Commentaire comparatif: Beedell V West Ferry Printers (2000) IRLR 650

 

Commentaire comparatif: Beedell V West Ferry Printers (2000) IRLR 650

Arthur Poirier

 

Résumé

Beedell V West Ferry printers confirme l’hégémonie du test reposant sur un « panel de sanctions raisonnables possibles» et démontre qu’en dépit d’une législation récente et d’une jurisprudence abondante, l’évaluation de la cause du licenciement au Royaume Uni est toujours caractérisée par une absence de standard. Bien loin des protections accordées par le système français, cette législation libertaire trouve sa source dans une idéologie d’entrepreneur et semble perdurer, malgré les nombreuses critiques et remises en questions.

Mots clefs: licenciement ; dismissal; travail; Common law.

Introduction

                L’arrêt Beedell V West Ferry Printers n’est pas un arrêt de principe novateur et l’intérêt qu’il présente ne survient qu’au vu de son contexte historique. Beedell V West Ferry Printers reprend en l’an 2000 un principe affirmé dans les années quatre-vingt par Iceland Frozen Foods Ltd V Jones (1983 I.C.R. 17) selon lequel les prud’hommes (Employment Tribunals) ne doivent pas se substituer à l’employeur lors de l’évaluation du caractère justifié ou non du motif de licenciement. Il en découle que les tribunaux ne peuvent que s’assurer que le licenciement constituait une mesure possible eu égard à la faute, au comportement ou plus largement au manquement imputé au salarié. Aucun contrôle d’opportunité ou de proportionnalité n’est alors permis. Les conséquences sociales de cette conception ultra libérale de la cause du licenciement sont nombreuses, et les contradictions avec le système français importantes. Cet arrêt affirme et légitime en effet une certaine incompétence des tribunaux quant aux contrôles qu’ils peuvent exercer sur une des prérogatives les plus puissantes de l’employeur. Il amènera à s’interroger sur la nature et l’étendue réelle du contrôle que les tribunaux détiennent, ce tout en menant une étude parallèle du système français, qui fait figure en l’espèce d’exemple en matière de protection de la partie faible. Les conclusions rendues dans Beedell V West Ferry Printers offrent l’occasion d’évoquer la question de l’égalité réelle (substantive fairness) dans les relations entre employeurs et salariés au Royaume-Uni mais aussi de présenter deux systèmes antagonistes de droit social, fondés sur des conceptions bien distinctes et qui privilégient des intérêts divergeant.

Beedell V West Ferry Printers (2000) : un test objectif ?

Suite à un différend, M Beedell en était venu aux mains avec un de ses collègues sur le lieu de travail, ce qui avait alors motivé son licenciement. M Beedell invoqua le licenciement injustifié (unfair dissmissal) sur le fondement que le Code de la Pratique ACAS (ACAS Code of Practice on disciplinary and Grievances Procedures 2009) dispose qu’un employé ne peut être renvoyé du fait de sa première infraction aux règles si tant est que cette infraction ne soit pas qualifiée de « comportement impardonnable » (« gross misconduct »). Sa défense fut aussi portée par le fait qu’un an auparavant, un employé de la même entreprise avait été le sujet de faits similaires mais n’avait pourtant pas été licencié. M Beedell faisait état d’un « rapport professionnel irréprochable » et se présentait comme la victime et non l’agresseur. Malgré cet état de faits, le tribunal de l’emploi (Employment Tribunal), équivalent des prud’hommes, lui donna tort en première instance en mettant notamment en avant que le contrat de travail que le demandeur avait signé aurait dû suffire à l’avertir du caractère illégal et potentiellement « impardonnable » d’un tel comportement. Le tribunal de l’emploi décida donc que l’employeur avait légalement justifié son licenciement, en assertant que celui-ci avait rassemblé des « fondements raisonnables » (« reasonable grounds ») et avait donc, à raison, interprété l’empoignade de M Beedell comme un « comportement impardonnable ». M Beedell interjeta appel, espérant profiter d’une interprétation plus favorable de la notion de  « fondements raisonnables » par le tribunal d’appel. Ce dernier, dans la lignée d’un ancien cas (Iceland Frozen Foods Ltd V Jones 1983 I.C.R. 17) réaffirma le principe selon lequel le rôle des tribunaux du travail n’est pas d’examiner si le licenciement était la bonne mesure à prendre, mais simplement de constater qu’il entrait bien dans « the band of reasonable responses », c’est-à-dire dans « le panel des sanctions raisonnables possibles », dont disposait l’employeur. Et du tribunal d’appel d’ajouter qu’il n’appartenait pas au tribunal de l’emploi de « substituer sa décision à la décision que l’employeur avait cru bon d’adopter au vu des circonstances ».  Cet arrêt pose donc le principe d’évaluation du caractère injustifié d’un licenciement pour motif personnel. Le tribunal se doit de vérifier si le licenciement constitue une mesure qui est effectivement à disposition de l’employeur, mais ne peut aller au-delà de cette analyse ni contrôler la proportionnalité de la mesure de renvoi par rapport à la gravité de l’acte, ou contrebalancer la mesure avec les intérêts particuliers du travailleur. L’objectivité du test est donc à mettre en doute. Avant d’y arriver, certaines spécificités du droit anglais doivent préalablement être précisées.

