Les lieux privatifs de liberté en Italie : De la Cour constitutionnelle au Comité européen pour la prévention contre la torture (rapport du 8 septembre 2017)

Les lieux privatifs de liberté en Italie :

De la Cour constitutionnelle au Comité européen pour la prévention contre la torture (rapport du 8 septembre 2017)

 

            Peu sont les Etats où les prisons sont irréprochables, et l’Italie n'en fait vraisemblablement pas partie. Malgré plusieurs décisions rendues au premier semestre 2017 par la Cour constitutionnelle italienne au sujet des conditions de détention dans ses prisons[1], l’Italie est régulièrement pointée du doigt, et parfois condamnée, par les instances européennes. Dans un pays où la surpopulation carcérale devient une urgence, les moyens pour y faire face ne sont malheureusement pas toujours à la hauteur des attentes nationales et internationales.

Les conditions de détention au sein des prisons italiennes ont fait l'objet de plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle italienne en 2017. Celles-ci s'ajoutent aux multiples décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH)[2], et au rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendu public le 8 septembre 2017[3], lesquels sont assez virulents avec la législation nationale. Il résulte avant tout que la surpopulation carcérale entraine des conditions de détention s’apparentant à des traitements inhumains et dégradants (I). Ensuite, il est relevé que les relations avec les proches sont souvent difficiles, si ce n’est impossible (II) et que la prise en charge des détenus à la santé fragile est encore trop faible (III). Enfin, les droits procéduraux ne sont pas suffisamment garantis (IV). Les efforts entrepris par l'Italie pour surmonter cette crise semblent, de manière générale, privés d'efficacité réelle.

I. Traitements inhumains et dégradants

A) La surpopulation carcérale

            On compte en Italie 194 prisons, dont 131 sont en surpopulation carcérale, à savoir près de 68%. Cela correspond à 10 000 personnes incarcérées de plus que le nombre de places prévues dans les prisons italiennes. Ce chiffre est alarmant. La sonnette d'alarme avait été tirée par la Cour européenne des droits de l'homme au moins à deux reprises. L’Italie avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt dit Sulejmanovic en juillet 2010. Le gouvernement italien y a fait suite en déclarant un stato di emergenza par décret du 13 janvier 2010 pour faire face à la surpopulation carcérale. Cette mesure exceptionnelle, prise en vertu de la loi n° 225 de 1992 sur la protection civile, avait permis au gouvernement de prendre des mesures d'urgence en accordant des pouvoirs exceptionnels au chef du département de l'administration pénitentiaire. La construction de 18 prisons sur le territoire italien avait également été entreprise. Il avait aussi permis aux personnes condamnées à des peines de prison inférieures à 12 ans d'effectuer leur condamnation à domicile. Enfin, il avait été prévu la création de 2000 postes d'agents supplémentaires au sein des prisons.

Pourtant, ces mesures ont été jugées insuffisantes par le juge européen dans l’arrêt  dit Torreggiani et autres c. Italie. En l'espèce, les requérants affirmaient avoir occupé des cellules de 9m² qu'ils partageaient avec deux autres détenus et se plaignaient de manquer d'eau chaude ainsi que, pour certains, d'éclairage suffisant dans leurs cellules. La Cour ne peut que constater le surpeuplement carcéral au sein des prisons italiennes et les diverses carences matérielles qui en découlent. En outre, elle relève le manque de recours effectif en droit interne pour faire face à ces situations. La Cour considère que cette situation conduit inévitablement à une violation de l'art. 3 CEDH qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Elle enjoint le gouvernement italien à « mettre en place un recours ou une combinaison de recours ayant des effets préventifs et compensatoires et garantissant réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant du surpeuplement carcéral en Italie » dans un délai d’un an à compter de la date où l’arrêt sera devenu définitif. La Cour a en l’occurrence décidé de répondre par un arrêt-pilote, ce qui lui permet de geler les demandes similaires le temps que le gouvernement italien prenne les mesures adéquates.

