L'exception pour copie privée du droit Italien face aux mesures techniques - commentaire d'une décision du Tribunal de Milan du 1 juillet 2009, par Thérèse Meyer
INTRODUCTION
La copie privée est la reproduction d’une œuvre sans avoir à solliciter une autorisation (Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, p. 299). A l’ère du numérique, il est devenu extrêmement simple et rapide de reproduire une œuvre à l’identique et de transmettre la copie au moyen d’internet. La copie privée met ainsi en péril l’exploitation normale des œuvres par les titulaires des droits d’exploitation. Mais il existe dorénavant des mesures techniques permettant de limiter voire d’empêcher la réalisation des copies, ce qui remet en cause l’exception de la copie privée, d’où la difficulté et la nécessité « de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d'intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu'entre celles-ci et les utilisateurs d'objets protégés » (considérant 31 de la Directive 29/2001/CE). Dans une décision du 1er juillet 2009 (n° 8787), le Tribunal de Milan met en œuvre les dispositions de la Directive 29/2001/CE sur les exceptions au droit de reproduction, directive transposée en Italie par le décret législatif de 2003 n°68 et en France par la loi de 2006 n°961 (cette dernière ayant été modifiée en 2009 après un vif débat). La décision du Tribunal de Milan, intervient également quelques mois après l’issue de l’affaire française Mulholland Drive (Cass. Civ 1ère, 19 juin 2008, n° 709) à propos de faits similaires.
Un particulier a acquis un DVD légitimement et a tenté d’en faire une copie par ses propres moyens, sans succès puisque le DVD était protégé par des mesures de protection anti-copie. Ayant plusieurs fois demandé à la société Universal Pictures Italia S.R.L, productrice du DVD, les modalités à effectuer pour pouvoir copier le DVD, le demandeur s’est confronté à un refus de celle-ci. Le 26 juillet 2006, le consommateur a assigné en justice la Société Universal Pictures Italia S.R.L devant le Tribunal de Milan, demandant que soit établie la violation du droit d’exécuter une copie privée au sens de l’article 71-sexies de la loi 633 du 22 avril1941 (ci-après L.A) et que la société soit condamnée à faire le nécessaire pour permettre une copie du DVD ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts. La Société Universal Pictures Italia, se constituant en justice, contestait la violation du droit à la copie affirmant que « la possibilité pour le titulaire des droits de doter un DVD de mesures techniques de protection sur les œuvres mises dans le commerce, est consentie par l’article 102 quater L.A, pour la protection du droit exclusif de reproduction face auquel le droit à la copie privée constitue une dérogation ». De plus elle estimait que « le droit à la copie privée est conditionné à la possibilité technique de consentir l’exécution d’une seule copie de l’œuvre et que les mesures techniques de l’époque ne consentaient pas une telle possibilité et que donc une évaluation des intérêts en jeux détermine nécessairement la supériorité de l’intérêt des titulaires des droits patrimoniaux sur les œuvres ».
Les mesures techniques de protection d’un DVD peuvent-elles empêcher l’exercice concret de l’exception à la copie privée ?
Le Tribunal de Milan a donné raison à la Société productrice de DVD sur la base de l’article 71-sexies alinéa 4 selon lequel « les titulaires des droits sont tenus de consentir à ce que, malgré l’apposition des mesures techniques de protection de l’article 102-quater, la personne physique qui a acquis légitimement des exemplaires de l’œuvre puisse effectuer une copie privée pour un usage personnel, à condition qu’une telle possibilité ne soit pas en contraste avec l’exploitation normale de l’œuvre ou des autres matériaux et ne provoque pas un préjudice injustifié aux titulaires des droits ».
Par cette décision le Tribunal de Milan affirme le droit à la copie privée à usage individuel (I) mais l’interprète conformément au test des trois étapes tel que figurant dans la convention de Berne, ce qui limite considérablement son application (II).
I) L’EXCEPTION DE LA COPIE PRIVEE
A) Transposition de la Directive 2001/29/CE
L’article 5 de la Directive 2001/29/CE prévoit une série d’exceptions facultatives au droit de reproduction établi par l’article 2, accordé entre autre, au producteur de vidéogrammes, parmi lesquelles l’article 5 alinéa 2 lettre b) qui admet la faculté pour les Etats membres de consentir l’exception de reproduction « lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable ».
