La protection des titres en droit français et anglais à travers la Convention de Berne, par Alix van der Wielen

La Convention de Berne dispose que les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique doivent être protégées par le droit d’auteur des Etats adhérents. Cependant, certaines productions existent à la marge de cette protection ; tel est le cas des titres d’œuvres en droit français et anglais

Le choix du titre d’une œuvre représente, pour un auteur, un enjeu conséquent. L’ensemble retenu devrait pouvoir identifier une œuvre et son origine, souvent tout en décrivant le contenu de l’œuvre et en attirant l’attention de lecteurs potentiels (J. Klink, Titles in Europe: trade names, copyright works or title marks? EIPR 2004, 26(7), para. 291). Cependant, le risque de sélectionner un titre qui se révélera proche d’un autre est important. Le champ d’application d’une protection en propriété intellectuelle pour un titre dépendra alors du choix retenu par les juridictions nationales pour définir la fonction et la nature d’un titre. Cependant, la protection des titres d’œuvres repose sur un ensemble de règles composant un système de propriété intellectuelle dont une pièce fondamentale est la Convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (S. Ricketson, «The Berne Convention: the continued relevance of an ancient text » eds. D. Vaver et L. Bently, Intellectual Property in the New Millenium : Essays in Honour of William Cornish (Cambridge : CUP, 2004), p. 217). Celle-ci, rendue obligatoire en droit interne en vertu de son intégration aux conventions de l’OMC et son tribunal des conflits, oblige, dans son Article 1, les Etats adhérents à prévoir, dans leur droit interne, une protection des droits des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques. Dans quelle mesure, cette protection des œuvres littéraires s’étend-elle aux titres d’œuvres ? Il faut pour apprécier cela examiner comment les juridictions anglaises et françaises ont transposé les classifications d’œuvres protégeables dans leurs droits internes avant de considérer si les critères de Berne subsistent dans l’appréciation des juges concernant les titres d’œuvres.

Les titres d’œuvres ; catégorie d’œuvre « autonome »?

