Protection des marques : le caractère distinctif des marques en droit français et américain par Nadège MORVANT

La distinctivité est une condition essentielle établie pour la validité d’une marque, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. L’approche se révèle globalement similaire en droit français et américain, au niveau des éléments établissant le caractère distinctif d’une marque ainsi que des différents moyens d’obtention du signe distinctif.

« La marque est un vecteur du développement des entreprises et donc de l’économie. » (Droit des marques et Nom de domaine, Marie-Eugene Laporte, Professeur d’université, 2005) Elle rentre dans la catégorie des signes distinctifs, comme le nom commercial, l’enseigne, la dénomination sociale et les appellations d’origine, et le nom de domaine. Le signe distinctif est un signe qui permet d’identifier des produits ou services parmi ceux des concurrents. Le signe distinctif est également un signe de ralliement de la clientèle. Le signe distinctif est ainsi une condition essentielle de validité de la marque. Dès lors qu’une marque devient distinctive, est alors assurée une protection pour le titulaire de la marque contre ses concurrents. Le choix du signe n’est pas aisé: il faut concilier entre un nom accessible pour le public tout en essayant de trouver une marque la plus arbitraire possible. De plus le caractère distinctif d’une marque est ‘amovible’ dans le sens qu’il peut s’acquérir comme se perdre. Comment la marque peut-elle obtenir le caractère distinctif ? Tout en développant une approche comparative, on va s’apercevoir que finalement le droit français ne diffère pas beaucoup du droit américain concernant le critère de distinctivité en droit des marques. Notons aussi que le droit français des marques résulte d’une harmonisation européenne d’où la mention de décisions européennes dans ce billet.

Une marque peut acquérir le caractère distinctif à deux moments différents de la procédure en droit des marques: soit par l’enregistrement(I) ou soit par l’usage. (II)

I.) Obtention légale du caractère distinctif des marques

Tout d’abord, il s’agit de déterminer ce qui constitue le caractère distinctif d’une marque, élément acquis une fois la marque enregistrée.

A/ Critères d’appréciation du caractère distinctif des marques

En droit français, selon l’article L 711-1 al.1 du CPI « la marque de fabrique, de commerce ou de service est définie comme étant un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. » D’emblée, la notion de distinctivité est implicitement considérée parmi les éléments constitutifs de la marque.

Pour qu’une marque soit légalement valable, le signe choisi doit être distinctif. L’article L711-2 du CPI pose la condition de la distinctivité. La loi est peu précise sur les critères de la distinctivité. Est seulement indiqué à l’alinéa 1 que la distinctivité “s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.” Néanmoins, on peut en déduire les deux points suivants: En premier lieu, la distinctivité est relative puisqu’elle s’apprécie par rapport aux produits désignés. La marque doit être capable d’identifier les produits ou services de son titulaire par rapport à ceux des concurrents. La marque doit donc être suffisamment arbitraire par rapport aux produits ou services qu’il s’agit d’identifier. De plus, certes l’enregistrement du signe distinctif confère un droit exclusif d’exploitation à son titulaire, lui assurant ainsi un monopole et une protection contre ses concurrents. Cependant, le monopole est limité à un domaine d’activité, c’est-à-dire qu’il concerne seulement les produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement. On parle de principe de spécialité. C’est pour cette raison que des produits de secteurs différents peuvent avoir la même marque. On peut remarquer que cette relativité du caractère distinctif caractérise le droit des marques par rapport aux autres droits de la propriété intellectuelle. En effet, le Tribunal de Première Instance, dans une décision du 27 février 2002, précise que « le défaut de distinctivité ne saurait résulter de l’absence de surcroît de fantaisie …ou d’une touche minimale d’imagination, …une marque…ne procède pas nécessairement d’une création et ne se fonde pas sur un élément d’originalité ou d’imagination mais sur la capacité d’individualiser des produits ou des services dans le marché par rapport aux produits ou services du même genre offerts par les concurrents ». (TPI 27 fév. 2002, Eurocool Logistik GmbH OHMI, PIBD n° 747-III-349) La distinctivité n’est donc ni l’originalité, ni la nouveauté mais l’aptitude à l’identification des produits ou services. Un autre référent pour apprécier la distinctivité est le public ciblé : le consommateur moyen, le grand public ou le public spécialisé. En effet, la marque doit permettre au consommateur d’identifier les produits et garantir leur origine et donc de faire un choix éclairé et raisonné entre les différents produits. En droit américain, l’approche est similaire. La section 15 USC 1127 du Lanham Act fait également référence aux termes « identifier » et « distinguer. » ( Le Lanham Act aussi connu sous le nom de Trademark Act 1946, décrit à la section15 USC 1127:The term "trademark" includes any word, name, symbol, or device, or any combination thereof - (1) used by a person, or (2) which a person has a bona fide intention to use in commerce and applies to register on the principal register established by this chapter, to identify and distinguish his or her goods, including a unique product, from those manufactured or sold by others and to indicate the source of the goods, even if that source is unknown.) Ainsi, la marque obtient un caractère distinctif lorsqu’elle est capable de distinguer dans le commerce les produits et services du titulaire par rapport à ceux des autres opérateurs économiques.

