Commentaire de l’article 173.1 §2 du Code Pénal espagnol réformé par la loi du 22 juin 2010 qui introduit le délit de harcèlement moral au travail en Espagne – Mélanie Ganhao

Résumé de 500 signes: le harcèlement moral au travail est aujourd’hui au centre des débats et fait l’objet de nombreuses études tant en Espagne qu’en France bien qu’il ait été ignoré pendant longtemps. En Espagne, le délit de harcèlement moral au travail a été introduit très récemment par la loi du 22 juin 2010 (loi 5/2010 entrée en vigueur le 23 décembre 2010) qui réforme le Code Pénal espagnol à l’article 173.1§2. Il constitue une importante avancée au sein de l’ordre juridique espagnol. Désormais, l’Espagne pourra condamner pénalement les auteurs pour délit de harcèlement moral. La France, quant à elle, est déjà dotée d’une telle loi depuis le 17 janvier 2002 (L. n°2002-73 loi de modernisation sociale), loi qui a été modifiée par la loi Fillon du 3 janvier 2003 (L. n°2003-6). De nombreuses différences sont visibles entre le droit espagnol et le droit français. En effet, les législateurs espagnol et français ne définissent pas de la même manière la notion de harcèlement moral au travail, ne prévoient pas les mêmes moyens de prévention et ne retiennent pas les mêmes peines. En revanche, tant la législation espagnole que française font l’objet de nombreuses critiques car peu claires.

 

Le harcèlement moral au travail constitue un phénomène ancien qui prend de plus en plus d’ampleur depuis quelques années tant en Espagne qu’en France et même au niveau mondial. Il s’agit d’un phénomène croissant qui suscite de nombreuses inquiétudes poussant ainsi les Etats à prendre des mesures pour sanctionner ces comportements attentatoires à la personne et ainsi rétablir les droits des personnes qui en sont victimes ou témoins.

C’est donc dans ce contexte que le délit de harcèlement moral au travail a été introduit au sein de l’ordre juridique espagnol à l’article 173.1 du Code Pénal espagnol.

Cette réforme est le fruit d’une évolution de la société caractérisée par la vulnérabilité du salarié. La crise de l’emploi, les contraintes d’objectifs à remplir, ou encore la précarité ont permis aux employeurs de dépasser les limites de l’intolérable et ainsi de porter atteinte aux droits fondamentaux du travailleur.

Le phénomène du harcèlement moral a commencé à être étudié en Suède par le psychologue Heinz Leymann en 1986. Postérieurement, les études sur le mobbing au sein des Etats ont alerté la société sur ce problème et ont permis d’impulser une législation pour prohiber ces pratiques. En France, cette impulsion s’est faite plus rapidement qu’en Espagne. C’est, en effet, à partir de la publication en 1998 par la psychanalyste Marie-France Hirigoyen d’un ouvrage appelé « le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien », que va surgir un grand mouvement médiatique qui va contribuer à une prise de conscience générale. La législation va alors progressivement voir le jour. L’Espagne, quant à elle, mettra du temps à s’y consacrer.

C’est sous l’impulsion du droit européen que l’Espagne et la France vont intégrer l’idée de lutter contre les actes portant atteinte au salarié sur son lieu de travail. En effet, la Charte sociale européenne signée en 1961 et révisée en 1996, s’est exprimée en ce sens obligeant les Etats parties « à promouvoir la sensibilisation, l’information et la prévention en matière d’actes condamnables ou explicitement hostiles ou offensifs, dirigés de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements » (article 26.2).

De plus, dans la résolution du Parlement Européen de septembre 2001 (2001/2239/INI), ont été introduit des définitions du harcèlement très descriptives à travers une énumération d’actes et de comportements négatifs envers la victime.

L’accord européen sur le harcèlement et la violence au travail du 26 avril 2007 admet, quant à lui, que « le harcèlement survient lorsqu’un ou plusieurs travailleurs ou cadres sont à plusieurs reprises délibérément malmenés, menacés et/ou humiliés dans des situations liées au travail ».

