La modification du contrat de travail en Allemagne et en France

La modification du contrat de travail en Allemagne et en France

 

 

 

En France comme en Allemagne, la relation de travail subordonnée est personnelle et peut être soumise à de nombreux aléas. Des évènements liés à la situation du salarié ou au fonctionnement de l’entreprise sont en effet susceptibles de compromettre la fourniture de la prestation de travail ou pour le moins, d’en faire évoluer le cadre initial.[1] Le contrat de travail étant un contrat à exécution successive, des changements secondaires ou importants sont donc susceptibles d’intervenir, mais le salarié est-il tenu de les accepter?

Logiquement, une modification apportée après la conclusion du contrat de travail est contraire aux principes généraux du droit commun des obligations contractuelles (principes d’autonomie de la volonté, art. 1156 Code civil, et de force obligatoire de la convention née d’un commun accord, art. 1134 Code civil). Mais l’application de ces principes doit être combinée à ceux du droit du travail, notamment le principe de subordination, corollaire du pouvoir de direction de l’employeur.[2] La question des modifications est devenue centrale dans une économie où la mobilité professionnelle et géographique du salarié est un facteur de réussite. Par conséquent, jurisprudence et législateur ont encadré le régime de la modification du contrat de travail et l’ont assorti de garanties mais encore faut-il que le changement intervenu soit qualifié de modification du contrat.[3]

Nous verrons que le droit français et le droit allemand ne traitent pas de la même manière les modifications dans un contrat de travail. La loi allemande par exemple avec son §2 du Kündigungschutzgesetz (loi de protection face au licenciement) énonce que « Si l’employeur résilie la relation de travail et propose à l’employé la continuation de la relation de travail mais sous des conditions de travail différentes, alors l’employé peut accepter cette offre sous réserve que le changement des conditions de travail n’est pas socialement injustifié. L’employé doit formuler cette réserve à l’employeur pendant la période de préavis, donc au plus tard trois semaines après la résiliation ».[4] En Allemagne cette Änderungskündigung (licenciement pour modification du contrat) n’a pas pour but de définitivement mettre fin au rapport de travail, mais d’en modifier les conditions. En effet une Änderungskündigung allie un licenciement, qui permet de mettre fin à un premier contrat dans des conditions données, et une proposition d’un contrat de travail modifié.[5] Mais si la nouvelle proposition n’est pas acceptée, il est possible que les deux parties en restent finalement au simple acte de licenciement.

Le fait qu’en droit allemand la modification d’un contrat passe d’abord par un licenciement puis en quelque sorte par une réembauche, est une grande différence avec la modification d’un contrat en droit français. Pour nous pencher plus précisément sur les divergences et les similitudes des modifications d’un contrat de travail en droit français et en droit allemand, nous verrons d’abord ce qui constitue une telle modification (I) avant d’étudier le régime de la modification avec ses conséquences (II).

 

 

I. Présentation de la modification du contrat

Dans un rapport de travail les modifications peuvent être nombreuses et nous verrons ce qui délimite les modifications du contrat de travail des autres (A), ce qui nous amènera à étudier de quoi elles sont constituées et comment elles peuvent être justifiées (B).

 

 

A/ Distinction entre modification du contrat et les autres modifications dans le rapport de travail

Toutes les évolutions qui perturbent la relation de travail ne constituent pas automatiquement des modifications du contrat. Il faut opérer des distinctions qui sont d’une grande importance. Pour commencer, les avantages dont bénéficie le salarié peuvent trouver une source dans les usages, dans un engagement unilatéral de l’employeur, dans la convention collective, dans le statut d’une entreprise publique. La dénonciation de l’usage ou de l’engagement unilatéral faite en bonne et due forme opère une remise en cause de la situation du salarié, sans entraîner pour autant une modification du contrat. Ceci est particulièrement sensible en matière de rémunération où différents avantages et primes trouvent leur source dans le statut collectif des salariés. Il n’y a modification du contrat que s’il y a eu incorporation des avantages collectifs dans le contrat de travail. De même, la modification de la convention collective ou du statut d’une entreprise publique n’opère pas modification du contrat.[6]

 

