Vers un encadrement des monnaies virtuelles en France et aux États-Unis
Les monnaies virtuelles connaissent un succès grandissant à l’image du Bitcoin créé en 2009 par le développeur japonais Satoshi Nakamoto. En France comme aux États-Unis, les puissances publiques cherchent à combler le vide juridique dans lequel s’est engouffrée la devise qui évolue en autorégulation depuis sa création. Face aux risques inhérents à l’utilisation du Bitcoin qui sont liés à sa forte volatilité, l’irréversibilité des transactions et la vulnérabilité du système de fonctionnement à titre d’exemples, l’encadrement des monnaies virtuelles s’est imposé comme un défi de taille en matière de régulation bancaire et financière.
Les monnaies virtuelles ne font plus seulement la une de l’actualité. Elles intéressent désormais le législateur ou le régulateur, notamment car elles sont de plus en plus utilisées comme moyen de paiement ou comme instrument de spéculation.
Les devises comme le Bitcoin ont rapidement pris de l’ampleur sur la scène financière internationale jusqu’à permettre leur convertibilité contre des monnaies ayant cours légal. Le gouvernement français, et plus précisément le ministre des finances Michel Sapin, s’est donc emparé du sujet afin de prévenir d’éventuelles dérives. Les dangers associés à l’émergence de ces monnaies sont nombreux, qu’il s’agisse de l’absence de transparence, des possibilités de fraude fiscale, ou encore de leur utilisation à des fins illicites pour alimenter des trafics et autres activités illégales. Le Congrès des États-Unis a mis en avant ces risques de façon similaire d’autant plus que le Bitcoin pourrait venir perturber les objectifs de la Réserve Fédérale, à savoir la stabilité des prix et la stabilité financière.
La technologie derrière le Bitcoin représente « l’une des innovations les plus puissantes dans la finance au cours des cinq cents dernières années » (Paul Vigna et Michael Casey, The Age of Cryptocurrency : How Bitcoin and Digital Money Are Challenging the Global Economic Order, St. Martin’s Press, janvier 2015). Le logiciel qui en assure le fonctionnement permet d’effectuer des transactions rapidement et sans frais en contournant les acteurs habituels des services de paiement (émetteurs de cartes de crédit, banques et fournisseurs de terminaux de paiement).
À sa naissance, le Bitcoin représentait le rêve d’une communauté marginale : un moyen de paiement décentralisé sans autorité de régulation et sans banque centrale pour battre monnaie puisque les portefeuilles de ses utilisateurs sont virtuels. Ce système d’échange décentralisé, c’est-à-dire sans intermédiaire de confiance tel qu’une banque, permet de se libérer des contraintes légales. « Défi technologique » devenu « défiance du secteur traditionnel et régulé », les monnaies virtuelles sont rapidement passées de l’ombre à la lumière comme en attestent leur volume (à hauteur de 10 milliards d’euros en circulation) et leur potentiel de détournement (Remise du rapport de Tracfin sur les monnaies virtuelles, Intervention de M. Michelle Sapin, Ministre des finances, Bercy, 11 juillet 2014). De plus, un nombre croissant de commerces en ligne accepte maintenant le Bitcoin comme moyen de paiement.
Les règles juridiques ont la mauvaise réputation de freiner le commerce et l’innovation. Avec le Bitcoin, il est question d’une technologie capable de bouleverser le monde de la finance. Toutefois, les circuits frauduleux qui voient le jour dans le cyberespace rendent possibles des fraudes jusqu’alors inconcevables : « elles s’affranchissent de quasiment toutes les contraintes légales en créant leurs propres structures, circuits, règles et marchés » (Yann Burnichon, « De quelques facettes de la mission de l’enquêteur financier face aux fraudes numériques », AJ Pénal, 2014, p. 62). L’encadrement juridique des monnaies virtuelles doit donc s’opérer de façon équilibrée afin de parer les dérives sans compromettre la capacité d’innovation.