Enfin, pour l’Organisation internationale du travail, le harcèlement moral se produit « lorsque plusieurs personnes s’allient pour persécuter tel ou tel collègue par un harcèlement psychologique qui peut prendre les formes suivantes: faire constamment des remarques négatives sur cette personne ou la critiquer sans arrêt, l’isoler en la laissant sans contact social et médire ou diffuser de fausses informations sur elle ».

En France et en Espagne la consécration d’une législation spécifique ne s’est pas faite en même temps. En effet, tandis que la France s’est dotée dès 2002 d’une législation spécifique concernant le délit de harcèlement moral au travail avec la loi de modernisation sociale (loi n°2002-73), l’Espagne quant à elle, vient juste de promulguer une loi le 22 juin 2010 (loi 5/2010) qui réforme le Code pénal espagnol et qui introduit le délit de harcèlement au travail.

Cette réforme a également permis d’offrir une définition légale de ce concept qui était inexistante auparavant.

Avant cette loi, seul le délit de harcèlement sexuel était consacré dans le code pénal espagnol privant ainsi les victimes de harcèlement moral d’une protection semblable.

Désormais, l’article 173.1§2 fait référence à tout harcèlement au travail et inclut donc le harcèlement moral. C’est dans le titre VIII consacré aux délits de torture et contre l’intégrité morale que ce délit a été introduit. Un deuxième paragraphe a été ajouté à l’article 173.1 du Code Pénal espagnol. Celui-ci dispose désormais que « seront punis, ceux qui, travaillant dans le secteur privé ou dans la fonction publique et se prévalant de leur position de supériorité réalisent contre quelqu’un d’autre de façon répétée des actes hostiles ou humiliants qui sans constituer un traitement dégradant supposent un grave harcèlement contre la victime ».

Quelle protection est assurée aux victimes de harcèlement moral au travail en Espagne et en France?

La notion de harcèlement moral ayant été introduite par la réforme espagnole à l’article 173.1 du Code pénal espagnol, la question de sa définition se pose comme un préalable indispensable. Aussi, il convient de voir les sanctions qui peuvent être applicables et les mécanismes de prévention prévus au sein des deux Etats.

 

Une définition insuffisante de la notion de harcèlement moral au travail

De nombreuses difficultés ont surgi tant en Espagne qu’en France quant à la question de savoir comment ce concept de harcèlement moral au travail pouvait être défini et quels sont les agissements constitutifs de ce délit.

Tandis qu’en Espagne, jusqu’à cette loi très récemment promulguée du 22 juin 2010, il n’existait pas de définition légale de ce concept, en France cette notion est définie depuis 2002 dans la loi de modernisation sociale.

Aujourd’hui, le Code Pénal espagnol pose une définition légale à l’article 173.1§2. Selon l’article 173.1§2 sera constitutif d‘un délit de harcèlement moral au travail le fait de « réaliser contre quelqu’un d’autre, de façon répétée, des actes hostiles ou humiliants qui ne constituent pas un traitement dégradant mais qui supposent une grave atteinte à la victime ».

Cette définition consacrée par le législateur espagnol est composée d’éléments très objectifs et peu clairs qui pourraient rendre difficile l’application de l’article susvisé. Ce problème s’ajouterait alors à la difficulté de l’obtention de preuves.

La définition du législateur français est, quant à elle, générale et laisse aux juges un large pouvoir d’appréciation. Elle est aussi très précise ce qui restreint les possibilités de qualification de harcèlement moral. En effet, la définition procède de l’article L1152-1 du Code du travail selon lequel « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

La définition est la même en droit pénal et se trouve à l’article L222-33-2 du Code pénal, alors qu’en Espagne, la définition consacrée par le droit pénal ne se retrouve pas en droit du travail.

La France, établie donc une double protection à l’inverse de l’Espagne. L’Espagne risque, par conséquent, de voir les actions au pénal se multiplier au détriment des juridictions civiles et sociales.

Si l’on s’attache plus précisément aux termes employés par le législateur espagnol et français, on constate que ceux-ci n’ont pas fait les mêmes choix. En effet, le législateur espagnol a souhaité circonscrire les faits générateurs du harcèlement moral à la réalisation « de manière réitérée » d’« actes hostiles ou humiliants qui ne constituent pas un traitement dégradant » mais qui supposent « une atteinte contre la victime ».

