Commission de Vérité et Réconciliation du Canada : faire le deuil d’un génocide culturel
Dans les années 1870, le gouvernement Canadien a mis en place un système de génocide culturel, dans les termes employés par la Commission de Vérité et Réconciliation du Canada (CVR). Les autochtones du Canada, aussi appelés « Premières Nations », « Inuits » et « Métis », représentent aujourd’hui 4% de la population et ont été les victimes de persécutions et de discriminations pendant plus d’un siècle. Parmi ces persécutions, le gouvernement avait créé des pensionnats religieux pour les enfants autochtones dans le but «d'éliminer les gouvernements autochtones; d’ignorer les droits des Autochtones, de mettre fin aux traités; et, par un processus d’assimilation, de faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister comme entités juridiques, sociales, culturelles, religieuses et raciales distinctes», selon les termes de la CVR (toutes les citations, sauf indication contraire, sont extraites du rapport). Dans le cas de ces pensionnats, les enfants étaient séparés de leurs familles et en même temps de leur culture.
Durant la première moitié du XXe siècle, plus de 150 000 enfants autochtones (environ un sur trois) furent envoyés dans ces pensionnats. L’enquête de la Commission a révélé le décès de 6 000 de ces enfants, causé par des maladies, des abandons ou des abus. De plus, une partie des enfants décédés a été enterrée dans des tombes anonymes, sans même que leurs parents ne soient informés du décès.
La Commission de vérité et de réconciliation s’inspire de deux documents : la « Déclaration de réconciliation » canadienne du 7 janvier 1998 et la liste des principes établis par les deux instances préliminaires à la Commission en 1998 et 1999 (le Groupe de travail sur la vérité et la réconciliation et les Dialogues exploratoires). Après plus de 15 ans d’enquêtes, de recueils de témoignages et d’audiences, la CVR a rendu son rapport final le 15 décembre 2015[i]. Le résumé du rapport, long de plus de 500 pages, détaille les objectifs de la Commission, les éléments historiques pertinents du XXe siècle, ses résultats d’enquête sur cette période, ainsi que les leçons apprises et les modes de réconciliation à employer.
Il est intéressant de voir que cette Commission ne suit pas la fin de violents conflits, comme la plupart des Commissions de ce type qui ont existé et existent aujourd’hui. De plus, la Commission a établi des recommandations (94) concernant des mesures qu’elle juge nécessaires aujourd’hui. La responsabilité du gouvernement canadien ne fait aucun doute, mais la Commission ne cherche pas à le poursuivre au sein d’un tribunal. Les mesures suggérées sont des mesures politiques, sociales et culturelles. En effet, l’impact des mesures discriminatoires envers les peuples autochtones au XXe siècle se fait toujours ressentir aujourd’hui. En quoi cette Commission diffèreainsi des autres, dans ses objectifs comme dans ses conclusions ? Quel est l’impact sur la situation des autochtones que l’on peut attendre de ses recommandations ?
1. Les origines d’une Commission particulière : un génocide culturel
a) La notion de génocide culturel
Dans les termes de la Commission, « un génocide culturel est la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe. Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé. » (Rapport final de la CVR, p 1). Le rapport détaille que le gouvernement canadien a exproprié les terres des autochtones, persécuté leurs chefs spirituels et interdit leurs langues. Dans le cas des pensionnats, les liens familiaux et culturels des enfants autochtones ont été détruits. Les enfants de ces pensionnats ont subi de sévices psychologiques et physiques. Le rapport de la Commission a révélé qu’il y avait très peu d’informations sur les élèves qui ont succombé à ces abus. Certains de ces jeunes décédés n’ont pas été identifiés. La cause des décès dans 49 % des cas n’a pas été indiquée par le gouvernement ni par les pensionnats, administrés par des communautés religieuses. Ce manque d’informations n'a fait qu’aggraver le constat : si les informations (partielles) à disposition sont si dramatiques, qu’en est-il des informations non accessibles ?
Le rapport détaille ensuite les conditions dans lesquelles les pensionnaires étaient maintenus : les élèves étaient logés dans des installations insalubres et surpeuplées, ils souffraient de malnutrition et n’avaient pas accès à des professionnels de santé. Dans les années 1970, le gouvernement canadien a commencé à mettre un terme à ces institutions mais le dernier pensionnat n'a été fermé qu'en 1996.
Ces pensionnats sont bien une illustration du génocide culturel contre les peuples autochtones du Canada : la « vie en tant que groupe » était rendue impossible par le placement forcé de ces enfants dans les institutions précitées ; ils étaient coupés de leurs familles qui ne pouvaient pas leur rendre visite et étaient contraints d’oublier tout ce qui était en lien avec leur culture.
