A propos de la réglementation du financement participatif au Royaume-Uni et en France
Les activités bancaires définies par les dispositions de l’article L. 511-5 du Code Monétaire et financier (« CMF ») sont traditionnellement la prérogative exclusive des établissements de crédit dans le cadre du monopole bancaire. Certaines exceptions fondées sur la qualité des parties ou la nature des opérations, comme le financement participatif, viennent cependant restreindre ce monopole.
Le financement participatif, ou crowdfunding, permet aux personnes physiques et morales de financer leurs projets en récoltant des fonds auprès du public par l’intermédiaire du site internet d’une plateforme de financement participatif. Ce mode de financement est ainsi dit « alternatif » en l’absence de recours à un établissement de crédit. Juridiquement, le crowdfunding est effectué sous deux formes principales, l’émission de titres financiers ou l’octroi de prêts ou de dons, elles-mêmes composées de sous-catégories distinctes.
Né dans les années 2000 aux Etats-Unis, le crowdfunding a connu un essor considérable, et son développement au Royaume-Uni et en France, dû en partie à la crise financière de 2008, qui a restreint la capacité de financement des établissements de crédit à destination des « start-ups », a pressé les législateurs à adopter un cadre juridique ad hoc.
Le droit de l’Union Européenne (« UE »), traditionnellement très réactif en matière bancaire et financière, s’est jusqu’alors réfréné d’opérer une harmonisation de la réglementation. Dans l’attente d’une adaptation du droit de l’UE, les législateurs français et britanniques ont tous deux adopté un régime juridique propre au crowdfunding.
En droit anglais, le Financial Services and Markets Act 2000 (Regulated Activities) Order 2001 (SI 2001/544) (« décret RAO ») a consacré en 2014 la compétence de la Financial Conduct Authority (« FCA ») en matière de régulation du crédit à la consommation, et a réglementé deux formes de financement participatif : le financement participatif par prêt (loan-based), et le financement participatif par offre de titres (investment-based). Parallèlement, le financement sous forme de dons (donation-based), et le financement sous forme de prévente ou récompenses (pre-payment or rewards based) sont exclus de la réglementation.
En droit français, le régime juridique applicable est issu de l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 (ordonnance de 2014), qui réglemente le financement par souscription de titres financiers via le statut de Conseiller en Investissement Participatif (« CIP »), et le financement par prêt avec ou sans intérêt, ou par don avec ou sans contrepartie via le statut d’Intermédiaire en Financement Participatif (« IFP »).
Bien que les législateurs des deux pays s’accordent sur la nécessité d’établir un cadre propre au crowdfunding, l’absence de normes contraignantes en droit de l’UE mène à s’interroger sur les spécificités des deux approches. Quelles sont ainsi les divergences du régime juridique du financement participatif en droit français et en droit anglais ?
En l’absence de normes européennes, les régimes juridiques français et britanniques se démarquent par certaines différences dans leurs approches, tant au regard des parties concernées que des obligations qui leurs incombent (I). Cependant, l’impact indirect du droit européen reste visible dans les législations internes à travers ses textes généraux, ainsi que par les futures perspectives de réglementation du financement participatif par l’UE (II)
I. Des régimes juridiques divergents en l’absence d’un cadre issu du droit de l’UE
Il convient de présenter les différentes approches de l’encadrement du financement participatif au Royaume-Uni et en France (A), puis les obligations incombant aux plateformes de financement participatif (B).
A. Les différentes approches des normes internes dans l’établissement d’un cadre applicable au crowdfunding
En droit français, l’ordonnance de 2014 a introduit le crowdfunding d’une part, dans un cadre sécurisé, via la création et l’encadrement du statut des plateformes et des activités inhérentes à ce type de financement, et d’autre part, dans un cadre souple et libéral via la mise en place de plusieurs dérogations à la réglementation bancaire et financière au bénéfice du financement participatif.
Le droit français gravite ainsi autour de la création de statuts propres aux acteurs du crowdfunding. En matière de financement par offre de titres financiers, l’ordonnance de 2014 a créé le statut de CIP (art. L547-1 I CMF), dont le rôle est d’effectuer la mise en relation des sociétés cherchant du financement et des investisseurs potentiels. Les plateformes disposant du statut de CIP sont compétentes en matière de financement participatif sous forme de titres financiers, et sont sous la supervision de l’AMF. Les Prestataires de Services d’Investissement (PSI) conservent également la possibilité d’exercer cette activité sous la supervision conjointe de l’AMF et de l’ACPR (L.531-1 CMF). Les CIP doivent cependant être immatriculés à l’ORIAS et ne peuvent réaliser des offres de titres financiers qu’au moyen d’un site internet.
