Bournemouth University Higher Education Corporation v Buckland [2010] ICR 908

L'arrêt Buckland clarifie le régime de la prise d'acte en droit anglais. Le caractère raisonnable du comportement de l'employeur n'est pas pertinent pour caractériser l'existence d'un manquement contractuel - fondement de la prise d'acte -, et le juge doit distinguer dans son analyse cette étape de la qualification de licenciement injustifié.

 

 

La prise d'acte et le « constructive dismissal » sont pour le droit anglais et le droit français un moyen d'appréhender la situation dans laquelle un employeur, ne souhaitant pas licencier un salarié, le pousse toutefois par ses fautes à la démission. Cette démission, si elle a effectivement été causée par le comportement de l'employeur, produira les effets d'un licenciement. La pierre angulaire du mécanisme est donc la conduite de ce dernier. Afin en effet d'en préciser le champ d'application, il faut s'attacher à déterminer dans quels cas l'employé est légitime à considérer que la relation de travail ne peut être poursuivie du fait des agissements de l'employeur.

 

L'arrêt Bournemouth University Higher Education Corporation v Buckland (2010 ICR 908, Court of Appeal), apporte un certain nombre de précisions sur cette question. En l'espèce, le professeur Buckland s'était plaint auprès de la direction de l'université que les notes qu'il avait attribuées à certains étudiants avaient été relevées par le jury d'examen sans son accord (lui-même étant accusé de faire preuve d'une excessive sévérité). Par la suite, une enquête de la direction établit l'absence de faute du professeur Buckland tout en condamnant la conduite du président du jury d'examen. Le professeur Buckland démissionna malgré tout, puis agit contre l'université en alléguant avoir été licencié, ou « constructively dismissed ». L'employeur affirmait, conformément aux développements récents de la jurisprudence sur ce point, que son comportement avait été raisonnable et ne constituait donc pas un manquement contractuel au devoir de maintenir une relation de confiance, permettant de caractériser le « constructive dismissal ». A l'inverse, le professeur Buckland arguait que le caractère raisonnable ou non du comportement de son ancien employeur n'était pas pertinent pour déterminer à qui il fallait imputer la rupture de la relation de travail. C'est à ce dernier que la Cour d'Appel a donné raison.

 

L'arrêt Buckland appelle la comparaison avec le droit français de la prise d'acte à deux égards. D'une part, parce qu'il relativise le rôle du caractère raisonnable du comportement de l'employeur dans l'appréciation du juge - élément totalement absent de l'approche française - , et d'autre part parce que, ce faisant, il rétablit une distinction méthodologique que le droit français ne fait pas : celle entre la prise d'acte et le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Le manquement contractuel, fondement originel du « constructive dismissal » et de la prise d'acte

 

Consacré en droit anglais dès 1965 (Redundancy Payments Act 1965, s. 3(1)(a), le “constructive dismissal” est aujourd'hui régi par l'Employment Rights Act de 1996. Y est simplement énoncé que constitue un licenciement l'hypothèse dans laquelle un employé met fin à son contrat de travail du fait du comportement de son employeur (Employment Rights Act 1996, S. 95 (1)(c) “the employee terminates the contract under which he is employed (with or without notice) in circumstances in which he is entitled to terminate it without notice by reason of the employer’s conduct.”). La loi n'apportant aucune précision quant au type de comportement de l'employeur susceptible d'ouvrir au salarié une telle possibilité, cette tâche est incombée au juge.

 

Une première hésitation s'est fait jour entre deux critères. Dans l'arrêt George Wimpey & Co ltd v. Cooper (1977 IRLR 205), les juges ont considéré qu'il convenait de déterminer si “le comportement de l'employeur, conformément aux usages nécessaires à de bonnes relations de travail, correspondait à ce qu'un employé était raisonnablement censé accepter” (“… a conduct of a kind which, in accordance with good industrial relation practice no employee could reasonably be expected to accept”). Dans un second temps toutefois, les juges ont préféré au caractère raisonnable le critère du manquement contractuel substantiel. Le célèbre arrêt Western Excavating (ECC) Ltd v. Sharp (1978 IRLR 27) a en effet été pour le juge anglais l'occasion d'adopter un test plus restrictif, en exigeant que le comportement de l'employeur, pour constituer un licenciement, traduise la volonté de l'employeur de s'émanciper des termes du contrat de travail. Outre l'excessive indétermination de la méthode précédemment utilisée, cette nouvelle approche se justifiait par une volonté de clarification. Dans le cadre du constructive dismissal, deux questions doivent en effet être distinguées : celle de déterminer quelle partie a pris l'initiative de mettre fin au contrat, et celle de savoir, s'il s'agit de l'employeur, si cette décision était justifiée (s'agit-il d'un “unfair dismissal”). Or le droit anglais répond à cette seconde interrogation précisément par référence au caractère raisonnable de la décision de l'employeur. Avoir recours à ce même critère pour la première étape du raisonnement aurait équivalu à une fusion des deux stades de l'analyse, en porte-à-faux avec la loi qui elle les différencie clairement.

