La responsabilité sociale des entreprises : un nouveau défi des pouvoirs publics sur les entreprises
La loi du gouvernement de la Communauté autonome espagnole d’Estrémadure publiée le 15 décembre 2010 s’inscrit comme une innovation en Espagne dans l’application de la responsabilité sociale des entreprises. Uniformisé aux préceptes internationaux sur l’éthique des entreprises, ladite loi est donc similaire à ce qui a pu être fait, par exemple, en France ces dernières années dans le domaine. Le respect des valeurs éthiques telles que le droit à la personne, au travail, ou bien la prise en compte du droit de l’environnement sont les priorités issues des textes internationaux demandées aux entreprises pour être qualifiées de « socialement responsable ». La promotion des idéaux doit toutefois cohabiter avec la liberté des entreprises et la volonté de celles-ci. Au sein d’une comparaison franco-espagnole, et plus particulièrement sur la base de cette loi régionale espagnole qui innove au sein de ses frontières, il conviendra d’analyser l’efficacité de l’application de telles ambitions morales au secteur de l’entreprise et du capitalisme.
Mots clefs : responsabilité sociale des entreprises, loi, Communauté autonome, France, Estrémadure, Espagne, soft law, éthique, liberté d’entreprise, pouvoirs publics.
« Le concept de responsabilité sociale des entreprises est une coquille vide permettant aux entreprises de signifier aux Etats et aux Organisations Internationales qu’elles sont de bonne volonté et qu’il n’est nul besoin de règles hétéronomes de contrôle juridictionnel et administratif », c’est ainsi que s’exprime Isabelle Meyrat, sceptique sur la nouvelle tendance de moralisation des entreprises. Pourtant, la notion d’éthique des entreprises prend de l’ampleur dans de nombreux Etats. L’Espagne, légèrement en retard sur son voisin français, a récemment publié une loi étatique en mars 2011 dans laquelle la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est reconnue comme une notion obligatoire pour les acteurs concernés. Mais finalement, c’est une de ses Communautés autonomes, l’Estrémadure qui a innové et a publié une loi autonomique le 15 décembre 2011 intitulée « la responsabilité sociale des entreprises en Estrémadure », proposant l’intervention des pouvoirs publics pour donner une impulsion aux entreprises en ce sens. Définit par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) comme une contribution positive que les entreprises peuvent apporter au progrès économique, environnemental, social, réduisant au minimum les difficultés que leurs opérations peuvent engendrer dans le respect des droits de l’Homme, des relations de travail, de l’environnement, de la lutte contre la corruption et la protection des consommateurs, la RSE est donc le nouveau défi éthique des pouvoirs publics sur les entreprises, ce qui a amené le gouvernement autonomique d’Estrémadure à légiférer. Ce pouvoir législatif de cette Communauté autonome s’inscrit dans les compétences attribuées par la Constitution espagnole. Ainsi, cette loi se base sur les propos de la Commission européenne du 22 mars 2006 lors de la Communication pour « la mise en œuvre du partenariat pour la croissant et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises », et prend le postulat qu’il s’agit « d’une intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». Toutefois, il s’agit d’une loi uniquement à but promotionnel, ce qui renvoie au scepticisme des propos d’Isabelle Meyrat. C’est pourquoi il convient de se demander, en comparaison avec les mesures législatives et règlementaires françaises sur ce point, si les pouvoirs publics réussissent le pari d’une application effective de la RSE.
Ainsi dans cette étude comparative franco-espagnole et plus précisément dans la région d’Estrémadure, il serait utile de voir dans un premier temps comment a lieu l’impulsion publique pour une application de cette nouvelle donnée éthique entrepreneuriale pour ensuite analyser l’efficacité ou non du caractère promotionnel des politiques de RSE.