Au contraire, le législateur français, n’a pas précisément défini les actes constitutifs de la notion de harcèlement moral au travail. En effet, leCode du Travail et le Code Pénal ne l’identifient pas matériellement et aucune liste de faits constitutifs n’est édictée. Le législateur français a préféré stigmatiser « les comportements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ». C’est la jurisprudence qui au fil du temps s’est chargée de préciser le concept.

Le législateur espagnol a fait le choix de décrire plus précisément les actes constitutifs du harcèlement au travail mais déterminer ce que constitue un agissement réalisé « de façon réitéré » ou un « acte hostile ou humiliant qui sans constituer un traitement dégradant suppose une grave atteinte contre la victime» n’est pas tâche facile.

Ces termes semblent confus. En effet, tout harcèlement constitue un traitement dégradant même si la gravité n’est pas la même dans tous les cas.

De plus, il semble que l’article exige un acte positif et exclut les omissions ce qui pourrait alors rendre difficile l’application de la sanction dans certains cas.

Au regard de ces termes, les personnes victimes de harcèlement moral au travail risquent de recevoir un traitement différent.

C’estla jurisprudence qui, à l’avenir, devra préciser ces notions comme il s’est produit en France.

La notion d’« actes réalisés de façon réitérée » a été précisée par la jurisprudence civile espagnole. Elle exige une action répétée, durable dans le temps et systématique (arrêt Tribunal Supremo de Justicia Galicia 30 mai 2005, AS 1515). Sont également déterminants les circonstances, la gravité et l’intensité de ces agressions (arrêt Tribunal Supremo de Justicia Madrid 16 mai 2006, AS 2028). Elle estime aussi que les faits isolés ou les agressions ponctuelles ne pourront être constitutifs de harcèlement moral (arrêt Tribunal Supremo de Justicia 11 juillet 2003, AS 2516).

En France, l’article fait également référence à la notion d‘« agissements répétés » à l’encontre de la victime et la jurisprudence est également venue préciser cette notion notamment dans un arrêt du 15 avril 2008 de la Chambre sociale de la Cour de Cassation (Mme X c/ Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, n° de pourvoi: 07-40290). Les juges ont estimé « qu’un fait isolé ne sera pas considéré comme suffisant pour qualifier la situation de harcèlement moral ». Aussi dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 27 octobre 2004, l’exigence d’une conjonction des faits a été ajoutée à la condition de répétition des faits (Ch. Soc. 27 octobre 2004, Société Mât de Misaine c/ Mme X n° pourvoi: 04-41008).

Le législateur espagnol exige aussi pour l’application de l’article 173.1§2 du Code pénal espagnol que les actes aient été commis au sein d’une relation juridique privée ou au sein de la fonction publique. En effet, selon l’article « seront punis ceux qui travaillant dans le secteur privé ou dans la fonction publique(…) ». L’article est donc limité puisqu’il exclu les autres relations professionnelles telles les travailleurs autonomes. Néanmoins, un point positif est à relever, l’article inclut la fonction publique.

En France, au contraire, le texte ne fait pas précisément référence à une catégorie de salariés, tout salarié est protégé par le texte, sans distinction, quelque soit la relation.

On note également que le texte espagnol exige pour que le harcèlement soit constitutif d’un délit qu’il soit vertical descendant c’est-à-dire que les actes de harcèlement aient été commis par un travailleur qui occupe une position hiérarchique supérieur dans l’entreprise par rapport à la victime (« seront punis ceux qui se prévalant de leur position de supériorité (…) »).

Le texte exclu donc le harcèlement moral horizontal c’est-à-dire les actes commis par des collègues qui se trouvent au même rang que la victime dans l’entreprise et le harcèlement moral vertical ascendant c’est-à-dire les actes commis par un salarié qui se trouve dans une position hiérarchique inférieure par rapport à la personne harcelée.

En France, au contraire, le code pénal prévoit que le harcèlement peut se produire en dehors de tout rapport d’autorité ou de relation hiérarchique. Il peut se produire à tous les niveaux de l’entreprise.

Dans son article, le législateur espagnol, à l’inverse du législateur français, ne se prononce pas sur la finalité et les effets du harcèlement moral sur les conditions de travail. L’article n’exige pas expressément qu’un lien soit établi entre l’état de la victime et les conditions de travail.