En Allemagne l’autorité de l’employeur découle du contrat de travail et de la subordination de l’employé. Mais cette autorité n’est possible que tant qu’il n’y a pas de lois, de conventions collectives ou de convention d’entreprise qui règlent déjà les conditions de travail.[7] Comme en France, l’employeur verra parfois la nécessité de modifier les conditions de travail. Mais au-delà du pouvoir de direction cela n’est pas possible unilatéralement, mais seulement par un accord avec le salarié. En droit allemand, si le salarié n’est pas prêt à trouver un accord de modification, l’employeur peut combiner son Änderungsangebot (proposition de modification) avec une Beendigungskündigung (licenciement final).[8]

 

En droit français, la distinction la plus déterminante reste cependant la modification du contrat et la modification des conditions de travail, et elle est le fruit d’une évolution jurisprudentielle. Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut opérer des changements au cours de l’exécution du contrat mais jusqu’où? Jusqu’en 1996, les juges ont distingué selon la gravité du changement opéré en qualifiant la modification de « substantielle » ou de « non substantielle ». Dans la première hypothèse, elle nécessitait l’acceptation du salarié; dans la seconde, elle pouvait lui être imposée.[9] Le pouvoir d’appréciation était laissé aux juges du fond qui se prononçaient en fonction des cas d’espèce, en essayant de découvrir ce qu’avait été l’intention des parties au moment de la formation du contrat, mais l’analyse était par conséquent largement subjective.[10]

Depuis deux arrêts du 10 juillet 1996, et ce dans le but de valoriser le rôle du contrat dans la relation de travail, la Cour de cassation a abandonné cette analyse de modification substantielle au profit d’une recherche, cas par cas, de ce qui est contractuel ou de ce qui ne l’est pas. Cette approche jurisprudentielle a été reprise par l’article 73 de la loi du 18 janvier 2005.[11] En fonction des incidences qu’elle entraîne sur la situation du salarié, la modification de la relation de travail connaît un traitement différencié. Si la transformation ou l’aménagement souhaité par l’employeur constitue une modification, c’est que le juge estime qu’elle porte sur l’armature même du contrat de travail. En premier lieu, ce sont a priori tous les éléments qui ont été expressément envisagés au contrat, qui ont été contractualisés et qui constituent le contenu de la convention entre l’employeur et le salarié. La Cour de cassation y inclut en second lieu les éléments considérés comme inhérents à tout contrat de travail. Ces piliers intangibles de la relation de travail qui ne peuvent être modifiés sans l’accord du travailleur ont été dégagés par les juges et concernent la rémunération, la qualification du salarié, le lieu et la durée du travail. Différemment, si la transformation ou l’aménagement ne porte pas sur ces éléments et ne constitue pas une modification, il s’agit alors d’un simple changement dans les conditions de travail; une telle prérogative illustre et participe du pouvoir de direction de l’employeur.[12]

En Allemagne dans le cadre du contrat de travail, les conditions de travail comme le lieu, la manière et l’étendue ainsi que les horaires du travail, peuvent être changés unilatéralement par l’employeur grâce à son pouvoir de direction. Et plus les conditions de travail sont ancrées dans le contrat de travail, plus le pouvoir de direction perd de sa force face à la détermination des conditions de travail.[13]

 

Par principe, le salaire ne peut être modifié unilatéralement par l’employeur. Le principe concerne la rémunération de base et l’ensemble des compléments, accessoires et autres avantages intégrés au salaire, l’accord du salarié est nécessaire dès que sont envisagées une modification de la structure du salaire ou du mode de rémunération, une variation du montant à la hausse ou à la baisse, une modification même minime ou indirecte de la rémunération. Ensuite plus que les fonctions, la qualification professionnelle reconnue au salarié ne peut pas être modifiée par l’employeur sans l’accord de l’intéressé. C’est également un élément stable de la relation contractuelle qui ne peut être modifiée qu’avec le consentement des deux parties, que ce soit pour un accroissement ou une diminution des attributions attendues.[14] A l’inverse, la transformation des tâches, fonctions et attributions, à un même niveau de qualification professionnelle et sans modification de la rémunération, constitue un simple changement des conditions de travail qui s’impose par conséquent au salarié. Le troisième pilier du contrat de travail est le secteur géographique d’affectation du salarié. Dépendant du pouvoir de direction de l’employeur, ce secteur géographique est celui au sein duquel est affecté le salarié et au sein duquel il peut être muté. La mutation à l’intérieur du secteur géographique est un changement des conditions de travail, par contre à l’extérieur du secteur c’est une modification du contrat de travail. Enfin la durée du travail est le dernier pilier du contrat de travail. Il s’agit du temps de travail, du volume horaire du salarié qui ne peut être modifié sans l’accord de celui-ci. La durée du travail est ainsi déconnectée du pouvoir de direction de l’employeur et tout changement de cette durée est une modification du contrat de travail. En corollaire, il est de jurisprudence constante que l’horaire de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur.[15]