Cependant, la situation reste aujourd'hui encore critique. Début septembre, des prisonniers de la prison de San Vittore à Milan ont décidé de protester contre cette surpopulation carcérale en décidant de ne pas participer aux activités proposées (théâtre, cours d'histoire de l'art, etc.) et qui font parties de leur traitement, la plupart faisant face à des problèmes de drogue et d'alcool. Ce manque de place au sein des prisons italiennes est un problème majeur qui place l’Italie parmi les pays européens avec le taux de surpopulation carcérale des plus élevés. Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a interpellé l'Italie sur cette situation dans un rapport publié le 8 septembre 2017, lui rappelant qu'elle se devait de respecter les standards qu'il a fixé en matière d'espace dont doit disposer chaque détenu. L'espace de vie par détenu doit être d'au moins 6m² pour les cellules individuelles et de 4m² pour les cellules collectives, sans compter les espaces sanitaires. En réponse à ce rapport, le gouvernement italien a affirmé étudier plusieurs possibilités afin de diminuer le nombre de prisonniers, et notamment permettre aux détenus de nationalité étrangère de purger leur peine dans leur pays ainsi que le recours plus fréquent à des mesures alternatives à la détention.

B) Surpopulation et toxicomanie

Cette surpopulation pose des problèmes exacerbés en matière de toxicomanie. La Cour constitutionnelle s’est prononcée à ce sujet dans une décision du 7 juin 2017 portant sur le décret n°309 du 9 octobre 1990 relatif aux stupéfiants et substances psychotiques, prévention, soin et réhabilitation pour les individus en état de toxicodépendance. En l’espèce, était contesté le peu de marge de manœuvre laissé au pouvoir souverain du juge et le fait que la peine imposée aux toxicomanes serait contraire à l’obligation de traitements adéquats et à la fonction rééducative d’une détention. Surtout, il était rappelé que le surpeuplement dans les milieux carcéraux, nombre de fois critiqué, aggrave les risques et les cas de toxicomanie.

Pour autant, la Cour constitutionnelle retient qu’un décret du 20 mars 2014, a mis en œuvre des dispositions urgentes pour lutter contre la surpopulation. A cet effet, le plafond maximum des peines carcérales varie du simple au double selon qu’est concernée une addiction aux drogues ‘dures’ ou aux drogues ‘douces’. Le plafond est de huit ans dans le premier cas et de quatre dans le second. L’interdiction de traitements inhumains consacrée par la Chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que la Convention EDH est alors, selon la Cour, respectée.

C) Les fréquentes accusations de mauvais traitements physiques

            Outre la surpopulation carcérale, l’Italie doit faire face à des problèmes de violences au sein de ses prisons. Le CPT a signalé des cas de mauvais traitements physiques infligés non seulement aux personnes privées de liberté par les forces de l'ordre mais aussi envers des personnes incarcérées. Le rapport souligne notamment des violences telles que « des coups de poing, des claques, des coups de pied et des coups de matraque ». Il a été constaté que ces violences suivaient généralement des épisodes impliquant des agressions, tentatives de suicide ou suicide de détenus. Pour cette raison, le CPT recommande aux autorités italiennes de dispenser une formation au personnel pénitentiaire afin de lui permettre de faire face à ces situations sans violence. Il souligne également qu'il est impératif de rappeler aux forces de l'ordre que les violences physiques sont inacceptables ainsi que les sanctions encourues en cas de mauvais traitement physique avéré.

Mention spéciale doit également être faite du régime spécifique prévu à l’'article 41-bis de la loi du 26 juillet 1975 n° 354 sur le système pénitencier. Celui-ci est un des plus controversés de la législation pénitentiaire italienne mais aussi un des plus importants. Cette disposition prévoit un régime carcéral spécial pour les détenus ayant été condamnés pour des crimes en lien avec la criminalité organisée ou encore le terrorisme. Le régime consiste notamment à isoler le détenu des autres personnes incarcérées, à limiter ses heures de promenade, à limiter les rencontres avec les proches (une par mois) ainsi qu'avec les avocats, à un contrôle strict de la correspondance ou encore en l'interdiction de disposer de plus d'un certain nombre d'objets dans la cellule. On peut se demander dans quelle mesure ce régime est compatible tant avec les exigences des droits et libertés de la Constitution italienne et que ceux de la Convention EDH.

