La transposition des articles 15 et 16 (Retrait et Rachat Obligatoire)- directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 sur les offres publiques d’acquisition en droit français et en droit allemand.

La directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 a pour objectif de mettre en place un régime harmonisé des offres publiques d’acquisition (ci-après « OPA ») au sein des Etats membres. Cette volonté n’est pourtant pas nouvelle, la première proposition de directive date du 19 janvier 1989. A cette époque, le nombre d’OPA augmentant, elle avait été plutôt bien accueillie. Elle devait encourager « un phénomène positif qui provoque une sélection, par le marché, des entreprises plus compétitives et une restructuration indispensable pour faire face à la concurrence internationale ». (1)


Les Etats membres avaient en effet des conceptions différentes des offres publiques. L’Allemagne était défavorable aux OPA, notamment à cause de l’OPA hostile menée par Vodafone contre Mannesmann, première dans son histoire, ce qui l’a conduite à renforcer ses mesures anti-OPA. La France quant à elle, plus favorable à ces offres, laissait une grande marge de manœuvre aux dirigeants de la société cible. (2)


Ceci a conduit les acteurs du marché intérieur à se trouver dans des situations déséquilibrées que quelques codes de bonnes conduites (comme celui présent auparavant en Allemagne) ne pouvaient éviter. (3) Les sociétés ayant leur siège dans des pays facilitant les OPA ont donc pu rassembler plus de capitaux, ce qui a créé un risque de délocalisation dans ces pays et donc une concurrence faussée au sein du marché intérieur européen.  Il n’existait en effet alors pas de « level playing field », une égalité de traitement entre tous les acteurs au niveau européen.


            Suite à l’échec de la première directive de 2001,  la Commission Européenne forma un groupe d’experts en droit des sociétés présidé par J.Winter chargé de réfléchir à des principes sur les OPA, « un prix équitable à payer pour une offre obligatoire », « une procédure obligatoire (Squeeze Out) » et l’introduction de ce « level playing field». (4)


Le régime des OPA fait partie de la Corporate Governance externe, en tant que sont régulés les liens de l’entreprise avec les acteurs du marchés extérieurs à l’entreprise elle-même, ce en coordonnant les leurs intérêts divergents. Ici s’affrontent les intérêts des offrants, des actionnaires, notamment des minoritaires et ceux de la société cible. Il faut garantir l’efficience et la fluidité du marché tout en s’assurant que ces offres ne se fassent pas au détriment des actionnaires.


Sous la pression de l’Allemagne notamment, fut élaborée une directive cadre qui multiplie les options, les renvois aux spécificités nationales et à leur interprétation. (5) Là où les projets précédents de directives voyaient des dispositions impératives, elle fait place à des options. Les principes généraux de cette directive cadre sont posés dans son article 3.


Elle fut adoptée par le Parlement européen le 21 avril 2004, elle s’applique en France aux Sociétés Anonymes et aux Sociétés en Commandite par Actions, en Allemagne aux Aktiengesellschaften (Sociétés par Actions) et aux Kommanditgesellschaften auf Aktien (Société en Commandite par Actions).


La question de la protection des actionnaires minoritaires lorsque leur société est passée sous contrôle est régie par les principes généraux de la directive, notamment l’égalité de traitement, la transparence de l’offre et la garantie d’une contrepartie équitable pour la vente de leurs actions.


La directive prévoit également un mécanisme de retrait obligatoire selon lequel l’actionnaire très majoritaire peut forcer le minoritaire à lui vendre ses titres et un mécanisme (I) de rachat obligatoire selon lequel le minoritaire peut forcer le majoritaire à acheter ses titres après la clôture de l’offre aux mêmes conditions que celles prévues dans celle-ci (II).


I-                   Retrait Obligatoire


Selon l’article 15 de la directive, lorsqu’une offre a été adressée à tous les détenteurs de titres de la société, les Etats membres doivent veiller à ce que l’offrant puisse sous certaines conditions exiger de tous les détenteurs de titres restants que ceux-ci les lui vendent pour un juste prix. Cette possibilité de retrait obligatoire est inspirée du Squeeze-out américain.


En France, cette procédure est déjà connue, elle a été introduite pour la première fois par la loi n°93-1444 du 31 décembre 1993, elle était pourtant juste liée aux cas d’offres et de demande de retrait (Art 236-3 et suiv. du Règlement général de l’AMF –RGAMF).