 

En droit allemand, la protection face à la modification dont il est question dans le §2 KSchG ne vaut que pour les licenciements pour modification du contrat. Si l’employeur peut imposer le changement des conditions de travail d’une autre manière le §2 KSchG ne s’applique pas. C’est le cas lorsqu’il y a une modification du contrat consensuelle, lorsque le pouvoir de direction est exercé ou lorsqu’est exercée la réserve de modification ou de révocation.[16]

 

En matière de modification du contrat en Allemagne, en plus des Änderungskündigungen qui sont des licenciements pour mettre fin à certains contrats et permettre d’en conclure de nouveaux sous d’autres conditions, il existe aussi la possibilité de conclure un accord pour un contrat de travail modifié mais cela n’est possible que si les deux parties veulent toutes les deux la modification des conditions de travail. Si une modification des conditions de travail n’est pas couverte par le pouvoir de direction, alors dans certains cas elle peut résulter d’un accord de modification.[17]

 

 

B/ Analyse de la modification du contrat et de sa justification

En droit allemand la modification de contrat est cristallisée dans l’Änderungskündigung (licenciement pour modification) qui est un vrai licenciement. L’employeur met fin au contrat dans son ensemble et propose en même temps une nouvelle relation de travail, sous des conditions de travail, en général, plus désavantageuses. Si l’employé n’accepte pas la proposition, même pas sous réserve, alors le contrat de travail prend fin à la fin du délai de préavis du licenciement. C’est pour cela que s’appliquent pour un licenciement pour modification les mêmes règles qui s’appliquent pour un licenciement ordinaire, § 623 BGB. Ce licenciement pour modification ne peut être valable que si l’employeur propose simultanément la continuation d’une autre relation de travail, sous des conditions modifiées. L’Änderungskündigung (licenciement pour modification) est donc constituée de deux actes juridiques: la Kündigung (licenciement) aussi appelée Beendigungskündigung et l’Änderungsangebot (proposition de modification). La proposition de modification doit être faite à l’employé au plus tard en même temps que le licenciement. Si elle est faite plus tard, il ne s’agit pas d’un licenciement pour modification, mais d’un licenciement final.[18] Cependant en droit français, le chef d’entreprise, qui ne peut user de son pouvoir de direction à l’encontre des dispositions du contrat de travail car il est lui-même lié par les termes du contrat, doit adresser à chaque salarié une proposition de modification et obtenir une acceptation formelle, c’est-à-dire en réalité, rédiger un avenant au contrat de travail. Il n’est donc pas question ici de licenciement suivi d’une réembauche.

 

Quant à la justification en droit français de la modification du contrat, elle peut être justifiée soit par un motif disciplinaire, soit par un motif économique. Dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, le chef d’entreprise peut adopter des sanctions entraînant une modification du contrat de travail: rétrogradation et donc changement de fonction, mutation dans un autre lieu, mise à pied etc. Après quelques hésitations, la Cour de cassation a opté pour l’application du droit commun de la modification du contrat: celle-ci ne peut être imposée au salarié, le refus de l’accepter ne constitue pas une faute. La modification du contrat de travail pour motif économique obéit, quant à elle, à un régime spécifique. La loi du 20 décembre 1993 a mis en place une procédure préalable. L’employeur qui envisage de modifier un contrat pour un motif économique doit en informer par écrit le salarié. Celui-ci dispose d’un mois pour faire connaître son refus, à défaut de réponse pendant ce délai, il est réputé avoir accepté la modification proposée (art.L 1222-6 Code du travail).[19]

 

Aujourd’hui en Allemagne, l’action en justice pour la protection contre la modification prévoit la limitation du litige sur le bien fondé de la modification des conditions de travail et non sur le licenciement en lui-même. Le KSchG confère à l’employé non seulement une protection de l’existence du contrat mais également une protection de son contenu. Ainsi l’employeur nécessite également pour une modification unilatérale du contenu du contrat une raison qui la justifie, afin d’assurer qu’il n’y ait pas de dégradation quelconque des conditions de travail.[20] D’après le §2 KSchG ce n’est donc pas la justification sociale du licenciement qui est vérifiée, c’est plutôt de savoir si la modification des conditions de travail est justifiée ou non.

