A propos de l’intégration en droit interne du Statut de la Cour Pénale Internationale en France et au Royaume-Uni par Morgane Piederriere

La France a joué un rôle important dans le processus de création de la Cour Pénale Internationale. Cependant, sept ans après la ratification de ce Statut par la France, son intégration au droit interne est fortement critiquée, notamment par la Commission Consultative des Droits de l’Homme. Le Royaume-Uni a pour sa part procédé à une intégration beaucoup plus fidèle et extensive. Comment expliquer ces différences ? Que cela nous apprend-t-il sur les rapports entre le droit international et les droits internes ?

L’intégration du Statut de Rome créant la Cour pénale Internationale(CPI) au droit français a été fortement critiquée. En effet, la France a montré certaines réticences à donner pleinement effet à ce Statut, notamment en modifiant les définitions des crimes pour lesquels la CPI a compétence, qualifiant de simples délits certains faits considérés comme des crimes dans le Statut et en faisant usage de l’art. 124 du Statut qui permet aux Etats membres de refuser compétence à la Cour pour les crimes contre l’Humanité commis sur leurs territoires ou par un de leurs ressortissants pendant une durée de 7 ans. Elle est le seul Etat partie avec la Colombie à l’avoir fait. Le Royaume-Uni (RU), pourtant plus discret lors du processus de création de la Cour, s’est montré « meilleur élève » que sa voisine, bien qu’il soit un Etat dualiste. L’International Criminal Court Act de 2001 a intégré le Statut d’une manière jugée satisfaisante par les observateurs.

   Les lois d'adaptation nationales du Statut de la CPI sont essentielles au bon fonctionnement de la Cour.  En effet, l’enjeu est notamment de permettre aux victimes de déposer plainte devant les juridictions (la Cour ne peut fonctionner que de manière subsidiaire) et de permettre à ces mêmes juridictions de poursuivre effectivement les auteurs de crimes internationaux. En adoptant cette loi d’adaptation dite « au rabais », le France risque donc, en prenant du retard sur les autres Etats membres, de devenir un territoire d’accueil pour les criminels internationaux. L’intérêt de la comparaison pour des juristes français se situe précisément là : comparer l’adaptation française à celle d’un de ses voisins, proche géographiquement et plus avancé dans son adaptation, permet de mesurer ce risque pour la France. Cela nous permet également d’observer quels motifs influencent les rapports entre le droit international et les droits internes.

Chaque Etat partie au Statut de Rome est libre de choisir la manière de mettre en œuvre ses obligations à l'égard du Statut de Rome. Les pays du Commonwealth, dualistes, considèrent que le droit international n’a pas d’effet direct en droit interne tant qu’il n’y a pas été intégré. En revanche, pour les Etats ayant un "système moniste ", comme la France, le droit international est directement incorporé dans l’ordre juridique interne. Ainsi, sous réserve de leur ratification et de leur publication, les conventions internationales sont automatiquement introduites dans le droit national, indépendamment de tout autre acte juridique. Toutefois, une loi de mise en œuvre est généralement nécessaire. La réception du Statut de la CPI en France et au Royaume-Uni est un exemple très pertinent de l’importance de la réception du droit international en droit interne. La CPI est une organisation internationale indépendante, supranationale, mais on voit ici les limites de cette : une réception partielle ou réticente peut saper toute l’efficacité d’une institution internationale.

    En France, une première loi fut promulguée en 2002 (Loi No. 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale) pour traiter de  la question de la procédure et autoriser la France à coopérer avec la Cour concernant les arrestations, les transferts, les peines de prison et les ordonnances de réparation. Une nouvelle  loi doit être promulguée pour combler les lacunes de la première, très critiquée, mais son projet, bien que déposé en juillet 2006, n’est toujours pas à l’ordre du jour du Parlement. Il sera donc considéré ci-après que ce nouveau projet n’apporte pas de correction car il est loin d’être acquis qu’il sera accepté en la forme.

