A propos de la transposition de la décision cadre du mandat d’arrêt européen par Carina Grigorian

Dans cet article il sera question de la mise en place du mandat d’arrêt européen qui permet la remise de personnes recherchées, rompant avec la procédure traditionnelle de l’extradition. Il a été instauré par une décision-cadre émanant de la Commission. Il a fallu que les Etats membres transposent cette décision-cadre, qui comme son nom l’indique ne guidait les Etats qu’à travers un cadre général. On s’attardera sur les difficultés de cette transposition, notamment en France et en Allemagne qui ont toutes les deux rencontré des obstacles différents. Malgré le fait que l’espace pénal européen est inachevé, la Commission a devancé les attentes des Etats membres en leur offrant un outil de coopération qu’ils ont su apprécier et utiliser à sa juste valeur

Le troisième pilier de l’Union Européenne est la coopération judiciaire et policière en matière pénale. Un des outils principaux de fonctionnement de cette coopération est le mandat d’arrêt européen. Son apport majeur est la simplification de la procédure d’extradition entre les Etats membres. Il facilite l’arrestation ou la remise par un autre Etat membre d’une personne afin de permettre l'exercice de poursuites pénales, l'exécution d'une peine ou l'exécution d'une mesure de sûreté privative de liberté. Il a été créé peu après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis pour éviter notamment la fuite de terroristes à travers les Etats membres.

Dans une optique de droit comparé, l’intérêt de l’analyse de cet outil est la comparaison de son efficacité dans les pays membres mais aussi et en premier lieu les différences de mise en œuvre du mandat d’arrêt européen au sein des législations nationales. En effet la décision-cadre du 13 juin 2002 qui institue le mandat d’arrêt européen a connu des difficultés lors de sa transposition dans les législations nationales.

Le 11 juillet 2007, la Commission européenne a rendu un rapport d’évaluation globalement positif pour le mandat d’arrêt européen, soulignant cependant des obstacles d'ordre législatif subsistant qui limitent encore l'exploitation du dispositif. L’Allemagne et la France l’ayant transposé différemment, il semble intéressant d’en étudier les modalités de transposition et les raisons qui ont conduit à cette divergence.

Il semble également légitime de s’intéresser à la nature de l’instrument auquel il a été recouru pour mettre en place le mandat d’arrêt européen. En effet en vertu de l’article 34 du Traité sur Union Européenne les décisions cadres qui ont pour objet le « rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres » sont adoptées à l’unanimité par le Conseil de L’UE, à l’initiative de la Commission comme ce fût le cas en l’espèce. Etant adoptées par un organe de l’UE, elles constituent de véritables actes de droit européen dérivé. Leur entrée en vigueur est immédiate mais elles nécessitent une transposition en droit interne pour pouvoir être applicables. L’article 34 précise également que les décisions cadres ne lient les Etats membres que « quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Dans un objectif d’appréciation des rapports entre droit international et droit interne, cet outil communautaire pose la question de savoir dans quelle mesure la norme de droit international doit-elle guider l’Etat membre dans la transposition afin d’obtenir le résultat souhaité. En l’espèce, la décision cadre du 13 juin 2002 instituant la mandat d’arrêt européen ne lie les Etats membres que quant au but à atteindre. Le rapport de direction du droit international sur le droit interne est alors extrêmement minimalisé. A l’image d’un réalisateur donnant carte blanche à l’acteur pour l’interprétation du rôle, la décision cadre n’est que le scénario, reste à l’Etat membre d’en donner une interprétation conforme dans une loi nationale. La seule décision-cadre suffit-elle à mener les Etats membres à une application uniforme du mandat d’arrêt européen ? C’est en étudiant l’efficacité de l’instrument qu’il sera que nous verrons si la simple ligne directrice de la décision-cadre a suffit. Dans quelle mesure le mandat d’arrêt tel qu’il a été transposé dans les législations nationales répond-il au cadre d’action général posé par la décision-cadre ? A l’analyse de la mise en place du mandat d’arrêt européen on observe une mise en œuvre hétéroclite due à un espace pénal européen en construction (I) mais qui abouti à un bilan généralement positif (II).

