A propos de la valeur juridique attribuée au principe de précaution par le juge national, par Noémie Oudey

La reconnaissance du principe de précaution a permis de répondre aux inquiétudes concernant la protection de l’environnement. Pour autant, la juridicité accordée à ce principe par les textes internationaux comme nationaux est relative, laissant ainsi aux juges nationaux le soin de définir la portée du principe de précaution.

L’histoire récente est riche en exemples d’effets bénéfiques des progrès technologiques et scientifiques pour l’homme. Cependant, il est admis de plus en plus que la science et la technologie ont également contribué à créer de nouvelles menaces pour l’existence humaine. L’apparition de nouveaux risques imprévisibles et incertains mais potentiellement dangereux pour l’environnement, comme ceux qui sont associés aux organismes génétiquement modifiés (OGM) ou aux changements climatiques, a placé les sociétés devant la nécessité d’élaborer un mécanisme anticipatif, pour protéger les hommes et l’environnement contre des risques douteux dus à l’action humaine, c’est le principe de précaution. Le principe de précaution est relatif aux mesures qui peuvent être prises en cas d’incertitude scientifique sur les conséquences des risques pour l’environnement. Le principe de précaution répond à une logique de prudence commandée par l’instinct de survie et proportionnée à la prise de conscience actuelle des risques que peut occasionner le progrès scientifique pour l’homme et son environnement. Lutter contre les risques pour l’environnement consistait, avant la reconnaissance de ce principe, à adopter des mesures curatives, il s’agissait alors de limiter les dommages à ce qui pouvait être remis en état ou remboursé. L’apparition du principe de précaution a permis de basculer vers un système anticipatif où l’action précède le dommage. Le principe de précaution prend pour la première fois forme dans l'Allemagne sous le nom de « Vorsogeprinzip » et est considéré, dès 1976, comme un principe directeur des politiques environnementales du gouvernement allemand. Sous l'impulsion d'une Allemagne largement en avance sur ses partenaires en matière de protection environnementale, le principe de précaution acquiert dans les années 80 une dimension internationale. Le principe de précaution est alors intégré dans des instruments de nature conventionnelle. Ainsi, le principe de précaution trouva sa première expression dans la Convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d’ozone, et en 1992 la Convention sur la biodiversité consacre le principe de précaution en matière d’environnement. Cependant, le premier s’abstient de définir le principe de précaution et se contente de l’évoquer, et le second l’énonce dans des termes flous. Ce manque de précision constitue un frein pour l’applicabilité du principe dans l’ordre juridique des Etats parties à ces conventions. En effet, certains Etats s’opposent à l’applicabilité directe dans leur ordre juridique d’une règle de droit définie en des termes généraux et imprécis. D’autre part, le principe de précaution fait souvent l'objet de résolutions, de recommandations ou de déclarations d'intention. L’ensemble de ces textes possèdent une grande importance du point de vue de la reconnaissance politique du principe, mais ne constituent pas un support juridique contraignant. Les références au principe de précaution se sont donc multipliées en droit international. Mais cette augmentation quantitative n'a pas été de pair avec une amélioration qualitative, qui aurait pu amener des éléments de définition et davantage de précisions sur la portée du principe. Au niveau international, le principe de précaution n’a donc pas dépassé le cadre du droit mou. Les Etats, respectant leur obligation de mettre en œuvre le droit international, ont intégré ce principe dans leur ordre juridique national. Il s’agissait également pour les pouvoirs publics, face à une pression de la société civile, de satisfaire la demande citoyenne. Mais nous verrons qu’en droit interne, le principe de précaution souffre également d’imprécision. En effet, dans l’ordre juridique interne de nombreux Etats, le principe n’est pas ou mal défini, et les conditions de son application ne sont pas énoncées. Il semble alors que les autorités publiques ont employé le principe de précaution comme un outil politique, tout en jouant sur sa nature confuse afin d’éviter l’adoption d’une règle excessivement contraignante. Face à l’absence de détermination du contenu du principe de précaution, tant au niveau international que national, l’application de ce dernier devient, par conséquent, largement tributaire de l'interprétation qu’en font les juridictions. Quelle valeur juridique ont attribué les juridictions nationales au principe de précaution dans leur ordre juridique national ? Même si chacun s'accorde à reconnaître que les actions dommageables pour l'environnement et la société devraient être évitées, les partisans d'une approche d'un principe de précaution stricte, énoncé par la loi et sanctionné par la justice, ne fait pas l’unanimité. En effet, certains Etats considèrent que le principe de précaution constitue une entrave au progrès scientifique et à l'avancée de la société. Selon eux, la force normative concédée à ce principe doit être limitée. La diversité des cultures juridiques n'a donc pas permis d'unifier la conception du principe. Les pays de « common law » tels que les Etats-Unis et l’Australie ont mis en avant le fait que le principe de précaution peut se heurter à la libre circulation des marchandises. Il apparaît trop vague pour s'imposer puissamment aux autorités autrement que comme une méthode de politiques publiques. En revanche, la France et la Belgique, pays de tradition romano-germanique, ont reconnu au principe de précaution une force contraignante. La France a été la seule à reconnaitre une valeur constitutionnelle au principe. Nous opposerons les conceptions de chacun de ces pays, et nous étudierons la portée que les juridictions nationales de ces pays attribuent au principe de précaution. Il pèse sur le juge interne le devoir d’appliquer les traités dans l’ordre juridique interne. Cette exigence internationale découle de l’obligation d’exécution des traités incombant aux Etats partis à un traité. Ainsi, une fois introduit dans l’ordre juridique interne, le traité pénètre l’ordre juridique interne et le juge national a le devoir de garantir et de mettre en œuvre ce droit. Mais il arrive que le juge, dans l’exercice de ces compétences, fasse preuve d’une certaine timidité à l’heure d’appliquer des règles issues d’instruments internationaux. Le fait est que la conduite de la politique extérieure de l’Etat est le plus souvent une compétence qui revient au pouvoir exécutif et que le juge en intervenant en toute indépendance à l’heure d’appliquer les traités risquerait de s’immiscer dans la conduite des relations diplomatiques. Mais le juge national peut également adopter une tout autre attitude. Il lui arrive de faire preuve d’audace en n’hésitant pas à interpréter de manière extensive le droit issu de traités internationaux. Nous pouvons alors nous demander si, en respectant son obligation d’appliquer les traités dans l’ordre juridique interne, le juge national n’influence pas la construction du droit international.