La Commission Nationale Consultative Des Droits de l’Homme (CNCDH) dans ses opinions du 15 mai 2003 et du 29 juin 2006 a identifié de nombreux problèmes, certains pris en compte et corrigés dans le nouveau projet de loi, d’autres ignorés. Pour des raisons de concision, ne seront traitées ici que les principales difficultés. La définition des crimes est le problème majeur de la transposition française. Concernant le crime de génocide et le crime contre l’humanité, le Code Pénal français pose une exigence de « plan concerté » qui n’existe pas en droit international. Rien dans le Statut ne permet de supposer qu’il s’agit d’un des éléments constitutifs de ces crimes. De plus, aucune disposition française ne prévoit le crime de guerre, ce qui signifie que les Conventions pourtant ratifiées de Genève de 1949 et ses Protocoles Additionnels qui organisent leurs répressions n’ont pas été intégrés. Ceci n’est que partiellement corrigé dans le projet de loi qui les place dans un titre distinct du Code Pénal français avec un régime distinct comprenant leur prescribilité et la qualification de certains d’eux en délits. Le Statut, pour sa part, ne différencie pas les différents crimes et leur applique le même régime. Cela pose problème autant pour des raisons de cohérence que pour des raisons procédurales. La France risque de tomber sous le coup de l’article 17 (1) visant la recevabilité d’une affaire devant la Cour Pénale Internationale, dans l’hypothèse où l’absence de poursuites internes serait « l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites ». On voit ici que le Statut a pris des dispositions en cas de mauvaise adaptation dans les droits internes, ce qui est assez nouveau et pourrait faire évoluer les rapports entre le droit international et les droits internes. Les rédacteurs ont pris en compte la difficulté d’intégrer le Statut dans les systèmes juridiques très variés des Etats parties et conscients que l’efficacité de la Cour en dépendait, ont instauré un mécanisme permettant au droit international de suppléer le droit national si celui-ci met en danger son efficacité. A l’opposé de la législation française actuelle, la législation nationale anglaise incorpore tous les crimes relevant de la compétence de la Cour par la loi de 2001. Cette loi ne définit pas en détail chaque crime. Elle fait simplement référence aux crimes tels que définis dans le Statut de Rome et permet aux cours anglaises de s’y référer en ce qui concerne les éléments constitutifs (art. 50 et Annexe 8 de la loi). Cette approche beaucoup plus générale a le mérite d’assurer une réelle cohérence concernant la complémentarité de la Cour et des tribunaux nationaux en leur permettant de poursuivre un individu pour les mêmes charges que la Cour. Il est intéressant de constater que la France, Etat moniste, où l’incorporation des traités internationaux n’est pas une condition à leur effet direct, n’a néanmoins pas su donner plein effet à ce Statut qui requérait qu’une nouvelle législation soit adoptée pour être efficace, tandis que le Royaume-Uni, Etat dualiste qui ne reconnait pas d’effet direct aux traités non-incorporés, a su le faire par cette incorporation même. Cela permet d’argumenter que le système dualiste n’est par forcément plus préjudiciable au droit international, en tous cas quand il s’agit de traités ne pouvant être appliqués sans loi de mise en œuvre nationale.

Cette solution a également l’avantage de la simplicité. En effet, le retard dans l’intégration du Statut en droit français est partiellement dû aux nombreux débats sur ces définitions. Mais la France ayant ratifié ce Statut, il lui revient selon l’adage « pacta sunt servanda » d’en tirer réellement toutes les conséquences et donc de l’intégrer totalement et fidèlement. On peut donc s’interroger sur les raisons qui ont détourné la France de cette solution plus logique et plus aisée.

On peut avancer que dans un  Etat de Common Law comme le Royaume-Uni,  les juges ont plus de liberté. Comme la loi constituera une exception à la jurisprudence, les tribunaux l’interpréteront de manière restrictive. Il peut donc se permettre d’avoir une loi stricte car elle sera appliquée avec plus de flexibilité, l’Equité venant au besoin la tempérer. Les juges anglais qui auront à qualifier ce type d’actes pourront prendre en compte les faits et adapter leur qualification selon la situation plutôt que de se conformer à la lettre du Statut. Donc  il reste à voir si en pratique, le RU  sera aussi «  bon élève » en pratique qu’en théorie. D’autre part, la Common Law se fonde essentiellement sur la jurisprudence, ce qui en l’espèce est difficile étant donné la nouveauté du phénomène et la probabilité qu’il n’y ait que peu de poursuites donc le RU a dû faire une exception à sa traditionnelle rareté de loi pour faire face au manque de précédents.

En France, Etat de tradition de droit civil, le juge est supposé appliquer les lois avec plus de rigueur, il bénéficie de moins de marge de manœuvre, ce qui peut expliquer la réticence de la France à intégrer totalement ces incriminations. Ainsi on doit constater que le rédacteur d’une loi civiliste emploie souvent des termes généraux qui seront suivi scrupuleusement par les juges alors que son confrère de « Common Law », habitué depuis des siècles à l’interprétation restrictive des tribunaux, emploiera une formulation beaucoup plus détaillée.

Concernant la prescribilité des crimes de guerre, la législation française prévoit la prescription de l’action publique et de la peine après une durée de 30 ans pour les crimes et 20 ans pour les délits alors que Statut prévoit l’imprescribilité pour tous les crimes internationaux. On a évoqué « le risque de banalisation de l’imprescriptibilité » si elle était étendue aux crimes de guerre. Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a pourtant constaté la conformité de l’article 29 du Statut de Rome avec la Constitution française en relevant « qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ». Au Royaume Uni, les crimes relevant de la compétence de la Cour sont imprescriptibles (Art. 56 et 63). Le respect de cette règle conventionnelle était peut-être plus évident au Royaume-Uni où, comme dans la plupart des pays de Common Law, il n’existe pas de prescription des crimes graves en général. Pour qu’un crime soir prescriptible, la loi le définissant doit le préciser.