Un ancien élève se rappelle que « l’éducation qu’il recevait leur enseignait que les seules bonnes personnes sur la terre étaient les non-Indiens et, surtout, les chrétiens blancs ». Les élèves étaient punis lorsqu’ils parlaient leurs propres langues. On les dissuadait également de participer à des activités culturelles traditionnelles : « Evelyn Kelman se rappelle que le directeur du pensionnat de Brocket, en Alberta, avertissait les élèves que s’ils assistaient à une danse du Soleil pendant l’été, ils seraient fouettés à leur retour à l’école ». Le personnel des écoles qualifiaient leurs traditions et objets traditionnels de «culte du diable» et d’ « objets du diable ».
b) Contraste avec les autres Commissions
Bien qu’il y ait également eu des violences physiques à l’égard des enfants des pensionnats, l’histoire du génocide diffère de celui des autres pays qui ont eu recours à une Commission de Réconciliation. On peut voir dans les objectifs de la Commission qu’il ne s’agit pas ici de retrouver des coupables de meurtres de masse ; il ne s’agit pas de reconstruire un pays dévasté par la guerre, privé d’institutions. Il s’agit certes de connaître la vérité, mais la vérité sur des violences non seulement physiques, mais aussi psychologiques infligées à des enfants autochtones. Les objectifs de la Commission résident en grande partie dans une simple reconnaissance des faits et dans la recherche de mesures à prendre pour aller vers une unité nationale :
- - Reconnaître les expériences, les séquelles et les conséquences liées aux pensionnats;
- - Créer un milieu holistique, adapté à la culture et sûr pour les anciens élèves, et leurs familles et collectivités, quand ils se présentent devant la Commission;
- - Assister aux événements de vérité et de réconciliation, au niveau national et communautaire, et appuyer, promouvoir et faciliter de tels événements;
- - Sensibiliser et éduquer le public canadien sur le système des pensionnats et ses répercussions;
- - Repérer les sources et créer un dossier historique le plus complet possible sur le système des pensionnats et ses séquelles. Ce dossier doit être conservé et mis à la disposition du public, pour étude et utilisation future;
- - Préparer et soumettre aux parties à la Convention un rapport, assorti de recommandations destinées au gouvernement du Canada, portant sur le système et l'expérience des pensionnats et présentant les aspects suivants : […], effet et conséquences des pensionnats (notamment les séquelles systémiques, les conséquences intergénérationnelles et les effets sur la dignité humaine) et les séquelles permanentes de ces pensionnats;
- - Appuyer la commémoration des anciens élèves des pensionnats et de leurs familles, conformément à la Directive sur la politique de commémoration.
La différence entre les objectifs de la CVR et d’autres Commissions du même type est flagrante. C'est le cas notamment de La Commission de Vérité et Réconciliation en Argentine, où la violente dictature a causé la mort de milliers de personnes, ou de celle d'Afrique du Sud, où des massacres ont eu lieu dans un contexte d’apartheid. La CVR en Afrique du Sud est axée sur le pardon et la responsabilité, mais moins sur la vérité, puisque que les violations des droits humains commises étaient commises presque aux yeux de tous[ii]. Au Canada en revanche, les victimes forment un groupe beaucoup plus restreint, puisqu’il s’agit des enfants de la minorité autochtone. Les faits remontent également à plus longtemps et de nombreux chiffres sont encore manquants. Par conséquent, une enquête factuelle était plus difficile, et la CVR du Canada a donc axé son rapport sur la découverte de la vérité, étape essentielle du processus de réconciliation.
Dans le cas du Canada, les violations des droits de l’Homme était plus « subtiles » puisqu’il s’agissait de détruire la culture des autochtones et non de les massacrer. Le fait que le gouvernement de l’époque soit responsable pour de telles mesures n’est pas surprenant, mais la différence réside bien dans l’idée que le génocide de la population autochtone du Canada s’effectuait par un processus plus lent et plus caché. C’est certainement pour cela que les discriminations et les abus illustrés par ces pensionnats ont mis presque un siècle à être découverts et arrêtés.
Dans les cas argentins et sud-africains le processus de réconciliation était périlleux étant donné les souffrances vécues par les familles des victimes, les contextes de violence et d'instabilité ou d'absence de continuité politique. Dans le cas du Canada au contraire, les pensionnats ont continué d’exister pendant une longue période, durant laquelle le génocide culturel de ces populations avait lieu. Puisque la Commission canadienne se distingue ainsi des autres, le processus de réconciliation est-il différent lui aussi ? Bien que les faits datent du siècle dernier, le rapport de la Commission vient quant à lui tout juste de paraître. Comment aborder des faits historiques pour certains si anciens, et dont la plus grande partie a été cachée durant des années ? Le processus sera-t-il plus difficile ? Qu’est-ce qui peut être fait aujourd’hui ?
