Le maintien des sociétés restructurées dans les groupes de sociétés en droits fiscaux français et russe : commentaire de la loi fédérale de la Fédération de Russie n°325 du 28 novembre 2015

Dans un but d'optimisation fiscale, des sociétés peuvent, sous certaines conditions, former un groupe et ainsi organiser leur imposition communément au lieu de séparément.

La notion de groupe de sociétés (le nom russe est konsolidirovannaâ gruppa nalogoplatel'ŝikov, groupe consolidé de contribuables), présente dans les deux droits, permet, sous certaines conditions, de transférer les pertes et les bénéfices des filiales1 à la société à la tête de ce groupe2 afin notamment d'organiser une imposition plus intéressante et aussi de neutraliser les effets des opérations intragroupe pour ce qui est du droit français.

Cependant, une difficulté se pose dans un cas bien particulier : la restructuration de l'une des sociétés membres du groupe. Cela peut mener à une situation où les conditions de formation du groupe ne sont alors plus remplies. Le Code général des impôts français (ci-après « CGI ») a depuis de nombreuses années envisagé des situations permettant au groupe de continuer à exister.

En revanche, le Code fiscal de la Fédération de Russie (ci-après « Code fiscal ») refusait expressément la présence de sociétés restructurées ou en cours de restructuration au sein du groupe, sous peine de dissolution de ce dernier. Le Service fiscal fédéral de la Fédération de Russie (ci-après « Service fiscal fédéral ») a, pour les besoins de la pratique, autorisé un assouplissement, ce qui a conduit à l’ajout de cette inclusion obligatoire de la société restructurée si elle remplit les conditions prévues par l'article 25.2 du Code fiscal par la loi fédérale n°325 du 28 novembre 2015 relative à l'introduction de modifications dans la première partie et dans les articles 342.4 et 342.5 de la deuxième partie du Code fiscal de la Fédération de Russie.

Cette loi modifie d'autres articles du Code fiscal et rallonge notamment la durée minimale du groupe de sociétés et introduit l'interdiction de se retirer du groupe durant cinq exercices comptables, mais nous n'aborderons pas ces points ici. Nous chercherons plutôt à savoir dans quelle mesure la restructuration d'une société influe sur le maintien du groupe dont elle fait partie.

Afin de mieux aborder la question, il est important de comprendre le régime de ces groupes (I) avant d'étudier les conséquences de la restructuration de la société sur le groupe (II).

 

 

 

I – Le régime des groupes de sociétés

 

De manière à étudier pleinement le sujet des sociétés restructurées au sein des groupes, il convient d'examiner la constitution de ces groupes (A) ainsi que les différents modes de restructuration envisagés dans les deux droits (B).

 

 

A – La constitution optionnelle des groupes de sociétés

 

La notion de groupe de sociétés est récente en droit fiscal russe dans la mesure où les dispositions légales la concernant sont entrées en vigueur 1er janvier 20123. Elle est définie comme une « union volontaire de contribuables de l'impôt sur le bénéfice des sociétés sur le fondement d'un contrat relatif à la création d'un groupe de sociétés selon les modalités et les conditions prévus par le Code fiscal de la Fédération de Russie, dans le but de calculer et payer l'impôt sur le bénéfice des sociétés avec le compte de l'ensemble du résultat financier de l'activité économique de ces contribuables »4.

L'article 223, A, du CGI, quant à lui, prévoit un régime fiscal de groupe permettant à la société mère de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et ses filiales.

Outre ces définitions sommaires, il existe un certain nombre de conditions afin de bénéficier de ce régime : les deux droits ont en commun un minimum de participation directe ou indirecte par la société à la tête du groupe dans le capital social des filiales5 et la soumission de celles-ci à l'impôt sur les sociétés6. À cela, le droit français ajoute que la société mère ne doit pas être détenue à plus de 95%, directement ou indirectement, par une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés et que les exercices comptables doivent coïncider aux mêmes dates.