Concernant le financement sous forme de prêt avec ou sans intérêts, l’article 17 de l’ordonnance de 2014 a introduit le statut d’IFP (art. L.548-1, 2 CMF). Les IFP sont compétents en matière de crowdfunding sous forme de prêts avec ou sans intérêts. Les plateformes ne proposant de financement que sous forme de dons ne sont pas soumises aux règles régissant les IFP, mais ce statut peut être demandé de façon volontaire. Les IFP doivent également être immatriculées à l’ORIAS et sont sous la supervision de l’ACPR (L.612-20 CMF).
A contrario, le régime établi en droit anglais ne repose pas sur la création de statuts propres aux intermédiaires de financement participatif, et opère une approche basée sur la nature du financement et sur la protection des investisseurs à travers des conditions strictes. Il réglemente cependant l’accès à l’activité pour les plateformes de crowdfunding.
A l’égard du financement sous forme de prêt, le cadre en vigueur est établi par l’article 36H du décret RAO, qui conditionne l’exercice de cette activité à un agrément du FCA. Sont exempts d’agrément les plateformes effectuant des prêts à titre gratuits (charities) (§44(A1) Schedule), ou les plateformes effectuant des opérations pour le compte d’une entreprise disposant d’ores et déjà d’un agrément du FCA (appointed representatives).
Concernant le financement par offre de titres (investment-based), les dispositions en vigueur sont contenues à l’article 25 du décret RAO, et encadrent l’offre de titres financiers hors marchés réglementés (non-readily realisable securities). Les plateformes doivent faire l’objet d’un agrément du FCA, et sont soumises à des conditions strictes visant à protéger les consommateurs, n’autorisant à offrir leurs services qu’à des investisseurs ayant reçu un conseil réglementé (regulated advice), des investisseurs « sophistiqués » ou « fortunés » (high net worth or sophisticated investors), et aux investisseurs n’investissant que maximum 10% de leurs actifs dans ces opérations.
L’approche française est donc plus complète et approfondie, créant de nouveaux statuts encadrant les intermédiaires de financement participatif, et abordant le nouveau régime juridique sous le prisme des acteurs concernés, tandis que le droit anglais, bien que fixant un cadre strict soumis à des conditions d’agrément, tend à porter le champ d’application de sa réglementation sur la nature des opérations de financement et des règles de protection du consommateur.
B. Les obligations incombant aux plateformes de financement participatif
Les IFP et CIP en France sont soumises à des obligations afin d’assurer la protection des investisseurs.
En premier lieu, l’accès à la profession est réglementé : l’acquisition du statut d’IFP est soumise à des conditions d’honorabilité (L.548-4 ; R.548-2 CMF), et de compétence professionnelle (R.548-3 CMF), de même pour le statut de CIP (RG AMF art. 325-33 ; L.547-4 CMF). La prestation de services de financement participatif sans disposer du statut approprié est également sanctionnée (L.573-15 ; 16 ; 17 CMF).
Les plateformes de financement en droit français sont également sujettes à une double obligation d’information et de vigilance.
D’une part, les CIP doivent mettre à disposition du public certaines informations les concernant (art. 325-35 RG AMF), permettant de les identifier ainsi que d’informer les investisseurs des risques inhérents aux activités proposées. Les CIP sont également soumis à l’exigence de fournir une information non-trompeuse, telle que celle incombant aux PSI (art. 314-10 à 314-17 RG AMF). Les CIP ont également le devoir de se renseigner sur leurs clients (connaissances/expérience en matière d’investissements, situation financière, etc.) (L.547-9 6° CMF). Les IFP sont également soumis à des obligations d’information à destination des investisseurs (L.548-6 2° ; R.548-4 ; R.548-6 CMF), concernant les conditions et caractéristiques du prêt, l’identification de la plateforme, ou la publication d’un rapport d’activité annuel.
D’autre part, l’obligation de vigilance impose aux CIP une mise en garde de leurs clients vis-à-vis des risques encourus (L.547-9 5° CMF), de même pour les IFP (L.548-6 5° CMF).
Les CIP doivent mettre en place une politique de gestion des conflits d’intérêts (L.547-9 CMF), dont les IFP sont exonérés. Quant à ces derniers, ils sont soumis à une obligation de suivi des opérations (L.548-6 11° CMF), à laquelle dérogent les CIP.
En droit anglais, les plateformes de financement agréées par le FCA sont également soumises à des règles de bonne conduite et des obligations professionnelles émanant de différentes sources internes.