La Cour constitutionnelle italienne a eu à se prononcer sur la constitutionnalité de cet article dans une décision n° 122 du 8 février 2017. En l'espèce, une circulaire du 16 novembre 2011 n° 8845, se fondant sur l'art. 41-bis, prévoyait un contrôle strict des envois et des réceptions de livres, revues et quotidiens aux détenus soumis au régime spécial. En particulier, les détenus ne pouvaient se procurer ces biens qu'auprès de l'institut pénitencier, impliquant de fait l'interdiction de se les procurer par colis. Cette disposition visait notamment à éviter que les livres, revues et quotidiens deviennent un moyen de communication avec les personnes extérieures, alors même que cette communication est limitée dans le cadre du régime carcéral spécial. Il s'agissait donc de savoir si cette restriction n'était pas contraire non seulement à la liberté de correspondance (art. 15 C°) mais aussi à la liberté de pensée entendue comme droit à l'information et droit à l'enseignement (art. 21, 33 et 34 C°) ainsi qu'aux engagements internationaux pris par l’Italie (art. 117 C°), notamment les articles 3 et 8 de la Convention EDH.

S’agissant de la présumée violation de la liberté de correspondance, les juges suprêmes retiennent que la question n'est pas fondée étant donné que la restriction ne concerne pas spécifiquement les publications, mais plus généralement tout échange d'objet qui pourrait constituer un moyen de communication avec l'extérieur. De même, la question relative à la liberté d'information et au droit à l'enseignement est jugée infondée. La Cour retient que la faculté des détenus de choisir les textes par lesquels s'informer et s'instruire n'est en rien limitée, seules les modalités par lesquels ils peuvent se procurer ces documents le sont. Enfin, la Cour constitutionnelle considère que cette disposition est pleinement conforme à la Convention EDH puisque la limitation opérée de l'échange des biens avec l'extérieur est proportionnée et n'entache pas le droit à la vie privée et familiale. Si la Cour ne semble rien avoir à reprocher à la législation relative aux conditions de détention des prisonniers soumis au régime de l'art. 41-bis, le CPT, dans le rapport précité de septembre 2017, semble pour sa part beaucoup plus sceptique. Il relève notamment que la surveillance vidéo est permanente et que, excepté l'enseignement à distance, aucune autre activité n'est proposée à ces détenus. Le CPT s'interroge également sur la mesure visant à limiter le nombre d'objets dans les cellules, celle-ci pourrait conduire à des cas de mauvais traitement. Le CPT prend pour exemple le cas d'un détenu soumis à l'art. 41-bis qui souffrait d'une allergie et qui s'était vu prescrire une couverture en coton en 2014. La direction de la prison a toujours refusé de lui faire parvenir cette couverture, se prévalant de de sa faculté légale de limiter les objets dans les cellules. Au moment du passage du CPT en avril 2016, le détenu en question n'avait toujours pas reçu ladite couverture lui permettant d'atténuer son allergie. Lors de ses précédents rapports, le CPT avait déjà signalé que les mesures prises dans le cadre de l'art. 41-bis et appliquées sur une durée prolongée pouvaient constituer un traitement inhumain et dégradant.

II. L’autorité parentale en milieu carcérale 

Alors que système judiciaire est en principe fondé sur l’individualité des peines, lorsqu'une mère ou un père va en prison, leurs enfants sont aussi affectés. Ne pas considérer la situation des enfants de parents emprisonnés au long de toutes les étapes de la procédure criminelle – de l'arrestation, en passant par le procès, l'emprisonnement, la libération, à la réintégration au sein de la communauté – risque de porter atteinte à leurs droits, leurs besoins et leurs intérêts supérieurs. Or, il n’existe en Italie qu’un nombre limité de facteurs susceptibles d'infléchir la peine prononcée : les besoins ou les intérêts des enfants affectés sont souvent peu analysés. Un progrès est néanmoins perceptible pour les femmes enceintes ou celles qui ont des nouveau-nés lors de l’incarcération. La loi du 21 avril 2011 interdit ainsi d’emprisonner une femme enceinte en Italie. Dans les autres cas, le système pénitencier italien rencontre de nombreux problèmes au sujet des mères en milieu carcéral. La Cour constitutionnelle s’est exprimée à ce sujet dans deux récentes décisions.