Le droit russe, pour sa part, est plus exigeant. Tout d'abord, il exige un certain formalisme avec la conclusion d'un contrat dont les modalités sont prévues à l'article 25.3 du Code fiscal. Ensuite, des conditions supplémentaires existent au niveau de chaque société participante : elles ne doivent pas être en pleine restructuration ou bien en procédure collective, le montant de leurs actifs nets propres doit être supérieur à leur capital social et elles ne peuvent pas exercer des activités différentes7. Enfin, durant l'exercice précédent durant lequel ont été présentés les documents pour l'enregistrement du contrat auprès de l'organe fiscal compétent, les sociétés doivent en commun avoir payé au moins dix milliards de roubles d'impôts et autres taxes déterminés par la loi, fait un bénéfice d’au moins cent milliards de roubles ainsi que détenir au minimum trois cent milliards de roubles d'actifs selon les documents comptables8.

Par conséquent, il est possible de remarquer que cette structure n'est réservée en droit russe qu'aux grosses structures avec un chiffre d'affaires important et qui existent depuis au moins un an (en raison des sommes requises l'année durant laquelle les documents pour l'enregistrement du contrat sont présentés).

Aucune situation internationale n'est admise en droit russe9 alors qu'il existe en droit français un schéma d'intégration dite horizontale prenant en compte les sociétés sœurs françaises détenues par une société à la tête du groupe située dans un État membre de l'Union européenne10.

L'une des conditions relatives aux sociétés du groupe en droit russe qui est abordée par la loi fédérale est qu'elles ne peuvent pas être en pleine restructuration ou liquidation, sauf dans les cas prévus par la loi.

 

 

B – Les différentes techniques de restructuration

 

Tandis que le Code civil de la Fédération de Russie prévoit limitativement cinq formes de restructuration11, le législateur français, en plus des restructurations, étend le champ d'application à des situations inhérentes aux conditions de formation du groupe de sociétés qui entraînent les mêmes conséquences qu'une restructuration.

Tout d'abord, les deux droits consacrent l'idée d'une union d'activités, ce qui est nommé en droit français la fusion12. Celle-ci se divise en deux opérations différentes. D'une part, les deux lois prévoient la fusion par constitution d'une société nouvelle13 (sliânie) : il s'agit de l'union de deux ou plusieurs personnes morales dans le but de créer une nouvelle société. Comme l'indique le nom de l'opération, les sociétés fusionnées cessent d'exister et la nouvelle reçoit les participations des filiales ou bien est toujours détenue par la mère, mais pas forcément à 90 ou 95% en raison de l’apport de l’autre société absorbée qui peut être extérieure au groupe.

D'autre part, les sociétés peuvent aussi fusionner par absorption (prisoedinenie). L'idée est la même que l'opération précédemment évoquée, sauf qu'il n'y a pas de création d'une nouvelle société : la société absorbante est une société déjà existante. Les mêmes problèmes que la fusion par constitution d’une société nouvelle se pose concernant le taux de participation.

Ensuite, les deux droits prévoient un autre cas de figure : la division d'une même personne morale. Dans un premier temps, l'apport partiel d'actifs14 (vydelenie) permet à une société de se céder d'une partie de son activité tout en continuant d'exister. Cependant, le droit russe prévoit uniquement la création de nouvelles personnes morales alors qu'il est possible en droit français de céder ses actifs à des sociétés déjà existantes. La question est alors de déterminer si les parts de la société concernée sont elles aussi cédées.

Dans un second temps, la société peut se diviser en plusieurs nouvelles personnes morales et cesser d'exister : cette opération sera alors nommée la scission15 (razdelenie).

Enfin, concernant les restructurations des groupes de sociétés, le droit fiscal russe prend aussi en compte le changement de forme juridique (preobrazovanie), ce qui n'est pas abordé dans le droit français qui, lui, envisage de son côté un cas qui lui est propre : la détention de plus de 95% du capital de la mère par une autre personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés16.