L’Allemagne connaissait quant à elle un mécanisme d’exclusion des minoritaires au sein de la société indépendamment de toute offre publique (§ 327a Aktiengesetz- AktG, Loi sur les Sociétés Anonymes). Cette procédure n’appartient pas au droit boursier, mais au droit des sociétés. Elle a en effet un domaine d’application beaucoup plus large car elle ne requiert pas l’existence préalable d’une offre publique ou le fait que la société soit cotée. Elle n’est de plus soumise à aucun délai. Néanmoins, elle demande une décision de l’assemblée générale pour pouvoir exclure les 5% d’actionnaires restants, décision qui est susceptible de recours et qui rend pour l’actionnaire majoritaire la procédure plus lourde et ralenti son adoption. . De plus, les minoritaires peuvent contester la justesse de la contrepartie de leur exclusion selon l’AktG dans le cadre d’une procédure judiciaire (Spruchverfahren) La directive laissant la possibilité aux spécifiés nationales de coexister avec ces mécanismes, le squeeze-out du droit des sociétés allemand reste à disposition du majoritaire une fois le délai du squeeze-out boursier écoulé.


1.      Conditions de mise en œuvre


La directive fut transposée en droit français par la loi du 19 mai 2006, qui a modifié les articles L 433-4-II du Code Monétaire et Financier (C.Mon.Fin) et l’article 237-14 et suiv. du RGAMF. Désormais, le retrait obligatoire est rendu possible à l’issue de toute offre publique.  La directive fut transposée en droit allemand par la Übernahmerichtlinie-Umsetzungsgesetz du 14 juillet 2006 (Loi de transposition de la directive portant sur les offres publiques), elle introduisit le § 39a de la Wertpapiererwerbs- und Übernahmegesetz (Loi sur les OPA).


En France comme en Allemagne, le majoritaire peut demander que lui soient transférés les titres qui ne lui ont pas été présentés lors de l’OPA s’ils ne dépassent pas plus de 5% du capital et des droits de vote. Les deux pays ont fait ici l’usage de l’option de l’art 15§2 de la directive. Ils se sont en effet alignés sur les seuils déjà acceptés dans leurs ordres juridiques. En effet, en Allemagne le retrait obligatoire du droit des sociétés est uniquement possible, lorsque les minoritaires ne détiennent pas plus de 5% du capital social, la légitimité de l’exclusion des minoritaires avait donc déjà été réglée, seule une aussi petite minorité doit pouvoir être exclue contre sa volonté. (6)En France, « le seuil français traditionnel de 95% garantissait la protection des actionnaires minoritaires ». (7)


L’Allemagne comme la France appliquent le délai de 3 mois suite à la clôture de l’offre pour le dépôt de leur demande.  L’Allemagne exige en plus un rapport temporel entre l’offre publique et l’atteinte du seuil de 95%.


2.      Procédure


La procédure à suivre n’est pas prévue par la directive, les états membres peuvent donc la déterminer librement.


En France, l’AMF se prononce sur la conformité du projet de retrait obligatoire après l’avoir examiné, le transfert de propriété se fait par un acte administratif (art 236-16 RGAMF). En Allemagne, malgré une réflexion sur l’opportunité de rendre la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Autorité fédérale du contrôle des services financiers) compétente car elle connait bien mieux l’OPA qui a conduit à la demande de retrait obligatoire(8), c’est selon le § 39b WpÜG le Landesgericht de Frankfort est compétent. En effet, cette procédure est plus rapide et moins chère car l’acte translatif de propriété doit, dans tous les cas, avoir lieu devant les tribunaux.


3.      La contrepartie équitable


La directive exige que les minoritaires reçoivent une contrepartie équitable dans le cadre de leur exclusion, elle ne comprend pourtant pas de principes généraux pour déterminer dans quelle mesure celle-ci est équitable ou non. Elle énonce deux présomptions : Si le retrait obligatoire suit une offre volontaire, la contrepartie de l’offre est présumée juste si l’offrant a acquis des titres représentants au moins 90% du capital assorti des droits de vote faisant l’objet de l’offre. Elle est toujours présumée juste suite à une offre obligatoire.


Ainsi, en droit français et allemand, la contrepartie doit correspondre à celle proposée lors de la dernière offre publique. Se pose bien sûr ici la question de la justification de l’expropriation des minoritaires, les deux droits ont donc chacun des critères pour décider si la compensation est équitable ou non.


