Les juges français et allemand s'accordent sur la non-violation du droit d'auteur par Google Images - approche comparée de BGH, 29 Avril 2010, par Pierre Collier
Le service Google Images proposant une recherche d'image référence automatiquement les images trouvées sur Internet pour les reproduire sous forme de vignettes et les mettre à disposition des utilisateurs avec un lien vers leur site d'origine. Le 29 Avril 2010 le juges de la BGH ont déclaré, sous réserves, que ce processus n'emportait aucune violation du droit d'auteur.
Introduction :
Internet est un centre de décisions judiciaires contradictoires mettant en opposition et en balance la protection des données, le droit du public et les droits d'auteur. L'arrêt de principe rendu par la Bundesgerichtshof (BGH) le 29 Avril 2010 en donne une illustration convaincante (BGH Urteil vom 20 April 2010, I ZR 69/08). Le service de recherche d'images de Google qui est ici défendeur à l'action fait partie du groupe Google qui représente à lui seul en France et en Allemagne 90% des moteurs de recherches.
En l'espèce, la page Web de la requérante (artiste-peintre de son état) présentait les œuvres dont elle était l'auteur sous forme de photographie. Le service Images de Google a alors référencé ces photographies, ce qui les place à la disposition du public sous forme de « Thumbsnails ». Cette forme, encore appelée vignette, est la version réduite de la photographie originale. Ainsi en recherchant à travers ce moteur de recherche le nom de la requérante, les utilisateurs pouvaient avoir accès à ces vignettes. Considérant son droit d'auteur et de divulgation au public, la requérante souhaitait faire interdire la reproduction de ses œuvres sous forme de vignettes par le moteur de recherche de Google Image afin d'en limiter l'accès au public.
La demanderesse s'est faite débouter en première instance (LG Erfurt, Entscheidung vom 15.03.2007 - 3 O 1108/05) puis en cause d'appel (OLG Jena GRUR-RR 2008, 223) avant de voir son pourvoi rejeté devant la Cour Fédérale de Justice Allemande.
Les juges de la Cour Fédérale de Justice allemande ont eu à se demander si les « Thumbnails » pouvaient être qualifiés de reproduction et si ces reproductions portaient atteinte aux droits d'auteur. Le juge français a pu, à l'occasion d'une récente jurisprudence, rejoindre la position de son homologue allemand en écartant la responsabilité du moteur de recherche lors de la première mise en ligne de la reproduction par celui-ci. S’il est avéré que le référencement d'images sur Internet constitue une intervention licite sur les droits d'auteur, la décision de la BGH rendue le 29 Avril 2010 n'en est pas moins adaptée aux besoins d'Internet. Aussi faut-il se pencher sur l'appréhension du régime de la reproduction d'images dans chacun des droits français et allemand pour saisir les tenants et aboutissants de cette décision.
A. Des régimes de la reproduction d'image
Le titulaire des droits d'auteur attaché à une œuvre dispose en France et en Allemagne d'un droit de divulgation de l'œuvre. La directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société d'information (directive n°2001/29/CE du 22 mai 2001), qui reprend pour l'Europe certaines règles du traité de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) du 20 Décembre 1996, a atteint son objectif. Les législations de part et d'autres du Rhin sont en tous points similaires. La loi de transposition allemande est entrée en vigueur le 13 Septembre 2003 ; il aura fallu au législateur français une condamnation pour non-transposition pour finalement adopter la loi DADVSI le 1er Aout 2006 (loi DADVSI n°2006-961). Ces deux textes traitent ainsi identiquement la reproduction d'une œuvre protégée par le droit d'auteur.
En reproduisant une image, le moteur de recherche Google ne peut ignorer les droits de la propriété intellectuelle. La reproduction émise par ce célèbre moteur de recherche apparaît à la demanderesse comme une violation de ses droits d'auteur, une contrefaçon. « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ». L'ayant-droit demande sur le fondement du §97 al.1 UrhG des dommages et intérêts pour réparation de la violation encourue (Anspruch auf Unterlassung und Schadenersatz).
La cour d'appel reconnait alors que les photographies des œuvres représentées sur Internet sont des œuvres protégées par le droit d'auteur (§2 Abs 1 Nr.4 UrhG, équivalent de l'article L-112-2 CPI) et elle considère que la reproduction de ses œuvres par le moteur de recherche constitue une violation des droits de la requérante. La cour d'appel rejette pourtant la requête en estimant que la demande de réparation en dommages et intérêts n'est pas en conformité avec le principe de bonne foi (Treu und Glauben) énoncé au §242 du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB). La raison de cette non-conformité résulte du manque de mesures techniques prises par la requérante pour protéger son œuvre, mesures destinées à réduire l'accès du public à son site Internet.