Il n’existe pas de régime spécifique applicable aux monnaies virtuelles ni en France ni aux États-Unis (Tom Carper, Rapport du Sénat américain sur le bitcoin, 3 février 2014) mais leurs risques font que leur régulation est devenue une préoccupation des puissances publiques (I). Il y a dors et déjà eu une réponse sur le plan pénal qui s’inscrit dans cet élan vers plus d’encadrement (II).
I. L’absence de régulation des monnaies virtuelles
Le système financier est ordinairement soumis à une réglementation et à des contrôles rigoureux. Les paiements en monnaie virtuelle échappent cependant à la surveillance des autorités compétentes, ce qui conduit certains auteurs à dénoncer l’existence d’un vide juridique (A) d’autant plus que la mise en place d’un cadre international de régulation semble indispensable dans le contexte actuel (B).
A. Existe-t-il un vide juridique ?
La difficulté principale qui se présente lorsqu’il s’agit de légiférer sur le sujet des monnaies virtuelles est la pluralité des qualifications. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un nouvel outil financier apparaisse dans une zone de vide juridique. Dans le cas du Bitcoin, la question s’est posée très tôt de savoir s’il s’agissait d’une monnaie, d’un moyen de sécurité, d’un bien ou d’une marchandise.
Pour d’autres auteurs, la notion de vide juridique est creuse. Ils y voient plutôt une « paresse de qualification » (Pierre Storrer, « Crowfunding, bitcoin : quelle régulation ? », Recueil Dalloz, 2014, p. 832). Plusieurs dénominations sont envisageables telles que celle de monnaie électronique au sens de l’article L. 315-1 du Code monétaire et financier ou de service de paiement. Le commerce de bitcoins rentrerait dans la catégorie de la fourniture de services de paiement, née avec la directive n° 2007/64/CE du 13 novembre 2007, dite « DSP ».
Le sort d’un éventuel régime applicable aux monnaies virtuelles en France est lié à celui de l’Union européenne. Il faut ainsi envisager un encadrement juridique à l’échelle européenne voire mondiale compte tenu de leur caractère transnational. Pour la Banque centrale européenne (BCE), la crypto-monnaie ressemble à de la monnaie et coexiste nécessairement avec son propre service de paiement, ce qui suscite de facto l’intérêt des banques centrales (BCE, Virtual currency schemes, octobre 2012). De façon similaire, la Commission luxembourgeoise de surveillance du secteur financier (CSSF) reconnaît la qualification de monnaie sans pour autant risquer celle de monnaie électronique, du moins au sens de la deuxième directive sur la monnaie électronique (directive n° 2009/110/CE du 16 septembre 2009 ; CSSF, Communiqué sur les monnaies virtuelles, 14 février 2014).
L’administration fiscale américaine a rendu une décision pour caractériser le Bitcoin en bien dont les plus-values de cession doivent être imposées comme les gains sur le capital (IRS, Notice 2014-21, 25 mars 2014). Ce réalisme a aussi été observé dans l’Union européenne, notamment avec la Finlande qui considère le Bitcoin comme une commodity, c’est-à-dire une denrée au même titre que l’or ou le sucre (France Drummond, « Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? », Bull. Joly Bourse, 2014, n° 5, p. 249) et rejoint l’avis de la Direction générales des finances publiques (DGFiP) qui considère le Bitcoin comme un bien meuble dont la valeur en fin d’année fiscale ou à l’achat et la vente fait valeur légale.
Par ailleurs, la cour d’appel de Paris a fait entendre qu’une société qui reçoit les fonds des acheteurs et les transfère aux vendeurs lors de négociation de bitcoins sur une plateforme d’échange gérée par une société étrangère fournit un service de paiement pour lequel elle doit être agréée (CA Paris, 26 septembre 2013, n° 12/00161). La question relève dès lors de la régulation des plateformes ou bourses d’échange des bitcoins. Il semble évident de consacrer la qualification de monnaie sans laquelle il faudrait renoncer à l’idée de conversion et à la régulation de l’activité des plateformes au titre d’un service de paiement (France Drummond, « Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? », préc.). Aux États-Unis, la Californie a accordé le statut de monnaie légale au Bitcoin. La loi qui autorise l’utilisation des bitcoins a toutefois une importance moindre puisqu’elle avait pour but de mettre fin à l’obligation des Californiens d’utiliser uniquement le dollar. Mais une décision de justice a donné la qualification de monnaie au Bitcoin dans la mesure où les bitcoins pouvaient facilement être échangés contre de la monnaie courante, traduisaient une valeur légale et étaient utilisés pour effectuer des transactions financières (U.S. v. Faiella, US District Court for the Southern District of New York, 19 août 2014).