2 - La vérité du passé pour un meilleur futur
a) L’équilibre entre réconciliation et prise de responsabilité
Un tel équilibre est difficile à trouver lorsqu’un pays fait face à une crise politique d’une grande violence. Le gouvernement peut bien sûr prendre des mesures pour honorer les disparus et leur et rendre hommage. Et des meurtres et des disparitions forcées ont des conséquences sur la culture d’un peuple. Mais dans le cas des autochtones du Canada, il s’agissait d’un endoctrinement par la répression d'une culture. Un membre de la population autochtone, survivant d’un pensionnat et cité dans le rapport de la Commission, a déclaré : « Ma mère accordait énormément d’importance à nos traditions culturelles. Ce n’est plus le cas maintenant. Ça nous a été enlevé... ». Lorsque les dommages ne résident pas (que) dans des séquelles physiques pour se manifester dans des séquelles psychologiques et culturelles comme dans le cas des autochtones, comment parvenir à la réconciliation ?
Au début de son rapport, la Commission aborde le sujet de la réconciliation en expliquant qu’il s’agit ici d’engager une relation de respect mutuel entre les Autochtones et les non-Autochtones, sachant qu’il ne s’agit pas de réparer dans la mesure où cette relation n’existait pas auparavant. Il s’agit pour les gouvernements de renoncer aux pratiques d’assimilation qui se sont révélées vaines et même dangereuses, notamment dans le cas des pensionnats. Le rapport de la Commission recommande que plusieurs professionnels, comme les enseignants et les avocats, reçoivent une formation appropriée sur la culture autochtone et sur l’histoire et les séquelles laissées par les pensionnats.
Etant donné que les séquelles ne se limitent pas à des conséquences psychologiques mais impliquent aussi des discriminations qui durent, on retrouve notamment dans le rapport de la Commission la demande d’un engagement des gouvernements à tous les niveaux à éliminer au cours de la prochaine décennie la surreprésentation des jeunes autochtones en détention.
b) Principes retenus par la Commission
La Commission s’est reposée en partie sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[iii]. Dans cette déclaration, on retrouve des principes tels que le droit à la non-discrimination (article 2), « le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État » (article 5), et le droit à l’intégrité corporelle et à la sécurité (article 7). La Commission a utilisé ces articles comme références aux principes qu’elle a retenus pour le futur des autochtones au Canada. Ces références sont importantes dans la dynamique de la Commission qui a utilisé l’échec du passé comme tremplin vers la construction d’un meilleur avenir.
Dans la partie du rapport final de la Commission intitulée « Ce que nous avons retenu : les principes de la vérité et de la réconciliation »[iv], il est détaillé que les Autochtones sont victimes de discriminations encore aujourd’hui, et que la réconciliation avec le reste de la population au Canada ne peut se faire en un seul jour. Pour elle, il faut que les mentalités changent grâce à une conscience historique et sociale ainsi qu’une volonté politique. Ont été organisés des évènements et des rassemblements pour les que des jeunes autochtones et non-autochtones puissent s’exprimer et arriver à des moyens de construire une vraie relation de solidarité. Le dévoilement de la vérité, entrepris avec succès par la Commission, contribue à ce que justice puisse être faite aux peuples autochtones. Cette justice est symbolique, mais elle permet aussi que ce qui reste de la culture autochtones soit honoré et respecté par tous les habitants du Canada.
[i] Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final du 15 décembre 2015, sommaire exécutif disponible à : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/French_Exec_Summary_web_r...
[ii] Claude Wauthier, Le Monde Diplomatique, Enjeux de mémoire : Vérité et réconciliation en Afrique du Sud, Janvier 2005
[iii] Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution adoptée le 13 septembre 2007, A/RES/61/295, disponible à : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/61/295
[iv] Commission de Vérité et de Réconciliation du Canada, Ce que nous avons retenu : les principes de la vérité et de la réconciliation, disponible à : http://www.myrobust.com/websites/trcinstitution/File/Reports/French/Fren...
BIBLIOGRAPHIE
Sandrine Lefranc, Les commissions de vérité : une alternative au droit ?, Revue Droit et Culture, n°56-2008, p. 129-143
Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final du 15 décembre 2015, sommaire exécutif disponible à : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/French_Exec_Summary_web_r...
Commission de Vérité et de Réconciliation du Canada, Ce que nous avons retenu : les principes de la vérité et de la réconciliation, disponible à : http://www.myrobust.com/websites/trcinstitution/File/Reports/French/Fren...
Claude Wauthier, Le Monde Diplomatique, Enjeux de mémoire : Vérité et réconciliation en Afrique du Sud, Janvier 2005
Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution adoptée le 13 septembre 2007, A/RES/61/295, disponible à : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/61/295
Jules Dufour, Rapport de la commission vérité et réconciliation du Canada: Génocide des Premières nations, Mondialisation.ca, 07 juin 2015
Lavinia Stan and Nadya Nedelsky, Truth and Reconciliation Commission / Commission Vérité et Réconciliation (Canada), pp. 414-471, Encyclopedia of Transitional Justice, Vol. 3, Juillet 2014
Carl Bronski et Keith Jones, La Commission de vérité et réconciliation du Canada – les questions de classe, 29 juin 2015