Par contre, au regard de la jurisprudence civile établie, en droit du travail, pour qu’il y ait harcèlement moral il faut que « les faits se produisent sur le lieu de travail ou dans une relation de travail et par des personnes travaillant dans l’entreprise même si celles-ci ont été recrutées par des entreprises de travail temporaire» (arrêt TSJ Madrid, 1 Septembre 2005, JUR 20234).

En France, il est expressément établi à l’article L1152-1 du Code pénal et L222-33-2 du Code du travail que la finalité des agissements ou leurs effets, que les conséquences aient été voulues ou non, doit concerner « une dégradation objective des conditions de travail ». Celle-ci serait fautive car « susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Il faut qu’un lien soit établi entre l’état de santé et les conditions de travail c’est-à-dire que le comportement reproché soit à l’origine de la détérioration de l’état de santé (arrêt Ch. soc. 21 juin 2006, M. X contre société SPID 53, n° du pourvoi 05-43272). A mon sens, la définition française restreint les possibilités de qualification de harcèlement moral et rend plus difficile la preuve du harcèlement. Cette définition me semble plus protectrice de l’accusé que la définition espagnole qui ne fait aucune référence aux effets du harcèlement laissant, ainsi, place aux abus.

Il résulte au regard de l’analyse faite précédemment, que le harcèlement moral au travail manque d'une définition claire et précise en Espagne.

Mais ce manque se retrouve aussi en France. La jurisprudence française montre, en effet, que la notion est appliquée de manière restrictive et que les salariés éprouvent des difficultés à faire reconnaitre le harcèlement moral.

Ainsi, dansun jugement du TGI de Paris 31ème ch. Corr. 25 octobre 2002 « Canal + »,les juges ont précisé de manière objective les contours du délit en passant sous silence la condition de « dégradation des conditions de travail », pour ne retenir qu’un « délit d’atteinte à la dignité ou à la santé ». De nombreux arrêts qui ont suivi ont confirmé cette tendance (Chambre Criminelle 21 octobre 2003 N° 02-88.246, Chambre Sociale 7 mai 2003 N° 01-41.828...).

Ainsi, en France, malgré une rédaction volontairement extensive de la loi, les juridictions en ont volontairement limité la portée afin que la répression soit plus efficace.

De plus, la définition retenue tant en Espagne qu’en France suscite de nombreuses critiques au sein de ces deux Etats. En effet, il est soutenu par de nombreux auteurs espagnols et français que de telles définitions laissent place aux abus, attirent les comportements opportunistes et sont préjudiciable aux victimes, la réalité du problème pouvant être, par conséquent, décrédibilisée.

Aussi, l’emploi de termes objectifs va à l’encontre des principes constitutionnels de légalité et de sécurité juridique.

Cette situation peut également donner lieu à des cas de faux mobbing et dans ce cas il n’existe aucune norme protectrice de l’accusé. José Prieto, associé du cabinet d’avocat Baker & Mckenzie estime que « l’objectif est de pouvoir démasquer le menteur et démontrer la réalité de la situation. Il est recommandable que les codes de conduite établissent des mesures de contrôle et de détection des fausses plaintes ».

En Espagne, l’application de ce nouveau texte risque de soulever des problèmes et/ou des interrogations au même titre qu’en France où l’application est délicate et contrastée. Néanmoins,la réforme opérée en Espagne était sans aucun doute nécessaire pour répondre à l’inquiétude de la société. Elle constitue le début d’un processus qui ne va sans doute pas s’arrêter là puisqu’il ne peut être considéré comme suffisant.

 

Les sanctions applicables en Espagne et en France

Avant la réforme opérée par loi du 22 juin 2010, le harcèlement moral au travail n’était pas considéré comme un délit. Néanmoins, le droit espagnol offrait des dispositions pour condamner ces comportements. En effet, afin de punir les auteurs de ces actes, l’article 173 du Code Pénal espagnol qui punit les traitements dégradants et les atteintes à l’intégrité morale mais aussi l’article 15 de la Constitution espagnole qui protège l’intégrité physique et morale ou encore la loi 3/2007 du 22 Mars 2007 sur l’égalité effective entre l’homme et la femme pouvaient être invoqués.