En matière de loan-based crowdfunding, les intermédiaires sont soumis à des obligations émanant du Consumer Credit Sourcebook («CONC»), notamment des obligations d’informations précontractuelles à l’égard de l’investisseur du prêt proposé et des risques encourus (CONC 4.3), d’établir une évaluation des capacités de remboursement de l’emprunteur (CONC 5.5), ou encore de prévoir un délai de rétractation de 14 jours (CONC 11.2). De plus, une obligation générale d’information claire et précise sur l’opération et les risques encourus incombe aux plateformes (CONC 3.7A).
En parallèle, le Handbook du FCA émet de nombreux principes et lignes directrices à l’égard des plateformes de financement participatif, notamment : les Principles for Businesses, les Threshold Conditions, le Supervision Manual, le Senior Management Arrangements Systems and Controls Sourcebook, le Client Assets Sourcebook, l’Interim Prudential Sourcebook (exigences prudentielles de capital), le Conduct of Business Sourcebook, le Dispute Resolution : Complaints Sourcebook, le Financial Crime Guide for Firms, ou encore le Unfair Contract Terms Regulatory Guide.
Bien que les intermédiaires en matière d’equity-based crowdfunding ne soient pas mentionnés par le Handbook du FCA, ces principes et lignes directrices leurs sont néanmoins applicables en pratique. De plus, l’agrément du FCA des plateformes de crowdfunding en droit anglais est régi par la S.19 du FSMA, imposant des exigences de capital et l’établissement d’un business plan prévoyant les risques, le budget et les ressources des entreprises concernées. Enfin, les intermédiaires de financement par prêt ou par offre de titres sont soumis aux dispositions de la S.21 du FSMA régissant les « financial promotions ».
II. L’influence indirecte du droit européen et les perspectives de réglementation à l’initiative de l’UE
Malgré l’absence de normes impératives, le droit de l’UE conserve une influence sur les régimes juridiques internes (A), qui tend à se développer en faveur d’une intervention future du droit européen pour réglementer le crowdfunding (B).
A. L’empreinte indirecte des textes généraux et les exceptions applicables au financement participatif
Malgré l’absence de réglementation européenne établissant un régime juridique commun applicable au crowdfunding, les régimes juridiques français et britanniques doivent cependant se soumettre à certaines règles générales de droit financier européen.
A titre d’exemple, le règlement n°596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (« MAR ») et le règlement n°600/2014 du 15 mai 2014 sur les marchés d’instruments financiers (« MIF 2 ») comprennent tous deux des dispositions ayant vocation à régir de manière indirecte certains aspects du financement participatif. Les systèmes organisés de négociation (OTF) établis par la directive MIF 2, qui peuvent encadrer les opérations de crowdfunding (entre autres), ou l’applicabilité du règlement MAR aux plateformes de crowdfunding, démontrent l’influence des règles générales du droit financier européen.
Plus important, la directive 2003/71/EC du 4 novembre 2003 (directive Prospectus), modifiée en 2010 par la directive n°2010/73/UE (désormais remplacée par le règlement (UE) 2017/1129), régissait jusqu’à peu les conditions et modalités d’établissement d’un prospectus en cas d’offre au public de titres financiers. A ce titre, en droit français, et depuis le décret n°2016-1453 du 28 octobre 2016, les plateformes disposant du statut de CIP ou de PSI sont dispensées d’établir un prospectus soumis au visa de l’AMF dès lors que l’offre de titres financiers ne dépasse pas 2,5 millions d’euros (L.411-2 I bis et D.411-2 CMF ; art. 211-2 II RG AMF), dérogeant ainsi au régime applicable aux OPTF. De même, les SAS bénéficient d’une dérogation leur permettant d’effectuer une offre de titres financiers par l’intermédiaire d’un PSI ou CIP à hauteur de 2,5 millions d’euros, et ce sous réserve de clauses statutaires spécifiques.
A contrario, le droit anglais a été critiqué par son encadrement rigide de l’equity crowdfunding : tandis que la réglementation antérieure à la réforme permettait une dérogation à l’obligation d’établir un prospectus si l’offre de titres était inférieure à 5 millions d’euros, la réforme de l’article 25 du RAO en 2014 a instauré un seuil d’investissement maximal de 10% des actifs nets par investisseur, fortement critiqué par la doctrine anglaise comme heurtant la compétitivité britannique en matière de crowdfunding par offre de titres, notamment en comparaison avec les critères de seuils applicables en droit français.
B. Les perspectives réglementaires futures du financement participatif par le droit européen
Plusieurs initiatives européennes en droit financier se sont récemment portées sur la création d’un cadre européen commun du financement participatif. Les textes généraux européens – souvent contournés par les législations nationales – et la soft law de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (« AEMF ») via la publication d’opinions (ESMA/2014/1378) et de recommandations (ESMA 2014/1560) ont révélé leur inadéquation.