La formule utilisée par la Convention pour protéger les droits des auteurs marque la frontière entre, d’une part, le traitement national et les droits minimaux conférés par la Convention et, d’autre part, la liberté du public et de la concurrence à utiliser les expressions figurant dans des œuvres protégées. Le champ d’application de la Convention est précisé dans l’Article 2 qui précise que, «Les termes «œuvres littéraires et artistiques» comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression.» Cette définition est suivie d’une liste d’œuvres pouvant être des œuvres protégées par le Traité. L’interprétation de cette disposition a posé problème à plusieurs niveaux. Premièrement, les législateurs nationaux ont eu à décider si la liste figurant à l’Article 2 était illustrative ou exhaustive. Le législateur français a repris les termes de l’Article 2 pour énoncer, à l’Article L. 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (ci-après, le CPI), que les dispositions du Code protègent toutes les œuvres de l’esprit et, à l’Article L. 112-2, se fonde sur les termes de Berne, qui fait figurer les termes «telles que» devant la liste d’œuvres, pour disposer que sont « notamment » des œuvres de l’esprit une liste quasi-identique à celle de Berne (les créations des industries saisonnières figurant uniquement dans la liste française). Le législateur français semble prendre le parti d’une liste ouverte de catégories d’œuvres de l’esprit. Le juge anglais a pris la solution inverse. Le Copyright, Designs and Patents Act de 1988 (ci-après, le CPDA) dispose qu’un droit subsiste dans certaines œuvres précises dont l’énumération paraît identique à celles figurant dans la Convention de Berne. Cependant, le CDPA ne retient pas un principe général, ce qui a conduit les juges anglais à considérer que l’énumération constituait une liste fermée et qu‘une œuvre ne rentrant pas dans les catégories prévues à l‘Article 1(1) du CDPA serait dépourvue de protection (T. Aplin et J. Davies, Intellectual Property Law; Text, Cases and Materials (Oxford: OUP, 2009), p. 55). Cette position pourrait être une conséquence de la conception utilitariste du copyright en Angleterre. En effet, les juges ont refusé d’étendre un monopole économique sans l’appui du législateur. Ainsi, en accordant la protection du copyright, les juges ont une lecture restrictive de l’Article 1(1) et refusent de raisonner par analogie. Une analyse de la transposition de la Convention de Berne se limitant à la constatation de listes ouvertes et fermées serait incomplète. Ainsi qu’il a été remarqué ci-dessus, le CPI comporte un principe général et une liste illustrative d’œuvres pouvant être des œuvres de l’esprit. Cependant, le législateur français a inséré dans le Code l’article L. 112-4 qui dispose que « Le titre d’une œuvre de l’esprit est protégé comme l’œuvre elle-même. » Bénéficiant d’un article à part, il est présumé que les titres d’œuvres en droit français relèvent ab initio d’un régime différent des « livres, brochures et autres écrits littéraires » figurant à l’Article L. 112-2. Le droit français sépare ainsi le titre de l’œuvre qu’il accompagne, une conclusion qui est renforcé par la présence du deuxième alinéa de l’article 112-4 qui offre une protection supplémentaire aux titres en permettant une action en concurrence déloyale lorsqu’il existe un risque de confusion. Cette double protection assortie d’une disposition législative spécifique confère un statut particulier aux titres en droit français. La question se pose alors de savoir en quoi la protection des titres en droit français relève de la Convention de Berne. En apparence, l’application de l’article L. 112-4 relève de la proposition générale de l’Article 2 de la Convention de Berne en tant qu’œuvre littéraire spécifique. La liste fermée de catégories en droit anglais ne comporte aucune disposition spécifique relative aux titres. Pour obtenir la protection d’un titre, il faut donc faire rentrer le titre dans une des catégories figurant dans la Convention de Berne et reprise dans le CPDA. Le CPDA définit les œuvres littéraires comme, « toute œuvre, autre qu’une œuvre dramatique ou musicale, qui est écrite, parlée ou chantée  » (article 3(1) CPDA). Les juridictions anglaises ont pu affiner cette définition d’œuvre en considérant « qu’une œuvre est destinée à permettre soit de s’informer et de s’instruire ou se faire plaisir sous forme d’exercice littéraire» (selon Davey LJ dans Hollinrake v Truswell 1894 3 Ch 420, para. 427). Cependant, des auteurs ont considéré que le traitement des titres d’œuvres littéraires par les juges anglais en faisait une catégorie d’œuvres à part; il est certain qu’il est très difficile d’obtenir la protection d’un titre par le copyright en Angleterre (J. Cullabine, «Copyright in short phrases and single words» EIPR 1992, 14(6), para. 205). Cependant, il est important de noter que lorsqu’un juge anglais est amené à examiner si un droit d’auteur existe dans un titre, son appréciation suit le même raisonnement que pour toute autre œuvre littéraire. Un arrêt fondamental en la matière précise que rien n’interdisait, en droit, qu’un mot utilisé comme titre soit privé de protection en droit d’auteur. Cependant, dans cette affaire, les juges ont refusé de reconnaitre que le mot original « Exxon », développé suite à des procédés couteux et approfondis, pouvait bénéficier de protection en copyright (Exxon v Exxon Insurance 1982 Ch 119, para. 131). Cette décision à été confortée par la décision de la Chambre des Lords dans Ladbroke (Football) Ltd. V William Hill (Football) Ltd.(1980 R.P.C. 539). Si les difficultés pour protéger un titre en droit anglais se situent plus loin dans le raisonnement des juges, il est important de noter que la protection est possible. Les titres d’œuvres de l’esprit offrent donc une perspective intéressante pour illustrer la différente transposition de la Convention de Berne en droit français et anglais. Malgré le choix de liste ouverte ou liste fermée, les deux systèmes admettent que, en droit, les titres d’œuvres peuvent être protégés. Cependant, si les effets des solutions sont similaires, le raisonnement des législateurs sont plus difficiles à cerner. En ne distinguant pas les titres, le droit anglais considère qu’ils rentrent dans la définition des œuvres protégées par la Convention de Berne. Alors que l’analyse anglaise se limite à assimiler les titres à l’œuvre littéraire qu’ils désignent, le législateur français offre plusieurs possibilités. La protection en tant que partie de l’œuvre intégrale existe aussi en France. Pourquoi alors insérer une clause spécifique dans le CPI pour protéger les titres ? L’action du législateur pourrait être motivée par une reconnaissance de la nature particulière d’un titre pour qu’il veuille préciser que la protection du titre devait aussi être indépendante de la protection de l’œuvre qu’il accompagne. Il apparait donc que la protection des titres d’œuvres dans les différents droits nationaux est soit une transposition de la Convention de Berne soit une protection additionnelle non contraire aux termes de celle-ci.

