Les différents taux de TVA applicables à la presse en ligne et aux livres électroniques en France et en Allemagne, par Adrien Besson
Encadrés par des directives européennes, les taux de TVA applicables à la presse en ligne et aux livres électroniques (E-Books) en France et en Allemagne sont différents. Leur harmonisation sur leurs équivalents écrits reste problématique, le droit européen qualifiant différemment ces objets de l'ère numérique, leur réservant un sort moins favorable.
Dans le « Koalitionsvertrag » du nouveau gouvernement allemand est inscrit l'engagement d'ajuster les taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA/Mehrwertsteuer) grevant les publications électroniques et nouveaux médias sur ceux pratiqués pour leurs équivalents papiers.
En effet, pour contrebalancer un des effets pervers de cette taxe qui frappe injustement tous les consommateurs au même taux, quelle que soit leur aisance financière, des taux réduits ont été accordés dans les différent droits nationaux à certaines catégories de produits « sensibles », dont les produits de première nécessité et certains produits culturels, comme les livres ou la presse écrite.
Toutefois, la réglementation en matière de TVA a fait l'objet d'une harmonisation au niveau européen par le biais de plusieurs directives, adoptées à l'unanimité en conseil des ministres.
Ces directives se sont succédées depuis 1967, et ont eu pour but d'harmoniser les systèmes de taxes sur la valeur ajoutée des différents Etats membres.
Bien que n'ayant pas totalement unifié le régime au niveau européen et laissant aux États membres une certaine marge de manœuvre, ces directives imposent des règles contraignantes quant aux régimes applicables afin de garantir une complémentarité et une concurrence équitable au sein du marché intérieur.
Et c'est en vertu de cette réglementation européenne qu'aujourd'hui, les taux réduits de TVA applicables à la vente de livres et de revues sont supposés différer de leurs versions électroniques.
Cela n'a malgré tout pas empêché la France de voter des lois effaçant cette différence de traitement, là où le gouvernement allemand s'est toujours évertué à choisir des solutions plus respectueuses du droit de l'union européenne.
A l'heure où le développement des nouvelles technologies impose des changements radicaux dans les supports utilisés, l'adaptation du droit aux nouveaux usages induits par la société de l'information est nécessaire pour garantir le succès de la mutation économique des branches de métier concernées.
Les comportements des utilisateurs ont en effet connu une évolution notable depuis l'arrivée de l'internet dans le domaine, l'accès à l'information s'est vu simplifié comme accéléré, et de nouvelles structures se sont illustrées sur ces nouvelles plates-formes.
Se posent ainsi les questions de l'importance des divergences entre les deux droits nationaux et de leur synergie au niveau européen.
Des taux de TVA normaux et réduits applicables en France et en Allemagne
Encadrés par la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 du Conseil de l'union européenne, les taux réduits de TVA praticables y sont énumérés de façon limitative dans l'annexe III. Ils supposent une base constitutionnelle ou un intérêt général servant la communauté, sous couvert du respect du principe de neutralité. L'article 98 impose un taux minimal de 5% pour les taux réduits, et de 19% pour les taux plein. Des exceptions ont cependant pu être négociées au cas par cas par les différents ministres.
Le législateur allemand énumère ces catégories de produits bénéficiant d'un taux réduit de 7% au §12 II UStG ainsi que dans l'annexe II rattachée à la même loi, où les livres et les revues imprimés sont explicitement cités, à l'exclusion des ouvrages à vocation essentiellement publicitaire ou à caractère violent/pornographique.
La loi française accorde dans l'article 298 septies du CGI un taux super réduit "aux journaux et écrits périodiques" de 2.1% dans les départements de France métropolitaine et de 1.05% dans les départements de Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Les mêmes limitations concernant la publication de supports à vocation essentiellement publicitaire ou promotionnelle sont instaurées dans la loi, tout comme l'assujettissement à taux plein des revues à teneur violente ou pornographique.
Les livres connaissent quant à eux un taux seulement "réduit" de 5.5% (2.1% pour les DOM susnommés), selon les mêmes critères.
Le traitement des taux grevant les ouvrages électroniques montre des divergences plus marquées: dans l'interprétation allemande, l'annexe H vise uniquement les écrits imprimés; les E-Books et la presse en ligne se voient assignés à la catégorie résiduelle des "sonstige Leistungen" du §3 I UStG, dès lors soumis au taux plein de 19%.
En France, le législateur français, au fait des injonctions de la directive européenne, les a ignorées -se voulant le héraut des « industries culturelles dans l’avenir numérique »- en votant une première loi en 2011, sous la présidence Sarkozy, ajustant les taux de TVA grevant les E-Books sur leurs équivalents papier (5.5% à compter du 01/I/12, augmentés un temps à 7% puis diminués à nouveau au niveau de 5.5%).