Du fait de la souplesse des sources dont est issu le principe de précaution, le juge restreint sa portée Les Etats-Unis ont été précurseurs en matière de reconnaissance du principe de précaution dans la législation interne. Cette position semble paradoxale compte tenu de la réticence actuelle des États-Unis à appliquer ce principe dans leur propre ordre juridique interne, mais également au niveau international. En effet, l’administration fédérale américaine développe une opposition systématique au principe de précaution dans les négociations internationales. Cette opposition s’est confirmée à travers son refus de participer au Protocole de Kyoto sur le changement climatique ou encore par la dénonciation du caractère protectionniste de ce principe devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il faudra alors attendre 1980 pour que la loi sur l’exploitation des nodules des grands fonds marins fasse une référence explicite au principe de précaution. Mais cette loi constitue une exception et le reste des dispositions fédérales se contente de se référer implicitement à ce principe adoptant ainsi une approche précautionneuse, c’est-à-dire qu’elles retiennent l’essence même du principe de précaution sans pour autant le citer expressément. C’est le cas du Federal Insecticide, Fongicide and Rodenticide Act qui, sans nommer le principe de précaution, impose aux fabricants de pesticides de prouver que leurs produits n’auront pas d’effets négatifs déraisonnables sur l’environnement. Les Etats-Unis reconnaissent donc le principe de précaution mais ne le relaie qu’en une ligne directrice à prendre en compte à l’heure de la formation de normes juridiques. Lorsqu’il statue, le juge américain s’inspire de cette approche de précaution mais ne fonde pas sa décision sur le principe de précaution. L'Australie, quant à elle, a introduit le principe de précaution dans l'Intergovernmental Agreement on the Environment de 1992, conclu entre l'Etat fédéral et les autorités fédérées. Mais cet accord n'est pas juridiquement contraignant. Ainsi, l'Australie affirme son attachement au principe de précaution mais préfère l'évoquer dans des documents déclaratoires qui guident l'action des autorités publiques. Il en résulte que le principe de précaution n’est pas invocable devant le juge. Le juge australien justifie sa faible portée juridique par son manque de précision. Ainsi aux Etats-Unis comme en Australie, l’application du principe de précaution est donc difficile. La jurisprudence demeure réservée sur un principe davantage considéré comme relevant d'une méthode de politiques publiques et dont elle ne livre qu'une interprétation limitée et soumise au respect d'autres principes considérés comme supérieurs, comme les libertés économiques. De plus, les juges australien et américain se fondant sur la théorie de l’acte clair, refusent d’interpréter les traités dès lors que le sens et la portée de ses dispositions sont ambigus. L’application de cette théorie traduit un refus de dialogue avec le juge international alors que le respect des traités implique, comme nous l’avons vu, l’obligation pour le juge interne d’appliquer les traités dans l’ordre juridique interne. Le juge français, quant à lui, a adopté une position différente.