I)La responsabilité sociale des entreprises en France et en Espagne : l’application d’une nouvelle donnée éthique entrepreneuriale
Les politiques et les entreprises majoritairement en Occident, ont admis l’importance de la RSE pour les sociétés commerciales afin de garantir une certaine pérennité, la bonne création de valeurs, le respect des droits sociaux et la préservation de l’environnement. Partant de cette prise de conscience, les grandes organisations internationales viennent promouvoir au maximum le concept de la RSE et c’est pourquoi la loi d’Estrémadure, bien que régionale, répond de ces préceptes universels (A). Mais paradoxalement, malgré ce récent élan éthique, en France comme en Espagne, la « légalisation » de la RSE, c'est-à-dire considérer la notion comme une norme obligatoire et contraignante ne semble pas encore à l’ordre du jour (B).
A) Une loi régionale aux origines universelles
Le gouvernement de la Communauté autonome d’Estrémadure innove dans l’élaboration de cette loi et devient pionnière en Espagne, d’une véritable règlementation espagnole consacrée uniquement à la RSE. Comme simple région espagnole, celle-ci s’inspire pourtant des grands textes internationaux tels que le Pacte Mondial de 2000, qui rendent l’initiative voulue conforme à tous les préceptes universels sur la question. Par conséquent, partant d’une inspiration internationale, tout comme son voisin français, la loi d’Estrémadure est guidée par la moralisation de la vie de l’entreprise. Ainsi cette vision universelle, appliquée en Estrémadure, rend possible la conciliation entre l’Etat social et l’Etat de droit, c'est-à-dire par un éventail de normes juridiques mettant les sociétés au sein d’une perspective socioéconomique tout en protégeant la liberté d’entreprise, droit fondamental constitutionnel notamment dans les deux pays qui nous intéressent. La loi de la Communauté autonome espagnole, tout comme par exemple les lois Grenelle I et Grenelle II en matière d’environnement en France ou l’article 116 de la loi des Nouvelles régulations économiques toujours chez ce dernier, proviennent donc de grandes aspirations transnationales telles que le Global Compact lancé par le secrétaire des Nations Unies en 2000, ou bien encore les principes directeurs de l’OCDE, et enfin les recommandations émanant de l’Union européenne dans une Nouvelle Stratégie suite au Sommet de Lisbonne en 2000 et de Göteborg en 2001 également dans le sens de la promotion de la RSE. Par conséquent, ces législations françaises et espagnoles prônent une RSE déjà clairement définie par les grandes organisations internationales, et considérée comme indispensable dans la vie des entreprises.
B) La « légalisation » complexe de la RSE :
En effet, la loi d’Estrémadure reprend une vision inséparable de la RSE : la culture de l’entreprise durable. Cela va dans le sens d’une responsabilité sociale qui confère des valeurs telles que le droit au travail, et le droit de la personne, mais aussi la responsabilité environnementale largement développée dans l’article 4 par la loi d’Estrémadure comme en France dans les lois dites Grenelle. Le législateur d’Estrémadure compte implanter la RSE dans le tissu productif privé mais également dans le secteur public, appliquant les mêmes règles aux administrations publiques. Il semble donc que les bonnes résolutions éthiques ne sont plus suffisants pour valoriser l’image d’une société, il convient désormais de les traduire par des actions concrètes, certifiées comme le démontre cette loi autonomique, ou bien chez son voisin français, avec des dispositifs tel que le « label diversifié » qui engage les entreprises à une politique d’égalité des chances et de non discrimination, ou bien encore à échelle internationale avec la norme ISO 26000 en matière de responsabilité sociétale. Ainsi, le but primaire de cette loi étant de donner tout son sens à la RSE, non pas comme une « coquille vide » mais comme un dispositif précis de valeurs à respecter, à en répondre dans un rapport social annuel auprès de l’administration locale. Toutefois, l’impact des mesures de la réglementation régionale espagnole est à nuancer, car son champ d’application en est fortement restreint. Son article 2 définit les destinataires de la loi à savoir ceux qui exercent une activité dans la communauté autonome d’Estrémadure, en d’autres termes, pour la plupart des petites et moyennes entreprises. Tandis que le dispositif étatique français est national, et vise toutes les sociétés françaises, notamment les sociétés cotées qui sont les plus nécessiteuses d’une telle régulation. De plus, le caractère promotionnel de la loi régionale, soumise à la volonté des entreprises, remet en cause sa possible application effective.
