsi que sur les intérêts du droit français quant à l’implantation de ce système. En d’autres termes pourquoi la France envisage-t’elle d’intégrer ces dommages et intérêts punitifs qui présentent, comme nous l’avons vu précédemment, certains défauts ?
Utilité de l’intégration des dommages et intérêts punitifs en droit français
Comme l’expliquait Diana Calciu, la mise en œuvre des dommages et intérêts punitifs en droit français permettrait de lutter contre les fautes lucratives. Ces dernières sont généralement définies comme « les fautes qui malgré les dommages et intérêts que le responsable est condamné à payer - et qui sont calqués sur le préjudice subi par la victime laissent à leur auteur une marge bénéficiaire pour qu'il n'ait aucune raison de ne pas les commettre » (B. Stark, H. Roland et L. Boyer, Obligations, 1. Responsabilité délictuelle, 5e éd., 1996, Litec, spéc. N°1335). Par exemple, un organe de presse publiant un magazine portant atteinte à la vie privée d’une personne célèbre acceptera de payer les dommages et intérêts auxquels il sera condamné car il sait qu’ils seront inférieurs au bénéfice réalisé par la vente du magazine. Le même schéma peut être reproduit dans une affaire de contrefaçon. Les dommages et intérêts que le contrefacteur devra verser à l’entreprise contrefaite seront des moindres au regard des profits engendrés par la vente de la copie. Le droit français reste encore impuissant face à ce genre de comportements déloyaux et les modes de sanctions restent inefficaces. La faute lucrative n’est envisagée qu’à travers l’article 1382 et est généralement apparentée à la faute délictuelle à défaut d’être consacrée par un article du Code civil. Par ailleurs les dommages et intérêts compensatoires ne semblent pas adéquats pour ce genre de situation. En effet, ils refusent de prendre en considération les profits illicites ainsi que les enrichissements sans cause des responsables qui ont agi en connaissance de cause.
L’établissement d’une fonction punitive et préventive de la responsabilité est donc nécessaire. Comme l’expliquait Diana Calciu il faut « durcir la sanction des auteurs de ces fautes manifestement délibérées à travers la prise en compte de leur faute et surtout déjouer les calculs de ceux-ci en les obligeant à restituer les profits faits illicitement. C'est la seule façon de rétablir l'effectivité des règles de droit dans ces domaines et d'éviter de laisser se pérenniser ces activités dommageables ». Le recours aux dommages et intérêts punitifs semble être une solution adaptée afin de lutter contre ces fautes lucratives. En effet, il ne sera possible de mettre un terme aux fautes lucratives que si une sanction de la faute est mise en place en plus de l’indemnisation de la victime. L’auteur de l’acte illicite doit être puni et ce par le paiement d’une somme qui dépasse le montant du simple préjudice. L’octroi de dommages et intérêts punitifs dans le cadre d’une faute lucrative permettrait de dissuader ceux qui envisageraient de se livrer à de telles manœuvres.
Futur des dommages et intérêts punitifs
A l’heure actuelle on assiste à un rapprochement certain entre le droit français et les droits de Common Law, plus spécifiquement celui des Etats-Unis. Une double évolution dans les droits des deux systèmes est à l’origine de ce rapprochement. Comme nous l’avons remarqué précédemment, alors que les dommages et intérêts punitifs sont consacrés et appliqués aux Etats Unis, ils ne sont pas explicitement reconnus en droit français.
Toutefois, comme l’expliquait Hélène Gaudemet-Tallon « une évolution, tant dans les pays qui admettent les dommages intérêts punitifs que dans ceux qui les ignorent, se fait sentir. » Cette tendance s’est d’abord fait ressentir en droit américain.En effet aux Etats Unis, la question du futur des dommages et intérêts punitifs est étudiée de près par la Cour Suprême mais également par la Tort Reform Association qui cherchent à encadrer et à limiter le recours aux dommages et intérêts punitifs ainsi que le prononcé de condamnations à des dommages et intérêts punitifs. La décision de la Cour Suprême dans l’arrêt BMW of North America v/ Gore plafonnant les montants accordés au titre des dommages et intérêts punitifs et expliquant aux juges et au jury comment envisager l’octroi de tels dommages et intérêts, eut un impact considérable. La Cour a déclaré qu’un contrôle plus approfondi des montants accordés par le jury devait être mis en place et a rappelé que le juge avait le pouvoir de réduire ou d’interdire ces dommages et intérêts punitifs.
