La surveillance des entreprises d'investissement en droit français et en droit des Etats-Unis
La crise bancaire et financière de 2008 a mis en exergue la nécessité pour les États de limiter les comportements imprudents des différents acteurs financiers. Dans cette optique, les règles de surveillance des établissements de crédit et des entreprises d’investissement ont été renforcées, avec la création de nouvelles autorités en France ou l’adoption de nouvelles lois aux États-Unis avec, par exemple, le Dodd-Frank Act de 2010.
La surveillance, dans son sens général, est définie par le vocabulaire juridique Cornu comme l’« action de veiller sur une personne ou une chose dans l’intérêt de celle-ci, ou de surveiller une personne ou une opération pour la sauvegarde d’autres intérêts. ». Dans le contexte du droit bancaire et financier, la surveillance peut aussi être synonyme de contrôle, de régulation. La surveillance a alors pour but la sauvegarde des intérêts économiques d’un pays ou encore des intérêts des consommateurs.
Comme évoqué précédemment, les États ont durci, ou du moins ont réformé, leur surveillance des entreprises d’investissement après la crise de 2008. Mais avant de se pencher sur cette question, encore faut-il savoir identifier les personnes soumises à cette surveillance. En d’autres termes : que sont les entreprises d’investissement ?
En droit français, l’article L531-4 du Code monétaire et financier définit les entreprises d’investissement comme étant « des personnes morales, autres que les établissements de crédit, qui fournissent des services d’investissement à titre de profession habituelle. ». L’entreprise d’investissement reçoit donc sa qualification du fait de la prestation de services d’investissement ; services définis à l’article L321-1 de ce même code. Ceux-ci sont divers et comprennent la réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers, l’exécution d’ordres pour le compte de tiers, la négociation pour compte propre, la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, le conseil en investissement, la prise ferme, le placement garanti et non-garanti et l’exploitation d’un système multilatéral de négociation.
Aux États-Unis, les entreprises d’investissement sont régies par l’Investment Company Act de 1940. L’article 3(a)(1) de cette loi identifie 3 catégories d’entreprises d’investissement, distinguées aussi par le type d’activité exercé ou, de façon originale, que l’émetteur prévoit d’exercer. Toutefois, la définition américaine paraît plus vague et plus propice à l’interprétation que la définition française. En effet, le terme « entreprise d’investissement » renvoie à tout émetteur ayant pour activité principale l’investissement, le réinvestissement ou la négociation de titres financiers ou l’émission de face-amount certificates ou l’investissement, le réinvestissement, la négociation de titres financiers tout en possédant ou en prévoyant d’acquérir des titres financiers d’une valeur supérieure à 40 % de la valeur totale des actifs de l’émetteur. Enfin, cette définition comporte de nombreuses exceptions mentionnées dans cette même loi et clarifiées subséquemment par les cours américaines.
De part et d’autre de l’Atlantique, les entreprises d’investissement jouent un rôle central dans la vie économique des États et les conséquences de leurs actions peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble de la population. La question se pose alors de savoir, dans quelle mesure s’opère la surveillance des entreprises d’investissement ?
Il convient de répondre à cette question en étudiant tout d’abord l’encadrement de la surveillance des entreprises d’investissement (I), puis la portée de cette même surveillance (II).
I. L’encadrement de la surveillance des entreprises d’investissement
La surveillance des entreprises d’investissement, aussi bien en France qu’aux États-Unis, implique une variété de fondements légaux (A) et l’action de différentes autorités (B).
A. Les fondements légaux de la surveillance des entreprises d’investissement
Les obligations imposées aux entreprises d’investissement ont des sources différentes en France et aux États-Unis ; en effet, aux États-Unis la surveillance des entreprises d’investissement est régie par la législation nationale ou fédérale, tandis qu’en France les sources sont plutôt de nature supra-nationale, du fait de l’influence du droit de l’Union européenne.
En France, dès 1993, la directive de la Communauté européenne sur les services d’investissement (directive 93/22/CEE du 10 mai 1993) prévoyait une harmonisation des règles relatives à l’agrément et au contrôle des entreprises d’investissement ainsi que des règles de protection des investisseurs, de transparence des marchés ou encore d’élimination des monopoles. Plus récemment, la directive 2013/36/UE du 26 juin 2013, dite CRD IV, modifiait les exigences imposées aux États portant sur la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Et plus récemment encore, la directive 2014/65/UE devant entrer en vigueur le 3 janvier 2018 et le règlement (UE) n°600/2014, modifiaient les exigences en matière de transparence des marchés financiers et de protection des investisseurs et excluaient les sociétés de gestion de portefeuille de la qualification d’entreprises d’investissement. Ces différentes directives ont été transposées en droit français et font l’objet d’une codification au sein du Code monétaire et financier.
