A propos du conflit Traité/Loi : l'évolution du droit communautaire au sein de la hiérarchie des normes, au BeNeLux et en France, par Emilie Hayvel
Le droit des trois Etats du BeNeLux présente un trait commun : le juge ne contrôle pas la conformité de la loi à la Constitution. Mais à ce contrôle, se pose la question incidente du contrôle de la loi par référence aux normes internationales et à l'ordre juridique communautaire, ledit « contrôle de conventionalité ». Quels ont été les fondements permettant d'introduire un nouvel ordre jurique au sein d'une hiérarchie où prime normalement la Constitution ?
M. Ganshof van der Meersch, procureur général belge, dans le fameux arrêt de la Cour de Cassation belge « Le Ski » de 1971, débuta ses conclusions par les mots suivants. « Les questions que pose le pourvoi touchent au fondement même du droit international, aujourd'hui plus que jamais en constant développement, à sa nature et à ses effets sur l'exercice des pouvoirs de l'Etat. Elles portent aussi sur la nature et sur les effets du droit communautaire ». Cet arrêt fut le coup d'envoi, pour la jurisprudence belge, de la résolution systématique du conflit Loi-Traité au profit de ce dernier. Au travers la résolution de ce conflit, ce qui est représentée est la hiérarchie des normes au sein d'un ordonnancement juridique spécifique, la place de la Constitution, des lois, à l'égard des sources de droit international. Le droit des trois Etats du BeNeLux présente un trait commun en la matière, qui constitue en soi une particularité par rapport au droit français : le juge judiciaire ne contrôle pas la conformité de la loi à la Constitution. La Constitution des Pays-Bas interdit expressément ce contrôle par le biais de son article 131.2, qui dispose que les lois sont « inviolables », disposition qui est interprétée comme comportant une interdiction totale pour le juge de contrôler la conformité de la loi à la Constitution (tel que le démontre la jurisprudence continue depuis 1868). De leur côté, les juges belges et luxembourgeois se sont toujours abstenus d'effectuer ce contrôle, mais cette abstention ne trouve pas un fondement textuel, mais jurisprudentiel. Pour sa part, le droit français diverge profondément en la matière. Avec l'existence du Conseil Constitutionnel, et la procédure de l'art. 54 de la Constitution française, le problème se pose de façon différente. « Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, le Premier Ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution ». Il s'agit là d'un contrôle de conformité des lois à la Constitution qui a pour objet de faire respecter la hiérarchie des normes, dont l'ordonnancement fonde le principe de légalité démocratique, du contrôle de constitutionnalité. Mais à ce contrôle, se pose la question incidente du contrôle de la loi par référence aux normes internationales, ledit « contrôle de conventionalité », et à l'ordre juridique communautaire. En Droit international, la résolution de ce conflit est simple. S'il est soulevé dans l'ordre international, la solution sera dictée par la primauté du Doit international sur le droit interne. La jurisprudence internationale en la matière est claire et constante (CPJI, avis consultatif du 31 juillet 1930, ou bien CPJI, arrêt du 25 mai 1926, affaire reltaive à certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise). Au niveau communautaire, des procédures particulières ont été instituées, permettant de constater la responsabilité internationale des Etats membres si ceux-ci appliquent le droit national en dépit du droit communautaire. La Cour de Justice reconnaîtra l'existence de manquements, et les Etats fautifs seront tenus de prendre des mesures comportant l'obligation d'exécution de l'arrêt. Quelles ont été les solutions adoptées par les juridictions internes des quatre Etats en question, au moment de « contrôler » l'application d'une loi apparemment contraire à une convention internationale ou bien à une disposition du droit communautaire (aussi bien dérivé qu'originaire)? Le Droit international doit-il primer sur le droit national ? Quels sont les fondements de cette primauté au sein d'ordre juridiques si proches que sont les Etats du BeNeLux et la France ? L'on s'intéressera à la primauté, si primauté il y a, du Droit international, plus ancien et plus général, pour ensuite analyser cette primauté pour ce qui est du droit communautaire et de l'Union Européenne, les réticences des ordres juridiques à se plier à la jurisprudence communautaire en la matière, surtout en ce qui concerne la France.
Le Droit international, la Constitution et le travail des juges. En France, le principe de la primauté du Droit international conventionnel sur les lois internes est reconnu dès la Constitution de 1946. Néanmoins, les juges français ont refusé de donner plein effet à ce principe jusqu'en 1975. La jurisprudence d'autres pays, notamment celle du BeNeLux, a été moins réticente à faire primer ce principe, et les fondements empruntés pour y parvenir divergent de ceux qui sont mis en avant par le juge français.
