A propos de la L’intégration de la Décision du Conseil relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres dans les droits internes français et britannique, par Morgane Piederriere

Le second rapport de la Commission rendu le 11.07.2007 concernant l’intégration dans les droits internes de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen fait plusieurs constats. Tout d’abord, il constate que ce nouveau mécanisme est un succès. Mais il souligne également que certaines difficultés restent à surmonter. La France et le Royaume-Uni, bien qu’ils soient parmi les pays qui délivrent et reçoivent le plus de mandats depuis sa mise en place, conservent dans leurs législations certains points à améliorer, car non-conformes ou, bien que conformes à la décision-cadre, réduisant son champs matériel ou temporel. Comment expliquer ces différentes transpositions et que nous apprennent-elles?

Le mandat d’arrêt européen (MAE) s’inscrit dans la dynamique visant à créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice », pour contrebalancer le risque créé par la libre circulation, particulièrement celle des personnes. Pour cela, il supprime le contrôle de la légalité de la demande et de la matérialité des faits, ne laissant subsister que le contrôle de l’aspect formel de la demande. Son apport essentiel est de mettre fin à la subordination de l’efficacité du processus à l’opportunité politique de l’extradition. A la date limite de transposition prévue, seuls huit Etats avaient transposé correctement la décision cadre. La Commission a donc surveillé de près la progression des législations internes et rend régulièrement des rapports. La France et le Royaume-Uni se sont tous deux engagés avec l’Espagne, le Luxembourg et l’Allemagne à mettre en œuvre la décision-cadre avant la fin du 1er trimestre 2003. Le Royaume-Uni (RU) fait partie des pays ayant respecté les délais, au contraire de la France. Cependant, le dernier rapport met en avant dans les législations de ces deux Etats-membres certains points à améliorer, car non-conformes ou, bien que conformes à la décision-cadre, réduisant son champs matériel ou temporel. Il faut néanmoins prendre en considération le succès général du MAE dans ces deux pays, la France et le Royaume-Uni étant parmi les pays qui délivrent et reçoivent le plus de mandats depuis sa mise en place. Toute critique est donc à relativiser. Une adaptation rapide mais lacunaire au RU Alors que le dernier rapport de la Commission souligne les efforts de la plupart des Etats membres pour se mettre en conformité avec la décision-cadre, la transposition faite par le RU via l’Extradition Act de 2003 reste problématique. Le Royaume-Uni a en effet notamment introduit des « causes de refus », comme le risque de discrimination politique, des considérations de sécurité nationale, le « Passage of time » et plus grave encore car plus vague donc laissant encore plus de place à l’arbitraire, le « extraneous considerations », qui n’existaient pas dans la décision-cadre. Il a également réduit le champ matériel de la décision cadre en instaurant des seuils minimaux de peines exigés qui diffèrent de ceux prescrits par la décision-cadre. Il n’a également pas transposé les trois motifs de non exécution obligatoire selon l’article 3 de la décision-cadre : l’amnistie, le ne bis in idem (nul ne peut-être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits) et la minorité pénale. Plus grave encore, le RU ne concrétise pas l’apport majeur de la décision-cadre puisqu’il laisse subsister un contrôle partiel de la double incrimination, y compris pour les infractions listées dans la décision, si l’infraction a été commise sur le territoire national. Il impose également des conditions à la remise qui ne sont pas prévues par le formulaire. L’adaptation française : des réticences traduites par l’utilisation des possibilités de restrictions mises an place dans la décision-cadre mais une transposition estimée globalement satisfaisante. En effet, la loi du 9 mars 2004 dite Perben II reprend presque exactement les termes de la décision cadre. La France y a apporté certaines modifications pour tenir compte du premier rapport de la Commission.

Mais elle a fait valoir la possibilité de faire exécuter la peine de ses nationaux sur son territoire et a manifesté sa volonté de continuer à appliquer le système d'extradition applicable avant le 1er janvier 2004 aux demandes concernant des faits commis avant une certaine date (limitation temporelle mais en conformité avec la décision-cadre : l'article 32).

Si ces limitations sont légales, le fait que le délai maximal qu’elle a fixé pour la prise de décision des juridictions de cassation excède celui fixé par la décision-cadre (plafond de 90 jours) ne l’est pas. L’enjeu ici est le risque de rejet des demandes par les autres états. La France n’est cependant pas dans « la liste des Etats membres devant consentir des efforts pour se conformer pleinement à la décision-cadre » dans le dernier rapport de la Commission. Comment expliquer la différence de transposition avec le RU ?