Le champ d’application étendu des critères de la Convention de Berne

La protection du droit des auteurs sur leurs œuvres et, par extension, sur les titres de ces œuvres à donc été transposée inégalement en droit interne anglais et français. Cependant, le seuil d’originalité imposé par la Convention de Berne a aussi été le sujet d’interprétations différentes. Ceux-ci conduisent néanmoins à des résultats qui convergent vers une difficile protection des titres d’œuvres. La Convention de Berne dispose que seront protégées les productions des domaines littéraires et artistiques. S’il était accepté que le terme ‘production’ sous entendait la nécessité d’une activité créative, il n’y avait aucune délimitation du niveau ou de l’origine de la créativité requise (S. Ricketson et J. Ginsberg, op. cit., p. 402). Cependant, lu en conjonction avec les termes « quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, » les auteurs-commentateurs ont conclu que la Convention était indifférente à la qualité de la production intellectuelle en citant différents projets de modification de la Convention qui projetaient de définir le mérite ou la destination d’une œuvre et qui ont été rejeté par les Membres de l’Union. Cette approche a le mérite de dispenser les juges nationaux amenés à statuer sur un contentieux de se pencher sur le mérite et les qualités esthétiques d’une œuvre et d’émettre des jugements fondés sur des critères trop subjectifs (Ricketson et Ginsburg, op. cit.,p. 404). L’article L. 112-1 CPI reprend cette analyse en explicitant que les droits des auteurs seront protégés quelque soit le mérite de l’œuvre. Le juge anglais a, depuis l’arrêt University of London Press v University Tutorial Press (1916 2 Ch 601, para. 608) jugé que des analyses qualitatives ou esthétiques n’étaient pas nécessaires pour conférer la protection du droit d’auteur à certaines œuvres littéraires. L’article 2(1) de la Convention de Berne ne comporte pas d’indication de seuil minimal d’effort pour que la protection de Berne soit applicable à la production de l’auteur. Cependant, l’alinéa 3 prévoit que les œuvres dérivées seront protégées « comme des œuvres originales » et l’alinéa 5 dispose que « les encyclopédies et anthologies qui constituent des créations intellectuelles sont protégés comme telles . » Les droit français et anglais ont appliqué le vocabulaire de ces dispositions pour considérer que, si les catégories d’œuvres figurant à l’Article 2(1) devaient bénéficier d’une protection, il était possible que des œuvres a priori protégeables échappent à cette protection à cause d’un défaut d’originalité. Les différences entre l’analyse française de l’originalité « conçue traditionnellement comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur » (P. Tafforeau, Droit de la Propriété intellectuelle, Paris, Gualino éditeur, 2007, p. 64) et la conception anglaise d’un certain niveau de compétence, discernement et d’effort (Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., op. cit.) ont été longuement citées et discutées (voire, par exemple, le billet M2BDE par Laura Dorstter cité ci-dessous ou J.A.L. Sterling, World Copyright Law, Londres, Sweet & Maxwell, 2008, Chapitre 2). Il est important de noter que ce seuil minimal de protection imposé par la Convention de Berne a rendu difficile la protection des titres d’œuvres dans les droits internes. L’article L. 112-4 du CPI déclare très clairement que les titres d’œuvres sont protégés en droit français. Cependant, certains auteurs déplorent l’incohérence de la jurisprudence, considérant que celle-ci «fait montre d’une grande subjectivité dans l’appréciation de l’originalité» (P. Tafforeau, op. cit., p. 72). Le CPI affirme de manière formelle que le titre d‘une œuvre sera protégé, «dés lors qu’il présente un caractère original .» Cependant, en 2005, la Cour d’Appel de Paris a refusé de protéger le titre d’une œuvre de théâtre au motif que «Le Meuf Show» était, «nécessairement descriptive du spectacle qu’elle se propose d’identifier et ne saurait être regardée comme originale» (CA Paris, 4ème ch. B, 16 sept. 2005, Agence BJP Productions, Axelle Laffont et alii c/ Azoulay). Dans l’arrêt Sté Colmax c/ Sté Archange International (Cass. 1re civ. 4 avr. 2006), la Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel de Versailles qui considérait qu’une série de romans dont le titre était composé du nom «Angélique,» le nom du personnage principal, assorti d’autres termes correspondait, « à un personnage distinctif et original connu et reconnu de ses lecteurs et donc susceptible d’appropriation au sens de l’article L. 112-4.» L’existence d’une disposition spécifique donne tout de même lieu à des appréciations parfois contradictoires des juges français. A l’inverse, le droit anglais ne comporte pas de disposition précise, soumettant la protection des titres d’œuvres à la même analyse que toute autre œuvre littéraire. Une analyse de la jurisprudence anglaise donne lieu à une longue liste de décisions où les auteurs et ayant droits n’ont pas su démontrer, à la satisfaction des juges, que leurs titres étaient originaux. Il existe un arrêt, Weldon v Dicks (1878 10 Ch.D. 247) où le titre « Trial and Triumph» s’est vu reconnaitre une protection par un juge ayant considéré que ce titre faisait partie intégrale de l’œuvre qu’elle désignait et ne pouvait en être détaché. L’analyse des juges a évolué et, dans des arrêts subséquents, d’autres titres, y compris un titre de chanson « The man who broke the bank at Monte Carlo, » ont échoué au vu du critère d’originalité car étant trop courant ou trop descriptif de l’œuvre (Francis, Day and Hunter Ltd.v. Twentieth Century Fox Corporation Ltd 1940 AC 112). La protection qu’apporte la Convention de Berne aux titres est donc incertaine. En l’absence de justifications explicites, leur inclusion dans les termes de la Convention est discutable. En effet, les juges anglais font rentrer les titres dans le champ d’application de la Convention. La double protection offerte en France, par contre, laisse penser que le législateur voulait apporter une protection à une catégorie de créations intellectuelle qu’il ne voyait pas rentrer si facilement dans les œuvres protégés par la Convention. La difficulté de protéger des œuvres telles que les titres, dont il est difficile de nier l’importance économique, a obligé les systèmes juridiques à apporter d’autres moyens de protection. Ces alternatives n’ont pas pu se fonder sur les systèmes de droit d’auteur et de copyright en raison de la difficulté de concilier la présence d’un minimum d’originalité et d’effort avec la brièveté d’un titre. La présence de ces alternatives, notamment en droit des marques et en responsabilité délictuelle, montre une limite de la Convention de Berne. La différence dans les interprétations nationales, en particulier, celle de la France qui tente soit d’élargir, soit de définir le champ d’application d’une Convention internationale par une loi nationale, est source d’incertitudes. Ces incertitudes dans le champ d’application d’une Convention internationale aggravent la délocalisation des contentieux vers d’autres domaines juridiques. Le premier effet de ce déplacement est de pousser les juges à développer des analyses relatives aux titres fondées sur leur mérite économique aux dépens de la reconnaissance de leur mérite créatif. Cependant, quelles que soient les critiques possibles quant à la protection nationale des titres, il serait néanmoins impossible de militer pour une protection des titres à caractère universel. Le fondement même de la Convention de Berne est la reconnaissance de la territorialité de la propriété intellectuelle et le traitement national des auteurs. Dés lors qu’il est acquis que la Convention de Berne n’imposera pas une uniformité de traitement entre typologies d’œuvres des inégalités entre systèmes juridiques nationaux perdureront.

