Commentaire d'arrêt: Chapman V Goonvean 1973

 

CHAPMAN & OTHERS

Vs.

 GOONVEAN & ROSTOWRACK CHINA CLAY COMPANY LIMITED

Court of Appeal (civil division), 16 avril 1973

 

 

Arthur

Poirier

 

 

 

Résumé:

 

            L’arrêt Chapman & Other vs. Goovean & Rostowrack China Clay Company Limited définie le mode de caractérisation du concept de la redundancy (redondance) en un sens défavorable au salarié. En conséquence ce dernier ne bénéficie au Royaume-Uni d’aucune véritable protection contre le licenciement économique.

 

Mots clefs: Redundancy, licenciement, motif économique, Chapman.

 

Introduction

 

            La protection dont peut bénéficier un employé anglais en matière de licenciement est notoirement moins étendue que celle qui est accordée par le système français. S’il est dressée en France un frontière imperméable et sécurisante entre la procédure de licenciement pour motif personnel et celle de licenciement pour motif économique, il semble en aller différemment sous le régime de l’Employment Right Act 1996 d’outre-manche. En effet, le système français permet au salarié de contester un licenciement qui n’aurait pas pour cause une défaillance personnelle, mais la défaillance financière de son employeur : le régime est clair et protecteur, même si le législateur et la chambre sociale de la cour de cassation, confrontés au libéralisme grandissant de notre économie ont dû concéder l’abandon de certaines avancées sociales en la matière. Le pendant du régime de licenciement économique en Common Law est sans doute ce que l’ERA nomme la « redundancy » (redondance), qui caractérise le fondement permettant au salarié de contester un licenciement suite à certaines réorganisations managériales. Mais la redundancy est soumise à une définition stricte et très encadrée par la loi et la jurisprudence, empêchant ainsi ce fondement de constituer un outil efficace de contestation des licenciements économiques. Certains de ces licenciements seront en effet exclus de la qualification de redondance et devront alors être contestés selon la procédure de droit commun d’ « unfair dismissal » (licenciement sans cause) : ces licenciements résiduels, souvent provoqués par un souci d’économie financière, entrent cependant dans le champ des « raisons potentiellement justifiées » (potentially fair reasons) garanties par le législateur, compliquant ainsi considérablement la tâche de l’employé contestataire. L’arrêt Chapman & Other vs. Goovean & Rostowrack China Clay Company Limited constitue une des décisions pionnières dans la tentative de définition jurisprudentielle de la redondance. Les sept demandeurs étaient employés par une usine de kaolin située à plus de 30 miles de leur lieu de résidence. Avait donc été inclue dans leurs contrats ainsi que celui de trois autres employés la garantie de leur transport quotidien par un bus financé par l’employeur. Jugé inintéressant économiquement suite à une récession de l’industrie du kaolin, l’employeur supprima le service de transport. Suite au licenciement de trois des employés concernés, les sept demandeurs donnèrent préavis de la fin de leurs contrats, qui avaient été manifestement unilatéralement modifiés. La question de leur licenciement ne fit débat ni en premières instances (Industrial court et National Industrial Relations Court) ni en appel (Court of Appeal) : l’employeur avait commis une repudiation (modification unilatérale de contrat) ce qui permettait aux employés de mettre fin à leurs contrats tout en plaidant le licenciement. A leur départ, les sept employés furent remplacés par sept autres employés destinés à exercer la même tâche. La question était de savoir si les sept appelants pouvaient qualifier leurs licenciements de redondants et ainsi bénéficier de la compensation financière qui les accompagnent. Les employés arguèrent qu’ils avaient été licenciés suite à une modification de contrat justifiée par des aspirations financières et qui avait directement menée à un remplacement pur et simple par de nouveaux employés. La redondance pouvait être envisagée : suite à une récession dans l’industrie, l’employeur dut abandonner un service (le transport) et supprimer des postes (les transportés). Les employés avaient donc des raisons d’espérer. Cependant les deux cours ne l’entendirent pas de cette manière : la diminution de la charge de travail n’avait pas directement causé le licenciement, la redondance ne pouvait donc être qualifiée. Les employés plaidaient pour une interprétation extensive de la notion de redondance, qui aurait permis une indemnisation logique. Mais la cour s’en tint à une interprétation littérale du texte de loi (Redundancy Payment Act 1965).

 

            Après avoir explicité le contenu du texte de loi et discuté de la pertinence de la décision de la National Industrial Relations Court et de la Court of Appeal (I), il s’agira d’analyser les conséquences de cette interprétation restrictive sur le rôle protecteur de la  redondance (II).

