Misère, mystère et poésie : l'exposition Picasso, bleu et rose, au Musée d'Orsay jusqu'au 6 janvier 2019

L’hiver approche et il devient difficile de continuer d’arpenter les rues de Paris dans le froid. Venez pousser les portes du Musée d’Orsay, cette ancienne gare qui nous émerveille toujours par laquelle Picasso arrive à Paris pour la première fois en 1900. A l’intérieur, vous découvrez quelque chose d’inédit, le Musée d’Orsay et le Musée Picasso collaborent et présentent pour la première fois dans son ensemble la période bleue et rose de Picasso. Cette exposition propose une nouvelle lecture des années 1900-1906 de l’artiste à travers des chefs d’oeuvre parfois ignorés du public. Mais pourquoi Picasso, véritable icône de l’art moderne, est-il exposé à Orsay ? C’est une volonté de la part du musée de montrer que Picasso est aussi beaucoup rattaché au XIXe siècle, qu’il se place dans une continuité et pas totalement dans une rupture. L’exposition, plutôt que de séparer distinctement les deux périodes comme il est fait habituellement, veut surtout les relier.

 

Picasso, Acrobate à la boule, huile sur toile, 147 x 95 cm, Moscou, The Pushkin State Museum of Fine Art, 1905

 

Douleur et solitude : la période bleue

L'exposition comprend seize salles, les six premières présentent comment Picasso est arrivé à sa période bleue ; il peint alors beaucoup la figure d'Arlequin, les cafés et des scènes quotidiennes. La deuxième partie (les salles 7 à 11) se centre sur la période bleue. En 1900, Picasso vient d’avoir 18 ans, il vit à Barcelone et fréquente son avant-garde. Il commence à se rendre à Paris, découvre les oeuvres des impressionniste et se fascine pour Van Gogh. Il revient tout de même souvent en Espagne, à Malaga ou encore à Tolède. Ce qui marque réellement le début de la période bleue c’est la mort de Casagemas, un de ses plus proches amis. Pendant que Picasso voyage en Espagne, Casagemas est à Paris. Follement épris d’une jeune femme qui l’a rejeté, il entre dans un café à Montmartre et essaie de l’abattre ; ni arrivant pas, il retourne l’arme contre lui et se suicide. Picasso rentre à Paris en apprenant cela et il le peint à plusieurs reprises dans son cercueil, sa dernière toile ayant une dominante de bleu. Dans l'exposition, toute une salle est dédiée à ce deuil. Plongé dans la tristesse et la douleur, la période bleue éclôt. Le peintre représente des personnes souvent seules, malheureuses ou alors qui appartiennent à un monde sombre : ainsi naissent sur ces toiles des aveugles, des mendiants ou encore des prostituées. Bien qu’il réalise beaucoup de portraits, il peint aussi les toits de Barcelone qui se teintent là aussi de mélancolie. Cependant, il ne s’arrête pas à la peinture puisqu’il produit une grande quantité de sculptures, de dessins et de gravures dans sa recherche de représentation toujours plus forte de l'angoisse. Dans une autre optique, il s’intéresse aussi à l’érotisme et mêle les deux en se rendant dans des maisons closes. Il réalise par exemple La Célestine, portrait d’une maquerelle borgne angoissante. Le bleu domine cette composition même si de la couleur rose apparait sur ses joues. Dans cette partie, la pièce à découvrir avec soin est celle sur ce monde la nuit où une série de croquis curieusement érotique et méconnue du public est présentée.

 

 

Picasso, La Célestine, huile sur toile, 81 × 60 cm, Paris, Musée Picasso, 1904

 

Renouveau et poésie : la période rose

La dernière partie de l'exposition est consacrée à la période rose, la femme reste présente dans ses compositions mais avec plus d'intimité, ses tableaux encore quelque peu mélancoliques prennent toutefois des notes heureuses. En 1904, Picasso s’installe au Bateau-Lavoir de Montmartre (résidence d'artistes avec des ateliers qui a vu naître l'art moderne, où Modigliani a également séjourné). Il rencontre Guillaume Apollinaire, André Salmon et Max Jacob qu’il aime fréquenter, d’autant plus qu’ils apprécient ses oeuvres. Ils lui parlent de poésie. Au début de l’année 1905, il entame une relation avec Fernande Olivier qui devient sa muse. Ces rencontres marquent un renouveau dans la vie de Picasso et cela se ressent dans ses toiles puisqu’elles se teintent de rose. Sa palette s’élargit et il y ajoute du ocre, du beige ; des couleurs de plus en plus chaudes imprègnent ses toiles après son voyage à Gósol en 1906. La douleur n’est plus et laisse place à une tranquillité teintée de mystère. Les corps ne sont plus affalés et deviennent beaucoup plus dessinés, il réalise le Meneur de cheval nu qui a une dimension poétique et reste un de ses plus grands chefs d’oeuvres. Il n’a alors que 25 ans. Inspiré par Cézanne, Picasso commence à s'intéresser à la géométrie et simplifie de plus en plus le trait ; en 1907 il surprend avec les Demoiselles d'Avignon qui annonce lé début du cubisme.

 

Picasso, Le Meneur de cheval nu, huile sur toile, 220,3 × 130,6 cm, New York, MoMA, 1906

Autour de l'exposition

L'exposition est à voir absolument puisqu'elle permet de rendre compte du génie et de la maturité de Picasso pour son jeune âge. Il traite les sujets quotidiens avec profondeur, mélancolie et gravité, représentant la vie de Paris et de Barcelone. De surcroît, cette période, pourtant fondamentale dans la vie de l'artiste, reste souvent délaissée au profit de sa période cubiste ; l'abondance d'oeuvres séduira les plus avertis comme les moins initiés. Néanmoins, il faut formuler quelques retenues quant à la scénographie qui n'est pas prévue pour accueillir la foule que la collection attire : les textes sont écrits dans une taille bien trop petite et certaines salles sont trop exigues. De plus, la volonté de lier les deux périodes reste assez peu exploitée. En effet la partie rose succède à la partie bleue, sans vraiment de liens faits entre elles deux. Il est cependant assez plaisant de suivre le parcours agrémenté de citations sur les murs et même parfois de sons si vous avez l'ouïe fine. Le gros point fort de cette exposition est la richesse et la diversité des oeuvres : elles viennent des Etats-Unis, de Russie, ou encore de collections privées, on y trouve des toiles, des croquis et quelques sculptures. Jamais un musée en France n'avait réuni autant d'oeuvres des deux périodes simultanément, c'est une occasion à ne pas manquer ! 

Alors courez jusqu'à l'ancienne gare d'Orsay pour ne pas rater le train qui vous mènera jusqu'aux sublimes créations de l'artiste espagnol ! 

 

Si vous souhaitez y aller en famille, c'est possible avec les visites "Hola Pablo" tous les samedis à 11h jusqu'au 15 décembre.
Ouvert du mardi au dimanche, de 9h30 à 18h. Nocturne le jeudi jusqu'à 21h45.
Plein tarif : 14 euros
Tarif réduit : 11 euros
Gratuité pour les bénéficiaires habituels