L'Etat le plus progressiste en la matière, au sein du BeNeLux, est le Luxembourg. La jurisprudence luxembourgeoise s'est développée sur ce point lorsque la Cour de cassation, puis le Conseil d’Etat mirent fin à la position jusqu’alors défendue qu’un contrôle du juge sur la conformité des lois par rapport aux traités internationaux était impossible en raison de la séparation des pouvoirs. La jurisprudence était partie de la règle lex posterior derogat legi priori, qui fut corrigée par la règle d'interprétation s'inspirant de la présomption selon laquelle le législateur a voulu respecter les engagements internationaux. Cette position fut abandonnée, principalement, par le biais de l'arrêt Cour Supérieure de Justice (cass), 14 juillet 1954, Chambre des métiers c/ Pagani, qui confirme la prééminence de la règle de droit international conventionnel sur la loi interne de manière encore plus précise. Tout en rappelant la règle Lex posterior..., la Cour ajoute qu'« il ne saurait pourtant en être ainsi lorsque les deux lois sont d'une inégale valeur, qu'en effet, pareil traité est une loi (même si l'emploi de ce terme semble critiquable) d'une essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d'un organe interne ; qu'en conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d'un traité international et celles d'une loi nationale postérieure la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale ». D'après la Cour, l'Etat aurait fait preuve d'une notoire mauvaise foi en cas d'application d'une loi postérieure contraire au traité, et d'une violation unilatérale de ses engagements internationaux. Elle affirme donc la prééminence de l’ordre international sur l’ordre juridique, en tant que fondement primordial. La Cour a pris très tôt en considération le caractère international de ces engagements. Il a été question, pendant un moment, de réviser la Constitution luxembourgeoise. Mais cette proposition a été rejeté vu la nette tendance qui se dessinait dans la pratique des tribunaux à attribuer un « rang prioritaire au Droit international conventionnel par rapport au droit national ». Il a été fait preuve de confiance de la part du législateur et du constituant, à l'égard de la jurisprudence, et à son caractère largement progressiste en la matière. De son côté, le juge belge fut plus longtemps réticent à cette conception moniste mais s'y est néanmoins rattaché. Le régime constitutionnel belge en la matière, datant de 1831, n'est en aucun cas préparé à la place que les traités internationaux, ont pris dans le temps, témoin d'un écart avec la réalité. Une révision constitutionnelle avait été prise en considération, afin d'intégrer l'art. 107 bis au sein de la Constitution belge qui aurait formellement dû consacrer la primauté du traité par rapport à la loi. Cette révision ayant avortée, la Cour de Cassation belge a procédé à une révision « silencieuse », qui ne contrevient à aucun texte constitutionnel, avec son arrêt Cour de Cassation, 1ère Chambre, 27 mai 1971, arrêt dit « Le Ski ». Cet arrêt fait preuve de l'évolution de la jurisprudence des juges du fond concernant la solution du conflit Traité-Loi, évolution qui s'orientait vers une affirmation de primauté défendue de longue date par la doctrine, et entre autres, par Ganshof van der Meersh qui souhaitait sa consécration jurisprudentielle. L'arrêt déclare que lorsqu'un conflit « existe entre une norme de droit interne et une norme de Droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir. Que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel ». En analysant de plus près cet arrêt, on pourra remarquer l'influence exercée par la jurisprudence luxembourgeoise dont certains motifs sont quasiment reproduits. Ces deux systèmes juridiques se rapprochent ainsi clairement, tant en ce qui concerne leurs ressemblances constitutionnelles, que jurisprudentielles. La Hollande s'est rapprochée du système français par le biais des révisions constitutionnelles de 1953 et 1956. Avant, aucun article ne faisait état d’une primauté quelconque du Droit international, rapprochant la Hollande des systèmes luxembourgeois et belge. Ces révisions ont incorporé l'exigence self-executing des dispositions des traités internationaux, pour leur applicabilité et leur primauté sur le droit national (art. 93 et 94). Il appartiendra au juge hollandais d'interpréter les dispositions du traité pour déterminer si celles-ci lient les personnes et donc pour les faire prévaloir sur le droit national. Désormais, la Hollande fait partie des Etats membres dont le principe de primauté des Traités internationaux sur la loi est expréssement inscrit dans la Constitution, au même titre que la France. Pour ce qui est du système juridique français, avant tout, un bref aperçu historique de la place du droit international en droit interne. Avant 1946, la doctrine Matter s'appliquait. Il s'agissait pour le