Le droit français connaît une évaluation multicritères (Art 433-4-II C.Mon.Fin)  réalisée par un expert indépendant (Art 237-1 RGAMF). Elle tient compte des méthodes objectives pratiquées en cas de cessions d’actif tenant compte de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales et des perspectives d’activités. (9)


Après s’être interrogée sur ce point, l’Allemagne part du principe que cette présomption est irréfutable, néanmoins, le minoritaire doit selon le Bundesverfassungsgericht (Cour Constitutionnelle Fédérale) recevoir une « compensation économique totale » pour être en accord avec le droit fondamental de la propriété (Art 14 de la Loi fondamentale) (10). Sa décision DAT/ALTANA choisit le cours de la bourse comme prix-plancher pour la détermination de la compensation. (11)


            La directive prévoir que la compensation doit prendre la même forme que la contrepartie de l’offre ou être faite en espèces. Elle laisse le choix aux états membres de prévoir le choix pour le minoritaire d’une forme en espèces, option transposée par l’Allemagne et la France (art 237-14 suiv. RGAMF)


Même s’il affecte les droits fondamentaux de l’actionnaire, en France comme en Allemagne de ne pas être exproprié de ses titres et exclu de la société, cela répond à la demande des actionnaires majoritaires de pouvoir transformer la société publique cotée en société privée fermée. (12) La Cour de Cassation considère que purger un marché non liquide est d’utilité générale et sert le bon fonctionnement de celui-ci, quand bien même la communauté dans son ensemble n’en profiterait pas. (13) Le Bundesverfassungsgericht considère quant à lui que l’exclusion d’actionnaire est également licite en raison de l’intérêt général, lorsque les intérêts des actionnaires minoritaires au patrimoine sont moins importants qu’un développement libre de la société.(14) De plus, cela sert le renforcement du fonctionnement des sociétés en résolvant les conflits internes tout en évitant que les 5% restants fassent valoir leurs droits individuels.


II-                Rachat Obligatoire


Alors que ce mécanisme totalement inconnu en Allemagne a été introduit par la directive au § 39c WpÜG, la France connaissait déjà un mécanisme de rachat obligatoire depuis la loi du 2 août 1989.


La transposition de la directive en droit français a désormais rendu possible ce mécanisme à l’issu de toute offre publique (art 236-1 RGAMF).


1.      Conditions


L’article 16 de la directive énonce que lorsqu’une offre a été adressée à tous les détenteurs de titres de la société cible pour la totalité de leurs titres, les états membres veillent à ce qu’un détenteur de titres restant puise exiger de l’offrant qu’il rachète ses titres pour un juste prix, dans les mêmes conditions que celles prévues par l’art 15§2 de la directive.


Ainsi, les deux droits français et allemand ont conservés le même seuil des 95% détenus par le majoritaire pour que la demande puisse être reçue. Les articles 236-1 RGAMF et § 39c WpÜG rendent le rachat obligatoire possible si l’offrant se trouve dans la position de faire une demande de retrait obligatoire.


Les conditions du rachat obligatoire doivent avoir un rapport temporel avec l’offre publique, tout comme pour le retrait obligatoire.


2.      Procédure


En Allemagne, aucune instance administrative ou judiciaire n’intervient, l’acte translatif de propriété a lieu dans la forme d’un simple contrat de vente entre le minoritaire et l’offrant, soumis aux règles générales de droit civil, alors qu’en France, l’AMF intervient ici une fois encore. Elle doit également comme dans les cas de retrait obligatoire se prononcer sur le bienfondé de la demande de rachat obligatoire. Elle le fait « au vu des conditions prévalant sur le marché des titres concernés et des éléments d’informations apportés par le demandeur » (art 236-1 RGAMF). L’AMF n’accepte une telle offre que si les minoritaires ne peuvent sortir de la société dans des conditions normales de cours et de délai, pour le cas où le marché ne serait pas assez liquide. (15)


3.      Contrepartie de l’offre


La directive ne donne aucune précision sur les modalités de la contrepartie de l’offre en tant qu’elle renvoie aux conditions du retrait obligatoire.  Il faut donc se tourner vers la contrepartie de l’offre précédente.


 En Allemagne, la justesse du prix n’est ni contrôlée par les tribunaux, ni par la BaFin, car les actionnaires décident d’eux même s’ils veulent faire valoir ce droit ou non et doivent donc eux même juger de la justesse de celui-ci. (16) Ils n’ont pas à être plus protégés que ceux qui ont acceptés l’offre en temps et en heure (tout comme les actionnaires qui font usage du § 16 WpÜG et bénéficient de deux semaines après la clôture de l’offre pour pouvoir l’accepter aux mêmes conditions que les autres).  En France, au contraire, l’on applique tout comme pour le retrait obligatoire la méthode multicritères prévue par l’art 433-4-II C.Mon.Fin.