Le cadre légale du licenciement au Royaume-Uni

Il est nécessaire de placer cet arrêt au sein du droit du travail dans son ensemble. Pour ce faire, il s’agit dans un premier temps de rappeler les fondamentaux de la protection contre le licenciement au Royaume-Uni. Il ne sera traité ici que du droit du licenciement pour motif personnel ; ne seront donc pas abordées les dispositions relatives au licenciement pour motif économique (redundancy).

La protection principale mise à la disposition du salarié est garantie par la loi ERA 1996 (Employment Right Act 1996), qui protège le salarié contre le licenciement injuste, ou (unfair dismissal). La seconde protection dont peut bénéficier le salarié licencié repose sur un fondement jurisprudentiel.

La Common law a effectivement posé certaines limites au licenciement sans préavis ou « summary dismissal » ; à cet égard il est important d’ajouter que la Common law considère tout licenciement effectué avec préavis comme légal et incontestable. Le licenciement sans préavis peut par ailleurs être justifié par les juges si « le comportement dénoncé est tel qu’il démontre que l’employé a désobéi aux conditions essentielles du contrat de travail » (Laws V London Chronicle (Indicator Newspapers) Ltd 1959).

Concernant les fondements légaux contre le licenciement il appartient de se référer à la loi ERA 1996 qui pose une protection générale contre ce qu’elle appelle le licenciement illicite ou injustifié (ou unfair dismissal, notion à distinguer du wrongful dismissal de la Common Law). La loi ERA de 1996 dispose que l’employé doit se soumettre à trois conditions afin de pouvoir rechercher la protection légale contre le licenciement illicite. Il doit être salarié, ne doit pas entrer dans le champ de certaines exceptions (la plus importante étant la période de qualification : un employé doit avoir travaillé un an en continu pour le même employeur) et son contrat de travail doit avoir été rompu selon les conditions du licenciement.

S’agissant des exigences procédurales, il doit être précisé que l’employeur doit donner la raison écrite du licenciement à l’employé qui lui la demande, et ce sous quatorze jours (Section 92 ERA 1996) lors d’un licenciement sans préavis. Ce dernier doit aussi se prévaloir des informations qu’il avait au moment du licenciement : il ne peut pas licencier pour un motif insignifiant puis chercher une raison valable pour le justifier.

En France, un formalisme lourd (L 1232-1 al.2 et L 1233-2 al.2 du code de travail) pèse sur l’employeur. L’exigence d’un entretien doit être respectée : il doit être notifié au salarié 5 jours avant sa date de tenu. Cette notification prend la forme d’une lettre recommandée (ou en main propre) et doit indiquer le lieu et l’objet de l’entretien (cour de cassation, chambre sociale, 31 octobre 1989). Le licenciement doit par ailleurs être notifié. L’employeur dispose de 2 jours ouvrables avant l’entretien. Une des particularités de cette lettre est qu’elle doit contenir les motifs de licenciement : la chambre sociale de la cour de cassation dans un arrêt Rogi (29 novembre 1990) exige non seulement l’énonciation d’un motif précis dans la lettre de licenciement mais indique en plus qu’à défaut d’un tel motif précis, le licenciement sera considéré comme illégal.

 

Les trois conditions d’éligibilité posées par l’ERA ne font qu’indiquer si le travailleur peut ou non espérer contester son licenciement en vertu de la loi. Le caractère justifié ou injustifié du licenciement dépendra de l’appréciation des juges, comme il est disposé à la section 98 de l’ERA. Ces derniers devront vérifier si le motif de licenciement est valable, c’est-à-dire s’il entre bien dans la liste établi par la section 98 aux paragraphes 1 à 3. Ils se chargeront par la suite de « déterminer si le licenciement était juste ou non » (Section 98 (4)).