Alors que la plupart des partenaires européens de la France avaient intégré des références au principe de précaution dans leur droit interne, la France est longtemps restée muette sur ce sujet. En effet, le législateur français se contentait des garanties offertes par les instruments internationaux et communautaires faisant référence au principe de précaution. La loi dite Barnier de 1995 formule pour la première fois le principe de précaution en droit français. Mais, la formulation générale et imprécise du principe de précaution renforce le sentiment d’un principe énoncé sans réelle volonté du législateur quant à son application. C’est donc par l’intermédiaire de la jurisprudence que le principe de précaution s’impose en droit français. En effet, le juge français n’a pas hésité à faire du principe de précaution une règle de droit dotée d'une portée juridique, en dépit de l'absence de textes accordant au principe de précaution une portée juridique autonome et directe. A l’occasion d’un arrêt du 25 septembre 1998 Association Greenpeace France, le Conseil d’Etat (CE) consacre le principe de précaution visé par l'article L.200 du Code rural. En l’espèce, il prononce le sursis à exécution d'un arrêté ayant permis l'inscription de variétés de maïs transgénique dans le catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France, afin d'éviter tout risque de dommage pour la santé. Le CE reconnaît donc au principe de précaution, la valeur d’une règle de droit d’application directe et immédiate. Mais la France n’en est pas restée là. Une nouvelle étape fut franchie par la consécration constitutionnelle du principe par l’intermédiaire de la Charte de l’environnement en son article 5. La Charte de l'environnement apparaît être un indicateur de la préoccupation écologique européenne et place la question de l’environnement au sommet de la hiérarchie des normes. En effet, son adoption met en avant l’attention des autorités publiques vis-à-vis des questions environnementales, et surtout le volontarisme de la France en matière de protection de l’environnement. Intégrer le principe de précaution dans la Constitution permet également d’encadrer l’activité du législateur et de s’assurer ainsi que le principe sera respecté par les prochaines lois adoptées. Des réserves peuvent toutefois être formulées. La rédaction de l'article 5 de la Charte ne donne aucune définition précise du principe, dans la mesure où les conditions de sa mise en œuvre demeurent largement soumises à l'interprétation que retiendront les juges chargés de l'appliquer. Ce texte n’encadre donc pas strictement l’activité du législateur qui pourra donc librement légiférer en cette matière. D’autre part, la Charte de l’environnement limite l'adoption de mesures de précaution aux seules autorités publiques. Le principe de précaution est donc d’applicabilité directe pour les autorités publiques. Face à la décentralisation de l’Administration française, plusieurs autorités publiques ont compétence en matière environnementale, mais l’absence de définition précise du principe de précaution et les différentes interprétations du principe qui peuvent être faites risquent de conduire à des degrés d’application différents. La consécration constitutionnelle du principe en France est soumise à de telles limites que celle-ci semble avoir une portée davantage symbolique que juridique.