La première, la décision de la cour constitutionnelle du 7 décembre 2016, est relative à l’article 275 du code de procédure pénal. Celui-ci impose la détention à domicile pour tout détenu, dès lors que leur enfant est âgé de moins de 6 ans, en cas de condamnation pour participation à une organisation criminelle. En l’espèce, une mère et un père d’un enfant mineur sont condamnés pour association à une organisation criminelle. La mère est détenue à domicile en raison de l’âge de leur enfant. En novembre 2015, l’enfant atteint l’âge de six ans. En application de l’article 275 du code de procédure pénal, la mère doit finir de purger sa peine dans un établissement pénitencier. Il est alors soutenu que, privant de toute appréciation concrète de la situation particulière de l’enfant, l’application automatique de cette norme est contraire aux principes constitutionnels italiens. L’inconstitutionnalité de l’article 275 du code de procédure pénal est ainsi soulevée sur le fondement de deux principes constitutionnels, le principe de proportionnalité et de non automaticité des peines (art. 3 de la Constitution) et le droit à une vie de famille normale et l’intérêt supérieur de l’enfant  (l’art. 31 de la constitution ainsi qu’en outre, la convention de New York de 1989 relative aux droits de l’enfant encadrant le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Cour considère que la détention à domicile subordonnée à l’âge de l’enfant doit répondre à un équilibre entre l’exigence, d’une part, de la protection de l’enfant mineur et, d’autre part de la protection de l’intérêt général. Selon la Cour constitutionnelle, toute peine prononcée est prise en considération des circonstances atténuantes ou aggravantes spécifiques au délit. Or, l’enfant est tiers au procès et extérieur à l’acte frauduleux. L’âge de l’enfant est alors un critère objectif qui n’est pas susceptible d’influencer l’application de la peine prononcée. Le recours est rejeté.

La deuxième décision du 8 mars 2017 porte sur l’article 47 de la loi du 26 août 1975 n°354. Celui-ci prévoit qu’une condamnation à prison ferme pour une durée de trois ans peut être commuée en peine de substitution. La mère exécutera alors sa peine à domicile suivie par les services sociaux. Néanmoins, cet article s’applique pour des peines spécifiques subordonnées à l’âge de l’enfant. En l’espèce, la mère avait été condamnée pour une durée de sept ans de prison sur le fondement de la loi relative à l’usage de stupéfiants et substances psychotiques, préventions, soins et réhabilitations. Cette peine avait été convertie en détention à domicile jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant. Elle demandait la prorogation de la détention à domicile sur le fondement du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit à une vie de famille normale. Le tribunal de Bari a alors soulevé la question de constitutionnalité de l’article 47 de la loi du 26 août 1975 au regard des articles 3, 29, 30 et 31 de la Constitution.

La Cour rappelle que la loi du 26 août 1975 a pour objectif de faire prévaloir la prévention et la protection de la maternité et de l’enfant mineur, et de sauvegarder le droit à une vie de famille normale. Elle rappelle également, comme dans de nombreuses autres décisions, la prééminence de l’intérêt supérieur de l’enfant afin qu’il maintienne un lien effectif et continu avec chacun de ses parents, desquels il recevra des soins et une éducation. L’exigence de la protection de la société doit prendre en considération les situations concrètes, l’intérêt supérieur de l’enfant, et non pas appliquer des mécanismes automatiques qui empêchent le juge d’apprécier la particularité de chaque situation. Dès lors, la Cour constitutionnelle déclare l’inconstitutionnalité de l’article 47 de la loi s’agissant des termes « sauf à l’égard des mères condamnées pour les délits prévus à l’article 4-bis » de la loi. L’article 4-bis énumère limitativement les délits pour lesquels les mères ne peuvent bénéficier des peines de substitution, à savoir celles ayant participé à une organisation criminelle, terroriste, ou à un trafic de drogue international ».

III. Les cas particuliers des détenus à la santé fragile

            Le cas des personnes en détention préventive ou condamnées à la prison ferme et à la santé fragile représente une situation délicate. En effet, il faut trouver un équilibre entre la sécurité et le droit à la santé en milieu carcéral, ce qui n'est pas toujours facile et dépend des politiques menées au sein d'un Etat.