 

Il en découle une procédure de vérification en deux étapes : dans un premier temps il faut déterminer s’il y a une raison liée à la personne ou au comportement de l’employé, ou s’il y a des impératifs urgents de l’entreprise qui vont contre le maintien du poste de l’employé dans les conditions données jusque là et qui justifient la modification du contrat. Dans un deuxième temps seulement, il faut vérifier si l’employeur s’est limité à ne proposer que des modifications que l’employé peut accepter de manière appropriée. Un licenciement pour modification n’est donc pas valable faute de nécessité si l’employeur peut imposer la modification du contrat avec des moyens plus doux. Ce licenciement n’est pas valable non plus s’il va à l’encontre de règles de droit qui prévalent.

 

Dans un premier temps donc, il peut y avoir plusieurs raisons en droit allemand qui justifient un licenciement pour modification d’après le §2 KSchG. D’abord il y a le licenciement pour modification dû à la personne, cela peut être le cas lorsque l’employé à la suite de son âge, de la diminution de ses performances ou d’autres raisons n’est plus en mesure d’exécuter le travail qu’il devait faire jusque là, mais que d’autres postes sont disponibles. Ensuite il y a le licenciement pour modification lié au comportement, cela est le cas lorsqu’on peut penser qu’avec la modification de conditions de travail, le comportement contraire au contrat s’arrêtera. Enfin, il y a également le licenciement pour modification lié à l’entreprise, il est valable si l’employeur s’est limité à ne proposer que des modifications que l’employé peut accepter de manière appropriée. Il faut aussi vérifier si le besoin d’employer ce salarié aux conditions valables jusque là existe encore ou non.[21]

 

 

II. Conséquences de la proposition et régime de la modification

Lorsque l’employeur propose à l’employé de modifier son contrat de travail nous verrons qu’il est possible pour ce dernier d’accepter (A) ou de refuser (B) avec les conséquences qui en découlent.

 

 

A/ Acceptation des modifications

En droit français, le premier principe est que la modification du contrat de travail doit être l’objet d’une acceptation du salarié. La Cour de cassation a précisé que l’acceptation ne peut résulter de la seule exécution du contrat dans ses nouvelles modalités. L’arrêt Raquin du 8 octobre 1987, décision fondamentale, exige une acceptation expresse du salarié.[22] Cet arrêt Raquin a constitué un virage important du droit du travail. L’acceptation tacite du salarié n’existe pas: le chef d’entreprise ne peut user de son pouvoir de direction à l’encontre des dispositions du contrat de travail. L’acceptation de la modification entraîne la novation des seuls éléments du contrat qui ont été modifiés. La novation entraîne une situation nouvelle tant pour l’employeur que pour le salarié qui ne peuvent plus revenir en arrière, sauf en concluant un nouvel accord. Mais depuis la loi quinquennale du 20 décembre 1993, il faut opérer une distinction entre les modifications ayant une cause économique et celles qui tiennent à la personne du salarié.

 

En cas de modification tenant à la personne du salarié, la novation ne se présume pas. Il faut donc prouver l’acceptation et la preuve incombe à celui qui l’invoque. Un employeur ne peut pas opposer à un salarié l’acceptation de nouvelles clauses contractuelles sans rapporter lui-même la preuve de l’acceptation. L’acceptation du salarié doit être expresse pour éviter tout litige ultérieur sur les conditions de travail. Si le salarié a expressément refusé la modification, la poursuite du travail ne vaut pas acceptation tacite de celle-ci, même lorsque le salarié n’émet aucune protestation. C’est l’application de la jurisprudence « Raquin ».