Elle doit être également distinctive au regard du consommateur moyen et du marché pertinent. Ainsi il est essentiel de comprendre que la marque doit être analysée dans son contexte pour déterminer s’il y a distinctivité ou pas. voir US Search LLC v. US Search.com...

Notons aussi que d’après une jurisprudence constante, le caractère distinctif s’apprécie au jour du dépôt de la demande d’enregistrement auprès de l’INPI. (voir Cass. Com., 1/04/1197; RD prop. Intell. 1999, n.75, p.26) L’INPI exerce un contrôle sur la distinctivité (comme sur la licéité) du signe et peut ainsi rejeter la demande d’enregistrement sur ce fondement. Le caractère distinctif s’évalue également tout au long de la vie de la marque: une marque peut être annulée à tout moment par le juge sur demande d’un tiers agissant en contrefaçon ou nullité. Egalement, lorsque le terme qui constitue une marque devient générique, le titulaire encourt la déchéance de ses droits: L 714-6 du CPI. Il s’agit de l’un des cas de dégénérescence de la marque.

En droit américain, le procédé d’enregistrement est différent. La protection des marques peut s’opérer a trois niveaux: fédéral, étatique et common law. La protection de common law est accordée à toute marque utilisée continuellement sur le marché. La protection étatique est accordée aux marques utilisées dans l’Etat. La protection fédérale auprès du USPTO (United States Patent and Trademark Office) est la plus large, puisqu’elle couvre les marques utilisées dans tous les Etats-Unis. Il existe deux registres au niveau fédéral: le registre principal et le registre supplémentaire. Seules les marques distinctives en soi (« inherently distinctive ») peuvent accéder au registre principal: il s’agit des marques arbitraires, fantaisistes et suggestives. Les marques qui ont la capacité de distinguer des produits sont enregistrées sur le registre supplémentaire sous certaines conditions: section 15 USC 1091 du Lanham Act. C’est le cas des marques descriptives, mais ces dernières peuvent être transférées sur le registre principal par leur usage. (« secondary meaning ») Les marques enregistrées sur le registre principal bénéficient d’avantages indéniables tels une incontestabilité après cinq ans d’usage, une présomption de propriété et des dommages et intérêts triplés en cas de contrefaçon.

B/ Champ d’application de la distinctivité

En droit français, il s’agirait plutôt d’une caractérisation du signe non distinctif .En effet, l’article L 711-2 alinéa 2 du CPI définit le signe distinctif de façon négative en énumérant trois types de “signes dépourvus de caractère distinctif”.

La loi n’opère pas de degré de distinctivité de la marque, de même la jurisprudence n’admet pas la distinction entre les marques faiblement distinctives et les autres. Il va de soi que plus la marque est forte en identifiant clairement son produit des autres, plus il est facile de prouver la distinctivité, notamment en cas de litige de contrefaçon.

La jurisprudence américaine quant a elle opère un classement précis des marques allant des marques les plus faibles au plus fortes.

a. Marques génériques : le nom par lequel le produit est communément appelé, ne reçoit aucune protection.

b. Marques descriptives : elles décrivent directement un attribut ou une qualité du produit ou service, termes géographiques, noms personnels… elles ne peuvent être protégées sauf si elles acquièrent la distinctivité par l’usage. (« secondary meaning »)

Les marques suivantes sont distinctives en soi (« inherently distinctive ») et de ce fait recoivent une protection automatique et complète, immédiatement après leur adoption et usage, sans besoin de preuve : Blisscraft of Hollywood v. United Plastics Co., 294 F. 2d 694 (2d. Cir. 1961)

c. Marques suggestives: elles décrivent indirectement une caractéristique du produit ou service qui requiert l’imagination du consommateur.

d. Marques arbitraires: ce sont des marques qui utilisent des mots familiers mais d’une façon peu commune.

e. Marques fantaisistes: mots inventés ou qui n’ont aucune relation avec les produits ou services pour lesquels ils sont utilisés, crées uniquement pour l’utilisation de la marque.

Le placement de la marque dans l’échelle de la distinctivité entraine de nombreuses conséquences. En effet, même si toutes les marques reçoivent le même degré de protection quelle que soit leur force, il est plus facile pour un titulaire de se retrouver avec une marque forte, comme en droit français. Par exemple, en cas de contrefaçon, le demandeur devra juste prouver que la marque protégée lui appartient, et n’aura pas à démontrer comment il a acquis la distinctivité de la marque.