A) La fermeture des hôpitaux psychiatriques judiciaires et la création des REMS pour maintenir l'accès aux soins

            Pendant plusieurs années, les hôpitaux psychiatriques judiciaires italiens ont été au cœur de nombreuses polémiques. L'art. 222 du Code pénal italien prévoit l'hospitalisation en hôpital psychiatrique judiciaire des personnes condamnées pour avoir commis une infraction pénale mais t reconnus incapables « d'entendre et de vouloir », selon l'expression italienne. Dès 2003, dans sa décision n° 253 du 18 juillet 2003, la Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnelle une partie de cet article en raison du manque d'alternatives offertes au juge dans de telles situations. En effet, lorsqu'une personne incapable d'entendre et de vouloir est condamnée, le juge n'a d'autre choix que de procéder à l'hospitalisation dans ces institutions, et ce même si une mesure moins sévère aurait permis non seulement d'assurer les soins appropriés au patient mais aussi de faire face à sa dangerosité sociale. La Cour considère que l'automatisme de cette mesure est inconstitutionnel puisqu'il conduit à rompre l'équilibre et la proportionnalité que recherche le juge dans l'application des peines.

Même si les professionnels de santé, tout comme les praticiens du droit, avaient connaissance des conditions de vie déplorables qui régnaient dans ces hôpitaux, c'est une commission d'enquête parlementaire qui, en 2011, dévoile au grand jour cette triste réalité. Le rapport évoque notamment des carences matérielles graves et inacceptables dans tous les hôpitaux psychiatriques judiciaires – lesquels finissent par ressembler plus à des prisons qu'à un service de psychiatrie –, ainsi que l’insuffisance du personnel soignant au sein de ces hôpitaux. Par ailleurs, le recours à la force et à la contention physique, s’il est certes justifié dans certains cas selon le CPT, constituent généralement des pratiques inadaptées aux situations et représentent une atteinte à la dignité de la personne.

Le décret-loi du 22 décembre 2011 n° 211, modifié et converti par la loi n° 9 du 17 février 2012, prévoit à l'art. 3-ter, la fermeture définitive des hôpitaux psychiatriques judiciaires avant le 31 mars 2013. Ce terme a été repoussé d'abord au 31 mars 2014 et finalement au 31 mars 2015. Les OPG supprimés ont été remplacés par des Résidences pour l'exécution des mesures de sécurité (REMS) de plus petites envergures. Désormais, les personnes condamnées pour une infraction pénale mais ne pouvant être incarcérées en raison de leur incapacité d'entendre et de vouloir seront séparées dans deux structures : les personnes présentant une maladie psychique permanente, socialement dangereuses et pour lesquelles il y a un lien direct entre la maladie et l'infraction commise iront dans lesdites REMS, les autres seront prises en charge par les services psychiatriques des hôpitaux. Cette réforme permet ainsi de proportionner la mesure de sécurité à la dangerosité de la personne. Cette initiative a été saluée par la CPT dans son rapport. Toutefois, il met en garde le gouvernement italien de la nécessité de ne pas transformer ces REMS en hôpitaux psychiatriques judiciaires au fil du temps.

B) Le manque de places au sein des nouvelles structures gérées par les Régions en raison des manques de moyens financiers alloués

            Le nouvel article 3-ter du décret-loi du 22 décembre 2011 (n°211) donne du fil à retordre à la Cour constitutionnelle italienne. Dans sa décision n°22 du 26 janvier 2017, celle-ci s'est interrogée  sur sa constitutionnalité, notamment au regard de l'art. 3 de la Constitution italienne qui pose le principe de l'égalité de tous les citoyens face à la loi. En l'espèce, le procès d'une personne avait été suspendu en raison de son incapacité d'entendre et de vouloir, ce qui avait conduit à son placement au sein d'une résidence pour l'exécution des mesures dite de « sécurité ». L'art. 3-ter dispose que cette mesure, qu'elle soit définitive ou provisoire, ne doit pas durer plus que la durée établie pour la peine maximale de réclusion prévue pour l'infraction commise. Le juge du fond avait considéré que l'art. 3-ter est contraire au principe d'égalité consacré par la Constitution italienne en ce qu’il fait coïncider la fin de la mesure de sécurité à la peine maximale prévue pour l'infraction plutôt qu'à la cessation de la dangerosité de l'individu. Par ailleurs, le juge rappelait que la détention provisoire et la mesure de sécurité n'ont pas la même fonction : la première vise à éviter la dégradation des éléments de preuve, prévenir la fuite ou la récidive des infractions, là où la seconde vise à soigner la personne d’une maladie qui la rendrait socialement dangereuse.