Aux États-Unis, les entreprises d’investissement sont principalement régies par des lois fédérales, comme l’Investment Company Act de 1940, adopté en réaction à la crise de 1929, le Securities Act de 1933, le Securities Exchange Act de 1934, le Investment Advisers Act de 1940, ainsi que le Dodd-Frank Act de 2010, adopté en réaction à la crise financière de 2008, qui a bouleversé la régulation bancaire et financière américaine et a amendé plusieurs de ces lois préexistantes. Par ailleurs, l’autorité nationale américaine en charge de la surveillance de ces entreprises (la SEC) émet des normes contraignantes afin de compléter la législation nationale. Les lois fédérées, quant à elles, ne régissent pas les activités des entreprises d’investissement.
En France et aux États-Unis, les sources sont donc multiples et imposent un certain nombre d’obligations. Pour assurer le respect de ces obligations, les législateurs français et américains ont mis en place des autorités nationales ou supra-nationales chargées de la surveillance des entreprises d’investissement.
B. Les acteurs de la surveillance des entreprises d’investissement
En France comme aux États-Unis, la surveillance des entreprises d’investissement a été confiée principalement a une autorité publique nationale.
En France, il s’agit de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), fondée en janvier 2010 par l’ordonnance n°2010-76 du 21 janvier 2010 portant fusion des autorités d’agrément et de contrôle de la banque et de l’assurance. Elle est le résultat de la fusion entre la Commission bancaire, l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, du comité des entreprises d’assurance et du comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Sa mission, décrite à l’article L612-1 du Code monétaire et financier, est de « veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle ». Elle est adossée à la Banque de France dont elle bénéficie des moyens humains, matériels et financier et coopère avec l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il s’agit donc d’une entité récente, qui fait encore l’objet de modifications, comme récemment avec la perte de son statut d’autorité administrative indépendante depuis la loi du 20 janvier 2017.
Mais l’ACPR n’est pas seule pour assurer la surveillance des entreprises d’investissement. Elle est en effet épaulée dans sa mission par l’Autorité des marchés financiers et par des institutions européennes, à savoir l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et le Comité européen du risque systémique (CERS). L’AMF intervient dans le processus de délivrance de l’agrément aux prestataires de services d’investissement par l’ACPR, en transmettant un avis favorable ou défavorable à cette délivrance, avis portant sur les services d’investissement offerts par ces prestataires. Elle définit aussi des règles d’organisation et de bonne conduite à destination des professionnels autorisés à fournir des services d’investissement. L’AEMF et le CERS, quant à eux, sont chargés de la surveillance macro-prudentielle du système financier dans l’Union.
La situation est différente aux États-Unis où l’entité en charge de la surveillance des entreprises d’investissement est bien plus ancienne et a un champ d’action bien plus étendu. Il s’agit de la Securities Exchange Commission (SEC), créée en 1934 sous l’administration Roosevelt. Sa mission est similaire à celle de l’ACPR, en ce qu’elle doit veiller à la protection des investisseurs et assurer le bon fonctionnement, l’équité et l’efficacité des marchés financiers, mais elle doit aussi faciliter la formation du capital. Par ailleurs, son champ d’action n’est pas réduit aux entreprises d’investissement, mais comprend aussi les banques ou encore les sociétés faisant des offres au public de titres financiers.
Ainsi, la surveillance des entreprises d’investissement est encadrée, en France comme aux États-Unis, par un corpus législatif fourni et est opérée par des autorités nationales ou supra-nationales investies d’une mission de protection des marchés financiers et des investisseurs. Mais quelle est l’étendu de cette surveillance ?
II. La portée de la surveillance des entreprises d’investissement
Les entreprises d’investissement sont soumises à un certain nombre d’obligations (A) que les autorités de surveillance ont pour charge de faire respecter, usant pour ce faire de différentes méthodes (B).
A. Les obligations imposées aux entreprises d’investissement
En France comme aux États-Unis, les obligations imposées aux entreprises d’investissement sont diverses. Il est néanmoins possible d’identifier deux exigences communes à ces deux pays : la nécessité d’un capital minimum et celle d’un agrément.
En droit français, l’article L621-1 du Code monétaire et financier charge l’ACPR « d’exercer une surveillance permanente de la situation financière et des conditions d’exploitation des [entreprises d’investissement] ». Parmi ces conditions, se trouve la préservation de leurs liquidités ou encore le respect des exigences de solvabilité. À cet effet, la directive CRD IV, a imposé aux entreprises d’investissement un minimum de 730 000 € de capital initial. Il existe toutefois des exceptions ; ce montant pouvant être réduit au maximum à 50 000 € pour les entreprises d’investissement qui ne sont pas autorisées à détenir les fonds ou les titres de leurs clients, ni à agir pour leur propre compte, ni à prendre un engagement de prise ferme d’émissions.
En droit américain, le montant exigé est inférieur ($100,000 d’actifs nets), mais semble être requis uniquement si l’entreprise d’investissement souhaite faire une offre au public d’achat de ses propres actions. Il s’agit de ce fait d’une différence majeure avec le droit français, puisque, hormis dans cette situation, il ne semble pas y avoir d’exigence de capital minimum. Ce capital doit être souscris de bonne foi, sans intention de l’utiliser immédiatement et ne doit pas être prêté ou avancé à l’entreprise d’investissement par ses promoteurs.