 

La qualification du motif de licenciement : une formalité pour l’employeur

            Si les conditions de formes sont nettement moins contraignantes au Royaume-Uni qu’en France, c’est au niveau de l’appréciation de la décision de l’employeur que les deux systèmes s’opposent radicalement. Le principe de l’arrêt Beedell V West Ferry Printers est sans équivoque : les tribunaux n’ont pas à s’immiscer dans le processus décisionnel de l’employeur en matière de licenciement. Ce dernier détient le pouvoir de direction et il doit l’exercer pleinement. La question se pose alors d’identifier quelle marge de manœuvre reste à la disposition des juges. Il apparait que leur rôle est réduit au contrôle les situations excessives, et de veiller à la sauvegarde des motifs de licenciements expressément prohibés.

            Le licenciement doit en effet s’accorder avec une liste de « motifs automatiquement injustes » (« automatically unfair reasons »). Il peut s’agir des licenciements fondés sur les grossesses et les naissances, ou encore sur une peine de prison tirée (Rehabilitation of Offenders Act 1974) ou un transfert d’entreprise (TUPE 2006). La section 152 du TULRA 1992 protège aussi les salariés participant à un mouvement syndical ou gréviste autorisé (sous conditions). En vertu de la section 104 de l’ERA, le licenciement est automatiquement injuste lorsqu’il résulte de la rupture d’une liberté statutaire par l’employeur : ce dernier ne pourra pas licencier un employé qui le poursuit en justice pour cette raison.

            Au-delà de ces motifs proscrits, l’employeur qui licencie ne rencontre plus que deux contraintes légales. Il doit d’abord faire correspondre le motif du licenciement dans une des catégories identifiées par la section 98 ERA. Il s’agira de qualifier le manquement du salarié comme étant relatif à une incapacité, ou à un manque de qualification professionnelle (section 98 (2) a) ou encore comme étant relatif à son comportement (98 (2) b). C’est d’ailleurs en vertu de ce dernier paragraphe que West Ferry Printers a motivé le licenciement de M Beedell. En l’espèce, M Beedell se défendait de n’avoir fait que répondre à une agression, mais la motivation du licenciement n’implique pas de phase d’investigation : il s’agit simplement de le catégoriser. Enfin, ultime catégorie, l’employeur peut aussi, en vertu de la section 98 paragraphe 1 (b), assimiler le motif de licenciement à une « autre raison substantielle » (« other substantial reason ») de nature à justifier le licenciement de l’employé. Cette catégorie, extrêmement vague peut être considérée comme « un filet de sauvetage » ou un « pansement » (Simon Honeyball, Employment Law, Textbook, 12eme édition) destiné à rattraper toutes les causes qui auraient pu sortir des autres catégories tout en méritant de justifier un licenciement. Cette dernière catégorie montre bien que la qualification du motif n’est pas en soi une contrainte pour l’employeur mais s’apparenterait plutôt à un outil mis à sa disposition. Comme le rappelle clairement Mercia Rubber Moulding Ltd V Lingwood (1974) : cette « raison doit être de nature à justifier un licenciement mais ne doit pas justifier le licenciement ». La jurisprudence est par ailleurs très large quant à l’appréciation de la « substantialité » du motif : a par exemple été retenu comme valable la raison « relavant d’un sujet important quant à l’organisation managériale de l’entreprise » (Hollister V NFU 1979).

Il apparaît donc jusqu’ici que l’employeur n’ait pas rencontré d’obstacle significatif dans sa tentative de justification du licenciement. Qu’en sera-t-il un fois le test de la section 98 (4) opéré ? 

Il n’y a pas de licenciements « raisonnables », seulement des licenciements potentiels