Les groupes de sociétés peuvent ainsi être restructurées à l'occasion d'une décision des associés ou bien judiciaire et cela peut parfois mener à la fin du groupe.

 

 

 

II – Les conséquences de la restructuration

 

Dans la continuité de la restructuration, il est possible de constater des cas où le groupe cesse (A) ou bien continue (B) d'exister.

 

 

A – Les circonstances de la dissolution du groupe

 

Avant toute chose, il convient de distinguer deux situations : celle où la société à la tête du groupe est restructurée ou bien celle où c'est l'une des filiales.

Dans un premier temps, concernant la société à la tête du groupe, les deux droits sont unanimes : le groupe ne peut continuer d’exister si celle-ci est restructurée, sauf en cas de changement de forme juridique en droit russe17 car, dans les faits, on peut constater que les conditions ne sont plus remplies. S’il faut tout reprendre depuis le début dans ce dernier droit, le législateur français a, de son côté, apporté une certaine souplesse en prévoyant des mesures d’accompagnement dans la neutralisation de l’imposition des opérations intragroupe dans le but de ne pas changer brutalement l’imposition des membres, conférant ainsi une certaine protection.

En cas de restructuration de la société à la tête du groupe, le groupe cesse d’exister le premier jour de l’exercice durant lequel l’opération de restructuration a eu lieu18. Le législateur français admet qu’un nouveau groupe soit créé le même exercice par la société concernée par la restructuration de la mère (société absorbante, bénéficiaire de la scission, etc.) et remplissant les conditions prévues pour ce rôle à l’article 223 A du CGI, permettant d’assurer une continuité du régime, ce qui n’est pas le cas en droit russe. En effet, les sociétés doivent conclure un nouveau contrat qui entrera en vigueur le premier jour de l’exercice comptable suivant l’exercice durant lequel a eu lieu son enregistrement19. Par conséquent, pendant un exercice au minimum, les sociétés ne sont plus liées par le régime de groupe.

Dans un second temps, les dispositions prévoyant la restructuration d’une filiale sont plus souples : en effet, dans la mesure où tout le groupe ne dépend pas d’elle, sa sortie n’entraîne pas systématiquement sa dissolution en droit français, sauf dans l’hypothèse où il ne resterait que la société à la tête du groupe.

Le législateur russe, quant à lui, a abordé le sujet d’une autre façon : dans la mesure où le groupe est nécessairement créé sur la base d’un contrat, les dispositions de ce dernier ne doivent pas être modifiées. En conséquence, cela concerne le contenu et les conditions du contrat prévus au point 2 de l’article 25.3. Si une modification s’avère nécessaire mais qu’elle n’est pas effectuée, le groupe cesse d’exister le premier jour de l’exercice suivant celui durant lequel la modification aurait dû être accomplie20.

 

 

B – Les conditions pour la continuité du groupe

 

L’hypothèse selon laquelle le groupe continue d’exister est donc envisageable uniquement si les sociétés réorganisées sont des filiales (sauf changement de forme juridique de la société à la tête du groupe) et que les conditions prévues respectivement par les deux droits pour celles-ci sont respectées21. La filiale française aura simplement à donner son accord pour faire partie du groupe s’il s’agit d’une autre personne morale.

Une solution, qui existe depuis la création des groupes de sociétés en droit russe, permet de contourner le problème des sociétés restructurées : il suffit simplement de modifier le contrat sur décision unanime des membres. Néanmoins, face à l’interdiction expresse des sociétés restructurées, la question s’est posée de savoir si, même en cas de respect des conditions prévues à l’article 25.2 du Code fiscal, il fallait modifier le contrat. Par plusieurs lettres22, le Ministère des finances et le Service fiscal fédéral précisent que ce n’est pas nécessaire si la situation n’entraîne pas de changement dans les dispositions du contrat, lesquelles doivent rester les mêmes durant toute la durée d’existence de celui-ci.