II.) La distinctivité acquise par l’usage

Il s’agit de l’autre voie possible pour que la marque acquiert un caractère distinctif.

A/ Description de l’usage

En droit français, la distinctivité d’un signe n’est pas figée. Une marque non distinctive, à l’exception des marques figuratives, peut acquérir la distinctivité par un long usage: dernier alinéa de l’article L711-2 du CPI. La distinctivité acquise par l’usage est examinée par l’INPI soit au jour du dépôt de la demande d’enregistrement, soit ultérieurement par les juges dans le cadre d’une action en nullité. L’usage peut donc être antérieur à la demande d’enregistrement ou postérieur a l’enregistrement de la marque, tout comme en droit américain.

Egalement similaire en droit américain, la distinctivité peut exister immédiatement à l’adoption de la marque, peut se perdre ou se gagner au fur et à mesure que la perception qu’a le public de la marque change. La section 15 USC 1052f) du Lanham Act établit la distinctivité acquise par l’usage en notant que la marque sur les produits du titulaire devient distinctive : « the mark has become distinctive as used on the applicant’s goods in commerce… » Ainsi des termes non distinctifs peuvent devenir significatifs et bénéficier d’une protection juridique car les consommateurs s’associent avec la marque du produit. En effet, le signe va être perçu par le public comme une marque, et non plus comme une désignation descriptive, usuelle ou générique du produit ou service en cause, d’où la notion de « secondary meaning. »

B/ Preuve de l’usage

En droit français, il appartient au demandeur de revendiquer et de prouver l’usage de la marque pour les produits et services concernes et de démontrer que la marque a acquis un caractère distinctif du fait de cet usage.

La Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt de 1999 (CJCE, cour plénière, 4 mai 1999, Winsurfing chiemsee produktions und vertriebs Gmbh c. Boots und segelzubehor walter huber et Franz Attenberger, PIBD n°683, III, 381) a précisé certains éléments pour prouver l’usage d’une marque : « Pour l’appréciation du caractère distinctif de la marque…peuvent … être prises en considération la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de la marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles. »

Les sondages d’opinions sont également un mode de preuve, et permettent de montrer le degré de notoriété de la marque: Division d’opposition de l’OHMI, 10 février 2006, La laitière c/ le petit laitier. L'usage est considéré comme sérieux si le propriétaire de la marque fait état de nombreux documents publicitaires et pages de magazines présentant sous cette marque les produits visés par le dépôt: Paris, 19 oct. 2001, D. 2003, n° 2, som. com. p.130. Dans la plupart des décisions ayant admis le caractère distinctif d’une marque, il s’agissait en général d’un usage long, constant, important, notoire du signe concerne.

En droit américain, la preuve de l’usage repose également sur le propriétaire de la marque, qu’il soit le demandeur pour un enregistrement fédéral ou le demandeur d’une action en contrefaçon. Il existe deux modes de preuve : soit le demandeur montre ses efforts pour acquérir la distinctivité par l’usage de la marque en continu et en exclusivité pendant au moins cinq ans, (section 1052f du Lanham Act) et par les importantes ventes et publicités ou soit il peut montrer l’impact laissé par ses efforts tels les sondages d’opinion très persuasifs, ou les licences, diverses correspondances avec les consommateurs ou encore l’étendue publicitaire. voir AmBritt, Inc. v. Kraft Inc. 81...

En conclusion, on observe beaucoup de points communs entre le droit américain et le droit français surement par un souci d’efficacité internationale. En effet, la France et les Etats-Unis sont tous deux membres du Protocole de Madrid qui offre au titulaire d'une marque la possibilité d'obtenir la protection de sa marque dans plusieurs pays en déposant une seule demande d’enregistrement directement auprès de son Office national ou régional. Ainsi la volonté d’un pays à approuver automatiquement l’enregistrement d’une marque étrangère montre que les pays Parties au Protocole ont une approche similaire des droits au niveau de la protection des marques.

Bibliographie

Droit américain:

LexisNexis : 1-2 Gilson on Trademarks 2008, §2.01 Distinctiveness LexisNexis: Kane on Trademark Law 2006, § 6.1 The Benefits of Federal Registration Lanham Act § 1052 http://www.bitlaw.com/source/15usc/1052.html § 1127 http://www.bitlaw.com/source/15usc/1127.html Corporate Counsel Solutions IP Management: Strategies and Tactics, Lackenberg Siege, 2007-08 Shah edition Distinctiveness Requirement http://home.att.net/~jmtyndall/ustm/distinctive.htm

Droit français:

Guide PI- Reglementation: les marques http://www.industrie.gouv.fr/guidepropintel/reglementations/les_marques.htm Droit des marques et nom de domaine, Marie-Eugene Laporte, professeur d’université, 2005 http://www.educnet.education.fr/chrgt/marques-et-nom-de-domaine.pdf Articles du CPI- www.legifrance.gouv