Un vide juridique ne semble plus exister dans le domaine des monnaies virtuelles. On remarque pourtant une pluralité des qualifications juridiques. Si celle-ci ne nuit pas à aux efforts de régulation, elle insère un certain doute sur le régime spécifique à adopter en lieu et place des raccourcis utilisés jusqu’à présent.
B. Réguler pour mieux protéger
Ce n’est pas un hasard si les monnaies virtuelles ont évolué en autorégulation jusqu’à présent. Dans une logique de cyber-libertarianisme selon laquelle le gouvernement ne devrait pas avoir d’emprise sur les échanges et communications internet (John Perry Barlow, Declaration of the Independence of Cyberspace, 1996), le Bitcoin s’est affranchi des règles grâce à son système d’échange décentralisé. Cependant, cette décentralisation ne semble plus être un obstacle comme le démontre les initiatives récentes favorisant la régulation en France et aux États-Unis.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) préconise la mise en place d’un cadre international de régulation permettant d’empêcher que ce type de monnaie ne facilite les transactions frauduleuses. L’octroi d’un statut juridique permettrait aussi d’imposer des « règles de gouvernance et de gestion des risques » et un « système de transparence et de traçabilité » (Avis du CESE, Nouvelles monnaies : les enjeux macro-économiques, financiers et sociétaux, 15 avril 2015).
Une étude de la Banque de France indique clairement sa volonté de réguler les crypto-monnaies puisque le Bitcoin « n’entre pas directement dans le champ d’exercice de la supervision et de la surveillance des autorités compétentes en matière de paiement » (Banque de France, « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin », Focus, n° 10, 2013). La même observation avait été faite par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) pour qui les opérations de conversion sont des « services de paiement nécessitant un agrément de prestataire de service de paiement » soumis au dispositif de lutte contre le blanchiment (FinCEN, Regulations to Persons Administering, Exchanging, or Using Virtual Currencies, 2013).
Les deux défis majeurs pour réguler les monnaies virtuelles sont donc la lutte contre leur utilisation frauduleuse et la protection des utilisateurs (Rainer Böhme, Nicolas Christin, Benjamin Edelman et Tyler Moore, Bitcoin: Economics, Technologym and Governance, Journal of Economic Perspectives, Vol. 29, n° 2, p. 230, 2015). Dans la première catégorie, il est question notamment des risques opérationnels liés au logiciel et à l’environnement informatique qui posent des problèmes de détection et de prévention dus à leur complexité et au manque d’expérience des autorités. Il y a ensuite l’usage à des fins de blanchiment d’argent : dans l’exemple du Bitcoin, des améliorations du logiciel pourraient permettre de rendre ces opérations indétectables même si actuellement des éléments du logiciel n’exclue pas la possibilité de retracer certaines transactions (moyennant la mise à disposition du public de fichiers décrivant l’historique des paiements). Dernièrement, les monnaies virtuelles sont susceptibles de servir de moyen de paiement sur des sites de commerce de produits illégaux tel que Silk Road (Nicolas Christin, Traveling the Silk Road, Carnegie Mellon INI/CyLab, mai 2013). Les criminels y ont recours justement parce que le régulateur est moins présent, en plus d’autres avantages comme l’irréversibilité des transactions.