Aujourd’hui, grâce à la réforme, le Code pénal espagnol prévoit à l’article 173.1§2 que le harcèlement moral au travail est constitutif d’un délit et qu’il est puni d’une peine de prison allant de 6 mois à deux ans.

En France de tels poursuites pénales pour délit de harcèlement moral au travail sont également possibles mais le Code pénal ne prévoit pas la même peine puisqu’en vertu de l’article L222-33-2 du Code pénal, le délit de harcèlement moral au travail est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende outre, le cas échéant, de mesures de publicité du jugement et d’interdictions d’exercice professionnel voire de peines complémentaires.

Les juges espagnols et français sont libres quant à la détermination des dommages-intérêts. En effet, tout dépendra des éléments apportés au procès et éventuellement, des rapports d'expertise.

Par ailleurs, à l’inverse de l’Espagne, le Code du travail français prévoit aussi des dispositions pénales. En effet, l’article L1155-2 dispose que « les faits de harcèlement moral et sexuel (…) sont punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 €. La juridiction peut, également ordonner aux frais de la personne condamnée l’affichage du jugement et son insertion dans les journaux qu’elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue ».

Concernant l’élément moral du délit, en Espagne comme en France, l’élément intentionnel est requis. Les actes réalisés par imprudence ne sont donc pas sanctionnés.

En revanche, en droit du travail, il n’est pas requis tant en Espagne (Tribunal Supremo de Justicia Madrid, 17 mai 2004, AS 2165) qu’en France. Néanmoins en Espagne, il est arrivé que dans plusieurs arrêts celui-ci ne soit pas exigé (TSJ Cataluña 24 octobre 2005, AS 3695, TSJ 6 mai 2005, AS 1864). De plus, une décision du Tribunal Constitutionnel espagnol 89/2005 est venu préciser que « la vulnération des droits fondamentaux n’exige pas l’intentionnalité de l’auteur. Il suffit simplement de constater la présence d’un lien de causalité entre le comportement et le résultat prohibé ».

Quant à la charge de la preuve, elle repose sur la victime aussi bien en Espagne qu’en France. En France, le Conseil constitutionnel a estimé que « l'aménagement de la charge de la preuve apportée par la loi du 17 janvier 2002 en matière de harcèlement moral devant le juge prud'hommal n'est pas applicable devant le juge pénal ». La charge de la preuve repose donc sur la victime devant le juge pénal.

La prescription de l’action est de 5 ans (article 131 du Code pénal espagnol) en Espagne alors qu’elle est de 3 ans en France (article 8 du Code de procédure pénale).

Le droit espagnol et français ne prévoient pas seulement des sanctions pénales. En effet, des sanctions civiles sont également possibles tant en Espagne qu’en France et donnent lieu à la condamnation du harceleur au paiement de sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la victime. Le montant de ces indemnités est laissé à l’appréciation des juges en fonction des éléments détenus.

Devant la juridiction sociale, en Espagne plusieurs actions sont possibles. La victime peut engager une action en résolution du contrat, une action ayant pour cause la nullité du licenciement, une action dite « ordinaire » (proceso ordinario) simplement pour obtenir une indemnisation pour le préjudice causé ou enfin une action « protectrice des droits fondamentaux ».

En France, une action peut être faite devant le tribunal des prud’hommes pour demander la nullité de la rupture du contrat de travail ou de toute disposition qui découle du harcèlement moral. Les organisations syndicales représentatives peuvent agir en justice à la place du salarié victime. Mais l'accord écrit de la victime est nécessaire. La victime peut néanmoins décider d'intervenir lors de l'instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment.

Sur le plan disciplinaire, en Espagne comme en France, le harcèlement moral au travail est un comportement sanctionnable par l’employeur donnant lieu, par conséquent, à une sanction disciplinaire. En Espagne, c’est la loi 7/2007 du 12 avril 2007 qui reconnaît cela. En France, c’est en vertu de l’article L1152-5 du Code du travail que l’employeur peut prendre une sanction disciplinaire à l’encontre de l’auteur du harcèlement moral. Cependant, une différence est à noter: en France, les faits se prescrivent deux mois après la connaissance par l’employeur des faits (article L1332-4 du Code du travail). L’employeur devra donc faire preuve de diligence.