Par ailleurs, au cours des vingt dernières années, les dommages et intérêts punitifs ont été au centre des débats autour de la Tort Reform. Cette réforme, soutenue par l’American Tort Reform Association, propose des changements substantiels dans le domaine de la responsabilité délictuelle et plus particulièrement en ce qui concerne l’octroi des dommages et intérêts punitifs. L’association affirme que les dommages et intérêts punitifs ne devraient être alloués que si le caractère intentionnel et quasi criminel du délit est établi. Le comportement du défendeur doit refléter d’une véritable volonté de nuire. Cet argument s’inspire de l’origine même du principe des dommages et intérêts punitifs car ces derniers étaient initialement conçus pour pénaliser des délits intentionnels comme l’agression, la violence, la contrainte ou la violation de propriété. Par ailleurs, la proportionnalité des dommages et intérêts punitifs est fondamentale pour que la sanction corresponde à l’infraction. Pour cela les montants accordés doivent être un peu plus raisonnables et des lois devront être promulguées pour faire face à la démesure d’une telle indemnisation.
Personne ne peut prédire comment l’application de ces dommages et intérêts punitifs évoluera au fil du temps et quelle influence la Tort Reform aura sur leur attribution. Cependant quelques considérations doivent être prises en compte :
● Est ce que les tribunaux doivent repenser le rôle attribué aux dommages et intérêts punitifs dans le système juridique américain ?
● Quels indices seront utilisés par les tribunaux pour limiter leur montant ?
● Quels types de preuve doivent être pris en compte dans le calcul de ces dommages?
● Est-il nécessaire de mettre en place certaines instructions qui devront être suivies à la lettre par le jury ?
L’évolution dans le système juridique américain tend donc à limiter les dommages et intérêts punitifs. A l’inverse, en droit français, l’évolution s’est faite en faveur d’une reconnaissance ou du moins d’une prise en considération du mécanisme. Plusieurs éléments traduisent de cette évolution. Tout d’abord, dans un arrêt du 1er décembre 2010, la Cour de Cassation a statué pour la première fois sur la possible reconnaissance en France de décisions étrangères ayant prononcé une condamnation à des dommages et intérêts punitifs. En l’espèce, des époux de nationalité américaine, vivant aux Etats-Unis et acheteurs d’un bateau fabriqué par une société française avaient demandé en France l’exequatur d’une décision rendue le 26 février 2003 par les juridictions américaines. Les juridictions américaines avaient condamné cette société à leur verser la somme de 1,39 million de dollars en dommages et intérêts compensatoires et de 1,46 millions de dollars en dommages et intérêts punitifs. La Cour d’appel de Poitiers a estimé que le montant des indemnités était disproportionné et qu’il constituait une source d’enrichissement sans cause. Les époux se sont pourvus en Cassation. Même si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, elle a déclaré « si le principe d’une condamnation à des dommages intérêts punitifs, n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur". Ainsi, selon la Cour de cassation, le principe des dommages et intérêts punitifs n'est pas contraire à l’ordre public français.
Par ailleurs, l’Avant Projet Catala se penche également sur la question des dommages et intérêts punitifs. L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription ou avant-projet Catala porte sur une réforme de certaines dispositions du Code Civil français et plus particulièrement celles concernant les contrats, les quasi-contrats, la responsabilité civile et la prescription. L’article 1371 de ce projet et la proposition de loi n ° 657 du 9 Juillet 2010 sur la réforme de la responsabilité civile proposent de créer un texte juridique général qui consacrerait ce principe de dommages et intérêts punitifs. L’aboutissement éventuel du projet serait la première reconnaissance officielle de l'imposition de dommages et intérêts punitifs en Europe. L’article 1371 stipule que : «L'auteur d'une faute manifestement délibérée, et notamment d'une faute lucrative, peut être condamné outre les dommages et intérêts compensatoires, à des dommages et intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages et intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages et intérêts accordés à la victime. Les dommages intérêts punitifs ne sont pas assurables ».
En ce qui concerne l’avenir des dommages et intérêts punitifs en France, trois questions se posent :
- Ces dommages et intérêts punitifs sont-ils susceptibles d’être assurés ?
- Le montant de ces dommages et intérêts peut-il être plafonné ?
- La victime doit elle être l’unique bénéficiaire de ces dommages et intérêts ?
Aux Etats-Unis les dommages et intérêts punitifs peuvent être assurés mais les lois des différents Etats américains ont des points de vue divergents et l’assurabilité dépend de la nature de chaque « punitive damage ». En France, si l’on considère que les dommages et intérêts punitifs peuvent être assurés ils seraient alors privés de leur utilité. Utilité dissuasive, en premier lieu car la crainte de lourdes peines pécuniaires oblige à la prudence. Ainsi, un défendeur bien assuré, sachant que ses ressources personnelles ou celles de la société ne sont pas directement en jeu sera moins enclin à agir avec prudence puisque sa situation financière ne sera pas réellement menacée. Utilité de sanction et de dissuasion, ensuite, la peine n’étant plus affligée directement à la personne fautive, mais étant réglée par l’assurance. Cela entrainera également un phénomène de déresponsabilisation qui irait à l’encontre du but poursuivi. A cet égard l’article 1371 de l’avant-projet Catala prévoit que ces dommages et intérêts punitifs ne sont pas assurables.
