Analyse de la règle de droit (doctrine) l´AUDI ALTERAM PARTEM en Inde
Introduction:
“The principles of natural justice are easy to proclaim, but their precise extent is far less easy to define.”
«Les principes de justice “naturelle” sont faciles à proclamer, mais leur exacte ampleur est beaucoup moins facile à définir ».
La justice naturelle est le symbole précurseur de la justice légale et l'un des concepts les plus importants de la loi administrative indienne. Elle se rapporte à l'administration de la justice et fournit une exigence minimale d'équité procédurale, sans laquelle la justice serait symbole d’injustice. Étymologiquement, cet adage «audi alteram partem» provient de deux mots: «nature» et «juste».
Le mot «nature» désigne la qualité innée d'une chose ou d'un objet et le mot «juste» se rapporte au symbole de justice et d´équité. Par conséquent, l'expression «justice naturelle» connote la qualité innée d'être juste ou équitable.
Les principes de la justice naturelle que l´Inde applique toujours aujourd'hui ont été développés par les tribunaux de l'Équité en Angleterre, lors de la colonisation britannique. A l´origine, ces principes ont été développés pour contrôler les décisions des tribunaux de première instance.
Ensuite, au cours du 20ème siècle, ils ont été étendus à l´«application des décisions des tribunaux administratifs et domestiques ainsi que de toutes les autorités exerçant un pouvoir administratif affectant le statut d'une personne ou ses droits». «Il existe deux règles fondamentales concernant la justice naturelle. La première est celle du « nemo judex in causa sua », ce qui signifie« nul ne peut être juge de sa propre cause ». Cette règle garantit aux individus un recours juste devant une justice impartiale et équitable par ceux qui sont chargés de rendre la justice. Ainsi, toute décision prise par une personne qui pourrait avoir un intérêt ou un parti pris dans la décision, est considérée comme une décision partiale et cet acte sera évalué comme un acte «ultra vires», même si la décision peut paraître juste et équitable.
La deuxième règle est celle dite du «audi alteram partem» qui signifie «entendre l'autre côté». Cet adage indique qu´une décision ne peut être rendue tant que la personne directement concernée n’a pas eu l’occasion de pouvoir exposer sa cause de façon juste (être entendue) ni de prendre connaissance des motivations de l´autre partie au procès.
Ainsi, ce commentaire vise à proposer une analyse de la règle doctrinale «audi alteram partem» et de son application judiciaire dans le contexte indien.
I- Analyse de l´application judiciaire de la doctrine : Audi alteram partem
Un premier arrêt a soutenu l´application irrévocable du principe audi alteram partem avec l'affaire R. c. l´Université de Cambridge (communément appelée l´arrêt Dr Bentley), où un grand mais rebelle savant avait été privé de ses diplômes universitaires par l'Université de Cambridge, sans préavis ni possibilité de se défendre. La Cour du Roi (Court of King´s Bench) a estimé que les deux parties au litige ont le droit d´exprimer leurs causes et donc d´être entendues pendant leur procès. Ainsi, en l'absence d'une obligation légale écrite du principe «audi alteram partem», la justice de la Common Law comblerait les omissions de la législature en assurant une justice équitable par le juge et en faisant prévaloir ce principe.
L´application primordiale de cette règle doctrinale a été réitérée. Par exemple dans l´arrêt Cooper c. le Conseil Wandsworth de Works, il a été jugé que, lorsque aucune référence légale, explicite ou implicite, de la loi exige que la partie soit entendue pendant son procès, « le juge de Common Law est dans l´obligation de fournir cette omission de la législature aux parties ».
Le droit à un procès équitable, règle générale d'équité procédurale, est applicable à chaque étape du processus d´une décision administrative. Le processus est initié avec l'émission d'un avis concernant l'action proposée, et culmine seulement avec la détermination finale de l'affaire.
Dans le contexte indien, la grande amplitude de la règle « audi alteram partem » a été traitée dans l´arrêt Tulsiram Patel : cet arrêt indique notamment que le contradictoire doit être respecté par tous les acteurs du procès. Il se traduit par l’obligation de communication des éléments de preuve, entre chaque partie, et par l’obligation de prendre connaissance de tous les arguments soutenus par elles.