 

En dépit de quelques hésitations ultérieures (Woods v. WM Car services (1982) ICR 69), c'est bien le critère du manquement contractuel qui l'a finalement emporté (Courtaulds Northern Spinning v. Sibson (1988) IRLR 276), et comme nous le verrons, l'arrêt Buckland en réaffirme la pertinence. A ce stade du raisonnement, le droit anglais et le droit français sont similaires. En effet, si le juge français ne fournit pas de définition du comportement de l'employeur ouvrant la possibilité au salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail par ce dernier (la jurisprudence, à l'image de la loi anglaise, se réfère seulement aux “faits qu'il reproche à son employeur” Soc. 15 mars 2006, pourvoi n° 05-41.376), il est généralement admis que c'est le manquement grave à une obligation contractuelle qui conditionne le mécanisme de la prise d'acte (Le manquement légal peut également servir de fondement à une prise d'acte (ex : le harcèlement moral). La même solution est obtenue en le droit anglais par le biais des obligations implicites). Toutefois, le droit anglais diffère du droit français sur un point majeur, lequel a donné lieu à l'arrêt Buckland ici étudié. Le juge anglais considère en effet de longue date que le contrat de travail contient une clause implicite imposant aux parties un devoir de maintenir une relation de confiance (“a duty to maintain mutual trust and confidence”, Robinson v. Crompton parkinson ltd (1978) ICR 401). Par ce biais, le juge anglais a pu conserver une certaine souplesse d'analyse, à tel point qu'il a pu être affirmé qu'il n'y avait que peu de différences pratiques entre le “reasonableness test” et le “contract test” (S. HONEYBALL, Employment Law, 10th edition, Oxford University Press). Il est vrai que cette technique a permis d'appréhender des comportements non explicitement contraires à la lettre du contrat mais qui semblaient injustes ou déraisonnables – comportements qui n'auraient pas en droit français pu donner lieu à une prise d'acte. Pourtant en théorie, les deux méthodes sont distinctes, puisque le manquement au devoir de maintenir une relation de confiance a été défini dans l'arrêt Malik and Mahmud v Bank of Credit and Commerce International SA [1998] AC 20 par la chambre des Lords comme “tout comportement dépourvu de justification raisonnable susceptible d'avoir pour effet de détruire ou sérieusement endommager la relation de travail”.

 

L'arrêt Buckland

 

Une série d'arrêts récents, à l'issue de laquelle est intervenu l'arrêt Buckland, a cependant brouillé un peu plus cette fragile distinction. Notamment, dans les arrêts Abbey National v Fairbrother (2007 IRLR 320) et Claridge v Daler Rowney Ltd (2008 IRLR 672), l'Employment Appeal Tribunal a décomposé la définition du manquement à l'obligation de maintenir une relation de confiance pour faire de l'absence de justification raisonnable (“reasonable and proper cause”) une condition nécessaire et autonome d'un tel manquement. Autrement dit, afin d'en démontrer l'existence, le salarié devait prouver d'une part que l'employeur avait eu un comportement susceptible de porter atteinte à la relation de travail, et d'autre part qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucune justification raisonnable. En résultait la fusion de deux stades de l'analyse que Western Excavating cherchait précisément à éviter. A l'origine de ces décisions se trouvait le raisonnement - erroné - selon lequel l'existence de deux tests différents pour le licenciement injustifié et pour la prise d'acte conduisait à traiter plus favorablement les employés ayant pris l'initiative de mettre fin à la relation de travail (l'existence d'un manquement contractuel étant plus facilement caractérisé que le caractère déraisonnable d'un licenciement), alors même que la question était la même dans les deux cas : « le comportement de l'employeur avait-il une justification raisonnable ? ».