 

I) Une décision textuellement justifiable

            L’article 1(2) de la loi de 1965, repris par l’Employment Right Act de 1996 (article 139) établit que la redondance ne peut être qualifiée que dans certaines situations précises dont la suivante. « Un employé licencié doit être considéré comme étant licencié pour cause de redondance si ce licenciement est entièrement ou principalement attribué au fait « (2) que les besoins de l’activité relatifs à l’exercice de la tâche particulière du salarié ou relatifs au lieu d’exercice de cette tâche particulière ont cessé, diminué, ou bien sont susceptibles de cesser ou de diminuer ».  L’ambigüité ne provient pas des situations de cessations d’activités, aisément identifiables, mais des cas de diminution des besoins de l’employeur pour une certaine activité.

            Interprété à la lettre, il semble bien que le texte empêche au licenciement de Chapman et de ses collègues la qualification de redondant : le travail à accomplir restait le même avant et après le licenciement des employés : « les besoins de l’activité relatifs à la tâche particulière » des employés n’avaient pas changé ; ni diminué, ni cessé. En revanche, les employés firent valoir que l’article 1 paragraphe 2 devait être lu de manière extensive. La suppression du bus aurait couté 2 livres de transports aux employés. Ces deux livres auraient donc été à déduire directement de leur salaire. Une question est alors posée : y aurait-il eu redondance si l’employeur avait unilatéralement décidé d’abaisser de 2 livres le salaire de ces employés ? Devant la Cour d’appel, les ex-salariés mirent alors en avant deux affaires soutenant leur thèse. La première est Dutton vs. C. H. Bailey Ltd  (1968) 3 I.T.R. 355. Dutton avait été employé pendant presque vingt ans comme chaudronnier. En 1967, les employeurs décidèrent que de trop nombreuses restrictions encadraient l’exercice de l’activité: ils demandèrent alors aux employés d’accepter de travailler sans ces restrictions s’ils souhaitaient éviter d’être licenciés. Ces derniers, dont Dutton, refusèrent. Il fut ainsi licencié. Le tribunal Industriel ne reconnut pas le licenciement pour cause de redondance mais la Divisional Court (tribunal d’appel) le fit. Selon Lord Parker, « la bonne approche est de se demander ce qu’il aurait pu se passer si ces hommes avaient gardés leur emploi sous les anciens termes de contrat de travail ».  La modification unilatérale des termes du contrat aux dépens du salarié avait donc entraîné un licenciement pour redondance. La même décision fut rendue dans Line vs. C. E. White & Co (1969) 4 I.T.R. 336.

            Le débat sur cette question découle de la décision de la cour industrielle, qui a absolument rejeté cette interprétation. Lord Denning explique en effet dans Chapman que le texte de loi n’inclut en aucun cas que la redondance se déclenche lorsque les besoins de la tâche particulière ont cessé ou diminué  « dans les conditions stipulées par le contrat de travail ». Ces dernières ne sont pas pertinentes lors de l’évaluation de la diminution des besoins de l’employeur. Le désavantage causé par une modification du contrat ne peut donc entraîner une redondance « indirecte ». Le fait de réduire les avantages contractuels des salariés ne peut donc présumer d’une éventuelle diminution des besoins de l’employeur.

            Le cas Dutton fut donc reviré par Chapan et consors. L’interprétation de l’article 1(2) de la loi de 1965, aujourd’hui article 139 de la ERA 1996, doit être opérée strictement. La redondance apparait alors comme un outil secondaire et non destiné à aider les salariés à obtenir indemnisation lors d’un licenciement pour motifs économique. La redondance a d’abord servi à anticiper l’évolution technologique et le remplacement de l’homme par la machine : il apparaît que la jurisprudence ne tient pas à étendre l’aspiration première du concept.

 

II) Un arrêt montrant la voie : la redondance n’est pas un bouclier contre le licenciement économique

            La question que pose alors le cas Chapman, toujours d’actualité lorsque la définition de la redondance est en jeu, est de savoir de quel type de protection peuvent bénéficier les salariés lorsqu’ils ne sont pas licenciés pour faute. En effet la loi sur la redondance ne semble pas avoir de conséquences restrictives sur le pouvoir de réorganisation de l’employeur.

            En France, une succession de lois (du 3 janvier 1975, du 2 août 1989, du 27 janvier 1993, du 17 janvier 2002) élaborèrent et encadrèrent la notion de licenciement pour motifs économiques. Le but originel était similaire aux objectifs de la loi sur la redundancy ; il fallait anticiper les futures conséquences des mutations technologiques sur le travail, préoccupation qui apparait expressément dans l’article L1233-3 du code du travail. Un licenciement pour motif économique peut être accepté s’il concerne une cause extérieure à la personne du salarié et si la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise est menacée. En ce sens, le dispositif semble se rapprocher de la redundancy. Le licenciement est alors motivé par des considérations économiques : la baisse ou la cessation de l’activité en Angleterre et la sauvegarde de la compétitivité en France.