« La règle « audi alteram partem » signifie, dans toute son amplitude, qu'un justiciable contre lequel une ordonnance (à son préjudice) a été déposée, devrait être informé des allégations et accusations portées à son encontre. Ainsi le défendeur devrait avoir la possibilité de soumettre son explication, le droit de connaître les preuves, d'examiner les documents qui sont invoqués contre lui, d´écouter les allégations des témoins qui témoignent en sa défaveur, et par la même occasion de les « contre-interroger », puis le droit de témoigner sa défense par voie orale et écrite».
En substance, il existe trois aspects de la règle «audi alteram partem» reconnus par cet arrêt:
1) Une personne susceptible d'être visée par une action en justice doit recevoir une ordonnance dans laquelle l´intention de l'action en justice est précisée.
2) L’accusé doit avoir la possibilité suffisante de se défendre et indiquer pourquoi une telle action à son encontre ne devrait être prise.
3) La décision des autorités judiciaires doit être prise après avoir examiné la représentation des personnes susceptibles d'être concernées.
Dans l´arrêt historique, Maneka Gandhi c. Union of l'India, il a été jugé que toute loi qui permet aux autorités administratives de prendre des décisions affectant les droits des individus, sans donner de raison, serait une violation des articles 14 et 21 de la Constitution indienne.
Par conséquent, cette règle implicite a été partagée par les tribunaux, qui ont indiqué dans leurs décisions que les objectifs d´un procès équitable seraient mieux administrés si les organismes administratifs étaient dans l´obligation de justifier leurs décisions pour permettre de s’assurer de l´efficacité et de la continuité du principe audi alteram partem.
À l'heure actuelle, il n’’y a aucune norme précise et obligatoire requérant le droit à un procès équitable ni aucune source écrite permettant de rendre ce principe obligatoire et irrévocable. Non seulement les normes de procès équitable varient selon les différents organismes, mais aussi en fonction des différents arrêts rendus, parfois par les autorités compétentes elles-mêmes.
Par conséquent, les tribunaux décident sur la base du cas par cas, ce qui constituerait un procès équitable et la justice naturelle applicable dans une situation donnée, en adoptant une « approche pragmatiquement flexible ». Néanmoins, il existe toujours une certaine limite à ce droit, car son application ne semble pas continue ni universelle. En effet les juges ne seraient pas dans l´obligation d´appliquer ce principe, car aucune source écrite ni aucune jurisprudence « stare decisis » ne les y contraint. De plus, dans le système juridique indien, les organes administratifs ne sont pas liés par des règles de procédure comme le sont les tribunaux.
C´est ainsi que les tribunaux ont souvent négligé l’application de la règle du contradictoire « audi alterem partem », rendue obligatoire implicitement par sa portée fondamentale et revendiquée dans les arrêts cités préalablement dans des domaines où aucune obligation légale ne le prescrit. Dans certaines décisions, les juges ont privilégié l´application stricte de la loi afin de satisfaire plus largement les intérêts de l´État.
Dans l´arrêt Olga Tellis c. Bombay Municipal Corporation, le tribunal a jugé que les obligations implicites émanant d´un principe « coutumier » peuvent être évincées dans certaines circonstances exceptionnelles.
Cette décision a par la suite permis l'expulsion des habitants de rues sans préavis des autorités. Ainsi, les tribunaux se sont basés sur des motivations d'ordre public au lieu de procéder à une interprétation stricte d´un principe fondamental reconnu aux individus (en principe).
Cependant, dans certains cas, la Cour a dû justifier la non-application de la règle « audi alterem partem » pour servir les intérêts de la justice. Ce principe de « non-application » figure dans la décision de la Cour suprême dans l'affaire Bihar School Examination Board c. Subhash Chandra Singh.
Dans cet arrêt, le jury d'examen de la Bihar School a été chargé de mener un examen secondaire dans divers centres, en mars 1969. Bien que les résultats des autres centres aient été publiés en juillet 1969, les résultats d'un centre particulier ont été retenus. Par la suite, il a été annoncé que les examens de tous les centres d´examen ont été annulés en raison des moyens déloyaux pratiqués dans ce centre particulier. La High Court de Patna, était alors convaincue que les notes très élevées obtenues par les candidats ayant écrit leur examen dans ce centre particulier seraient suspicieuses. Elle a notamment évoqué que des moyens déloyaux pouvaient avoir été adoptés, vu les résultats obtenus. Néanmoins, dans ce litige, le principe du «audi alteram partem» n'a pas été suivi par la Cour puisque les étudiants n´ont pas eu l'occasion de démontrer, ni de motiver leurs causes et preuves.