Certains juges nationaux n’ont pas eu peur de redéfinir le champ d’application du principe de précaution c’est-à-dire d’étendre son champ d’application à des matières non visées par les textes internationaux et nationaux. Comme nous l’avons vu précédemment, les Etats-Unis ont donc adopté une approche précautionneuse dans leur ordre juridique interne. Mais cette approche se limite aux cas strictement visés par la réglementation. En effet, le juge américain refuse de généraliser cette approche à d’autres cas, bien que similaires, non visés par les textes. Ainsi, la Cour suprême américaine s’est montrée relativement réservée quant à l’application du principe de précaution. Et lorsqu’elle admet exceptionnellement son application à l’occasion d’un arrêt Tennessee Valley Autoriy v.Hill en 1978 où elle s’est prononcée pour l'interruption de la construction d'un barrage susceptible de provoquer l'extinction d'une espèce de poisson protégée, elle insiste sur le fait qu’une analyse des risques doit être faite afin de calculer les réponses appropriées. La Communauté européenne a également participé au mouvement de reconnaissance du principe de précaution. Le Traité de Maastricht de 1992 consacre le principe de précaution au rang de principe de droit de l’environnement. Repris ultérieurement dans les traités d’Amsterdam et de Nice, le principe de précaution guide la politique de la Communauté européenne en matière d’environnement (article 174§2). Ainsi selon l’article 253 du Traité de Maastricht, les institutions communautaires ont donc l'obligation d'appliquer le principe de précaution dans le domaine de l'environnement, et de motiver leurs décisions au regard de ce principe. Cependant, aucune autre disposition du traité n'énonce explicitement le principe de précaution, ni les modalités de sa mise en œuvre. Face à cette lacune, les institutions communautaires ont largement recouru au droit déclaratoire pour tracer les lignes directrices de la mise en œuvre de ce principe. Ainsi, en 2000 le Conseil adopte une Résolution sur le principe de précaution qui étend l’applicabilité du principe aux Etats membres, alors que l’article 174 du traité ne vise que les institutions communautaires. Mais ces documents, dépourvus de force juridique, ne contraignent ni les Etats ni les institutions à agir dans un sens déterminé. La responsabilité de définir le champ d’application du principe et les modalités de son application revient alors aux juridictions communautaires. Et grâce à l’intervention du juge communautaire, le principe de précaution va s'affirmer progressivement comme une règle d'application directe et autonome. En effet selon la lettre du traité de Maastricht, seul l'environnement semble visé par le principe de précaution. Mais le juge communautaire n’a pas hésité à étendre l’application de ce principe à d’autres domaines que ceux liés à l’environnement. L'extension du domaine du principe de précaution sera consacrée par le juge communautaire dans l'arrêt Artegodan GmbH et autres du 26 novembre 1992, où le Tribunal de première instance se réfère au principe de précaution en matière de sanitaire et considère que « le principe de précaution peut être défini comme un principe général du droit communautaire ». Le juge communautaire ouvre ainsi la possibilité de l’appliquer à l’ensemble des domaines couverts par le droit communautaire, tel que la santé alimentaire et la protection du consommateur. Le juge belge a suivi le pas du juge communautaire. En effet, celui-ci est intervenu afin de préciser les matières dans lesquelles le principe est susceptible de s’appliquer. Dans un arrêt du 20 août 1999, le Conseil d’Etat belge a considéré que les droits constitutionnels à la protection de la santé et à un environnement sain intégraient le principe de précaution. Le juge belge a donc étendu, au-delà des textes légaux, le domaine d’application du principe de précaution. En l'absence de textes de loi au niveau national, ou en la présence de textes opaques ou de portée limitée en droit international, c'est par le biais de la jurisprudence que le principe de précaution a acquis une portée effective dans les pays de tradition romano-germanique. Le principe de précaution s’est donc révélé propice à la création de droit par l'intermédiaire de la jurisprudence. En effet, le juge interne s'est montré réceptif au principe de précaution et n'a pas hésité à l’appliquer, même hors du champ traditionnel du principe qu'est la protection de l'environnement. L’interprétation extensive dont a fait preuve le juge national a permis de donner une consistance au principe de précaution. Mais il est nécessaire de souligner que l'importante latitude d'interprétation dont dispose le juge concernant la portée du principe et le manque d'éléments sur lesquels celui-ci fonde sa décision de justice constitue un danger pour la sécurité juridique.