Une mise en œuvre hétéroclite du mandat d’arrêt européen due à un espace pénal communautaire en construction

Le mandat d’arrêt européen est né de la volonté des Etats membres de coopérer plus étroitement. Alors que la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes est une liberté fondamentale de la construction européenne, l’exécution des décisions de justice restait limitée dans les frontières nationales. Cette insuffisance palliée, le mandat d’arrêt se heurte aujourd’hui aux vestiges des souverainetés nationales et aux paradoxes de la mise en œuvre.

- Les vestiges de souverainetés nationales, difficulté inhérente à la construction européenne

La coopération judiciaire pénale suppose la concrétisation du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice. C’est ce qu’a estimé le Conseil européen réuni à Tempere en 1999 lorsque les questions liées à la libre circulation en Europe on été abordées. Les conclusions de la présidence énoncent que le « principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements ont vocation à devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’UE ». Ce principe est fondé sur le principe d’équivalence entre les décisions des Etats d’émission et d’exécution et sur le principe de confiance réciproque des Etats membre dans la qualité de leurs systèmes juridiques. Dans cette perspective, le mandat d’arrêt constitue une innovation majeure du fait qu’elle supprime l’exigence de la double incrimination que la procédure d’extradition prévoyait ; l’infraction doit été listée dans les 32 catégories infractions de la décision-cadre et être passible dans l’Etat d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’au moins 3 ans. La suppression de cette condition impose une confiance accrue dans les systèmes judiciaires respectifs. Le second rapport d’évaluation sur l’état de transposition de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre les Etats membres reflète les difficultés dans l’application de cette confiance réciproque. Les Etats membres se montrent réticents quant à la remise de leurs nationaux et certains ont réintroduit la condition de double incrimination. Le mandat d’arrêt étant applicable aux 27 membres, certains Etats sont sur la défensive, notamment envers les nouveaux adhérents dont l’éventuelle opacité des systèmes juridiques inquiète parfois. Certains Etats ont également exigé des garanties supplémentaires qui n’étaient pas prévues par la décision-cadre. Par conséquent on pourrait se demander si les Etats membres sont prêts à accepter un instrument qui les oblige à coopérer de façon aussi intensive.

- La liberté accordée aux Etats membres pour la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen : un paradoxe de l’unification des législations franco-allemandes

L’emploi d’une décision-cadre pour créer le mandat d’arrêt européen accorde aux Etats membres une liberté étendue, ce qui représente un risque de disparité des législations nationales dans le processus d’harmonisation. Ceci s’est notamment manifesté à travers les motifs de refus accordés par la décison-cadre aux Etats pour déroger à l’application du mandat. Son efficacité étant un vecteur de son application, plus les exceptions d’application sont nombreuses, moins on peut parler de succès du mandat d’arrêt européen. La décision-cadre prévoit 3 motifs de refus obligatoire (l’amnistie, l’adage non bis in idem et la minorité pénale) et 7 motifs de refus facultatif de l’exécution du mandat d’arrêt. La portée du terme « facultatif » a été envisagée de façon différente dans les Etats membres. Tandis que l’adjectif a été interprété en Allemagne notamment comme une liberté accordée au législateur national de ne transposer que certains de ces motifs de refus, le législateur français a jugé que cela lui accordait la prérogative de transformer certains motifs de refus facultatifs en motifs obligatoires. Certains Etats sont allés jusqu’à insérer des motifs de refus que la décision-cadre ne prévoyait pas. La Commission a d’ailleurs jugé cette pratique « inquiétante ». En outre, la France ainsi que l’Autriche et l’Italie ont limité l’applicabilité du mandat dans le temps. La France ne l’applique pas à des faits commis antérieurement au 1er novembre 1993. La Commission ne disposant pas du recours en manquement dans le cadre du troisième pilier, les Etats sont très libres quant à leur choix de transposition, le seul obstacle étant la conformité à leurs normes nationales.