Toutefois, la Cour suprême a infirmé la décision de la Haute Cour mais non sur la négligence du principe « audi alteram partem ». Après examen des notes obtenues par les candidats du centre, la Cour a conclu qu'il était évident que des moyens déloyaux avaient été adoptés à grande échelle. L'examen aurait été vicié par l'adoption de moyens déloyaux sur une échelle de masse. Mais la Cour ajoute qu´il n'a pas été nécessaire pour la Commission de donner l'opportunité aux candidats d´être écouté, car les examens allaient être annulés dans leur ensemble. Elle a ajouté qu´entendre chacun des candidats mènerait à un retard considérable et que dans la situation présente, une action urgente serait nécessaire. Ainsi, il serait impossible de donner l’occasion aux candidats d´être entendus, faute de temps et de preuves tangibles, la Cour a omis l´application de ce principe.
Or, cette décision a également permis de renforcer le pouvoir des autorités à prendre des mesures rapides et efficaces pour empêcher l'adoption de moyens déloyaux sur une échelle de masse à différents centres d'examen qui, comme susmentionné, est devenue une menace sérieuse dans certains États de l'Inde.
Cependant, l´application du principe «audi alteram partem» a évolué. Certains tribunaux ont tendance à étendre le principe de plus en plus et ainsi à augmenter le poids de l'objectif principal de ce principe, qui est le droit à un procès équitable.
Le concept de décisions institutionnelles, ou de «celui qui décide doit entendre », revêt d´une importance considérable en ce qui concerne les procédures administratives. Souvent, quand une personne « entend » alors qu´une autre « décide », une division fonctionnelle peut-être contraire à la notion de procès équitable.
À cet égard, la position du common law a été illustrée dans l´arrêt Local Govt. Board c. Arlidge, dans lequel la décision finale a été rendue par une personne autre que l'autorité qui a procédé à l'audition durant le procès. Cette décision a été contestée par la suite. Il a été jugé qu´une autorité administrative était dans l´obligation de suivre la procédure formaliste des tribunaux. Elle ne serait plus libre de faire évoluer le processus procédural par sa propre initiative.
Cette doctrine a été appliquée de manière stricte aux États-Unis. Ainsi, lorsqu'une autorité administrative a le pouvoir de trancher un litige, les tribunaux ont le devoir d'examiner les preuves et les arguments des parties.
La position de l´Inde a été prévue dans l´arrêt Gullapalli Nageswara Rao c. A.P.S.R.T.C., dans lequel le tribunal a jugé que la responsabilité divisée était contre le principe d´un droit à un procès équitable. L'autorité qui tranche le litige n´a pas entendu les arguments des parties, ne permettant pas au principe d´équité judiciaire d’être respecté.
Pour conclure, entendre et trancher un litige ne peut être investi par différents juges dans un même litige. Cette approche ne garantirait pas le principe d´un procès équitable.
II- Effet de la violation «audi alteram partem»: nul ou révocable?
Étant donné que le principe de «audi alteram partem» est un principe «fondateur et fondamental», une question resurgit encore et encore devant les tribunaux: lorsqu´une autorité ne parvient pas à faire respecter le principe de « audi alteram partem », la décision devient- elle nulle ou révocable ?
En Inde, la Cour suprême a répondu à cette problématique dans l´arrêt Nawabkhan Abbaskhan contre l'Etat du Gujarat. La Cour a estimé qu´une ordonnance adoptée sans l´application du principe de «audi alteram partem» était nulle. Cet arrêt est le plus significatif concernant la violation de ce principe. Dans cet arrêt, le requérant a été poursuivi pour avoir désobéi à un ordre (externe) délivré par un commissaire de police en vertu de l'article 59 du Bombay Police Act. Pendant la durée du procès, le requérant a fait une demande en vertu de l'article 226 de la Constitution indienne (« giving such party the opportunity of being heard »). Or, le commissaire de police ne lui avait pas accordé une audience préalable avant de le poursuivre en justice. Dans cette décision de principe, il a été jugé que l'audience était un droit fondamental, un bien- fondé et que sa restriction, par la non-conformité ce se principe, rendrait l'ordonnance ou la décision invalide.