Le principe de précaution ne saurait être une entrave au principe de la libre circulation des marchandises L’OMC est la seule organisation internationale qui s'occupe des règles régissant le commerce entre les Etats. Le but de l’OMC est d'aider les producteurs de marchandises et de services, les exportateurs et les importateurs à mener leurs activités. Dans le commerce international, de nombreux litiges se sont élevés tirant leur origine du même souci d’un Etat ou d’un groupe d’Etats de restreindre le commerce d’un produit pour prévenir le risque sanitaire ou écologique qui lui est lié. L’OMC fonde un régime de circulation des marchandises qui s’inspire de grandes libertés économiques telles que la liberté d’entreprise ou le libre échange et intègre timidement des principes non économiques tels que l’environnement et la santé. Et lorsque l’Organe de Règlement des Différends (ORD) de l’OMC connait des litiges concernant l’application du principe de précaution, il se réfère à l’Accord sur les mesures Sanitaires et Phytosanitaires (SPS) qui exige l’existence d’un risque avéré : les Etats peuvent adopter des mesures protectrices de l’environnement ou de la santé à condition qu’ils puissent les justifier par la preuve d’un risque. L’affaire du bœuf aux hormones illustre parfaitement cette exigence. En l’espèce, l’Union Européenne (UE) avait décrété en 1988 un embargo sur la viande traitée aux hormones de croissance. Les Etats-Unis et le Canada ont alors porté l’affaire devant l’OMC. L’ORD a condamné l’UE à lever l’embargo tant que celle-ci n’apportait pas les preuves scientifiques de la nocivité de la viande aux hormones. Ainsi, dans le jugement du 12 juillet 1999, l’ORD a validé la pertinence du principe en tant que tel, mais considère en l’espèce que l’évaluation des risques pour la santé alimentaire fait défaut. La décision européenne d’embargo a alors été jugée discriminatoire par l’ORD. Il ressort donc de la position de l’OMC que l’incertitude scientifique n’autorise pas la restriction au commerce mais qu’elle justifie au contraire le maintien de la liberté de circulation des produits. En revanche en droit communautaire, le principe de précaution a été utilisé par la CJCE pour justifier des entraves au principe de la libre circulation. En effet, lors de la crise de la vache folle, des mesures d’embargo ont été prononcées contre l’importation de viande bovine en provenance du Royaume-Uni. Saisie par le Royaume-Uni, la CJCE rejette dans une ordonnance de référé du 12 juillet 1996 la demande de sursis à exécution et énonce que « lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée des risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ». La mesure de protection adoptée en l’espèce par la CJCE fut d’interdire l’exportation de bovins et de viandes bovines provenant du Royaume-Uni, et donc de limiter la portée du principe de la libre circulation des marchandises. Il apparaît alors que la CJCE n’hésite pas à mettre en péril le principe de la libre circulation de la marchandise, pourtant au sommet des principes protégés par la CJCE, au profit de l’application du principe de précaution. Le juge belge, dans l’arrêt du 20 août 1999, a également reconnu que la liberté de commerce et d’industrie ne pouvaient être considérée comme une liberté absolue dès lors que les opérations qui la composent ont un effet néfaste sur l’environnement. Le juge belge a donc admis l’interdiction de telles opérations, dès lors que les restrictions à la liberté de commerce et d’industrie sont proportionnées. Le principe de précaution entre en contradiction avec plusieurs autres règles consacrées par le droit international, notamment celles qui protègent les libertés économiques. Une conciliation s'avère donc nécessaire. De cette conciliation, peuvent être affirmés la primauté du principe de précaution malgré son imprécision, ou alors son infériorité face à d’autres normes internationales au risque de vider le principe de son essence.