Une autre exigence est celle pour les entreprises d’investissement d’obtenir une forme d’agrément de la part de l’autorité nationale de surveillance afin de pouvoir exercer leurs activités. En France, il est nécessaire de faire une demande d’agrément à l’ACPR pour les entreprises souhaitant exercer des services d’investissement et l’ACPR vérifiera ensuite que toutes les conditions requises sont réunies (siège social en France, capital social suffisant, etc.). Aux États-Unis, les entreprises d’investissement doivent s’inscrire auprès de la SEC en tant qu’entreprises d’investissement sous le régime du Investment Company Act de 1940 et, lorsqu’elles veulent faire des offres au public d’achat, sous le régime du Securities Act de 1933.
Ces obligations de capital minimum et d’agrément ou d’inscription auprès d’une autorité nationale permettent d’apporter plus de sécurité aux investisseurs et plus de confiance dans les marchés financiers. Afin de faire respecter ces obligations, les autorités de surveillance des entreprises d’investissement mettent en œuvre, en France et aux États-Unis, différentes méthodes.
B. Les méthodes de surveillance des entreprises d’investissement
Il existe deux approches de la surveillance des entreprises d’investissement : l’approche macro-prudentielle et l’approche micro-prudentielle. L’approche macro-prudentielle a pour objectif de limiter le risque de crise financière pouvant affecter l’ensemble du système financier, tandis que l’approche micro-prudentielle a pour objectif de limiter le risque de défaillance au niveau des différentes entreprises. Ainsi, l’approche macro-prudentielle vise le système financier dans son ensemble, quand l’approche micro-prudentielle vise, elle, chaque entreprise au niveau individuel. En France et aux États-Unis, différents dispositifs ont été mis en place, prenant en compte ces différentes approches, afin d’assurer une surveillance effective des entreprises d’investissements.
Au niveau français, l’ACPR voit ses pouvoirs délimités par l’article L612-1 du Code monétaire et financier. Celui-ci lui accorde un pouvoir de contrôle, un pouvoir de prise de mesures de police administrative et un pouvoir de sanction. Par ailleurs, différents processus existent afin d’assurer la surveillance au niveau micro-prudentiel ; principalement un processus d’évaluation de l’adéquation du capital interne et un processus de contrôle et d’évaluation des risques auxquels sont exposées les entreprises d’investissement ou que celles-ci peuvent représenter au niveau individuel. L’évaluation de ces risques est fondée sur un contrôle des dispositifs, stratégies et procédures mis en œuvre par les entreprises d’investissement, ainsi que sur des tests de résistance élaborés par la même autorité. Si l’action de l’ACPR semble plus tournée vers le volet micro-prudentiel de la surveillance des entreprises d’investissement, celle du CERS semble plus tournée vers le volet macro-prudentiel. Le Comité a en effet pour mission de rassembler des informations et d’identifier les risques susceptibles de frapper le système financier de l’Union dans son ensemble. Il peut ensuite émettre des recommandations portant sur les mesures à adopter afin de limiter ces risques ou encore alerter de manière confidentielle le Conseil.
L’organisation au niveau américain est différente : la SEC est entièrement en charge à la fois de la surveillance micro et macro-prudentielle. Ce n’est que récemment que l’approche macro-prudentielle de la surveillance a été explicitement adoptée. Avant la crise bancaire et financière de 2008, l’impact que pouvait avoir la défaillance d’une entreprise individuelle sur le système dans son ensemble n’était pas pleinement reconnu dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures de surveillance. Cette approche se retrouve dans les différentes obligations imposées aux entreprises d’investissement en matière de gouvernance et de capital minimum, obligations dont la SEC assure le respect. Au niveau individuel, la SEC a le pouvoir de mener des enquêtes en interne de manière informelle, puis de manière formelle en cas de résultats concluants. En fonction du résultat de cette enquête, la Commission pourra décider soit de porter l’affaire devant les tribunaux fédéraux ou les juridictions administratives, soit de trouver un arrangement à l’amiable avec les parties impliquées.
Ainsi, la surveillance des entreprises d’investissement, en France comme aux États-Unis, est assurée par des autorités nationales ou supra-nationales de surveillance disposant de pouvoirs et de moyens d’action plus ou moins importants. L’étendue des pouvoirs des autorités françaises et américaines diffère, mais leurs missions sont équivalentes et permettent d’assurer plus de transparence des marchés financiers, ainsi qu’une plus grande protection des investisseurs.
BIBLIOGRAPHIE
• Droit bancaire, R. ROUTIER, M. MIGNOT, J. LASSERRE CAPDEVILLE, M. STORCK, N. ERÉSÉO et J.-P. KOVAR, Précis Dalloz, 1e édition, 2017
• Régulation bancaire et financière européenne et internationale, T. BONNEAU, Bruylant, 3e édition, 2016
• Le contrôle des entreprises d’investissement, Rapport annuel de la Commission bancaire de 1997
• Principles of Securities Regulation, T. L. HAZEN, Concise Hornbooks, West, 3e édition, 2009