Il est vrai que les droits allemand et français s'accordent sur le fait qu'une œuvre peut être divulguée, au sens de l'article L-121-1 CPI et du §19a UrhG, par son auteur selon les conditions qu'il souhaite (art. L-122-3 du CPI). La solution retenue par la cour d'appel a donc une certaine logique. D'autant que dans un arrêt de la BGH du même jour que l'arrêt étudié, le 29 Avril 2010, le juge allemand estime que l'établissement de mesures techniques, qu’elles soient efficaces ou non, traduit la volonté de l'ayant-droit de protéger son œuvre. En l'espèce, toutefois, la question ne se posait pas directement, dans la mesure où la requérante n'en a pas mises en place. Les juges de la Cour d'Appel ont alors estimé, pour refuser de sanctionner la contrefaçon qu'ils caractérisaient, que si l'auteur avait voulu limiter l'accès du public à ses œuvres, des mesures techniques auraient été prises par lui
Mais si une violation du droit d'auteur est donc reconnue en cour d'appel (cette dernière rejetant la demande de l'auteur ayant égard à son absence de bonne foi), la cour fédérale de justice allemande émet un arrêt de principe bien différent : elle affirme en effet qu'il n'y a, en l'espèce, aucune atteinte aux droits de la demanderesse dès lors que l'œuvre avait été laissée librement accessible au public par l'auteur lui-même.
B. Le référencement d’images : une intervention licite sur les droits d’auteur
L'arrêt du 29 Avril 2010 rendu par la BGH met au centre de la solution le droit de divulgation conféré à l'ayant-droit par le paragraphe 19a de l'UrhG. Le juge allemand estime que « Le gérant d'un moteur de recherche qui met en place des reproductions d'œuvres sur Internet en tant qu'aperçu (Thumbnails), rend l'œuvre accessible au public au sens du paragraphe 19a UrhG ». Deux éléments majeurs de la réflexion du juge allemand surgissent de cette citation.
Tout d'abord, le juge qualifie les aperçus émis par le moteur de recherche en tant que reproduction (ce qu'avaient également fait les juges du fond). L'activité du moteur de recherche d'images rentre donc dans le champ du droit d'auteur. Les aperçus sont cependant l'objet de bien des débats, car à la qualification de reproduction est parfois opposée celle de "citation". Le juge Allemand rappelle toutefois, dans l'arrêt du 29 Avril 2010, que "l'utilisation pour un référencement d'une œuvre protégée par le droit d'auteur en tant que citation doit toujours mettre en relation l'œuvre ou une partie de l'œuvre et l'idée propre à la citation ». Il rajoute « qu'il ne suffit pas que l'utilisation de l'œuvre ait comme objectif de la rendre accessible au public » (ce rappel fait suite à la décision du Landgericht Urteil vom 26.09.2008; 308 O 42/06 Urheberrechtsverletzung durch "thumbnails"). Un moteur de recherche a seulement pour vocation de collecter des informations afin les rendre plus accessibles aux utilisateurs ; ainsi les « Thumbnails » apparaissent en tant que reproductions aux yeux du droit allemand, et non comme des citations. En France, la cour de cassation, à l'occasion d'un arrêt du 7 Novembre 2006, a estimé pareillement que « La reproduction intégrale d'une œuvre l'esprit, quel que soit son format, ne peut s'analyser comme une courte citation », autrement dit qu'une vignette représentant une œuvre nécessite l'autorisation de l'auteur si l'œuvre a été rendue accessible au public auparavant (Cour de Cassation, 1ère chambre civile, Calamo, Post-Scriptum, 7 novembre 2006). L'harmonisation des droits voulue par la communauté européenne à travers la directive du 22 Mai 2001 touche à son but entre la France et l'Allemagne ; les législations mais également l'interprétation du droit sont identiques dans la qualification des vignettes proposées par les moteurs de recherches sur Internet.