Depuis sa première formulation en Allemagne en 1976, le concept de principe de précaution s’est précisé : il bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance qui s’est étendue tant au niveau international que national, et la portée juridique du principe de précaution tend davantage à se préciser même si elle fait toujours l’objet de discussions doctrinale et jurisprudentielle. La détermination juridique de ce principe se poursuit. A l’heure de l’élaboration d’instruments internationaux, les rédacteurs de ces textes sont influencés par le contenu du droit interne des Etats. En effet, dans le souci d’une application effective des traités internationaux dans les ordres juridiques internes, les rédacteurs prennent en compte les caractéristiques des différentes familles juridiques existantes, et s’inspirent aussi bien des textes de lois que de la jurisprudence des Etats. Nous pouvons alors imaginer que les rédacteurs des futurs textes internationaux relatifs au principe de précaution s’inspireront des positions jurisprudentielles des Etats à l’heure de définir la valeur juridique du principe de précaution. Ces textes pourront alors refléter une tendance audacieuse du juge national et étendre le champ d’application du principe de précaution, ou bien adopter une attitude plus timide quant à la portée juridique du principe de précaution. La formation du droit international sera alors influencée par l’activité du juge national. De plus, les juridictions internationales étant composées de juges qui proviennent des systèmes nationaux, s’inspirent de leur propre tradition. Même si leur influence se mesure à la puissance culturelle du système dont ils sont issus et à leur propre autorité, il est tout à fait envisageable d’observer que certaines juridictions internationales tel que l’ORD se laissent influencer par les positions nationales de ses membres. Bibliographie :

Ouvrage généraux

- Le principe de précaution de P.BECHMANN, éd. Litec, 2002 ;

- Le Principe de Précaution de F.EWALD, C.GOLLIER, N.DE SADELEER, éd. PUF, coll. Que sais-je ?, 2001 ;

Articles

- Vers un nouveau principe général du droit : le respect du « principe de précaution? » , Z. OLOUMI, Revue de l'Actualité juridique française, décembre 2002 ;

- Le statut juridique du principe de précaution en droit communautaire : du slogan à la règle, N.DE SADELEER, Cahiers de droit européen, vol.XXXV, 2001 ;

- Le principe de précaution en droit communautaire, A. ALEMANNO, Revue du Droit de l'Union Européenne n°4, 2001 ;

- Vers un droit de l'environnement renouvelé, M.PRIEUR, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, mars-septembre 2003 ;

Textes officiels

- Federal Insecticide, Fongicide and Rodenticide Act (1972) ;

- Intergovernmental Agreement on the Environment (1992) ;

- La loi dite Barnier (1995) ;

- Traité de Maastricht (1992) ;

Décisions

- CE, 25 septembre 1998, Association Greenpeace France ;

- Cour suprême américaine, Valley Autoriy v.Hill (1978) ;

- TPICE, 26 novembre 1992, Artegodan GmbH et autres ;

- ORD, 12 juillet 1999, affaire du bœuf aux hormones.