II)Le paradoxe des mesures juridiques en RSE : entre obligation et promotion
La RSE, comme un outil juridique pour obliger les entreprises à respecter certaines valeurs d’éthiques, souffrent de l’hésitation des pouvoirs publics à en faire une norme contraignante sous jacente de sanctions ou simplement à en faire la promotion. Pourtant le choix semble être pris pour l’instant car le concept de RSE repose principalement en France, comme en Espagne sur la volonté des entreprises (A) de respecter de telles valeurs, ce qui rend toutes mesures de RSE non impératives (B).
A)L’essor du « positivisme volontariste » :
« Le positivisme volontariste », c’est ainsi qu’un commentateur caractérisé le courant de la loi d’Estrémadure portant sur la RSE, inspiration d’une doctrine de droit international : à la fois, nécessaire, mais soumise à la volonté réelle des destinataires, à savoir les entreprises et les administrations publiques autonomiques, la norme créée a surtout un caractère promotionnel des valeurs de responsabilité sociale. Il s’agit bien d’une « intégration volontaire de la part des entreprises ». Il faut tout de même reconnaître que la loi ne se contente pas d’édicter des valeurs, mais elle décrit un dispositif précis de qualification des entreprises « socialement responsable » qui pourra amener à des bénéfices concrets tels que des exonérations fiscales, la priorité sur les contrats publics, des aides au financement des frais occasionnés par les mesure adoptées pour être en phase avec la loi entre autres choses. Cette qualification demande une documentation précise à travers le rapport annuel dit social établit par le président du Conseil d’administration de l’entreprise ou bien son directeur général et qui devra faire l’objet d’une reconnaissance publique officielle par un acte administratif de l’organe compétent pour accéder aux bénéfices promis par ladite loi. Ce statut dure 2 ans à condition de maintenir les exigences demandées et prorogeable une seule fois sur demande de l’entreprise. De là, un registre est crée pour y inscrire les entreprises « obéissantes » ainsi que les révocations possibles. Cette technique précise et rigoureuse d’impulsion à l’application des règles de RSE est également celle adoptée en France mais de manière différente, à l’échelle nationale pour commencer, et de manière disons plus disparate : les mesures réglementaires françaises de RSE sont présentes à travers différentes normes telles que la loi du 17 juillet 2001 pour la promotion de l’investissement responsable créant le Fonds de réserve pour les retraites, les lois dites Grenelle I et II relatives à l’environnement principalement, l’article 117 de la loi du 1er août 2003 sur la sécurité financière qui imposent aux dirigeants des sociétés cotées de rendre compte des travaux du Conseil d’administration, ou enfin l’article 116 de la loi NRE du 15 mai 2001 sur le rapport annuel de gestion, garantie de la transparence financière, des dirigeants des sociétés cotées, diffusé au sein de l’entreprise et à remettre au greffe du tribunal de commerce pour une communication à la fois externe et interne. Enfin la même politique d’incitation et de promotion existe en France avec la création d’organismes publics tels que l’Agence française de développement chargée d’attribuer des aides aux entreprises prêtes à mettre en œuvre des politiques concrètes dans le sens de la RSE ou bien des fonds dits démonstrateurs industriels ou dit d’avenir. Malgré ces différences dans la forme, ces optiques Franco-Estrémadure vont bien dans le sens des propos de la Commission européenne : « La responsabilité sociale doit être considérée comme un investissement et non un coût ». D’ailleurs, la loi régionale espagnole affirme l’intérêt pour une entreprise de suivre ces diktats car celle-ci pourra alors démontrer son attractivité pour les investisseurs potentiels. En effet, la RSE est non seulement la garantie d’une direction entrepreneuriale irréprochable, transparente et éthique, mais qui selon la doctrine est même propice à la création de valeurs. Ainsi la notation en France, ou la qualification en Estrémadure, permettent également d’attraire le consommateur de par une meilleure réputation. Finalement, la politique RSE s’inscrit pour les entreprises comme une nouvelle forme de marketing, qu’on pourrait requalifier de « markéthique », dans un marché de libre concurrence. Cependant, force est de constater que toutes les politiques de RSE en général et notamment dans cette loi espagnole, restent totalement volontaires, sans aucunes sanctions, identique au système de la soft law fortement présent en Union européenne. Ces développements amènent à la question suivante : peut on réellement parler de régulation normative pour la promotion de la RSE ?