Le recours à la décision-cadre montre une volonté de laisser une certaine latitude aux Etats. La décision-cadre est l’outil de l’arsenal du droit dérivé européen le plus flexible. En effet, elle lie les Etats-membres sur le résultat à atteindre mais les laissent libres des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. En cela, elle s’avère beaucoup plus souple qu’une directive qui oblige les Etats à mettre en œuvre son but d’une certaine façon. Pourquoi avoir fait le choix de cet outil ? Probablement parce que cet acte communautaire touche à une des fonctions régaliennes de l’Etat, ce qui le rend très politique, et d’autant plus controversé dans le contexte du terrorisme. Ici il est important de souligner les liens de cette décision-cadre avec la lutte contre le terrorisme et le paradoxe de l’influence du 11 septembre. Bien qu’elle eu été en projet depuis longtemps, c’est au lendemain des attentats qu’elle a été adoptée, le même jour que la décision-cadre tendant à définir les infractions liées au terrorisme et à créer une échelle de sanctions pénales les concernant. Ces attentats ont donc définitivement accru la détermination des Etats membres à accroitre la coopération dans le domaine pénal pour plus d’efficacité. Mais cela se fait, comme toute intégration plus en profondeur, au détriment de la souveraineté des Etats, à un moment où un des attributs de cette souveraineté, assurer la sécurité des citoyens, se révèle ardu et où donc les Etats se révèlent plus susceptibles sur la question. Il y a donc un paradoxe inhérent au couple souveraineté-efficacité de la sécurité, particulièrement dans le contexte de l’intégration européenne : elle implique de protéger les citoyens mais pour cela, les Etats doivent renoncer à exercer seuls un de leurs devoirs régaliens. Cela implique une grande confiance entre les pays européens. Le choix de cet outil aide donc les Etats à surmonter leurs réticences. Un autre facteur a aidé et explique le succès relatif des transpositions. Des textes communs existaient déjà en la matière (la Convention européenne d'extradition de 1957 ( droit commun avant) ainsi que la Convention européenne pour la répression du terrorisme de 1978 en ce qui concerne l'extradition; l'accord du 26 mai 1989 entre les 12 États membres, relatif à la simplification de la transmission des demandes d'extradition; la Convention sur l' extradition simplifiée de 1995; la Convention sur l'extradition de 1996; et les dispositions de l'accord de Schengen faisant référence à cette matière. ) donc les droits nationaux n’étaient pas à l’origine si différents. On voit ici l’effet proactif du droit communautaire : plus il se développe, plus il devient aisé de le développer car la transposition se fait plus facilement dans des droits internes plus proches. De plus, le décision-cadre laisse ouverte la possibilité d’accords bilatéraux entre les Etats membres. Cette souplesse devrait rendre la transposition mais elle peut expliquer par ailleurs les divergences entre la France et le RU. Comment expliquer la subsistance de divergences ? Tout d’abord, la Commission constate que la France est le pays qui émet le plus de MAE alors que le RU est le pays qui en reçoit le plus (chiffres de l’année 2005). Cela peut - être lié à des considérations géographiques : la France a beaucoup de frontières communes avec d’autres Etats membres, il est donc logique de tenter d’échapper à la justice en les traversant alors que le RU est une île, il est donc plus compliqué de s’évader à l’étranger, le contrôle des ports étant plus aisé. En tout état de cause, il est logique que le RU soit plus réticent à développer un mécanisme qui constituera plus souvent une charge pour lui qu’une aide. De plus, le RU accorde traditionnellement un important pouvoir aux juges. Le MAE les prive d’une partie de ce pouvoir en supprimant leur possibilité de vérifier la matérialité des faits. Cela est d’autant plus difficile à accepter pour les britanniques que leur système judiciaire, basé sur la Common law, est très différent de ceux de la plupart de ses partenaires européens de tradition civiliste. Le MAE qui implique une grande confiance dans le système judiciaire des autres Etats-membres signifie donc pour eux de faire confiance dans des systèmes fonctionnant de manière très différente. Cela explique notamment que le RU se soit réservé des possibilités de contrôle par l’introduction de motifs de refus non prévus par la décision cadre : il conserve ainsi la possibilité de refuser d’extrader pour des motifs trop éloignés de sa propre tradition juridique. L’exemple de la minorité pénale est révélateur sur ces différences de tradition : le RU a adopté concernant la responsabilité pénale des mineurs une approche légaliste qui met l’accent sur la nécessité de responsabiliser le mineur par une punition alors que la plupart des autres Etats de la Communauté privilégient une approche plus « paternaliste » qui vise en priorité à corriger la déviance chez le mineur. De même, le RU, comme beaucoup de pays de Common law, a une approche accusatoire, alors que la plupart des pays civilistes ont une approche inquisitoire. Il est donc très difficile aux juridictions anglaises de comprendre et a fortiori de faire confiance à des institutions telles le Parquet ou du juge d’instruction français. Ces différences approches ont abouti à des incompréhensions. Ces exemples illustrent les difficultés pour le RU d’accepter un rapprochement qui implique de passer outre de plus grandes différences pour lui que pour la plupart de ses partenaires. Cela explique sa volonté de garder une forme de contrôle via le maintien partiel de la double incrimination. En France, l’intégration de cette décision-cadre a également nécessité certains bouleversements. En effet, la procédure traditionnelle française d’extradition, qui implique une décision du pouvoir exécutif, a été, en conséquence, remplacée par une procédure entièrement judiciaire, le rôle du pouvoir exécutif se limitant désormais à un “appui pratique et administratif”. Le contrôle politique disparait. Cependant, le Conseil d’Etat n’a pas jugé que la pratique consistant à refuser d’extrader ses nationaux ou le principe du contrôle de la double incrimination avait valeur constitutionnelle, ce qui a facilité la transposition. Une révision constitutionnelle a néanmoins été nécessaire pour modifier de l’art 88-2 de la constitution par la loi du 26 mars 2003 pour habiliter le législateur à modifier la loi conformément au MAE car « la transposition de la décision-cadre conduisait à écarter le principe selon lequel l'Etat doit se réserver le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère comme des infractions à caractère politique, principe qui constitue, de l'avis de la Haute Assemblée, un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946. » (Assemblée Nationale, 4 octobre 1958 projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen).