Le décret législatif n°68 de 2003 est la transposition italienne de la directive n°2001/29/CE et comme le rappelle le Tribunal de Milan, « le droit à la copie privée a ainsi été introduit pour la première fois dans le système juridique italien comme exception ou limitation au droit exclusif de reproduction ». A l’inverse, en France, l'idée d'une réglementation de la copie privée existe depuis longtemps (A.-CH. Renouard, Traité des droits d’auteurs : Paris 1839, tome II n°19). La loi n°2006-961 du 1er aout 2006, adoptée à la suite de la Directive 2001/29/CE, a réaffirmé l’exception selon laquelle le consommateur peut réaliser une copie d’une œuvre si elle est privée. La possibilité de copie privée est donc consentie dans les deux systèmes juridiques, à l’article 71-sexies L.A et aux articles L122-5 et L211-3 al 2du code de propriété intellectuelle français mais à certaines conditions.
Tout d’abord, au sens de la loi italienne, la copie privée est autorisée pour les phonogrammes et les vidéogrammes, c’est à dire les œuvres musicales et audiovisuelles, a contrario, est exclue la copie privée pour les logiciels et les bases de données. Dans le même sens, l’article 122-5 du code de propriété intellectuelle français exclut de façon catégorique le droit à la copie privée pour les logiciels et les bases de données. S’agissant des conditions, il est exigé que la copie soit effectuée par une « personne physique ». Elle n’est pas consentie pour le compte d’une personne juridique ou par une personne juridique. La jurisprudence française adopte à cet égard une approche économique du copiste. Le copiste n’est pas par définition, le bénéficiaire de la copie mais celui qui exploite économiquement le matériel permettant à ses clients de réaliser les copies (Cass. Civ1ère, 7 mars 1984).
Ensuite, la copie est privée selon l’usage qu’en fait le copiste.Alors que la directive parle d’un usage privé, terme repris par la législation française, la loi italienne parle d’un usage exclusivement personnel. Une partie de la doctrine italienne estime que sont visées uniquement les reproductions faites par une personne physique, par ses propres moyens pour une utilisation strictement individuelle. Une autre partie de la doctrine italienne entend par usage exclusivement personnel non pas un usage individuel, mais un usage privé c’est à dire un usage dans le domaine familial et social mais jamais dans une activité avec des tiers qui soit commerciale ou à but lucratif. Cette dernière vision est partagée par la jurisprudence française qui estime que la copie privée peut bénéficier non seulement au copiste mais aussi à un groupe restreint de personnes qui ont entre elles des liens d’amitié ou de famille (CA Grenoble 18 janvier 2001).
Enfin, l’alinéa 4 de l’article 71-sexies L.A établit que la copie privée est permise seulement si le vidéogramme a été acquis de façon légitime. Si la loi italienne est tout à fait claire sur ce point, la loi française reste quant à elle muette. Mais la Cour de cassation française a estimé que l’exception de copie privée prévue par L. 122-5 2° du code de la propriété intellectuelle, en ce qu’elle constitue une dérogation au monopole de l’auteur sur son œuvre, suppose, pour pouvoir être retenue, que sa source soit licite (Cass crim, 30 mai 2006 : JCP G 2006, II, 10124, note Caron).
En l’espèce, le consommateur italien a acheté un DVD en toute légalité, ce que ne conteste d’ailleurs pas la Société productrice, et a tenté de le copier pour un usage strictement personnel et non commercial. C’est la raison pour laquelle il réclamait de pouvoir copier son DVD. Cette requête semble, dans un premier temps, légitime aux yeux du droit italien. D’ailleurs, on peut déjà noter qu’elle semble tout autant légitime aux yeux du droit français.
B) Une difficile conciliation des intérêts en jeu
Si les consommateurs, qui copient l’œuvre défendent la nécessité de sauvegarder leur vie privée, cette exception s’est révélée, à l’heure de la numérisation, une menace pour les titulaires des droits d’exploitation provoquant un grand manque à gagner. C’est pourquoi, constatant que les sanctions prévues par les différentes législations n’empêchent pas toujours le piratage des œuvres, les titulaires des droits d’exploitation apposent de plus en plus souvent des mesures techniques de protection anti-copies. C’est ce qu’avait fait la Société Universal Pictures Italia S.R.L, pour éviter la contrefaçon du DVD qu’elle commercialise. Mais cette autodéfense remet en cause le principe même de la copie privée, d’ou la nécessité de réglementer cette pratique.C’est l’objectif de l’article 6.4 de la Directive 29/2001/CE, qui a été l’un des plus controversé du texte communautaire. En effet cet article impose de concilier les exceptions avec les mesures techniques de protection. Est une mesure technique de protection tout moyen de contrôle de la copie des œuvres notamment par code d’accès ou par cryptage (article L331-5 du code de propriété intellectuelle français et 102 quater al 2 L.A).