Le sort des détenteurs de Bitcoin a particulièrement intéressé le régulateur à la suite de la faillite de MtGox, l’une des principales bourses d’échange de la devise. Des pirates informatiques auraient dérobé pour plus de 300 millions de dollars de bitcoins en profitant des failles du système de l’entreprise japonaise. D’une part, ce scandale a fait ressortir la nécessité d’instaurer des procédures de liquidation afin d’assurer une répartition équitable des actifs restants. D’autre part, le grand public ne semble pas être informé des risques que comporte le maniement de ces monnaies et il n’existe peu ou pas de garantie. Par contraste, la plupart des moyens de paiement font bénéficier aux utilisateurs de mécanismes de protection contre les transferts de fonds non autorisés ; par exemple le droit de contestation s’agissant des cartes de crédit (L. 133-17 du Code monétaire et financier et US Fair Credit and Billing Act, 15 USC § 1666).
Les monnaies virtuelles évoluent dans un contexte de méfiance en France où l’on ne cesse de dénoncer leurs dangers tandis qu’aux États-Unis, l’approche est plutôt guidée par le principe selon lequel ces systèmes de paiement offrent des services financiers légitimes. Tel est l’avis du Federal Bureau of Investigation (FBI) dans une lettre du 23 octobre 2013 envoyée dans le cadre de la commission d’enquête du Sénat. C’est aux États-Unis pourtant que la devise a fait le plus de bruit avec les affaires Liberty Reserve et Silk Road qui illustrent les risques précédemment évoqués.
II. La régulation à l’épreuve des risques
Des affaires judiciaires mettant en scène l’usage des monnaies virtuelles ont conduit le législateur a amorcé la démarche de régulation sur le plan pénal (A). Le traitement pénal de ce type de monnaie donne des indices sur d’autres solutions de régulation envisageables (B).
A. Le traitement pénal des monnaies virtuelles
En droit pénal, on distingue deux types d’utilisation des monnaies virtuelles par les délinquants. Soit la monnaie est partie intégrante de l’infraction, soit elle n’est qu’un moyen de blanchiment du produit d’autres infractions (Stephen Almaseanu, « Le traitement pénal du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles », Gazette du Palais, 2014, n° 242, p. 11).
Dans la première catégorie, la monnaie constitue l’instrument de l’infraction (son objet ou son produit direct). Les délinquants cherchent à se procurer des bitcoins en menant des cyberattaques sur des ordinateurs afin de créer des unités à l’insu de leurs propriétaires. Par exemple, un utilisateur avait relevé l’installation silencieuse d’un logiciel de « minage », un procédé qui exploite la puissance de traitement inutilisée des processeurs pour effectuer des calculs mathématiques afin de confirmer des transactions et augmenter la sécurité du réseau Bitcoin. L’intérêt de cette activité est de récolter les frais sur les transactions en contrepartie. Une autre pratique consiste plus simplement à cibler les portefeuilles des utilisateurs afin de leur dérober des unités de monnaie. Ces infractions se rapportent aux délits informatiques divers appréhendés par le droit pénal tels que l’accès frauduleux à un système informatique en France (art. 323-1 du Code pénal) et entrent dans le domaine de la loi sur la fraude informatique aux États-Unis (18 U.S.C. § 1030).
En France, la saisie et la confiscation de l’instrument, de l’objet ou du produit de l’infraction est rendue possible en vertu de l’article 131-21 du Code pénal. Ce même article autorise la saisie et la confiscation des biens dont l’origine n’est pas justifiée par la personne pour les infractions punies d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à 5 ans, ou l’entier patrimoine de la personne pour les infractions le prévoyant. Près de 400 bitcoins ont été saisis par un magistrat instructeur assisté par la Section de recherche de gendarmerie de Toulouse. Les bitcoins en question ont été transférés du portefeuille de l’ordinateur de la personne mise en examen au portefeuille de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Aux États-Unis, la saisie et confiscation de bitcoins est pratique courante comme l’illustre l’affaire Silk Road et la vente aux enchères par les autorités judiciaires américaines de 27 millions de dollars en bitcoins. Dans cette affaire, le site de commerce Silk Road offrait des services illégaux sur une plateforme du web caché (en anglais deep web). Les paiements étaient systématiquement effectués en bitcoins, preuve que la devise servait à alimenter un trafic de grande ampleur que le FBI considérait être « le marché criminel le plus sophistiqué et étendu de l’internet actuel ». Son fondateur, Ross Ulbricht, a été reconnu coupable de sept chefs d’accusation parmi lesquels figurent blanchiment d’argent, trafic de stupéfiants, entreprise criminelle, tentative d’assassinat et piratage informatique.