La Cour constitutionnelle rejette néanmoins la demande. Elle rappelle que l'art. 3-ter tend à éviter des situations dites de « perpétuité blanche », qui conduisent à placer des individus au sein d'établissements comme les REMS pour une durée indéterminée. Mais elle considère aussi que la situation qui lui est soumise est délicate puisqu'elle conduit à remettre en liberté et sans contrôle, notamment en raison du manque de place au sein des structures spécialisées telles que les REMS, des personnes qui nécessitent des soins et qui sont socialement dangereuses. C’est en effet en partie en raison du manque de places au sein de ces institutions spécialisées que la mesure contenue dans l'art. 3-ter a été adoptée.

On peut donc encore douter de la compatibilité de cette solution eu égard à l'équilibre tant recherché entre sécurité et droit à la santé en milieu carcéral. Toutefois, il est possible d'espérer une amélioration au cours du temps. Tout d'abord, les REMS ont été mises en place récemment, un certain recul est nécessaire pour adapter ces institutions aux besoins réels, et plus particulièrement aux besoins des patients. Par ailleurs, les REMS sont désormais gérées par les Régions, ce qui constitue une nouveauté. Il reste que, pour le moment, les moyens financiers nécessaires à leur mise en place n'ont pas forcément suivis cette délégation de compétence. On peut espérer que cela viendra  avec le temps.

IV. Les droits procéduraux

A) Le secret des correspondances

La Cour européenne des droits de l’homme a fait émerger un « droit à la preuve » devant lequel cède le respect de la vie privée protégée par l’article 8 de la Convention EDH sous réserve que l’atteinte résultant de la production de la pièce litigieuse soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Pour sa part, la Cour constitutionnelle a rappelé dans une décision du 7 décembre 2016 l’encadrement du droit au secret de la correspondance au vu du respect du droit à la preuve. La Cour d’assises d’appel de la Calabre avait en effet soulevé devant la Cour constitutionnelle la violation des articles 3 et 112 de la Constitution par l’article 266 du code de procédure pénal. Cet article concerne l’admissibilité de la preuve lorsqu’une des parties au procès est un détenu. Il établit une distinction selon que la preuve rapportée est une correspondance épistolaire ou une correspondance par voie de télécommunication. Les correspondances par voie de télécommunication peuvent être interceptées et utilisées lors d’un procès, les correspondances épistolaires peuvent être seulement mises sous séquestre. Ainsi, le procureur a le pouvoir de priver toute communication épistolaire entre un détenu et des individus extérieurs en imposant la mise sous scellés de toutes lettres provenant d’un condamné.

En l’espèce, il était demandé, sur le fondement du principe d’égalité, que les correspondances épistolaires soient soumises aux mêmes règles que les correspondances par voie de télécommunication. Ceci élargirait le champ de moyens de preuves admissibles afin d’accélérer le processus de recherche de la preuve par l’action publique.

La Cour constitutionnelle rappelle que le droit à la liberté, le droit au secret de la correspondance, et par la suite le principe du contradictoire peuvent être limités par l’exigence de la protection de la société et par celle de l’efficacité de l’action publique. La restriction de ces droits doit toutefois respecter le principe de proportionnalité. En l’espèce, la Cour estime que la mise sous séquestre des correspondances épistolaires a pour conséquences d’éviter des communications potentiellement dangereuses et qu’elle est justifiée par la nécessité de protéger la société. Elle rejette la demande et refuse un traitement analogue des deux types de correspondance.

B) Le droit d'accès à un avocat, un droit souvent oublié

            Dans son rapport, le CPT soulève également le problème de l’absence d’information des personnes arrêtées de leur droit d'avoir accès à un avocat. Selon l'art. 386 du Code de procédure pénale italien, les officiers et agents de police judiciaire qui ont procédé à une arrestation doivent impérativement informer la personne de ses droits, et notamment de la possibilité de désigner un avocat. Or, souvent, les forces de l'ordre se dispense de cette obligation Dans son rapport, le CPT demande aux autorités italiennes que ce droit de la défense soit respecté en toutes circonstances. Il exige qu'une déclaration officielle soit faite aux forces de l'ordre pour le leur rappeler.