Par ailleurs, l’ajout par la loi ici étudiée précise que, si les conditions prévues à l’article 25.2 du Code fiscal sont respectées par la société restructurée, cette dernière est « obligatoirement » incluse dans le groupe. Cela suggère l’expression d’une sécurité pour les membres du groupe qui n’ont pas à se soucier de perdre leur régime de groupe du fait d’une décision prise par l’un d’entre eux. Par conséquent, le seul moyen pour que la société restructurée puisse sortir du groupe est de modifier le contrat. Les dispositions de ce dernier peuvent être modifiées sur décision unanime de tous les membres du groupe, y compris la nouvelle société créée par l’opération s’il y en a une23.

Les conditions plus rigides du droit russe obligent les sociétés à éviter une restructuration entraînant une modification du contrat durant son application (ceci étant précisé que la loi commentée a rallongé la durée minimale à cinq exercices comptables, contre deux auparavant). Le problème est que chaque société est une entité distincte et qu’il peut s’avérer ardu d’obtenir l’accord de chacune pour obtenir la modification du contrat.

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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« Transfert des déficits en cas de fusion : l'agrément n'a pas le dernier mot », Roland POIRIER, Revue de droit fiscal, n°12, 19 mars 2015, commentaire 222.

 

Droit russe

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1« Société filiale » étant compris comme une société du groupe détenue à plus de 95% par la mère en droit français et une société qui n'est pas la responsable du groupe en droit russe.

2En droit russe, ce ne sera pas forcément la mère qui calcule et paie l'impôt comme en droit français, mais une « société responsable » désignée par le contrat relatif à la création du groupe de sociétés (article 25.1, point 3, du Code fiscal). Pour une meilleure compréhension, les notions de « société mère » en droit français et de « société responsable » en droit russe seront ici nommées « société à la tête du groupe ».

3Loi fédérale de la Fédération de Russie n°321 du 16 novembre 2011.

4Article 25.1, point 1, du Code fiscal.

595% en droit français (article 223, A, du CGI) et 90% en droit russe (article 25.2, point 2, du Code fiscal).

6Article 223, A, du CGI et article 25.2, point 6, paragraphe 8, du Code fiscal.

7Article 25.2, point 3, du Code fiscal.

8Article 25.2, point 5, du Code fiscal.

9Article 25.2, point 1, du Code fiscal.

10CJUE, 12 juin 2014, affaire C-39/13, SCA Group Holding BV ; article 63 de la loi n°2014-1655 de finances rectificative pour 2014.

11Article 57 du Code civil de la Fédération de Russie.

12Article 236-1, alinéa 1er, du Code civil français.

13Article 1844-4, alinéa 5, du Code civil français.

14Article L. 236-24 du Code de commerce français.

15Article 236-1, alinéa 2, du Code civil français.

16Article 223, L, 6-d, du CGI.

17Article 25.6, point 1, paragraphe 6, du Code fiscal ; lettre du Ministère des finances du 7 mars 2014 n°03-03-06/1/9983.

18Article 25.6, point 7, du Code fiscal et article 223, L, 6, du CGI.

19Article 25.3, point 10, du Code fiscal.

20Article 25.6, point 1, paragraphe 8, du Code fiscal.

21Article 223, S, du CGI et article 25.2 du Code fiscal.

22Voir, entre autres, lettres du Ministère des finances du 7 mars 2014 n°03-03-06/1/9983 ; du 15 août 2012 n°03-03-10/91 ; du 13 juillet 2012 n°03-03-06/1/335 ; du 22 mars 2012 n°03-03-06/2/27 ; lettres du Service fiscal fédéral du 2 décembre 2013 n°ГД-4-3/21502@ ; du 4 avril 2012 n°ЕД-4-3/5614@.

23Article 25.4, point 3, du Code fiscal.