La saisie et la confiscation des bitcoins sont donc bien possibles en France comme aux États-Unis et donnent des indices pertinents sur la qualification du Bitcoin : une valeur économique sans matérialité, soit un bien qui sert de monnaie d’échange (Stephen Almaseanu, « Le traitement pénal du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles », préc.).
La deuxième catégorie d’infraction est illustrée par l’affaire du réseau Liberty Reserve qui concerne quant à elle le blanchiment d’argent. Ce site a été fermé en mai 2013 par les autorités américaines sur le fondement de l’article 311 du Patriot Act. Les gestionnaires ont été condamnés pour transfert de fonds sans licence. Dans cette affaire, plus de 6 milliards de dollars auraient été blanchis sous le contrôle de l’émetteur de la monnaie virtuelle en question, un site internet opéré par une société commerciale costaricienne. Les lois anti-blanchiment américaines définissent l’objet du blanchiment de « bien dérivé d’un acte illégal » (18 U.S.C. § 1956) et le Bitcoin correspond manifestement à cette interprétation. L’article 324-1 du Code pénal parle de fonds de provenance illicite. Les monnaies virtuelles font l’objet d’une interprétation large de façon à appréhender leur exploitation en matière de blanchiment.
Les décisions criminelles qui mettent en scène les monnaies virtuelles sont nombreuses. Elles illustrent les risques associés à leur utilisation, procurent des éléments de définition et donnent des indices sur les pistes à suivre en matière de régulation.
B. Les pistes de régulation
Une donnée commune en droit français et américain apparaît être la nécessité de déterminer à quel moment imposer des contraintes aux détenteurs de ce type de monnaie. Leur grande quantité ainsi que leur répartition géographique éparse rendent impossible toute surveillance individualisée. Le principe d’anonymisation qui gouverne les crypto-monnaies et le caractère privé des transactions sont des obstacles supplémentaires à la régulation propre des utilisateurs. Le régulateur doit se tourner vers les intermédiaires, à savoir les services et institutions qui agissent comme tierce partie pour faciliter et vérifier les transactions financières, les échanges de contrats, les enregistrements et les transferts d’actifs. Cependant, cette approche se heurte à deux difficultés majeures. Ceux qui utilisent ces monnaies à des fins frauduleuses pourront contourner les intermédiaires sans grande difficulté et les intermédiaires refuseront d’endosser la responsabilité associée aux actes d’utilisateurs parfois « risqués ».
Pour le Bitcoin, cette piste est de moins en moins réalisable face aux progrès technologiques liés au système. Les startups autour du Bitcoin ne cessent de se multiplier et ont généré plus d’un demi milliard de dollars de financement en 2014. La dernière nouveauté vise justement à faire disparaître les intermédiaires en les remplaçant par la blockchain, un répertoire de transactions, semblable aux registres utilisés par les établissements financiers classiques (Murah Hemmadi, « Blockchain technology spells the end of middlemen », Canadian Business, mai 2013).
Une autre solution pour réguler l’utilisation des bitcoins dans le commerce et qui ne nécessite pas la présence d’intermédiaires est un logiciel spécial qui suit le déroulement des paiements pour chaque commande. Il concerne plus précisément les commerçants qui auront à présent la possibilité de manipuler leurs paiements eux-mêmes. Le logiciel « Mycellium Gear » fournit des informations sur le produit et la destination de la livraison. Cette innovation s’inscrit dans une utilisation surveillée du Bitcoin en accord avec les enjeux de régulation.