Ensuite, une fois ces vignettes qualifiées de reproduction, le juge allemand précise l'impact juridique de la mise en ligne d'une de ces vignettes par le moteur de recherche : l'œuvre est rendue accessible au public au sens du §19a UrhG. Or seul l'auteur, l'ayant-droit ou l'ayant-cause dispose de cette prérogative sur l'œuvre ; le moteur de recherche porte alors atteinte aux droits d'auteur dès lors qu'il n'obtient pas l'autorisation de diffusion où qu'il ne respecte pas les conditions de divulgation imposées par l'ayant droit. Et c'est là que la dissension va apparaître entre la cour d'appel et la cour fédérale de justice allemande ; alors que la première a constaté une violation des droits d'auteurs de la requérante (simplement tempérée par l'absence de bonne foi de cette dernière), la cour fédérale considère que le moteur de recherche a en quelque sorte une autorisation tacite de l'auteur, de sorte qu'il n'a commis aucune contrefaçon. La raison de cette position est liée au fait que la requérante n'avait pas mis, en l'espèce, de mesures techniques afin de traduire son intention de protéger ses œuvres.En mettant ses œuvres sur son site Internet sans prendre de mesures techniques afin d'en restreindre l'accès et sans autoriser quiconque, « ni tacitement, ni expressément » à les reproduire, l'auteur a lui-même rendu ses œuvres accessible au public au sens du §19a UrhG. C'est par conséquent sans aucune infraction que le moteur de recherche Google a pu lui aussi reproduire et présenter les œuvres de la requérante. La BGH rejette donc le pourvoi de la requérante et entérine une nouvelle solution qui devrait faire jurisprudence en Allemagne.
Cette décision novatrice va légèrement à l'encontre du développement des moteurs de recherches, puisqu'elle les oblige a contrario à vérifier s'ils ne contreviennent pas aux droits d'auteurs ou tout du moins à retirer de leur référencement les reproductions qui leur sont notifiées comme illicites.
C. La création accommodante d'une présomption simple de légalité
La violation du droit d'auteur en droit allemand ou en droit français entraine naturellement une sanction. La divulgation illicite de la reproduction d'une œuvre par un moteur de recherche ne déroge pas à la règle mais l'établissement de la violation a été adaptée par les juges afin de ne pas brider la circulation de l'information sur Internet.
En l'espèce le juge allemand ne constate aucune violation du droit d'auteur mais précise tout de même que si la violation était avérée, « l'ayant-droit doit notifier la violation de ses droits au gérant du moteur de recherche qui aura l'obligation d'exclure les œuvres concernées de son référencement ». Le respect du droit d'auteur incombe alors à l'auteur qui prend la charge de veiller à ses droits.
La doctrine française n'imaginait pas que cette solution serait adoptée en droit français (Voschaubilder, L’essentiel – Droit de la propriété intellectuelle n° 3, juill. 2010, p. 1 obs. A. Lucas-Schloetter ) ; un arrêt récent de la Cour d'Appel de Paris du 26 Janvier 2011 s'inspire pourtant de cette solution en retenant que « le seul fait que les intimée (Stés Google) aient conscience que l’indexation automatique est susceptible d’atteindre des œuvres protégées par le droit d’auteur ne saurait suffire à engager leur responsabilité dans la mesure où les services sont prêts à désindexer sur notification des éléments d’identification et de localisation de nature à permette une connaissance effective du caractère illicite d’images disponibles sur le Web » (CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 26 janv. 2011, SAIF c/ Stés Google France et Google INC, n°08/13423). C’est donc après la notification de l'auteur que la reproduction illicite devra être désindexée, retirée du référencement. Une interrogation juridique commune a amené les juges à répondre de façon similaire ; l'arsenal juridique à disposition des juges français et allemands ayant été harmonisé auparavant, la similarité de ces décisions n'étonne pas tant que leurs conséquences. Ces solutions créent et usent d' « une présomption simple de légalité » bénéficiant aux moteurs de recherches reproduisant, sous forme de vignettes, des contenus protégés par le droit de la propriété intellectuelle.
Les conséquences de cette présomption simple ne sont pas anodines. Elles portent des effets sur l'ayant-droit en ouvrant une brèche dans le droit d'auteur puisqu'une reproduction illicite peut rester référencée durant un temps indéterminé avant d'être repérée et notifiée au moteur de recherche. Une atteinte aux droits d'auteur aura eu lieu avant que la présomption ne soit renversée et celle-ci ne pourra pas être réparée. En sera-t-il de même lorsque les juges feront face à une atteinte particulièrement préjudiciable ? L'atteinte ne sera-t-elle pas qualifiée comme telle sous prétexte de l'ignorance du moteur de recherche ? La présomption de légalité qui s'installe en faveur des moteurs de recherches et des droits du public va à l'encontre du développement et du respect des droits d'auteurs, pourtant souvent rappelé et protégé par les juges en question. A défaut d'être très contraignantes pour les moteurs de recherches ces décisions en demi-teinte ont malgré tout pour conséquences d'accroître légèrement leurs responsabilités en matière de reproduction d'images, au regard du droit antérieur.