            D’importantes différences existent cependant. La première et la plus importante est que le licenciement pour motif économique s’applique quelle que soit la diminution d’activité. Tant que le licenciement est dû à une réorganisation découlant de la nécessité de sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, alors le licenciement est possible. L’obligation de l’article 139 de l’ERA étudié plus haut ne s’applique donc pas. La seconde contradiction est que cette procédure est un outil patronal : il s’agira de rassembler les critères de l’article L1233-3 pour licencier un ou plusieurs salariés sans risquer les indemnités d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La redondance en revanche, est souvent invoquée par le salarié voulant bénéficier des redundancy payments, indemnités allouées lors d’un licenciement pour redondance. Ces deux systèmes encadrent donc le même phénomène, mais ne répondent pas aux mêmes finalités.

            L’équivalent du licenciement pour motif économique se trouve en réalité à l’article 98 de l’ERA. Le législateur a en effet inscrit que « d’autres raisons substantielles » (non citées par la loi) pouvaient constituer des raisons potentiellement justes pour un licenciement : ces « autres raisons » permettent en réalité aux employeurs de justifier les licenciements pour causes économiques (enrayer les pertes ou augmenter les profits). Une fois cette catégorie de licenciement catégorisée comme potentiellement juste, il ne reste plus à l’employeur qu’à prouver que le licenciement était raisonnable, conformément à l’article 98 (4) : le licenciement doit être « raisonnable et en accordance avec l’équité » (equity). Mais ce dispositif de licenciement économique est facilement contournable par l’employeur soucieux d’augmenter son efficience économique par le licenciement. Le test de « reasonableness » est en effet léger au Royaume-Uni : la jurisprudence (Iceland Frozen Foods Ltd V Jones 1983 I.C.R. 17) a montré qu’il ne s’agit pas pour l’employeur de démontrer que le licenciement était « la » mesure à adopter, mais seulement l’« une » des mesures possibles.

            La procédure française apparaît donc comme plus protectrice : l’employeur peut en effet licencier pour des motifs non relatifs à la personne du salarié, mais doit prouver qu’il n’a pas d’autres choix. L’arrêt Pages Jaunes (C.cass., Ch.Soc., 11 Janvier 2006, Pages Jaunes C/ M. X 05-40977) est cependant venu assouplir les modalités de preuve de la mise en danger de la compétitivité de l’entreprise : l’employeur est désormais autorisé à anticiper une baisse de la compétitivité par des licenciements économiques préventifs. La chambre sociale de la cour de Cassation a par ailleurs insisté sur le fait que cela ne serait permis que si les difficultés économiques à venir étaient de nature à mettre en danger l’emploi dans une large mesure. La procédure française reste donc, même si elle est un outil à la charge de l’employeur, indispensable et encadrée. Par ailleurs, ces exigences ne concernent que la qualification du licenciement pour motif économique et non l’évaluation de sa légalité : l’employeur doit faire face à une seconde exigence, celle de la cause réelle et sérieuse (article 1232-1 code du travail), sur laquelle la chambre sociale de la cour de cassation opère un contrôle très stricte.

            En comparaison, la théorie des « autres raisons substantielles » apparait donc hasardeuse. Seul le caractère raisonnable ou non du licenciement (reasonableness), du reste très peu contraignant, est susceptible de venir protéger le salarié d’un licenciement économique. C’est précisément la raison pour laquelle le dispositif de la redondance présente un intérêt potentiel pour le salarié. Mais l’arrêt Chapman en a rétrécie l’interprétation, et la redondance ne peut être considérée comme la procédure attendue par les employés pour la contestation des licenciements pour efficience économique.

 

 

Bibliographie

 

 

Simon Deakin & Gillian S Morris, Labour Law, Hart Publishing 6th edition, 2012.

 

Simon Honeyball, Employment Law, Oxford University Press 12th edition, 2010.

 

Richard W. Painter & Ann E.M. Holmes, Cases and materials on Employment Law, Oxford University Press 8th edition.

 

J-M Verdier, A. Coeuret et M-A Souriac, Droit du travail, volume II Rapports individuels Dalloz « Mémentos »13ème édition, 2005.

 

Richard Kidner, Blackstone’s Statutes on Employment Law 2011-2012, Oxford University Press, 21th edition, 2011.

 

Michael Jefferson, Principles of Employment Law, Cavendish Publishing Limited 4eme edition 2000.