 

En cas de modification pour cause économique, la loi quinquennale a posé une règle précise: l’employeur qui prévoit une telle modification doit en informer chaque salarié concerné par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette lettre informe le salarié qu’il dispose d’un mois pour faire connaître son refus. S’il ne se manifeste pas dans ce délai, il est réputé avoir accepté tacitement la modification; le silence du salarié vaut acceptation. La Cour de cassation a précisé, dans un avis du 6 juillet 1998, que « seule une réponse expresse et positive, ou le silence gardé par le salarié pendant plus d’un mois, vaut acceptation de la modification (…). Dès lors, une réponse dilatoire ou conditionnelle, telle qu’une demande de prorogation, constitue une réponse négative ». De même, l’inobservation du délai d’un mois entraînera le régime du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse si le salarié est licencié pour avoir refusé la modification.[23] 

 

En cas de modification pour cause économique, le récent accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 est très significatif car il marque une étape importante dans la constitution progressive d'une flexisécurité à la française. Le concept même de flexisécurité suscite un débat car même si l'on explique souvent que c'est la volonté d'équilibrer impératifs de flexibilité pour les employeurs et besoin de sécurité pour les salariés, c'est surtout l'éadhésion à un point de vue selon lequel plus de flexibilité c'est aussi plus de sécurité réelle, et telle est la philosophie des accords de maintien dans l'emploi sur le modèle de l'Allemagne. L'une des mesures les plus emblématiques de cet ANI de janvier 2013, concerne les accords de «maintien dans l'emploi ». Ainsi, «en cas de graves difficultés conjoncturelles», l'entreprise qui signera un tel accord avec les syndicats majoritaires s'engagera à garantir les postes de travail sous peine de «dommages et intérêts versés aux salariés». En contrepartie, elle pourra demander à ces derniers des aménagements dans leur temps de travail et une baisse de leur rémunération.[24] Or, si l'idée fait débat au plan politique ou syndical, sa traduction en termes juridiques ne s'annonce pas facile car c'est non seulement une partie importante du code du travail qui pourrait ainsi être revisitée, mais ce sont aussi certains fondements de notre ordre juridique social qui se trouvent ébranlés car l’on touche là à ce qui fait la substance même du contrat de travail et aux modifications possibles.

 

En Allemagne, si l’employeur énonce une Änderungskündigung (licenciement pour modification), l’employé peut réagir de différentes manières.

D’abord il peut accepter les modifications sans réserve, dans ce cas, après l’expiration du délai de licenciement un nouveau contrat modifié remplace le contrat existant jusque là. Une vérification par le tribunal, de la validité de l’Änderungskündigung n’a pas lieu parce que les modifications du contrat proposées par l’employeur s’appliquent de toute façon après l’acceptation sans réserve de la proposition de modification par l’employé.[25] Ici l’acte de la Beendigungskündigung (licenciement final) est donc comme nul, et l’employé garde son emploi, mais il devra travailler dans d’autres termes contractuels, car l’acte du Änderungsangebot (proposition de modification) a été accepté.

Sinon d’après le §2 du KSchG, l’employé peut également accepter la proposition de modification de son employeur, sous réserve que cette modification est justifiée socialement. Dans cette configuration là, un contrat de travail modifié qui remplace le contrat initial est conclu à condition de l’existence d’une raison justifiée socialement.[26] L’existence d’une raison justifiée socialement dépend de la réussite ou de l’échec de l’Änderungsschutzklage (action en justice pour protéger contre la modification). Le rapport de travail continue alors avec le régime modifié, mais si après la décision concernant l’action en justice de l’employé pour déterminer si la modification était justifiée ou non, il s’avère qu’elle ne l’était pas, l’employeur devra allouer à l’employé ce qui lui aurait été dû si la modification du contrat n’avait pas eu lieu. De plus, si cette condition n’est pas donnée, c’est-à-dire s’il n’y a pas de cause qui justifie socialement la modification, la Beendigungskündigung (licenciement final) est nulle et l’employé garde son emploi tel quel.[27] Si l’employé n’exerce pas l’action en justice dans les temps, donc dans les trois semaines après le licenciement d’après le §2 KSchG, alors la possibilité de réserve s’annule et le rapport de travail continue de se faire avec les nouvelles modifications. Cela dit même si l’employé a raté le délai pour pouvoir bénéficier de l’acceptation sous réserve, il peut encore se battre contre les modifications du contrat mais cette fois en faisant une action en justice ordinaire pour licenciement abusif.[28]

 

 

B/ Refus des modifications

En pratique, le contentieux de la modification du contrat est avant tout un contentieux de la rupture. C’est en effet la plupart du temps à l’occasion du licenciement consécutif au refus du salarié du changement proposé par l’employeur que le contentieux va se nouer.[29] Selon qu’il s’agit d’une modification du contrat de travail ou d’un changement des conditions de travail, les conséquences ne sont pas identiques et les possibilités du salarié de s’opposer à l’aménagement envisagé par l’employeur ne sont pas les mêmes.