Cette première initiative, décriée comme contraire au droit de l'Union européenne par la Commission, a valu à la France l'ouverture d'un contentieux sur le sujet, amorcé en 2011, encore en traitement.
Ceci n'a pas entamé l'enthousiasme ou le sentiment de légitimité du gouvernement français, qui a initié une procédure législative accélérée le 27 Janvier 2014, afin d'adopter le taux super réduit de 2.1% pour la TVA visant la presse en ligne.
Ce faisant, il vise à appliquer les taux d'exceptions réservés à la presse écrite à son équivalent électronique, faisant valoir l'inégalité de traitement entre deux entités semblables, appelant à l'application du principe de neutralité.
Un régime discriminatoire pour les écrits en ligne contraire au principe de neutralité?
Au regard de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et du paragraphe 2 de son article 98, les fournitures de textes, musiques ou de films par voie électronique ne peuvent se voir appliquer un taux réduit : la violation en l'espèce du droit européen par la loi française est facilement qualifiable. Toutefois, certains arguments illustrent le caractère obsolète de la directive au regard du contexte technologique actuel.
Le plus relayé relève du principe de neutralité fiscale et technologique, défendu par la CJUE comme un principe fondamental du droit de l'Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Affirmé dans les considérants 5 et 7 de la directive du 28 novembre 2006, il vient défendre, dans l'intérêt du marché intérieur et de la libre concurrence, une taxation égale des biens et services semblables.
Ainsi, se basant sur une équivalence de contenu, le législateur français fait correspondre fiscalement les publications électroniques aux publications papiers.
Il est intéressant de noter qu'un point de droit semblable a été étudié par la Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht), lors d'une plainte concernant les taux de TVA applicables aux disques, différents eux aussi de ceux applicables aux livres et à la presse imprimée (BverfG 36, 321) malgré un contenu comparable.
La plainte pointait la différence de traitement du fait de taux divergents, exposée comme contraire à l'article 3 I GG (Grundgesetz) défendant l'égalité devant la loi.
La plainte fut rejetée, aux motifs que le taux réduit des livres et de la presse se justifiait par des objectifs d'intérêt général, de pluralisme et de soutien à un secteur vulnérable, qui n'avaient pas vocation à s'appliquer avec la même largeur à l'industrie du disque.
La différenciation fut jugée respectueuse du principe de proportionnalité inhérent à l'article 3 I GG.
La position allemande peut également s’expliquer pour des raisons budgétaires : la TVA représentant une partie conséquente des recettes étatiques, la volonté de sauvegarder cette source filtre à travers les projets de réforme des précédents gouvernements ; ainsi l'ancien ministre des finances Wolfgang Schäuble (CDU) avait prévu l'instauration prochaine d'un taux commun entre les ouvrages écrits et les ouvrages électroniques, mais par le biais d'une augmentation des taux réduits grevant les premiers plutôt qu'une réduction des taux visant les seconds.
Fidèle à sa réputation, le gouvernement allemand encourageait bien plus une austérité budgétaire mesurée qu'une extension des dérogations existantes.
Un autre argument allemand veut que les livres électroniques ne soient pas comparables à leur équivalent papier, puisque supposant des supports différents, et cédés dans des conditions toutes autres : une taxation au taux normal était dès lors justifiée, leur cession relevant d'une simple prestation de service, distinguable de l'achat d'un écrit définitivement inscrit sur un support physique.
Certaines propositions furent formulées afin de distinguer parmi les E-Books d'une part les simples « licences de lectures », supposant un cadre contractuel contraignant, et d'autre part des véritables documents ne souffrant d'aucune limitation dans leur interopérabilité (autrement dit, ceux dépourvus de DRM) qui seraient les seuls sujets légitimes au taux réduit.
Malgré le fait que cette position aurait pu permettre une justification d'autant plus sincère de l'application du principe de neutralité, les différents amendements français en ce sens furent rejetés les uns après les autres.
Le principe de neutralité ne défend pas seulement une conception morale de l'impôt : il a été introduit afin d'assurer la sauvegarde du but fondamental des créateurs de l'Union, assurer une libre concurrence.
Un régime d'exception porteur de distorsions de la concurrence?
L'application d'un taux réduit au E-Book n'est cependant pas une initiative unique en Europe; le Luxembourg a également soumis ces ventes à un taux réduit (3% au lieu des 15% du taux normal luxembourgeois).
Ces actions individuelles viennent mettre à mal la libre concurrence et le développement équitable du marché intérieur, clé de voute des traités européens; les entreprises du secteur (Amazon, Google, Nook..) délocalisant leurs filiales vers les environnements fiscaux les plus favorables; le Luxembourg a ainsi rejoint la France dans le contentieux l'opposant à l'Union.
De nombreuses voix se sont soulevées en Allemagne pour souligner l'absurdité de la situation, les E-Books vendus depuis l'Allemagne se voyant grevés du taux normal de 19%.