juge d'approcher le plus possible l'interprétation du traité à la loi. En cas de contrariété le juge appliquait la règle lex posterior derogat legi priori. De leur côté, les art. 26 et 28 de la Constitution de 1946 étaient très précis au sujet de la primauté des traités sur la loi. Ces deux articles ont été repris dans l'art. 55 de notre Constitution actuelle, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ». Malgré le débat existant entre dualistes et monistes au moment d'introduire la question de la primauté du droit international public sur le droit interne, les dispositions constitutionnelles en la matière semble reconnaître cette primauté. Pour certains auteurs, l'art. 54, qui introduit un contrôle a priori de la constitutionnalité des traités, scelle la primauté du droit interne. Il s'agit des partisans de la primauté absolue de la Constitution (R. Abraham, M. Frydman) qui considèrent que c'est en vertu de la constitution elle-même, art. 55, que le droit international s'impose dans l'ordre interne. C'est la Constitution française qui prévoit et réglemente l'introduction de ces règles à caractère international dans l'ordre juridique interne tout en leur assignant une place au sein de la hiérarchie des normes. Pour d'autres, au contraire, l'art. 54 traduit la supériorité du droit international. S'il existe une contrariété entre les deux textes (constitutionnel et international ou communautaire) c'est la Constitution qui doit céder. On en déduit que cette primauté est bien reconnue par la Constitution depuis 1946, mais elle est, aujourd'hui principalement, subordonnée à la condition de réciprocité. Quelle est l'autorité compétente pour constater l'absence de réciprocité dans l'application du traité ? La jurisprudence française se divise pour y répondre. Alors que le Conseil d'Etat, ainsi que la Cour de Cassation s'en remettent au Ministre des Affaires Etrangères, le juge civil considère qu'« en l'absence d'initiative prise par le gouvernement pour dénoncer une convention ou en suspendre l'application, il n'appartient pas au juge d'apprécier le respect de la condition de réciprocité ». Mais si on peut considérer que la primauté du traité est assurée au nom de la conception moniste, on constate qu'elle a été inégalement assurée par les juridictions françaises. Face à la mise en oeuvre de la doctrine Matter, et aux fluctuations de la jurisprudence, le Conseil Constitutionnel (CC) a dû intervenir pour amener les juridictions ordinaires à respecter cette primauté. Il l'a fait par le biais de sa décision sur l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) du 5 janvier 1975. Ce n'est pas au CC de contrôler la conformité d'une loi à un traité. Alors que les décisions du CC en application de l'art. 61 ont un caractère absolu et définitif (la loi ne sera pas promulguée et les dispositions déclarées inconstitutionnelles ne seront pas appliquées), les décisions prises en application de l'art. 55 seraient relatives et contingentes (le champ d'application du traité est vaste, et la condition de réciprocité peut varier dans le temps et en fonction des co-contractants). Cette décision du CC a été reprise quasi-immédiatement par la Cour de Cassation, qui a pris ses responsabilité dans son arrêt Cassation Chambre Mixte, 24 mai 1975, Société Jacques Vabres. La Cour, saisie d'un conflit entre un traité et une loi postérieure a fait primer, et ce, quelques mois après la décision du CC, le droit international sur le droit national. La Cour a suivi M. Le Procureur général Touffait quand celui-ci conclut que si d’après la décision du CC le respect du principe de la primauté du traité ne doit pas être assuré par le CC, « il doit l’être par les juridictions auxquelles ce problème est posé, et il leur appartient, sous peine de déni de justice, d’y répondre ». Le juge administratif a été plus longtemps indécis. Il a longtemps écarter la loi postérieure en considérant qu'il s'agissait d'exercer un contrôle de constitutionnalité réservé uniquement au CC. Il est finalement revenu sur sa position dans son arrêt CE, ass., 20 oct. 1989, Nicolo. Se fondant uniquement sur l'art. 55 de la Constitution, le CE s'est engagé à contrôler la validité de la loi postérieure à l'égard du traité international.
S’agissant de l’analyse comparée de la résolution du conflit Traité-Loi au sein d’ordres juridiques européens, on constate que les faits juridiques, relatifs aux décisions judiciaires en question, concernaient généralement des éléments communautaires.
Le Droit communautaire, spécificité du Droit international en matière de résolution du conflit Traité-Loi? Les juges nationaux se sont clairement inclinés face à l’affirmation de la primauté du droit communautaire, soit en se fondant sur les dispositions constitutionnelles relatives aux traités, soit, en l’absence de telles dispositions, sur la spécificité même du droit communautaire.