Bibliographie

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Tafforeau, P., Droit de la Propriété intellectuelle, Paris, Gualino éditeur, 2007.

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Dorstter, L. «Le concept d’originalité dans la législation française du droit d’auteur et dans celle du copyright anglais» En ligne le 19 mars au lien : http://m2bde.u-paris10.fr/blogs/dpi/index.php/post/2009/01/08/Le-concept....

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Arrêts Hollinrake v Truswell 1894 3 Ch 420 Exxon v Exxon Insurance 1982 Ch 119 Ladbroke (Football) Ltd. V William Hill (Football) Ltd. 1980 R.P.C. 539 University of London Press v University Tutorial Press 1916 2 Ch 601 Weldon v Dicks 1878 10 Ch.D. 247 Francis, Day and Hunter Ltd.v. Twentieth Century Fox Corporation Ltd 1940 AC 112

CA Paris, 4ème ch. B, 16 sept. 2005, Agence BJP Productions, Axelle Laffont et alii c/ Azoulay Cass. 1re civ. 4 avr. 2006, Sté Colmax c/ Sté Archange International

Textes Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886.

Copyright Designs and Patents Act 1988

Traité OMPI dur les droits d’auteur du 20 décembre 1996

Code de la Propriété Intellectuelle 6ème éd. Paris, Editions Dalloz, 2006.