Un bilan généralement positif

- Des transpositions mouvementées mais réussies

La décision cadre prévoyait un délai de transposition en droit interne fixé au 1er janvier 2004. A ce jour seuls huit Etats (la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, le Portugal et la Suède) l’avaient transposé. La France a été un mauvais élève en ne transposant la décision-cadre que le 9 mars 2004. Avant de soumettre une proposition de loi, il a fallut déterminer si la décision-cadre n’était pas contraire à la Constitution. La documentation française synthétise le processus : « Il était en l’espèce exclu de saisir, à cette fin, le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, puisque le dispositif prévu par cet article ne s'applique qu'aux engagements internationaux soumis à ratification ou à approbation. Il a donc été décidé de solliciter l'avis du Conseil d'Etat. Celui-ci a estimé que la décision-cadre était conforme à nos principes constitutionnels, à une seule réserve: il a en effet considéré que la transposition de la décision-cadre conduisait à écarter le principe selon lequel l'Etat doit se réserver le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère comme des infractions à caractère politique, principe qui constitue, de l'avis de la Haute Assemblée, un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946. » Par conséquent, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle visant à ajouter un second alinéa à l’article 88 de la Constitution pour assurer une transposition adéquate. "La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l'Union Européenne".Suite à cette révision constitutionnelle, le législateur français a adopté le mandat d’arrêt européen dans la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité du 9 mars 2004 dite Perben II. Le législateur allemand quant à lui n’a pas modifié sa Constitution mais, alors qu’il avait transposé la décision-cadre le 16 juin 2004 dans sa législation en modifiant ou en ajoutant en particulier les articles 78 à 86 à sa loi antérieure de base sur l'Entraide Pénale Internationale (IRG), la Cour Constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) a déclaré cette loi nulle par une décision du 18 juillet 2005. L'article 16 - 2 de la Constitution est très caractéristique du nationalisme allemand : "Aucun allemand ne peut être extradé à l'étranger. Une règlementation dérogatoire peut être prise par la loi pour l'extradition vers un Etat membre de l'Union Européenne ou à une Cour Internationale, dans la mesure où les principes de l'Etat de droit sont garantis." La Cour estimait que la transposition faite par le législateur allemand violait l’article 16-2 et spécialement qu’elle ne prévoyait aucun recours contre la décision de remise de la personne de l’Etat d’émission ce qui constitue une entorse à l’article 19 IV de la loi fondamentale (Grundgesetz) selon lequel « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d'un recours juridictionnel ». Le législateur a donc été contraint de créer une nouvelle loi portant application du mandat d’arrêt européen qui est entrée en vigueur le 2 août 2006. Dans la période transitoire entre la déclaration de nullité de la première loi et l’entrée en vigueur de la seconde, la remise des citoyens allemands a été refusée, mais pas l’extradition de ressortissants étrangers. Les transpositions en France et en Allemagne sont deux exemples bien différents qui attestent des difficultés élevées par la nécessité de transposer la décision-cadre. Il a fallu attendre avril 2005 pour que le dernier Etat transpose la décision-cadre. Aujourd’hui les 27 Etats membres ont une norme de droit interne leur permettant la mise en œuvre d’un mandat d’arrêt européen.

- Des résultats annonçant un développement significatif de la coopération européenne

Pour l’année 2005, 6900 mandats d’arrêt ont été émis, soit deux fois plus qu’en 2004 dont 1914 par la France qui est la plus consommatrice. Le second rapport d’évaluation du 12 juillet 2007 atteste du succès du dispositif. Sont à noter son utilisation de plus en plus fréquente, preuve de sa nécessité et du fait qu’il est adapté au besoin des Etats, et son apport majeur qui est la réduction des délais d’exécution d’une demande de remise nécessite un délais de 11 à 43 jours). Pour son exécution, le mécanisme de mandat d’arrêt européen requiert une communication de juge à juge. Sa grande innovation est son caractère exclusivement judiciaire. L’intervention politique régissant l’extradition disparaît pour laisser place à une coopération directe et effective entre juges.

Bibliographie sélective:

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/espace-judiciaire-europe...

http://www.eurowarrant.net/documents/cms_eaw_36_1_fiche%20belge.pdf

http://www.reformer.fr/article.php3?id_article=209

http://www.libertysecurity.org/article1577.html

http://eur-lex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexplus!prod!Do...

http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33131.htm

http://www.touteleurope.fr/index.php?&id=63&cmd=FICHE&uid=2048&cHash=90a...