Cependant, par la suite, des décisions divergentes ont été prises à ce même sujet. Dans l´arrêt Maneka Gandhi c. Union of India, le passeport du requérant avait été confisqué par les autorités administratives sans préavis ni audience. Dans cette affaire, la Cour a jugé que l'ordonnance qui violait la règle du «audi alteram partem», adoptée par l´autorité compétente n´était pas nulle. La Cour a précisé dans cet arrêt qu´une violation de ce principe est licite lorsqu´une audience post-décisionnelle a lieu à l´égard du requérant.
Puis, dans l´arrêt Swadeshi Cotton Mills c. Union of India, des moulins ont été soustraits et pris sous contrôle par le gouvernement indien sans que la société Cotton Mills ait été entendue au préalable. Toutefois, la Cour n'a pas annulé l´appropriation et la prise de contrôle contestées. Elle a décidé qu'une audience post-décisionnelle « complète, juste et efficace » serait rendue à l'entreprise dans les trois mois qui suivent et qu´ainsi la décision rendue ne serait pas nulle, mais licite et valable.
Ces décisions, comme tant d´autres, démontrent la dichotomie entre le précepte et la pratique adoptés par les tribunaux. Les tribunaux n´ont pas justifié les raisons pour lesquelles ils se sont éloignés du principe « fondamental » élucidé dans l´arrêt qui semblait être un arrêt de principe, Nawabkhan Abbaskhan c. État de Gujarat . Cet arrêt qui énonçait que le non respect de la règle « audi alteram partem » constituerait une violation d´un principe fondamental et qu´une décision rendue dans ces circonstances serait nulle.
Les actions en violation des règles de « justice naturelle » n´aboutissent toujours pas au même résultat. La jurisprudence indienne démontre que l´application du principe du « audi alteram partem »n´est toujours pas stricte et continue, et qu´elle varie selon les circonstances des faits du litige. La Cour avance une situation pratique, qui explique la non-application de ce principe. En effet, lorsqu´une violation de ce principe est reconnue, la justice serait dans l´obligation de rétablir la situation qui existait avant l´action contestée, ce qui peut sembler impossible dans certains cas.
Puis l´argument selon lequel, dans certains cas, les parties au procès auraient sciemment gardé le silence, afin de maintenir une décision nulle au motif de non-respect des règles de justice naturelle. Selon la Cour suprême de l´Inde, cette pratique conduirait à une absurdité qui ne saurait être dans l'intérêt de la justice.
III- Conclusion :
La règle de justice naturelle, « audi alteram partem » a une portée importante car elle soulève tous les aspects d´une procédure régulière et d´un procès équitable dans son application.
Le concept fondamental de justice naturelle est extrêmement flexible et varie au cas par cas (comme l´ont démontré les arrêts cités).
Cependant cette approche judiciaire du cas par cas a créé de nombreuses incohérences dans l'application judiciaire du principe ainsi que dans la jurisprudence. Par conséquent, à l'heure actuelle, il y a confusion et aucune proposition générale et universelle de droit n´a été rendue.
Cette position floue et discontinue va à l´encontre du principe même du droit à un procès équitable. Ce principe a une valeur fondamentale et une portée universelle en principe. Notamment pour les Européens, pour qui ce principe fait partie intégrante des droits de l´Homme. En effet, l´article 6 de la Convention européenne des droits de l´Homme énonce que chaque individu a droit à ce que sa cause soit entendue, et donc à un procès équitable et impartial.
Néanmoins en Inde ce principe est soumis à une application incertaine et dépendante des faits du litige. L'avantage de cette flexibilité quant à l´application du principe du «audi alteram partem » est qu´il peut être adapté pour répondre aux besoins spécifiques d´une affaire (application du concept au cas par cas).
D'autre part, aucune législation n´indique des exigences procédurales pour l´application de cette règle.
Cependant, le danger persiste qu´avec l'adoption d'une trop grande flexibilité et en l'absence de normes minimales de procédure, « the substance of natural justice may disappear and only the shadow will remain » (« la substance de la justice naturelle peut disparaître et seul l'ombre restera »). Bien que les règles de la justice naturelle acquièrent une nouvelle signification et des dimensions évolutives, les tribunaux doivent veiller à ce que les principes de justice naturelle ne soient pas réduits à des applications «floues» et incertaines, mais restent des garanties procédurales efficaces pour servir les intérêts de la justice et des individus à qui les droits sont accordés.