L’article 102-quater L.A permet aux titulaires des droits d’auteur d’apposer des mesures techniques de protection anti-copies sur les œuvres. L’article 71-sexies al 4 L.A précise que malgré l’application des mesures techniques de protection de l’article 102-quater L.A, la personne physique qui a acquis légitimement l’œuvre doit pouvoir effectuer une copie privée […]. En droit français, l’article L331-5 du code de propriété intellectuelle pose le principe selon lequel « les mesures techniques ne peuvent s’opposer au libre usage de l’œuvre dans la limites des droits prévus par le présent code ». L’exception ne doit donc pas en principe être empêchée par les mesures techniques de protection. Or, en l’espèce la Société a utilisé le système des Digital Rights Management (DRM) appelé Macrovision, qui empêche toute copie du DVD. Dans son argumentation, cette dernière soutenait qu’à cette époque il n’était pas possible de faire autrement, sans permettre une reproduction illimitée du DVD identique par sa qualité à l’original, laissant la porte ouverte à sa contrefaçon. Le consommateur pour sa part, affirmait son droit à la copie privée puisqu’il prévoyait d’affecter sa copie à son usage personnel. C’est pourquoi il réclamait que lui soient communiquées les modalités pour copier son DVD et non pas que soient retirées les mesures de protection à tous les DVD.
Deux intérêts contradictoires s’opposent donc en l’espèce: faut-il admettre l’exception à la copie privée ou privilégier le droit d’exploitation du producteur ?
II) L’INTERPRETATION DE L'EXCEPTION
A) L’interprétation de l’exception conforme au test des trois étapes
Pour répondre à la question, le Tribunal de Milan fait application du test dit des trois étapes. Ce test est présent dans au niveau international dans l’article 9-2 de la Convention de Berne, dans l’article 13 des Accords ADPIC et dans l’article 10 du traité de l’OMPI du 20 décembre 1996, qui soumettent l’application d’une exception à trois conditions. Ces conditions se retrouvent dans la Directive 29/2001/CE et sont présentes dans l’article 71-sexies al 4 L.A et dans l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle français. L’exception de la copie privée doit être un cas spécial et « ne peut donc porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causer un préjudice injustifié aux intérêts de l’auteur ».
Il revenait donc aux juges d’évaluer les préjudices que pouvaient provoquer l’exercice du droit à la copie privée par les consommateurs. Ceux-ci ont alors retenu que « les conditions rendant possible l’exercice concret du droit à la copie privée de l’œuvre cinématographique contenu dans le DVD, n’étaient pas réunies ». Les juges ont en effet considéré qu’il n’y avait pas d’autres moyens que d’empêcher toute copie de l’œuvre car, sinon, cela serait revenu à prendre le risque de permettre des copies illimitées du DVD et cela aurait eu pour conséquence d’empêcher l’exploitation normale de l’œuvre et de créer un préjudice injustifié aux titulaires des droits d’utilisation économique de l’œuvre. Ainsi on peut voir que prédomine le souci d’éviter la contrefaçon du DVD, devenue extrêmement facile avec les moyens technologiques existants. Il est intéressant de voir que le Tribunal justifie son choix en évaluant l’existence des conditions non pas « par rapport au demandeur […] mais en situant l’affaire dans un contexte caractérisé par l’utilisation diffuse de la technique numérique capable de créer des copies identiques aux originaux et par un phénomène de piraterie importante ». Le Tribunal fait donc ici le choix d’estimer la situation en généralisant le comportement du consommateur à l’ensemble des bénéficiaires de l’exception.
En France, une affaire similaire dite Mulholland Drive, a été le théâtre d’une bataille judiciaire de plus de quatre ans. Il faut noter dans cette affaire que le droit antérieur à la réforme de 2006 s’appliquait et que la question de la légitimité des mesures techniques de protection ne se posait pas encore. Dans un premier temps, la cour d’appel avait considéré que la présence de mesures techniques de protection portait atteinte à l’exception de copie privée (CA Paris 4ème chambre section B, 22 avril 2005). Cependant, la Cour de cassation française a cassé cet arrêt et a retenu que « ne peut faire obstacle à l’insertion dans les supports sur lesquels est reproduite une œuvre protégée, de mesures techniques de protection destinées à en empêcher la copie, lorsque celle-ci aurait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, laquelle doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l'environnement numérique » (Cass Civ1ère, 28 février 2006). Par la suite la Cour de renvoi (CA de Paris 4ème chambre section A, 4 avril 2007) puis la Cour de cassation (Cass Civ1ère n° 709) ont de nouveau débouté l’acheteur.