Concernant la forme de la compensation, elle est identique dans les deux pays à celle demandée pour le retrait obligatoire, elle doit donc prendre la même forme que la contrepartie de l’offre ou être faite en espèces.


Une partie de la doctrine française estime que ce mécanisme est justifié car les actionnaires minoritaires auraient donné mandat à un groupe de contrôle menant une certaine politique au sein de l’entreprise, il s’agirait d’un contrat d’investîmes qui aurait perdu sa raison d’être lors du changement de contrôle. (17) En Allemagne, la doctrine a plutôt tendance à penser que ce mécanisme est un cadeau fait aux minoritaires qui ne nécessitent pas plus de mesures de protections, car ils ont d’eux même refusé l’offre publique qui a conduit à leur situation. (18)


Cette mesure est surtout justifiée, car elle est le pendant de l’énorme pouvoir accordé aux actionnaires majoritaires de l’article 15 de la directive de pouvoir les exclure.


(1) Dir. 19 janv. 1989 : Journal Officiel des communautés européennes 14 Mars 1989


(2)G. Ripert et R. Roblot, Les Sociétés Commerciales N°2247


(3)M. Luby, M. Menjucq, JC Fasc. 862, OPA-Dr 2004/25/CE du 21 avril 2004 §2


(4)Rapp. Sur les questions liées aux offres publiques d’acquisition, Commission Européenne, Bruxelles, 10 janvier 2002.


(5)M. Luby, De la difficulté à dénouer le fil d’Ariane, Bref impromptu sur la directive 2005/24/CE relative aux offres publiques d’acquisition), Dr. Sociétés n°11, Novembre 2004.


(10)A. Austmann, P. Mennicke, Übernahmerechtliche Squeeze-Out und Sell-Out NZG 2004, 846


(11)JO Sénat, Débats, 2005, p. 6113


 (12) A. Austmann, P. Mennicke, Übernahmerechtliche Squeeze-Out und Sell-Out NZG 2004, 846


 (13)Ch. Com. 29 avril 1997


 (14)BVerfGE, Urteil vom 7 August 1962, (Feldmühle)


 (15)BVerfGE 100, 289, 303


 (16)A. Couret, H. Le Nabasque, Droit financier, n°1435.


 (17)Cour de Cassation, 29 avril 1997, Sogenal


 (18)BVerfGE, Urteil vom 7. August 1962 ou plus récemment DAT/ALTANA


 (19)Bull. Joly Bourse 2004. 302, note D. Schmidt sur la décision de la CA Paris 4 novembre 2003


 (20)A. Austmann, P. Mennicke, Übernahmerechtliche Squeeze-Out und Sell-Out NZG 2004, 846 (21) Daniel Ohl, Droit des Sociétés Côtées n°545


 (22)A. Austmann, P. Mennicke, Übernahmerechtliche Squeeze-Out und Sell-Out NZG 2004, 846


 


 


 


Bibliographie


Austmann,A.  Mennicke P., Übernahmerechtliche Squeeze-Out und Sell-Out NZG 2004, 846


Corian, M.,Viandier,A.,Deboissy, F. Droit des sociétés


Couret, H. Le Nabasque, Droit financier


Luby,M., Menjucq,M.,  JC Fasc. 862, OPA-Dr 2004/25/CE du 21 avril 2004 §2


Prasuhn, Katrina Der Schutz von Minderheitsaktionären bei Unternehmensübernahmen nach dem WpÜG


Ohl, Daniel, Droit des Sociétés Cotées


Schmidt, D., Bulletin . Joly Bourse 2004. 302,


Handelsrechtsausschuss des DAV, NZG, 2006, 177 (179),


Directive. 19 janv. 1989 : Journal Officiel des communautés européennes 14 Mars 1989


Rapport Sur les questions liées aux offres publiques d’acquisition, Commission Européenne, Bruxelles, 10 janvier 2002.


JO Sénat, Débats, 2005, p. 6113


M. Luby, De la difficulté à dénouer le fil d’Ariane, Bref impromptu sur la directive 2005/24/CE relative aux offres publiques d’acquisition), Dr. Sociétés n°11, Novembre 2004.


G. Ripert et R. Roblot, Les Sociétés Commerciales N°2247