Cette bonne adaptation  peut également être expliquée par le  rôle de moteur et d’exemple que la France souhaite avoir pour la Communauté Européenne, volonté qui la rend plus active sur ce plan qu’au plan international, même si et peut-être justement parce qu’elle ne respecte pas aussi bien toutes ses obligations européennes. On a souvent pu constater historiquement qu’au contraire, le RU se montre réticent de manière générale à un accepter un éventuel versant politique de la Communauté, favorisant plus ses aspects économiques. Il avait déjà par exemple manifesté sa volonté par différents protocoles de ne pas participer à tous les aspects relatifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Ces différences de transpositions nous amènent à réfléchir à d’éventuelles modifications nécessaires à la réalisation de cet espace de liberté, de sécurité et de justice. Du point de vue du rapport entre le droit international et le droit interne, cette comparaison confirme que, même en matière de droit européen, pourtant très développé et intrusif, les Etats peuvent montrer certaines réticences à donner plein effet à certains nouveaux mécanismes, même quand ils en reconnaissent par ailleurs l’utilité et en font usage. Il est aussi intéressant de constater que ces réticences ne portent pas toujours systématiquement sur les mêmes points. Dans l’ordre communautaire, la question qui a été posée est : comment lutter efficacement contre le terrorisme ? Une meilleure coordination a été la réponse suggérée. Mais la réponse dans les ordres nationaux est légèrement différente. La logique est plus de se servir de l’outil communautaire tout en gardant suffisamment de marge de manœuvre pour que cet outil ne soit pas une entrave, particulièrement quand il touche à des matières régaliennes. Par exemple, le RU a accepté le MAE mais se réserve le droit de refuser l’extradition pour « extraneous considerations » afin de conserver la possibilité de refuser l’extradition s’il s’estime mieux à même de gérer la situation. Ce qui nous amène à remettre en question la solution choisie pour atteindre le but, notamment le choix de la procédure sur le fond. En effet, le MAE privilégie le rapprochement de la procédure plutôt que le rapprochement des législations, la reconnaissance des décisions judicaires plutôt que l’harmonisation des incriminations qui pourrait également permettre de rendre plus efficace la poursuite des criminels. Au lendemain du traumatisme du 11 septembre, cette solution, plus aisée à mettre en place et plus rapide donc plus visible et efficace face à l’urgence du terrorisme était le choix le plus facile mais à long terme, un code pénal européen pour les infractions majeures pourrait s’avérer plus efficace bien que de mise en place extrêmement ardue. Cela supprimerait le paradoxe actuel : le MAE incite à la coopération pour faire appliquer des lois différentes au lieu d’essayer de rapprocher les lois. Du point de vue du rapport entre le droit international et les droits internes on constate qu’il est plus aisé pour le premier d’avoir un impact sur les procédures plutôt que sur la forme mais que cela peut se révéler moins efficace car cela laisse plus de possibilités aux Etats de dénaturer le but du texte pour le plier à leurs intérêts.