            Stade final de l’analyse de la mesure de licenciement adoptée par l’employeur, le tribunal se doit de déterminer si l’employeur a « agi de manière raisonnable » (section 98 (4) a. Cette formule prête à confusion car elle aurait pu mener les tribunaux à vérifier si l’employeur avait eu « raison » ou non de licencier le salarié. La jurisprudence en a cependant décidé autrement. Dans W Devis & Sons ltd V Atkins (1977), la cour interprète le texte comme ordonnant de se « concentrer sur le comportement de l’employeur, et non sur le fait que l’employé ait effectivement subi une injustice ». Ce principe de non implication des tribunaux fut repris par Iceland Frozen Foods Ltd V Jones en 1983 et réaffirmé par Beedell V West Ferry Printers en l’an 2000. Les tribunaux qualifieront un licenciement de « justifié » ou « fair » tant que la mesure sera considérée comme potentiellement raisonnable (faisant partie du « band of reasonableness »). Il ne s’agira en aucun cas de chercher à déterminer si le licenciement, parmi toutes les mesures potentielles, était la plus juste d’entre elles. Beedeel V West Ferry printers vient donc confirmer, dans une jurisprudence récente, qu’un licenciement peut légalement s’opérer sans qu’aucun contrôle de proportionnalité ou de nécessité ne soit opérer. Le salarié peut donc être victime d’injustice ou d’abus si tant est que l’employeur est en mesure de prouver qu’il pouvait effectivement envisager le licenciement. En France, la Chambre sociale de la Cour de cassation exige l’existence d’une cause réelle et sérieuse. Le législateur vise à éviter tout licenciement non objectivement justifié.  L’adjectif « réelle », concernant la cause, découle de la loi du 2 aout 1989 (codifié à l’article L 1232-1 al.2 du code du travail) et a été précisé par la jurisprudence : le motif doit être précis, exact et vérifiable, autrement dit ni fictif ni trop subjectif. La Cour de cassation a déduit de ces critères que l’insuffisance professionnelle ou l’inaptitude de l’employé sont des causes suffisantes. En revanche la mésentente et la perte de confiance n’en sont pas (soc, 29 mai 2001). Le caractère « sérieux » de la cause, quant à lui, doit être apprécié (contrôle de nécessité) par la cour de cassation, en fonction du trouble qu’apporterait au fonctionnement de l’entreprise la continuation du contrat de travail (soc, 17 déc 1976). La loi de 1973 énonce que deux conditions découlent de cette affirmation : les faits invoqués doivent être en relation avec l’activité professionnelle du salarié, et ces faits doivent être de nature à rendre impossible le maintien du contrat de travail. La jurisprudence (soc 1er déc 1976) analyse que la faute légère ne suffit plus : il s’agit désormais d’une faute d’une « suffisante gravité ». Précis exact, vérifiable et sérieux (c’est-à-dire suffisamment grave) le motif ne pourra être, grossièrement, qu’une inaptitude professionnelle ou une faute d’une certaine gravité. Le licenciement arbitraire semble donc à exclure. Afin de parachever cette protection de l’employé, la loi de 1989 a disposé que la charge de la preuve n’incombait jamais au salarié, alors qu’elle est partagée au Royaume-Uni. Le régime français définit donc un standard très précis et contrôlé pour la justification du motif du licenciement, qui contraste avec la véritable volonté de mise en retrait des juges anglais.

Divergences conceptuelles et degrés de protection

            Ce large déséquilibre dans la protection du salarié licencié repose sur deux idéologies différentes. Le Royaume Uni a historiquement adopté une conception plus libérale des rapports sociaux. Il ne s’agit pas de corriger le déséquilibre structurel du droit du travail mais il s’agit en revanche de protéger la liberté d’entreprendre. La chambre sociale de la Cour de Cassation en revanche, s’attache à défendre une égalité réelle (« substantive fairness ») des rapports de force et ne peut tolérer de décisions patronales dénuées d’objectivité, de proportionnalité ou de nécessité. Comme les décisions des tribunaux de l’emploi ne répondent pas du principe du précédent (Kent County Council V Gilham 1985, ICR 227), caractéristique du système de la Common Law, certaines remises en cause du principe de Beedell ont pu émerger. La section 98 de l’ERA n’indique à aucun moment la volonté du Parlement d’imposer ce test «des sanctions raisonnables possibles » et certains arrêts, minoritaires et très contestés, ont pu évoquer l’idée d’un test selon les « attentes raisonnables du traitement de l’employé » (Sidaway V Betghlem Hospital 1985 AC 871). Il s’agissait cependant d’accorder plus d’importance à l’intérêt particulier du salarié, mais en aucun cas d’établir un standard pour le motif de licenciement. Par ailleurs, le Unfair Dismissal and Statement of Reasons for Dismissal Order 2012 envisage de faire passer la période de qualification de l’employé, permettant à celui-ci de se prévaloir des protections la loi ERA contre le licenciement injustifié, de un à deux ans. L’employé devrait alors avoir travaillé deux ans sans discontinuité pour le même employeur pour faire se prévaloir de la section 98. Cette mesure si elle était adoptée, ne ferait qu’aggraver les difficultés des employés qui se plaignent de licenciement abusifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

Simon Deakin & Gillian S Morris, Labour Law, Hart Publishing 6th edition, 2012.

 

Simon Honeyball, Employment Law, Oxford University Press 12th edition, 2010.

 

Richard W. Painter & Ann E.M. Holmes, Cases and materials on Employment Law, Oxford University Press 8th edition.

 

J-M Verdier, A. Coeuret et M-A Souriac, Droit du travail, volume II Rapports individuels Dalloz « Mémentos »13ème édition, 2005.

 

Richard Kidner, Blackstone’s Statutes on Employment Law 2011-2012, Oxford University Press, 21th edition, 2011.

 

Malcolm Sargeant & David Lewis, Employment Law, Pearson, 5th edition.