Alors que le Statut souligne qu’il s’applique à tous sans distinction tirée de la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat (art.27), fait acquis depuis les tribunaux de Nuremberg, la France ne mentionne pas dans sa loi le fait que la qualité officielle d’un individu n’est pas un motif d’impunité . La loi anglaise pour sa part stipule expressément que la qualité officielle d’une personne n’est pas un motif de refus de coopération avec la Cour mais ne semble pas étendre cette règle à la poursuite d’un individu devant une cour britannique sous le coup de cette loi. L’adaptation ici n’est donc que partielle : le Royaume-Uni ne rejette pas directement ce principe fondamental du Statut puisqu’il ne refusera pas de déférer un officiel à la Cour mais ne lui donne pas non plus pleinement effet puisque la qualité officielle d’un personne pourra a priori être prise en considération devant les cours anglaises. Ces différences d’adaptation peuvent s’expliquer par des contingences politiques différentes mais dont le poids pèse également dans les deux Etats. Ainsi, la réticence de la France peut s’expliquer par la nécessité d’une révision constitutionnelle sur ce point, comme l’a estimé le Conseil constitutionnel. En effet, l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution pour le Président et les membres du gouvernement et du Parlement. Le RU n’a pas de constitution donc ne fait pas face aux mêmes obstacles que la France qui y est historiquement très attachée. Cependant une autre réalité politique a certainement pesé dans les choix britanniques : le risque de poursuite de ses dirigeants pour la guerre en Iraq. Il est donc rationnel qu’il ne tienne pas à poursuivre les autres dirigeants par peur de représailles sur le même terrain, tout en acceptant cette impunité de manière générale pour se conformer à ses obligations. On constate de nouveau que la mise en œuvre en droit interne d’obligations conventionnelles suscite des difficultés que le pays soit moniste ou dualiste. Un Etat peut adapter son droit de manière à se conformer à ses obligations tout en évitant de prendre des risques politiques. L’intégration du droit international en droit interne n’est pas toujours manichéenne, les Etats peuvent adopter des législations ambiguës ou volontairement lacunaires qui, sans clairement violer leurs obligations, ne les remplissent pas totalement pour autant.

Le dernier problème que nous étudierons est celui de la compétence universelle qui n’est pas expressément énoncée dans le Statut mais « résulterait de son esprit » selon la CNCDH. De fait, beaucoup d’autres pays l’ont prévue dans leur législation. La France, qui la prévoit pourtant pour les crimes de terrorisme et de torture, s’est abstenue de l’étendre aux crimes de guerre, de génocide, et contre l’humanité, à l’exception de ceux commis par des ressortissants d’Etats non parties au Statut. Cette compétence est encore réduite par le fait que le Procureur serait la seule personne capable d’ester en justice lorsque le crime a été commis à l’étranger. Cette limitation semble peu conforme au principe de complémentarité prévu par le Statut qui rappelle la primauté des juridictions nationales en matière de répression des crimes relevant de la compétence de la CPI. Ajoutée au principe de l’opportunité des poursuites, cette restriction risque de provoquer des dénis de justice et de faire de la France une terre d’asile pour grand criminels. Cependant, au Royaume-Uni, l’argumentaire du gouvernement focalisé sur les risques de réciprocité pour les ressortissants nationaux ainsi que sur les coûts financiers de ce mécanisme (recueil des preuves et sécurité des victimes) a également eu gain de cause. Il n’y pas non plus de principe de compétence universelle. Les cours anglaises ne sont compétentes que pour les crimes commis sur son territoire ou par un citoyen ou résident anglais et dans le cas des résidents, le procureur doit donner son accord pour que des poursuites soient entamées. La compétence universelle existe seulement pour les violations graves des Conventions de Genève (ce qui constitue déjà un progrès par rapport à la France qui, bien que partie à ces Conventions, ne reconnait pas la compétence universelle pour leurs violations) et de la Convention réprimant la torture mais pas n’a pas été étendue aux crimes de la CPI. Cette restriction britannique peut être attribuée au principe bien établi selon lequel les cours anglaises ne sont pas compétentes pour les crimes commis hors du territoire. En cela, le RU se montre encore plus restrictif que la France car il n’accepte la compétence fondée sur la responsabilité passive que si aucun autre motif ne peut justifier la compétence de la cour. Cependant, l’art. 68 de la loi anglaise étend la compétence des cours à un individu ayant commis un crime hors du territoire anglais à une période ou il n’était pas anglais ni résident mais qui a acquis la nationalité par la suite ou est réside sur le territoire britannique au moment de la mise en accusation. Cela constitue un premier pas vers une compétence universelle. Il est donc intéressant de constater que les Etats reçoivent différemment le droit international en fonction de sa proximité avec leur propre droit. Le droit international est en quelque sorte décortiqué pour n’être intégré que selon le bon vouloir des Etats.