C) La délicate interprétation de la loi quant à l'indemnisation des personnes soumises à des mesures de sûreté privatives de liberté

            L'Italie a toujours été vigilante sur l’obligation de se conformer aux prescriptions de l'Union européenne, notamment lorsqu'elles font suite à des condamnations. Ainsi, après la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 8 janvier 2013 Torreggiani et autres c. Italie, elle a décidé de revoir sa législation en matière de recours en cas de violation de la Convention EDH. Il en résultat l’introduction d’un l'art. 35-ter dans la loi du 26 juillet 1975 n° 375 par le décret-loi du 26 juin 2016 n°92. Celui-ci contient des dispositions urgentes en matière de recours pour les détenus ayant subi un traitement contraire à la Convention EDH. Il prévoit l'introduction d'un recours permettant de demander une réduction de peine et, le cas échéant, une indemnisation financière.

Dans sa décision n°83 du 7 mars 2017, la Cour constitutionnelle a été appelée à se demander si ce recours s'appliquait également aux personnes faisant l'objet de mesures de sécurité. En l'espèce, une personne qui avait fait l'objet d'une mesure de sécurité (placement en soin, supra) avait séjourné au moins 132 jours dans une cellule inférieure à 3m², ce qui est contraire aux standards du CPT, et ce qui lui ouvrirait le droit soit à une réduction de peine, soit à une indemnité financière. Or, le juge du fond constate que l'art. 35-ter ne fait référence qu'aux détenus et non aux personnes internées. Par ailleurs, comment appliquer une réduction de peine à une mesure de sécurité qui dépend de la dangerosité de l'individu ? En outre, le juge considérait que l'indemnité ne peut être accordée que dans les cas où la réduction de peine ne serait pas applicable en raison de la faible durée restant à purger.

La Cour constitutionnelle considère les demandes infondées. Elle rappelle que l'art. 35-ter s'applique aussi bien aux détenus qu'aux personnes soumises à des mesures de sécurité, comme l'indique le titre de la rubrique qui se réfère aux « individus détenus ou internés ». Selon elle, la réduction de peine peut concerner les mesures de sécurité puisque celles-ci ont une durée maximale, fixée à la peine maximale encourue pour l'infraction commise. Cependant, elle est consciente que la réduction de peine est difficilement applicable dans ce genre de situation puisque qu'elle dépend uniquement de l'état de santé de la personne qui, de fait, n'est pas établie par avance. L'individu soumis à une mesure de sécurité peut également bénéficier d'une indemnité financière. La Cour affirme expressément que la réduction de peine et l'indemnité sont autonomes l'une de l'autre. Par conséquent l'individu qui ne peut demander une réduction de peine est habilité à demander la réparation intégrale de son dommage sous forme pécuniaire.

On relèvera que malgré la volonté de l’Italie de se conformer aux prescriptions faites par la Cour européenne des droits de l'homme, les mesures mises en place se révèlent non seulement difficiles à interpréter mais aussi difficiles à appliquer.

Conclusion : vers une reconnaissance des difficultés : les réactions nationales et internationales face au constat de surpopulation carcérale

            Globalement, l’Italie a toujours réagi face aux critiques et recommandations internationales. En 2010, elle a déclaré un « état d’urgence » sur les prisons et a finalement opéré une réforme très attendue en 2017. Pourtant, dans son rapport de septembre 2017, le CPT ne semble guère convaincu. En effet, comme il a été signalé, le CPT a effectué une visite du 8 au 21 avril 2016 en Italie. Il a publié un rapport le 8 septembre 2017 dans lequel il fait part de ses préoccupations concernant des allégations de mauvais traitements physiques infligés à des personnes privées de liberté par les forces de l’ordre.

Le rapport prend note de la réforme du système pénitentiaire entreprise par les autorités italiennes à la suite de l’arrêt de 2013 par la Cour Européenne des droits de l’Homme, Torreggiani et autres c. Italie. Néanmoins, il relève que la population carcérale a augmenté au cours de l’année 2016 et que la surpopulation dans le milieu carcéral persiste. A l’exception de la prison Ascoli Piceno, de mauvais traitements physiques ont été rapportées dans toutes les prisons visitées : placements de prisonniers pendant une longue durée en sous-vêtements dans des cellules d’isolement, détenus attachés à leur lit…