D. Un accroissement modéré de la responsabilité des moteurs de recherches
Le 29 Avril 2010, le juge allemand rend ainsi un arrêt de principe rejetant la demande d'un auteur face à un moteur de recherche. Il s'agit là d'une décision symptomatique des conflits d'intérêts et de droits que voient naître Internet.
Le rôle du moteur de recherche est de faciliter la communication de l'information sur Internet, c'est pourquoi il est primordial de saisir l'enjeu de cette décision. Si la requête avait aboutie et Google condamné, chaque image référencée par Google aurait été susceptible de porter atteinte aux droits d'auteur et par voie de conséquence de faire condamner Google. Les moteurs de recherches n'auraient alors dû référencer que les images rendues accessibles au public ; or toute la difficulté est de savoir si l'auteur à, à travers des mesures techniques, la volonté de protéger son œuvre ou non. L'automatisation du référencement aurait alors dû être remise en question et aurait lourdement complexifié le travail des moteurs de recherche.
Afin d'éviter d'avoir de telles répercussions sur les acteurs majeurs d'Internet, et bien que le juge allemand ne l'a pas souligné, le juge français observe effectivement que « la reproduction provisoire permettant la circulation rapide de l’information à destination de l’internaute[...] constitue par son utilité une partie intégrante et essentielle d’un moteur de recherche d’images sur Internet et doit être tolérée en tant que telle ; qu’elle ne peut ainsi caractériser une intervention susceptible d’engager la responsabilité du prestataire des services en cause » (Cour d'Appel de Paris, 26 Janvier 2011, n° 08/13423). La nature même du moteur de recherche l'exonère donc en partie de sa responsabilité envers les ayants-droit. Les magistrats allemands et français demandent cependant aux moteurs de recherche de prendre des mesures afin de filtrer les contenus notifiés comme illicites par les ayants-droit. L'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 26 Janvier 2011 condamne d'ailleurs Google Images car celui-ci n'avait pas pris les mesures adéquates pour retirer certaines reproductions auparavant dénoncées. La responsabilité des moteurs de recherche connaît donc un certain accroissement, modéré pourtant par la présomption de légalité pesant sur une reproduction non-dénoncée.
Le juge allemand porte en tout cas un plus grand intérêt au respect du droit d'auteur que cet arrêt de rejet ne le montre. C'est en effet en qualifiant les vignettes de reproduction qu'il recule pour mieux sauter. Alors que les « thumbnails » sont placés sous la doctrine du Fair Use aux Etats-Unis (Cyberdroit : Le droit à l'épreuve de l'internet, Christiane Féral-Schuhl) et ne portent ainsi pas atteinte aux droits d'auteur, les juges français et allemands suivent une logique de protection du droit moral des auteurs (Le droit de l'internet et de la société d'information, éd. Larcier, par Thibault Verbiest et Etienne Wéry). En qualifiant les vignettes de reproduction et non de citation, le champ d'application du droit d'auteur se trouve élargi, mais le juge se refuse ensuite à en faire une application absolutiste, pour mieux appréhender les riques de violation en masse du droit d'auteur engendrées par l'Internet. Pour les juges français et allemands, ainsi que l'attestent les décisions rendues, cela est toujours préférable à l'augmentation de l'insécurité juridique.
Bibliographie :
Jurisprudence:
BGH Urteil vom 20 April 2010, I ZR 69/08
LG Erfurt, Entscheidung vom 15.03.2007 - 3 O 1108/05
OLG Jena GRUR-RR 2008, 223
Landgericht Urteil vom 26.09.2008; 308 O 42/06
Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 7 novembre 2006
CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 26 janv. 2011, SAIF c/ Stés Google France et Google INC, n°08/13423
Textes législatifs :
Code de la Propriété Intellectuelle 2010 commenté, édition Dalloz
Directive n°2001/29/CE du 22 mai 2001
Loi DADVSI n°2006-961
Copyright Act of 1976
Manuels :
Droit de la propriété intellectuelle n° 3, juill. 2010, p. 1 obs. A. Lucas-Schloetter
Cyberdroit : Le droit à l'épreuve de l'internet, Christiane Féral-Schuhl
Droit d'auteur et droits voisins par Christophe Caron, édition Litec, collection « Manuel », 2e édition, 2009
Urheberrecht, Arthur-Axel Wandtke, 2009