La primauté du droit communautaire sur le droit national a été consacré très tôt par le juge communautaire (CJCE, 15 juillet 1964, COSTA c/ ENEL). Le droit communautaire, dans son intégralité, l’emporte sur les droits nationaux (La primauté bénéficie à tous les textes communautaires). Il s'agit clairement d'une innovation prétorienne, car on constate qu'en aucun cas le droit communautaire originaire ne fait expressément appel à cette primauté. La CJCE fonde cette primauté sur le droit national à partir de la spécificité même du droit communautaire, de son caractère autonome. "Issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même". Ce droit procède de l'attribution limitative mais définitive de compétences relevant par essence de la souveraineté inhérente à l'Etat, d'où sa particularité. Les Etats membres, en ayant consenti à un tel transfert de certaines compétences, ont admis qu'un ordre juridique indépendant soit mis en place en vue d'exercer en commun ces compétences. La jurisprudence belge affirme la primauté du droit communautaire sur le droit national par un raisonnement a fortiori quand l'arrêt « Le Ski » consacre, en même temps que la primauté du droit international, celle du droit communautaire, sur la loi contraire postérieure. « Les traités qui ont créé le droit communautaire ont institué un nouvel ordre juridique au profit duquel les Etats membres ont limité l'exercice de leurs pouvoirs souverains dans les domaines que ces traités déterminent ». Le juge belge raisonne donc en fonction de la spécificité du droit communautaire, pour déclarer sa primauté. Qu'en est-il de la jurisprudence luxembourgeoise, si progressiste ? L'application des traités de Paris et de Rome n'a jusqu'ici soulevé aucune objection juridique dans sa confrontation avec le droit interne. Elle ne paraît pas devoir en rencontrer dans l'avenir. En ce qui concerne le Pays-Bas, les juridictions ont reconnu la primauté du droit communautaire tant sur le fondement de sa nature propre, Cass. Crim., 18 mai 1962, Bosch, qu'en raison de sa Constitution (voir supra), se rapprochant ainsi à nouveau du droit français et de la position des juges ordinaires français en la matière.
Le cas des Pays-Bas, ainsi que celui de la Belgique sont l'exemple d'une acceptation absolue du principe de primauté du droit communautaire sur le droit interne. De même pour le Luxembourg où la primauté ne pose aucune difficulté. Qu'en est-il de la France?
Le juge français, aussi bien judiciaire qu'administratif, a toujours été réticent à l'égard de la proclamation de la primauté du droit communautaire. S'il a dû accepter cette primauté, il l'a fait en se fondant sur un raisonnement différent de la jurisprudence communautaire. Le droit communautaire, constituant un ordre juridique autonome, il est normal que celui-ci affirme sa supériorité, comme le fait le droit international en ce qui le concerne. Néanmoins, les juges français ont toujours refusé cette proclamation sur le seul fondement de la spécificité propre du droit communautaire, de son autonomie. Cependant, pour arriver au même résultat, qui semble indispensable pour le bon fonctionnement du droit communautaire, les juges ordinaires ont cherché un fondement moins attentatoire à leur souveraineté, l’art. 55 de la Constitution de 1958. Cet article reconnaît aux traités régulièrement ratifiés et publiés « une autorité supérieure à celles des lois », pour tirer toutes les conséquences de la primauté du droit communautaire. Le juge judiciaire a employé, pour proclamer la primauté du droit communautaire, un raisonnement mixte, c'est-à-dire, il s'est fondé tant sur l'art. 55 que sur la spécificité du droit communautaire (Arrêt Société Jacques Vabres de la Cour de Cassation de 1975). Par ailleurs, le Conseil d'Etat a accepté en partie ce raisonnement, sans pour autant accepter la spécificité du droit communautaire, telle que dégagée par la CJCE. En effet, il ne fait en aucun cas référence à celle-ci, à l'inverse de la Cour de Cassation. Il accepte cette primauté nécessaire du droit communautaire sur le droit interne, en proposant une lecture particulière de l'art. 55 de la Constitution de 1958. Il admet ainsi qu'une loi postérieure contraire à un traité, en particulier, au droit communautaire en général, n'est plus une cause d'inconstitutionnalité de la loi. Le droit international conventionnel, et donc les traités et conventions internationales, ont ainsi une valeur supra-législative, mais infra-constitutionnelle. L'art. 55 sera le fondement pour habiliter les juges à écarter les lois contraires au droit communautaire, même quand ces premières sont postérieures. Tant le droit communautaire originaire que dérivé prime désormais officiellement sur les lois postérieures contraires à ces actes, solution incontournable.