B) Champ d’application de l’exception amputée
Le test des trois étapes rappelle que l’exploitation normale de l’œuvre ne doit pas être empêchée par les exceptions accordées aux consommateurs. La copie privée reste donc toujours une exception et, selon le principe de l’interprétation stricte des exceptions qui s’applique en droit italien comme en droit français, doit s’interpréter à la faveur du principe qu’est le droit exclusif de reproduction. C’est pourquoi le Tribunal de Milan s’est refusé à mettre sur un pied d’égalité les deux intérêts en jeu et a préféré parler « d’une situation pour laquelle le caractère absolu du droit des titulaires des droits d’utilisation économique de l’œuvre peut être limité par le droit du légitime possesseur de l’exemplaire de l’œuvre sisubsistent les conditions de l’alinéa 4 de l’article 7 L.A ». L’exception de la copie privée est donc, en Italie, une simple limite au monopole des titulaires des droits. La Cour de cassation française s’était pareillement refusée à admettre que la copie privée confère, à ceux qui voudraient s’en prévaloir, « un droit subjectif qu’il serait possible d’opposer à quiconque » (Cass. Civ. 1ère, 19 juin 2008).
L’influence des sociétés productrices d’œuvres cinématographiques, qui en détiennent les droits d’exploitation, n’est sûrement pas étrangère à une telle évolution de la législation et de la jurisprudence en matière de copie privée. Désormais, le champ d’application de la copie privée est considérablement amputé par les mesures techniques pouvant contrevenir à sa réalisation concrète, fut-ce pour usage strictement personnel.
La décision du Tribunal de Milan montre toute l’impossibilité de concilier l’exception à la copie privée et les mesures techniques de protection. Cependant, l’exception subsiste et l’utilisation des mesures de protections est aussi encadrée. En effet, en cas d’abus la directive 2001/29/CE laisse aux Etats le soin de prendre les mesures nécessaires.Les législations françaises et italiennes encouragent alors pareillement une conciliation entre les associations de consommateurs et les titulaires des droits, au sujet de l’utilisation des mesures de protection anti copies (art 71-quinquies L.A et L. 311-11). De plus, en France, la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) est chargée de veiller à leur utilisation. Enfin, il est prévu au niveau communautaire et national une rémunération pour copie privée. Cette rémunération est une redevance versée par les fabricants ou importateurs de supports d'enregistrement aux ayants droits des œuvres à travers des sociétés de gestion collective. Mais la coexistence de cette rémunération et des mesures de protection anti copies a été plusieurs fois remise en cause. En effet les mesures de protection entraînant une baisse des copies privées, la rémunération perd une partie de sa légitimité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en France, l’article L. 311-4 du Code de propriété intellectuelle précise que le montant de cette rémunération « tient compte du degré d’utilisation des mesures techniques et de leur incidence sur les usages relevant de l’exception pour copie privée ». L’Italie à la suite de la France a également retenu cette règle logique (art 71-septies 2 L.A), ce qui rapproche encore davantage le droit italien du droit français, sous l’influence conjointe du droit Européen et de ses juges internes.
BIBLIOGRAPHIE
Manuels
- Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, ed Litec 2ème édition, 2009.
- Pierre Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, ed Puf droit, 7ème édition, 2010.
- Andrèa Sirotti Gaudenzi, Il nuovo diritto d’autore, ed Maggioli Editore, 2003.
- G. Clan et A Trabucchi, Commentario breve alle leggi su Proprietà intellettuale concorrenza, ed Cedam, quarta edizione, 2007.
- Sara Alvanni, Misure technologiche di protezione e copia privata commento Tribunale di Milano, 1 luglio 2009, Rivesta Diritto industriale 06/2009, Bimestrale di dottrina e giurisprudenza sulle creazioni intellettuali e sulla concorrenza, ed Wolters Italia S.r.l, 2009.
Textes
- Directive 29/2001/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information.
- Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes du 20 décembre 1996.
- Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886.
- Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) du 1er janvier 1995.
- Loi n°2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
- Decreto Legislativo 9 aprile 2003, n. 68.