 

Dans l'arrêt Buckland, l'EAT rejette cette interprétation et refuse de faire du caractère raisonnable du comportement de l'employeur le critère et du « constructive dismissal », et du licenciement injustifié. La distinction était centrale en l'espèce puisque le comportement de l'employeur était une réponse raisonnable à la situation, mais constituait toutefois un manquement au devoir de maintenir une relation de confiance. Ces divergences au sein de la jurisprudence de l'EAT devaient être résolues par la Cour d'Appel. Elle s'est en effet prononcée en faveur de cette dernière approche, rejetant celle retenue par les arrêts Fairbrother et Claridge. Deux conclusions peuvent en être tirées : le caractère raisonnable ou déraisonnable du comportement de l'employeur n'est pas pertinent pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de maintenir une relation de confiance et donc d'un « constructive dismissal » ; s'il s'avère que c'est bien le comportement de l'employeur qui est à l'origine de la rupture, il est encore possible pour l'employeur de justifier le licenciement, cette fois-ci par l'existence d'une justification raisonnable. Parce que cette décision clarifie la jurisprudence en réaffirmant avec rigueur et force le « contract test », on a pu en dire qu'elle constituait un « rétablissement de l'orthodoxie » en matière de « constructive dismissal » (A. L. Bogg, “Bournemouth University Higher Education Corporation v Buckland : re-establishing orthodoxy at the expense of coherence?”, Industrial Law Journal 2010 ; D. Cabrelli, “Re-establishing orthodoxy in the law of constructive dismissal” Industrial Law Journal 2009)

 

Une décision qui ne remet pas en cause la plus grande souplesse de l'approche anglaise

 

Si la limitation du rôle du caractère raisonnable du comportement de l'employeur dans l'appréciation du « constructive dismissal » pourrait laisser croire à un rapprochement du droit anglais et du droit français (dans lequel il n'a aucune place), les deux approches demeurent différentes. En effet, ainsi qu'il est précisé dans Buckland, le caractère déraisonnable du comportement de l'employeur, s'il ne doit pas constituer une condition à l'existence d'un manquement contractuel, reste un outil d'analyse pour le juge anglais. Certains auteurs considèrent d'ailleurs qu'un abandon total de ce critère pourrait nuire à la cohérence du droit du « constructive dismissal » (A. L. Bogg, “Bournemouth University Higher Education Corporation v Buckland : re-establishing orthodoxy at the expense of coherence?”, Industrial Law Journal 2010). Le devoir de maintenir une relation de confiance, justement parce qu'il est potentiellement extrêmement large (on a pu le décrire comme un « principe général instituant un certain degré de civilité dans les activités de gestion »), demande à être circonscrit. C'est une fonction que le caractère raisonnable du comportement de l'employeur peut remplir.

 

De fait, cet élément joue et continuera à jouer un rôle important dans l'appréhension du « constructive dismissal ». L'existence d'une obligation de maintenir une relation de confiance implique nécessairement une appréciation plus souple des situations soumises aux tribunaux. Sur ce fondement, ont pu être considérés comme un licenciement : le fait de retirer au salarié les tâches les plus intéressantes (Coleman v S and W Baldwin [1977] IRLR 342), le fait de menacer le salarié de le licencier (alors même que le licenciement aurait été justifié) (Greenaway Harrison Ltd v. Wiles (1994) IRLR 380); le fait de refuser arbitrairement une augmentation (Gardner v Beresford [1978] IRLR 63 ); et dans Buckland, le fait de réviser les notes octroyées par un professeur. Autant de comportements qui ne constituent la violation d'aucune clause explicitement convenue entre les parties, et qui probablement n'auraient pas suffi à qualifier une démission de prise d'acte en droit français. En effet, la jurisprudence de la Cour de Cassation montre une plus grande rigueur dans l'appréciation du manquement contractuel. Elle limite la prise d'acte à des manquements graves et évidents tels que le non-respect du repos hebdomadaire (Soc. 29 juin 2005, 03-44.412), le harcèlement moral (Soc. 3 fév. 2010, 08-40.144 ), la modification unilatérale de la rémunération (Soc. 5 mai 2010, 07-45.409 )...

 

Il convient de noter ici que cette plus grande ouverture du droit anglais au « constructive dismissal » ne signifie pas que le régime en soit plus favorable au salarié que celui de la prise d'acte. D'une part, les faits de l'arrêt Buckland indiquent clairement que dans certains cas, le recours au critère plus souple du caractère raisonnable est susceptible d'être défavorable au salarié. Un comportement peut en effet constituer un manquement contractuel, sans être déraisonnable pour autant. D'autre part, ainsi que nous le verrons, les conséquences attachées au « constructive dismissal » sont moins radicales que celles attachées à la prise d'acte. En effet, lorsqu'il est retenu, il a pour seul effet de déterminer qui le premier, du salarié ou de l'employeur, s'est émancipé des termes du contrat. Ainsi que le réaffirme l'arrêt Buckland, il ne s'agit pas à ce stade de porter un jugement sur les motifs du comportement de l'employeur.