Cependant, l'évolution des règles de TVA concernant les prestations de services promet pour 2015 une taxation systématique au taux du pays du consommateur, et non plus au taux du pays d'origine de la prestation de service, solution satisfaisante pour remédier à l’injustice larvée dans le caractère transfrontalier de l’économie européenne tout comme dans l’économie numérique, cela en restant respectueuse de la politique fiscale des différents Etats.
La presse en ligne ne connaît pas cette problématique avec la même intensité, en ce sens qu'elle ne s'exporte pas à l'étranger de la même façon qu'une simple marchandise ou un service: généralement pensée pour un public national, son contenu et sa langue sont déjà autant de barrières à une commercialisation à l'étranger.
L'application d'un taux réduit y est certes exclue par les directives, qui qualifient également ces publications comme des prestations de services, mais la violation du droit européen semble ici moins sérieuse que dans le cas des livres électroniques, car portant moins atteinte à la libre concurrence entre États membres.
L'on peut toutefois ici plaider qu'une distorsion de concurrence interne a cependant été introduite par le régime européen applicable : les anciennes maisons de presses déjà établies dans le marché de la presse écrite ont pu faire valoir des offres couplant les éditions papier et les éditions numériques, jouant sur la difficile estimation de la valeur économique de chacune pour profiter de taux réduits avantageux.
À l’inverse, les entrepreneurs qui se sont lancés dans la seule presse en ligne (Pure players) n'ont pu profiter d'un tel tour de passe-passe. En outre, l'utilisation de modèles économiques rentables via des annonces publicitaires est venue confirmer leur assujettissement au taux plein. Dès lors, ces derniers subissent également une situation discriminatoire, qui aboutit à de récents redressements fiscaux d’importants acteurs français, comme celui de Mediapart.
La CJUE a également rendu des arrêts qui peuvent plaider pour une harmonisation des taux ; dans les affaires jointes C-259/10 et C-260/10, elle indique qu'un manquement au principe de neutralité fiscale évoqué plus haut entraîne en général une distorsion de concurrence.
Ainsi, une interprétation de la directive de 2006 à la lumière du principe de « l'effet utile » verrait ici des taux uniformes s'appliquer à des prestations semblables, afin de garantir les objectifs des traités de l'Union.
Une réglementation européenne contradictoire et rigide, obstacle à l’évolution du droit vers le numérique
La révision de la réglementation européenne en la matière s'est jusqu'alors heurtée à la difficulté d'obtenir un consensus : la directive de 2006 devant être révisée à l'unanimité en Conseil des ministres, l'hostilité d'un certain nombre de pays à la mesure présente un obstacle tangible à l’évolution rapide du droit vers l’heure numérique.
Le revirement récent de l'Allemagne sur le sujet certes lié à l'entrée du parti social-démocrate (SPD) dans la coalition gouvernementale permet d'espérer des avancées en la matière.
Le rapport de l'Assemblée Nationale n°1735 de Patrick Bloche énonce à ce propos la liste des pays encore opposés à une harmonisation : le Royaume-Uni, le Danemark, l’Autriche, le Portugal et la Finlande restent hostiles à une telle manœuvre.
A l'heure actuelle, pour pallier ces difficultés, les différents syndicats d'édition et organisations culturelles (comme le Kulturrat ou le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne) demandent aux États de conserver à l'avenir une plus grande marge de manœuvre dans la détermination de ces taxes, afin de ne plus se retrouver enfermés dans une réglementation européenne peu malléable.
Alors que l'objectif poursuivi de la Commission lors de la limitation des taux réduits était d'assurer l'absence d'entrave au marché commun, l'on peut se demander si une telle initiative n'a pas été un piège juridique pour les États membres, les enlisant dans une réglementation douteuse aux regards des principes fondamentaux du droit européen. A l’inverse, une plus grande liberté de réglementation est également synonyme de plus divergences entre les différents droits nationaux, et d’aiguiser les distorsions de concurrence précédemment exposées.
Seule la difficulté de trouver un accord entre tous les État membre subsiste : à défaut de soutenir une interprétation téléologique générale des normes européennes vis-à-vis des nouveautés induites par le numérique, qui permettrait « d’adapter » le droit en vigueur et de faciliter une transition naturelle vers le numérique, les tentatives d’aboutir à une entente sur la seule question de la TVA n’ont fait que révéler la difficulté d’obtenir un consensus à l’échelle européenne en matière budgétaire.
Le résultat reste déconcertant : des distorsions de concurrences apparaissent dans le droit allemand entre les différents supports concernés comme en raison du droit français entre les différents pays concernés, offrant une vision amère de l’intégration européenne qui ne peut que s'écarter du paradigme envisagé par ses pères fondateurs. L’union, se voulant pionnière en matière de réglementation numérique donne ici un spectacle peu alléchant des travers de ses entraves institutionnelles, inadaptées à une époque ou les possibilités techniques offrent d’incessantes possibilités de mutation.