Le droit français donne la possibilité aux victimes d’engager une procédure de médiation, procédure qui ne se retrouve pas en droit espagnol. Ainsi, en vertu de l’article L1152-6 du Code du travail, en matière de harcèlement moral au travail, la victime peut faire appel à un médiateur à l’initiative de la victime ou du mis en cause. Celui-ci a pour mission de concilier et de soumettre des propositions par écrit pour mettre fin au harcèlement. Le choix de celui-ci doit faire l’objet d’un accord entre les parties.

 

La prévention du harcèlement quasi inexistante en Espagne à l’inverse de la France

L’article 173.1 du Code pénal espagnol ainsi que l’article L1152-1 du Code du travail français et L222-33-2 du Code Pénal français ne font aucune référence à la prévention du harcèlement moral au travail. De plus, le législateur espagnol a fait le choix de privilégier la voie criminelle en ne consacrant le harcèlement au travail qu’en droit pénal.

Néanmoins, il convient de s’arrêter sur cet aspect qui résulte important. En effet, à l’inverse de l’Espagne, la France est l’un des pays qui se consacre depuis déjà quelques années à l’élaboration de normes visant à prévenir les actes de harcèlement moral au travail. L’Espagne, au contraire est un pays qui jusqu’ici ne s’y est pas consacré et qui ne contient donc quasiment pas de normes spécifiques visant à prévenir de tels actes. Avec l’article 173.1 on constate que le législateur espagnol privilégie la voie criminelle et laisse en second plan la voie préventive et c’est essentiellement dans la Ley de Prevención de Riesgos Laborales de 1995 fondée sur la directive 89/391, que l’on retrouve une obligation d’évaluer les risques liés au travail en fonction des postes et des caractéristiques du travailleur ayant pour objectif celui d’adapter le poste à la personne et d’éviter que le travail ait un risque pour la santé physique et morale. Ces évaluations doivent se faire de façon périodique avec l’accord et l’aide des délégués du personnel. Les évaluations doivent remplir une certaine rigueur scientifique avec des questionnaires et des méthodes valables. Ces évaluations sont analysées par l’Inspection du travail et par la Sécurité Sociale permettant ainsi de contrôler l’activité préventive.

Ce qui peut être constaté c’est que cette règlementation n’est pas adaptée aux nouveaux risques du travail.

La France dispose, quant à elle, de nombreux moyens de prévenir le harcèlement moral au travail. En effet, le code du travail prévoit que l’employeur doit prendre « toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ou sexuels (article L1152-4 du Code du travail).

Les juges peuvent contrôler cette obligation (arrêt Ch. Soc. 22 mars 2006, Mme X c/ société Belmart, n° de pourvoi: 03-44750) et l’absence de mesures pour mettre fin aux agissements de harcèlement moral peut conduire à imputer la responsabilité d’une rupture à l’employeur dans le cadre d’une résiliation judiciaire du contrat de travail (Ch. Soc. 21 février 2007, société Auvergne Denrées c/ Mme X, n° du pourvoi : 05-41741).

Le délégué du personnel peut utiliser son droit d'alerte. S’il constate l'existence d'une atteinte à la santé physique et mentale d'un salarié, non justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il peut saisir l'employeur qui est tenu de procéder à une enquête et de remédier à la situation.

Le comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail peut faire des propositions d’actions préventives (article L4612-3 du Code du travail). L’employeur qui s’y refuse doit motiver sa décision. Il a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Il doit aussi veiller à l'amélioration des conditions de travail et à l'observation des prescriptions législatives et réglementaires prises en ces matières.

Enfin, le médecin du travail a la possibilité, quant à lui, de proposer des mesures individuelles telles que mutation ou transformation de poste justifiées par l'état de santé "physique et mentale" des salariés.

 

Bibliographie:

Sources espagnoles:

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Sources françaises:

♦  Francis Lefebvre, Memento Social, 2009 ♦ E. Monteiro, le concept de harcèlement moral dans le Code pénal et le code du travail, RSC 2003.277 ♦ C. Katz, le délit de harcèlement moral, une incrimination nécessaire? Une application problématique, AJ pénal 2005.13 ♦ Georges PICCA, Petites affiches, 21 janvier 2002, n°15 p. 53