B)Des politiques non impératives :
En effet, l’aspect volontariste de la loi a donné lieu à de nombreuses réactions, notamment dans la presse spécialisée, pour nier le caractère normatif de cette initiative : « Promouvoir, ce n’est pas obliger ». De plus, le concept de RSE reste bien mystérieux de par un manque de crédibilité des intervenants de notation, les consultants ou bien l’entreprise elle-même en autoévaluation dans la légitimité des critères adoptés pour qualifier les « bonnes pratiques ». La notion manque également de règles homogènes et d’un contrôle juridictionnel, comme en atteste la loi d’Estrémadure et les diverses normes de son voisin français : aucune solution n’est prévue en cas de négligence des entreprises sur ce sujet. Cependant, suite à la publication de la loi, l’entreprise publique « Extremadura Avante, SLU » et ses filiales, ont débuté la procédure pour obtenir la qualification de société « socialement responsable », ce qui révèle tout de même un léger mais un début certain d’efficacité de la mise en place de la RSE dans cette région d’Espagne qui pourrait servir de modèle pour une prochaine loi étatique espagnole.
Bibliographie :
· Ouvrage:
-BOIDIN Bruno, POSTEL Nicolas, Rousseau Sandrine, La responsabilité sociale des entreprises : une perspective institutionnaliste, Edition presses universitaires du Septentrion 2009.
-FERNANDEZ GARCIA Ricardo, La responsabilidad social corporativa, Editorial Club Universitario 2009, Alicante.
· Réglementations espagnoles :
-Ley Orgánica 4/2011, de 11 de marzo, complementario de la Ley de Economía Sostenible
-Ley 15/2010 de 9 de diciembre 2010, de responsabilidad social empresarial en Extremadura
-Ley 25/2011, de 1 de agosto, de reforma parcial de la Ley de Sociedades de Capital y de incorporación de la Directiva 2007/36/CE del Parlamento Europeo y del Consejo, de 11 de julio, sobre el ejercicio de determinados derechos de los accionistas de sociedades cotizadas.
· Réglementations françaises:
- Ministère des affaires étrangères et européennes, bureau de l’Ambassadeur chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises, « La responsabilité sociale des entreprises : l’engagement de la France », Michel Doucin, Marine Sery, 1er octobre 2010.
- LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (1)
-Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008 relative aux chartes éthiques, dispositifs d’alerte professionnelle et au règlement intérieur.
· Actions européennes :
- Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen « Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises », Bruxelles, le 22.3.2006.
- Livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », Commission européenne, 18.7.2001
· Doctrine:
-« Le droit du travail à l’épreuve de l’éthique des affaires », Isabelle Meyrat, Revue du droit du travail 2010 p. 572.
-« La ley de Responsabilidad Social Empresarial en Extremadura, innovación legislativa desde la periferia responsable”, José Manuel Jover Lorente, Diario La Ley, n°7672, Sección doctrina, 13 Jul. 2011.
-Recueil Dalloz 2008 p. 1774, « Pour que la gouvernance d’entreprise écologique rime avec éthique », Catherine Malecki.
-« Chartes et codes de conduite des entreprises : les degrés de normativité des engagements éthiques », Pascale Deumier, RTD Civ.2009, p.77.
-« Faut-il faire une évaluation sociale des entreprises ? Jean Philippe Robé, Emmanuelle Mazuyer, Revue de droit du travail 2010 p.413.
· Sites internet :
http://www.iso.org/iso/fr/iso_catalogue/management_and_leadership_standa...