 

La distinction rétablie entre « constructive » et « unfair dismissal »

 

Comme on vient de le voir, le corollaire de cet effacement du caractère raisonnable est une différenciation des deux étapes du raisonnement : le juge doit d'abord rechercher qui est en fait responsable de la rupture de la relation (établir l'existence d'un « constructive dismissal ») puis, si c'est l'employeur, il doit apprécier les justifications avancées par ce dernier à sa décision (établir l'existence ou non d'un « unfair dismissal »). Ces deux analyses se font selon des critères distincts. A l'inverse, le droit français, dès lors qu'il retient la qualification de prise d'acte, fait produire à la rupture du contrat les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (“lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission” Soc. 25 juin 2003, 01-43.578 ). On retrouve donc la confusion des deux stades du raisonnement rejetée par Buckland. La raison en est l'absence de respect des conditions de formes qui encadrent le licenciement, absence inhérente à la prise d'acte. En effet, puisque concrètement, le salarié est celui qui initie la rupture, l'employeur est forcément dans l'impossibilité de lui adresser une lettre de licenciement précisant ses motifs. Ce « mécanisme du tout ou rien » (B. Dabosville “Variations autour de la prise d'acte” Revue de droit du travail 2007 p. 159 ) a été décrié par certains auteurs (R. FRIEDERICH “Prise d’acte : plaidoyer pour un régime juridique sécurisé“ Petites affiches, 24 novembre 2010 n° 234, P. 13 ) en ce qu'il ne permet pas d'appréhender certaines situations intermédiaires. Il est en effet envisageable qu'un employeur manque à ses obligations contractuelles mais que son employé ait eu un comportement qui justifierait un licenciement. Dans un tel cas, le juge anglais prononcerait le licenciement à la charge de l'employeur, puis prendrait en compte les circonstances présidant au licenciement pour éventuellement le considérer comme légitime. A l'inverse, le juge français ignorerait la part de responsabilité qui pourrait être imputée au salarié. Il pourrait être préférable d'opérer une distinction entre règles substantielles et règles procédurales, pour écarter ces dernières du régime de la prise d'acte. Elles n'ont en effet pas leur place dans une situation où l'employeur ignore lui-même qu'il est en train de licencier son salarié. L'état du droit anglais sur ce point, tel qu'il ressort de l'arrêt Buckland, assure sans doute une plus grande sécurité juridique à l'employeur.

 

Conclusion

 

L'arrêt Buckland, malgré l'effacement du critère du caractère raisonnable auquel il procède, éloigne plus qu'il ne rapproche droit anglais et droit français. Il est en effet possible d'affirmer que cet arrêt rend la prise d'acte plus favorable au salarié que le « constructive dismissal », parce que la première produit désormais des effets bien plus avantageux pour le salarié que le « constructive dismissal ». En revanche, sur ce même point, la technique juridique mise en œuvre par le juge anglais semble présenter une plus grande rigueur, et être plus adaptée aux spécificités de la prise d'acte.

 

Bibliographie

 

  • S. Honeyball, Employment Law, 10th edition, Oxford University Press

  • G. Pitt, Employment law, 7th edition, Sweet & Maxwell

  • R. Painter and A. Holmes, Cases and Materials on Employment Law, 8th edition, Oxford University Press

  • A. L. Bogg, “Bournemouth University Higher Education Corporation v Buckland : re-establishing orthodoxy at the expense of coherence?”, (2010) Industrial Law Journal 408

  • D. Cabrelli, “Re-establishing orthodoxy in the law of constructive dismissal” 2011 Industrial Law Journal 403

  • H. Platt, « Employment: Out for the count? » (2010) 160 New Law Journal 1209

  • D. Cabrelli « Buckland v Bournemouth University Higher Education Corp: Statutory Constructive Dismissal and the Implied Term of Mutual Trust and Confidence » (2011) 74 Modern Law Journal 122

 

  • J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, 25ème édition, Dalloz

  • J.-Y. Frouin, « Les ruptures du contrat de travail à durée indéterminée à l'initiative du salarié (démission, prise d'acte et demande en résolution judiciaire) » RDT 2007

  • J. Cortot, « Prise d'acte de la rupture par le salarié : Contribution à l'étude d'un mode de rupture original » LPA 03/01/2006 n° 2, P. 3

  • R. Friederich, “Prise d’acte : plaidoyer pour un régime juridique sécurisé“ LPA, 24/11/2010 n° 234, P. 13

  • B. Dabosville “Variations autour de la prise d'acte” Revue de droit du travail 2007 p. 159