Toutefois, le CPT reconnait l’effet positif «  de la surveillance dynamique » (sorveglianza dinamica ) élaborée par l’Italie qui consiste à accepter que certains détenus restent en dehors de leur cellule plus de sept heures. L’accès aux soins primaires est aussi estimé satisfaisant. En revanche concernant les soins spécialisés, la situation est généralement compliquée. S’agissant des détenus avec des tendances suicidaires, le CPT recommande une formation adéquate pour le personnel confronté à ces situations et l’utilisation de cellules d’isolement médical mieux réglementées en limitant la durée de la mesure. Le rapport aborde aussi la situation des mères ayant des enfants en prison et la nécessité de renforcer leurs garanties juridiques. La question de l'isolement imposé par une décision judiciaire (« isolamento diurno ») pour certains détenus condamnés à perpétuité a également été soulevée. L’isolement punitif dans ce cas peut être prolongé jusqu’à trois ans, ce qui, selon le comité, peut être très certainement qualifié de traitement inhumain.

Concernant les REMS, le CPT se félicite de la volonté d’éviter les contraintes physiques et l’isolement. Néanmoins, il demande davantage d’encadrement juridique. La même demande est formulée en ce qui concerne le consentement des patients au traitement médical. Dans l’ensemble des REMS visités, les droits des patients au contact avec le monde extérieur continuent en effet d’être réglementés par les règles du milieu carcéral. Le CPT demande à ce que de nouveaux règlements internes propres à ces établissements soient adoptés. Le CPT relève aussi le cas individuel préoccupant d’un patient de Castiglione delle Stiviere ayant subi de fortes doses de médicaments psychotropes afin d’éviter toute tentative de fuite. Il estime que cette dose pourrait être considérée comme un produit chimique ayant des effets à long terme et appelle l’état Italien à proposer des options alternatives plus appropriées.

Une avancée législative importante est intervenue en juillet 2017. Après quatre années de discussion, le crime de torture a été introduit dans la législation italienne par loi n° 110 du 14 juillet 2017. La torture est désormais un crime condamné par une peine allant de 4 à 10 ans de réclusion au sens de l'art. 613-bis du Code pénal. De même, l'incitation par un agent public à commettre un acte de torture est condamnée par l'art. 613-ter à une peine de réclusion allant de 6 mois à 3 ans. Le CPT salue cette initiative, mais soulève d'importantes failles dans la rédaction dans ce texte. En effet, si le législateur y consacre enfin le crime de torture, les dispositions manquent de clarté. Ainsi, pour que le crime de torture soit constitué, il faut qu'il y ait eu des violences et des menaces, mais surtout que la torture ait été commise par le biais de « plusieurs actes ». Par ailleurs, l'art. 613-ter semble davantage être une circonstance aggravante qu'une infraction pénale autonome. Le CPT, tout comme la doctrine, critiquent largement cette disposition. Il voit dans le choix des termes une potentielle limite à la qualification de crime de torture et un obstacle à la mise en conformité de la législation italienne avec la Convention de New York contre la torture de 1984 et la CEDH. Reste à voir de quelle façon les juges, et sûrement aussi la Cour constitutionnelle, interpréteront ces nouveaux articles.

 

Bibliographie :

            Décisions de la Cour constitutionnelle italienne

-Décision n.°22 du 26 janvier 2017 ; décision n°17 du 7 décembre 2016 ; décision du n°76 du 8 mars 2017, décision n° 122 du 8 février 2017 ; décision n°20 du 7 décembre 2016 ; décision n°83 du 7 mars 2017 ; décision n°179 du 7 juin 2017

-Loi sur la torture 14 juillet 2017

            Décisions de la Cour européenne des droits de l’homme

-Arrêt Sulejmanovic, 2009 

-Arrêt Torreggiani et autres c. Italie, 2013

            Rapport du comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

-Rapport du Comité européen pour la prévention de la torture sur sa visite périodique effectuée du 8 au 21 avril 2016 en Italie.

-Réponse du rapport du CPT par le gouvernement italien

 

[1]Décision n.°22 du 26 janvier 2017 ; décision du 7 décembre 2016 ; décision n° 122 du 8 février 2017 ; décision n.°83 du 7 mars 2017 ; décision n°179 du 7 juin 2017 ; décision sur la correspondance ; deuxième décision sur les parents

[2]Arrêt Sulejmanovic, 2009 ; arrêt Torreggiani et autres c. Italie, 2013.

[3]Rapport du Comité européen pour la prévention de la torture sur sa visite périodique effectuée du 8 au 21 avril 2016 en Italie.

 

Yéris Nicola, Margaux Romano