La jurisprudence récente, tant du Conseil d'Etat, que du Conseil Constitutionnel semble laisser entrevoir une modification au sein de la hiérarchie des normes en France. Dans sa décision du 10 juin 2004, le CC décida qu' « aux termes de l'art. 88-1 de la Constitution, « la République participe aux Communautés européennes et à l'Union Européenne (...), d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle, qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution ». Autrement dit, la participation de la France à l'UE a une valeur constitutionnelle. Dans ses décisions de 2006, le CC soulignait que l'obligation de transposition conforme exigeait cependant qu'une règle de transposition ne soit pas contraire à « un principe inhérent à l'identité nationale constitutionnelle de la France ». Le CE a interprété cette disposition jurisprudentielle en considérant que lorsqu'une règle ou un principe constitutionnel trouve un équivalent en droit communautaire, la règle ne participe pas de l'« identité constitutionnelle ». Ainsi, le bloc de constitutionnalité s'enrichit du droit européen qui, dans certains cas s'imposera comme LA norme suprême de l'ordre juridique interne, au détriment de la Constitution. Tel sera le cas chaque fois que n'y feront pas obstacle les dispositions inhérentes à notre identité constitutionnelle (la forme républicaine...). Le Conseil d'Etat en a tiré les conséquences par le biais de ses deux arrêts du 8 février 2007, Arcelor et Gardedieu. A travers ces deux arrêts, ce que le Conseil d'Etat met en avant est la spécificité constitutionnelle du droit de l'UE enfin reconnue comme telle par le CE (jurisprudence Arcelor), il s'agit de la reconnaissance expresse de la valeur constitutionnelle de l'appartenance française à l'UE. On constate également la création d'un nouveau régime de responsabilité de l'Etat en raison de ses lois mis en place par le droit européen (jurisprudence Gardedieu). La violation par la loi des engagements internationaux de la France est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, sur un fondement non fautif. Il s'agit là d'une innovation importante.
Conclusion générale : Même si de nos jours on peut considérer le conflit Traité-Loi résolu, il est important de démontrer la dimension pratique de cette résolution dans un sens qui donne au Droit international, ainsi qu'au Droit communautaire toute leur portée. Bien lointain est le temps où le droit national et tout particulièrement la loi, volonté du peuple, étaient tout puissant et où la volonté de l'Etat ne pouvait être reléguée qu'au bon accomplissement d'une volonté internationale encore fragile. Aujourd'hui, l'on pourrait se demander, face à la place que semble prendre le droit communautaire au sein de la hiérarchie des normes - valeur désormais tant supra-législative que para voir supra-constitutionnelle - si les contrôles de conventionalité et de constitutionnalité ne devraient pas être tout simplement unifiés.
Bibliographie:
Articles • Applicabilité directe et primauté des traités internationaux et du droit communautaire. Refléxions générales sur le point de vue de l’ordre juridique belge, H. BRIBOSIA, Revue Belge de Droit International, Vol. 1, 1996. • La Constitution, les traités et les lois: à propos de la nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat sur les traités, J. DEHAUSSY, Journal du Droit International, Vol. 3, 1999. • Vues comparatives sur l’ordre juridique communautaire et l’ordre juridique national dans les droits belge néerlandais et luxembourgeois, W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, Revue internationale de droit comparé, 1966. • La jurisprudence francaise actuelle et le contrôle de conformité des lois aux traités, NGUYEN QUOC Dinh, A.F.D.I., 1975. • Les rapports entre droit communautaire et droit national dans les arrêts des juridictions supérieures des Etats membres, G. OLMI, Revue du marché commun, 1981. • Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire, A. PELLET, Academy of European Law, Kluwer, Vol. V, Book 2, 1997
Décisions de justice ● Cour Supérieure de Justice (cass), 14 juillet 1954, Chambre des métiers c/ Pagani. ● Cour Cass, 1ère chambre, 27 mai 1971, Etat belge Ministre des affaires économiques c/ S.A. Fromageries franco-suisse Le Ski ● DC 74-54, 15 janvier 1975, Interruption Volontaire de Grossesse. ● Cour de Cassation, Chambre mixte, 24 mai 1975, Société Jacques Vabres ● CE, Ass, 20 octobre 1989, Nicolo ● CJCE, 15 juillet 1964, COSTA c/ ENEL ● Cass. Crim., 18 mai 1962, Bosch