Dans le premier cas, le salarié ne fait que se conformer aux stipulations du contrat en poursuivant son travail dans les conditions initialement convenues. C’est ce que retient la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 1134 du Code civil, lorsqu’elle énonce que « l’employeur ne peut, sans l’accord du salarié, modifier substantiellement le contrat individuel de travail et qu’il lui incombe soit de maintenir les conditions contractuellement convenues soit de tirer les conséquences du refus opposé par l’intéressé ». L’employeur qui ne souhaite ou ne peut pas renoncer au changement n’a donc pas d’autre choix que de licencier le salarié, en respectant l’ensemble des conditions applicables au licenciement, à savoir d’une part la procédure de licenciement, d’autre part l’exigence de cause réelle et sérieuse. Sur ce second point, le refus de la modification du contrat ne peut en aucun cas constituer un juste motif de licenciement. Le motif de licenciement se trouve dans la raison de la modification qui la plupart du temps sera économique ou, plus rarement disciplinaire.[30]

 

En France comme en Allemagne, le salarié est toujours en droit de refuser une modification: le refus n’est pas fautif.  Mais si la modification proposée par l’employeur est parfaitement justifiée, le licenciement qui est envisagé à la suite du refus est lui aussi justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause du licenciement étant liée à la cause de la modification, fondée parfois sur des motifs légitimes, le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.[31] Dans le second cas, si le salarié refuse une modification des conditions de travail, il commet une faute que l’employeur peut sanctionner car il se place en position d’inexécution du contrat de travail. Il peut bien sûr démissionner de manière claire et non équivoque: il prend alors l’initiative de la rupture qui lui est imputable. S’il ne démissionne pas, l’employeur peut le sanctionner et s’il ne souhaite plus que ce salarié travaille pour lui, il n’a pas le choix il doit le licencier.[32] L’employeur ne peut, par contre, considérer le refus du salarié de travailler selon les nouvelles conditions, comme une démission. La faute du salarié est en principe suffisamment sérieuse pour justifier son licenciement, sans être nécessairement une faute grave. « En principe », car le licenciement sera sans cause réelle et sérieuse si le changement a été mis en œuvre de manière abusive.[33]

 

En droit allemand, en matière de Vertragsänderung (modification de contrat) même pour refuser, l’employé a plusieurs réactions possibles. Il peut tout d’abord refuser l’Angebot des geänderten Arbeitsvertages (proposition de modification du contrat de travail) tout en acceptant la Beendigungskündigung (licenciement final). Dans ce cas l’employé perd son travail puisque sur les deux actes juridiques qui constituent la modification du contrat, il accepte la partie qui concerne le licenciement mais il refuse l’acte qui constitue la proposition de modification qui lui permettrait de continuer de travailler.[34]

 

Ensuite, l’employé peut également faire autrement et refuser la proposition de modification du contrat de travail, tout en attaquant en justice l’acte de Beendigungskündigung (licenciement). S’il exerce une action en justice dans les délais, le tribunal décidera si l’employé peut continuer de travailler dans les mêmes conditions que jusque là ou si, le licenciement pour modification est justifié socialement auquel cas le rapport de travail doit continuer en intégrant les modifications.[35] Du succès ou de l’échec de cette attaque dépend la validité ou non de ce licenciement, et donc de savoir s’il est mis un terme au contrat de travail ou non. Dans ce cas de figure, l’employé porte alors le risque de garder son emploi avec le contrat de travail initial, ou de perdre son emploi puisqu’il refuse les modifications.[36]

 

En France, si le salarié refuse la modification envisagée, l’employeur peut abandonner le projet ou licencier le salarié pour motif économique ou pour motif personnel en fonction de la cause invoquée. Le salarié peut quant à lui prendre acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant une modification unilatérale d’un élément essentiel, la prise d’acte prendra alors les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.[37] Si le licenciement a une cause économique, il ne peut être réalisé que dans « l’intérêt » de l’entreprise. Une réorganisation de l’entreprise, décidée pour sauvegarder la compétitivité de celle-ci, peut constituer une cause économique de suppression ou de transformation d’emploi ou une modification du contrat. La Cour de cassation a précisé que la rupture du contrat de travail résultant d’un refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail imposé par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne constitue un licenciement économique. Pour que ce licenciement soit justifié, il ne suffit pas que la modification initiale paraisse motivée uniquement par des impératifs de gestion de l’entreprise, il faut encore qu’elle soit consécutive à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