Pour reprendre l’exemple du site de commerce de produits illégaux Silk Road, par l’intermédiaire duquel les opérateurs et les consommateurs bénéficiaient d’un double anonymat, le réseau Tor rendant anonymes tous les échanges internet et les transactions marchandes étant réalisées obligatoirement en bitcoins. Cet élément s’est révélé important après la saisie des bitcoins en possession du fondateur. Les « clés » et « adresses » associées à ces unités ont été identifiées, tout comme les fournisseurs et administrateurs que les failles opérationnelles du site ont permis de retracer. Les archives et l’activité en ligne associées au domaine en ont fait des cibles plus vulnérables qu’un petit trafiquant d’armes ou de stupéfiants.
En imposant des obligations d’enregistrement et de maintien de livres de comptes pour les bourses d’échange de monnaies virtuelles en monnaies courantes (Julien Dubois, « La régulation des crypto-monnaies et de leurs plateformes de conversion », Revue internationale des services financiers, n° 2, p. 77-82, 1er juin 2014), le régulateur pourrait mettre en place des exigences de conformité sans influer sur les échanges entre utilisateurs (de pair à pair ou peer-to-peer en anglais). Une autre facette de l’affaire MtGox était la découverte par les autorités américaines d’activités suspectes sur des comptes de la bourse d’échange. La divulgation d’informations sur les échanges avait conduit à la saisie de certains comptes avant de provoquer la disparition de la plateforme.
Un constat général démontre que la régulation des crypto-monnaies est largement susceptible de dissuader leur développement là où les règles sont trop strictes et freinent le libre cours à un élan d’innovation. De plus, les développeurs et utilisateurs seront tentés de poursuivre leur activité soit dans d’autres pays s’ils offrent plus de liberté soit sur d’autres plateformes moins régulées et moins sécurisées (par exemple zerocash), ce qui irait à l’encontre des initiatives d’encadrement.
Bibliographie :
C. Lavardet, « Bitcoin : par ici la cryptomonnaie ! », RLDI 2014, p. 90
Pierre Storrer, « Crowfunding, bitcoin : quelle régulation ? », Recueil Dalloz, 2014, p. 832
France Drummond, « Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? », Bull. Joly Bourse, 2014, n° 5, p. 249
Yann Burnichon, « De quelques facettes de la mission de l’enquêteur financier face aux fraudes numériques », AJ Pénal, 2014, p. 62
Paul Vigna et Michael Casey, The Age of Cryptocurrency : How Bitcoin and Digital Money Are Challenging the Global Economic Order, St. Martin’s Press, janvier 2015
Bénédicte Bury, « Shadow activities : quel encadrement ? », Gazette du Palais, 2014, n° 77, p. 3
Rainer Böhme, Nicolas Christin, Benjamin Edelman et Tyler Moore, Bitcoin: Economics, Technologym and Governance, Journal of Economic Perspectives, Vol. 29, n° 2, p. 230, 2015
Stephen Almaseanu, « Le traitement pénal du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles », Gazette du Palais, 2014, n° 242, p. 11
Murah Hemmadi, « Blockchain technology spells the end of middlemen », Canadian Business, mai 2013
Julien Dubois, « La régulation des crypto-monnaies et de leurs plateformes de conversion », Revue internationale des services financiers, n° 2, p. 77-82, 1er juin 2014
Nicolas Christin, Traveling the Silk Road, Carnegie Mellon INI/CyLab, mai 2013
John Perry Barlow, Declaration of the Independence of Cyberspace, 1996
BCE, Virtual currency schemes, octobre 2012
CSSF, Communiqué sur les monnaies virtuelles, 14 février 2014
IRS, Notice 2014-21, 25 mars 2014
Directive n° 2007/64/CE du 13 novembre 2007
Directive n° 2009/110/CE du 16 septembre 2009
Sénat, Rapport d’information n° 767, 2014
Comm. com. électr. 2014, alertes 62 et 63
CA Paris, 26 septembre 2013, n° 12/00161
U.S. v. Faiella, US District Court for the Southern District of New York, 19 août 2014
Banque de France, « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin », Focus, n° 10, 2013
FinCEN, Regulations to Persons Administering, Exchanging, or Using Virtual Currencies, 2013
Avis du CESE, Nouvelles monnaies : les enjeux macro-économiques, financiers et sociétaux, 15 avril 2015
Section 311 du Patriot Act