Par ailleurs, face aux montants astronomiques souvent accordés au titre des dommages et intérêts punitifs, on peut s’interroger sur l’opportunité d’un plafonnement de leur montant. En droit américain, aucun montant maximum n’est fixé pour l’octroi de dommages et intérêts punitifs. Cependant à la suite de certains arrêts qui accordaient des sommes souvent jugées excessives, la Cour Suprême a rendu plusieurs jugements limitant l’octroi de tels sommes sur le fondement de la « due process clause » ainsi que sur les Cinquième et Quatorzième Amendements (« Protects against abuse of government authority in a legal procedure » et « Due Process Clause »). La Cour a également indiqué que le montant des dommages et intérêts punitifs ne pouvait pas être quatre fois plus élevé que celui des dommages et intérêts compensatoires. Pour certain auteurs, le plafonnement légal de ces dommages et intérêts punitifs confèrerait une certaine rigidité aux dommages et intérêts punitifs en incitant les juges à s’en rapprocher. Ceux-ci tendent à penser que l’absence de plafond ne conduit pas à des excès mais laisse le champ libre à la circonspection prétorienne. Néanmoins, on observe que pour d’autres le plafonnement est un garde fou essentiel à ce mécanisme. Contrairement à l’avant projet Catala qui ne retient pas cette idée de plafond chiffré, la proposition de loi n ° 657 du 9 Juillet 2010 sur la réforme de la responsabilité civile prévoit que le montant des dommages et intérêts punitifs ne pourra excéder le double du montant des dommages et intérêts compensatoires octroyés.
Enfin dans la conception classique, les dommages et intérêts punitifs sont destinés à indemniser le créancier lésé. La totalité des dommages et intérêts punitifs sera détenue par le demandeur. Cependant le risque d’un enrichissement sans cause de la victime semble faire obstacle à l’introduction en France de tels dommages et intérêts. La proposition de loi quant à elle suggère une distribution équitable des dommages. En effet l’article 1386-25 énonce que «les dommages et intérêts punitifs sont, dans la proportion que le juge détermine, versés respectivement à la victime et à un fonds d'indemnisation dont l'objet est de réparer des dommages similaires à celui subi par la victime. À défaut d'un tel fonds, la proportion des dommages et intérêts non attribués à la victime est versée au Trésor public ». Ceci permettrait de concilier les avantages des dommages et intérêts punitifs comme la dissuasion, sanction, avec le principe d’interdiction d’enrichissement sans cause, et dérives liées à l’appât du gain pour les victimes.
Conclusions qu’on peut en tirer en matière de rapport de systèmes
A l’observation de ces deux systèmes juridiques plusieurs conclusions nous viennent à l’esprit. Tout d’abord si le législateur français décide d’établir un tel mécanisme il doit absolument éviter les excès du système américain (montants astronomiques, surlitigation…) L’opportunité de ce principe réside dans une application modérée de ce dernier. Par ailleurs si les montants accordés au titre de ces dommages et intérêts restent dans la limite du raisonnable, ils seront en accord avec le droit communautaire et plus particulièrement le règlement Rome II sur les obligations non contractuelles. Ce dernier prévoit que l’octroi de dommages et intérêts punitifs excessifs et déraisonnables est contraire à l’ordre public du for du pays dans lequel l’exequatur d’une décision accordant des dommages et intérêts punitifs serait demandée.
De manière plus générale, on peut affirmer que les dommages et intérêts punitifs sont promis à un avenir plutôt incertain que cela soit au sein du système américain, qui tend à limiter l’application d’un tel mécanisme, ou en droit français qui se montre plutôt réticent à la mise en ouvre pure et simple du principe. Un copié collé intégral du mode de fonctionnement américain ne semble pas être la meilleure solution pour l’adaptation de ce mécanisme en France et quelques encadrements seront nécessaires pour éviter de reproduire les erreurs observées en droit américain (plafonnement des montants, impossibilité d’assurer de tels dommages…).
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- Aline Vignon Barrault « les dommages et intérêts punitifs ». Travaux issus des premiers séminaires « Droits nationaux et projets européens en matière de responsabilité civile » organisés par le Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile/assurance. Enquête sur « la réparation intégrale en Europe ». Synthèses. Section II- Questions saillantes, sous section III. Séminaires du 1er et 2 octobre 2010
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