 

En France comme en Allemagne, la modification du contrat de travail peut aussi être inhérente à la personne du salarié. Elle peut faire suite, par exemple, à une inaptitude au travail, ou à une sanction disciplinaire justifiée. En France auparavant, les modifications consécutives aux sanctions disciplinaires justifiées ne pouvaient être refusées par le salarié. Désormais, les juges changent de solution: l’employeur ne peut plus imposer au salarié une modification prononcée à titre disciplinaire. L’employeur ne peut donc plus modifier le contrat de travail sans l’accord du salarié, ni dans l’exercice de son pouvoir de direction, ce que l’on savait déjà, ni dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire. Mais le salarié qui refuse une sanction disciplinaire s’expose à nouveau au pouvoir disciplinaire. Dans ce cas, selon la Cour de cassation, lorsque le salarié refuse une sanction disciplinaire justifiée, l’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction au lieu et place de la sanction refusée. Le licenciement qui suit le refus d’une modification de contrat de travail à titre disciplinaire doit nécessairement être un licenciement disciplinaire fondé sur des faits fautifs. Il a depuis été précisé que lorsque l’employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail, il doit informer l’intéressé de la faculté d’accepter ou de refuser cette modification. A défaut, la sanction est considérée comme ayant été notifiée « avec effet définitif » et le salarié est fondé à prendre acte de la rupture.[38]

 

 

 

 

Bibliographie :

.Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J,

.Droit du travail, TomeI Les relations individuelles de travail, Pascal Lokiec, Thémis droit puf

.Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert

.Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme

.Texte de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013

.Code du Travail

.Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck

.Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start

.Arbeitsrecht 9. Auflage, Löwisch – Caspers – Klumpp, Academia Iuris Vahlen

.Erfurter Kommentar zum Arbeitsrecht, Müller – Preis – Schmidt, 13. Auflage, C.H.Beck

.Arbeitsgesetzbuch

.Bürgerliches Gesetzbuch




[1] Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme, p.253

[2] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.335

[3] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 463

[4] Erfurter Kommentar zum Arbeitsrecht, Müller – Preis – Schmidt, 13. Auflage, C.H.Beck, p.2186

[5] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.94

[6] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 464

[7] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.45

[8] Arbeitsrecht 9. Auflage, Löwisch – Caspers – Klumpp, Academia Iuris Vahlen, p.217

[9] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 464

[10] Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme, p.254

[11] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 465

[12] Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme, p.255

[13] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.45

[14] Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme, p.257

[15] Droit du travail, Franck Héas, Larcier collection Paradigme, p.259

[16] Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck, p.328

[17] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.47

[18] Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck, p.327

[19] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 471

[20] Arbeitsrecht 9. Auflage, Löwisch – Caspers – Klumpp, Academia Iuris Vahlen, p.217

[21] Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck, p.330

[22] Droit du travail, Françoise Favennec-Héry, Pierre-Yves Verkindt, 3ème édition L.G.D.J, p. 469

[23] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.344

[24] Texte de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013

[25] Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck, p.328

[26] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.95

[27] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.96

[28] Arbeitsrecht 9. Auflage, Löwisch – Caspers – Klumpp, Academia Iuris Vahlen, p.218

[29] Droit du travail, Tome I Les relations individuelles de travail, Pascal Lokiec, Thémis droit puf, p.227

[30] Droit du travail, Tome I Les relations individuelles de travail, Pascal Lokiec, Thémis droit puf, p.228

[31] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.345

[32] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.337

[33] Droit du travail, Tome I Les relations individuelles de travail, Pascal Lokiec, Thémis droit puf, p.229

[34] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.95

[35] Studienkommentar Arbeitsrecht, Christian Rolfs, Verlag C.H.Beck, p.328

[36] Arbeitsrecht 7. neu bearbeitete Auflage, Lutz Michalski, C.F.Müller Start, p.95

[37] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.344

[38] Droit du travail, Corinne Piziot-Delaporte, 2ème édition Vuibert, p.346