L’entrée en vigueur du règlement (UE) 2017/1129 du 14 juin 2017 (règlement Prospectus) viendra abroger la directive 2003/71/EC et réformer en profondeur les seuils d’établissement d’un prospectus dans le cadre d’offre au public de titres financiers. A l’heure actuelle, l’AMF précise dans une consultation en date du 24 janvier 2018 ne pas prévoir de modification du seuil de 2,5 millions d’euros d’exemption de prospectus, dans l’attente des réformes du droit de l’UE, mais indique vouloir supprimer la condition de 50% de capital (D.411-2 CMF), afin de rendre le seuil de 2,5 millions d’euros applicable à toutes les opérations de financement participatif par offre de titres. A contrario, le règlement Prospectus est attendu avec plus d’engouement par les acteurs britanniques : l’uniformisation des critères d’exemption de prospectus en matière d’equity crowdfunding permettra au secteur britannique d’assouplir son régime juridique interne et de regagner sa compétitivité en la matière, nonobstant l’incertitude juridique pressentie par le Brexit.
Enfin, la Commission Européenne a publié le 18 mars 2018 une proposition de règlement relative aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entreprises (COM 2018 113 final) (2018/0048 COD), afin d’établir un régime européen applicable au financement participatif, dans le cadre de l’établissement de l’Union des Marchés de Capitaux et du développement de la Fintech au sein de l’UE. Cette proposition envisage de simplifier l’exercice des plateformes de crowdfunding entre Etats membres (il convient de relever que les CIP disposent à l’heure actuelle d’un statut juridique national et non européen, les empêchant de proposer leurs services au sein de l’EEE et de bénéficier de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services) à travers la création d’un régime juridique européen ad hoc à destination des plateformes de financement par prêt ou par offre de titres, renforçant les mécanismes de protection des investisseurs, et en établissant des critères de compétence à destination des investisseurs et des plateformes. L’AEMF deviendrait l’unique autorité de supervision des plateformes de crowdfunding. Enfin, cette proposition esquisse la création d’un Passeport Européen pour le Financement Participatif, similaire au Passeport Unique Bancaire.
En conclusion, le développement du financement participatif a nécessité, en l’absence du droit de l’UE, la création d’un régime juridique propre et adapté à cette exception au monopole bancaire. Les législations françaises et anglaises ont répondu à cette nécessité, en adoptant des réglementations en droit interne, et en encadrant le financement participatif sous des approches divergentes mais présentant néanmoins des similitudes. Le droit français s’est montré innovant par la création du statut de CIP et d’IFP, adoptant un cadre juridique à la fois sécurisé mais souple afin de ne pas entraver le développement de ce mode de financement. A contrario, bien que la législation britannique ne soit pas laxiste, la complexité des normes internes, leur manque de clarté ainsi que certains critères stricts peuvent sembler nuire à leur compétitivité dans le secteur du crowdfunding, qui est pourtant propice à se développer au Royaume-Uni. Malgré les divergences des régimes juridiques, ces derniers restent empreints de l’influence du droit de l’UE à travers ses textes généraux de droit financier et de sa soft-law. Il se pourrait cependant que le droit européen devienne sous peu la source principale de réglementation du financement participatif, comme le laisse penser la proposition de la Commission Européenne.
Bibliographie :
Ouvrages :
- T. Bonneau, Droit Bancaire, Précis Domat LGDJ, 12e ed. 2017
- M. Chaaben, Le Financement Participatif, Connaissances et Savoirs, 2017
Articles et revues :
- A. Boujeka, Le crowdfunding en droit financier de l’Union Européenne, Revue Générale du Droit, Etudes et réflexions 2015, n°3
- A. Arora et E. Hutton, The Regulation of Crowdfunding in the UK (2017), Company Lawyer 38(12), 363-379
- L. Hornuf et A. Schwienbacher, Should Securities Regulation Promote Equity Crowdfunding ? (2017), Small. Bus. Econ. 49, 579-593
- I. Barsan, La régulation des plateformes de financement participatif, Droit et Patrimoine, 2017, n°274, p. 30-40
- JM. Moulin, Régulation du crowdfunding : de l’ombre à la lumière, Bulletin Joly Bourse, 2014, n°7-8, p. 356
Rapports :
- A review of the regulatory regime for crowdfunding and the promotion of non-readily realisable securities by other media, Financial Conduct Authority, Février 2015
- Call for input to the post-implementation review of the FCA’s crowdfunding rules, Financial Conduct Authority, Juillet 2016
- Consultation publique sur la détermination du nouveau seuil national de prospectus et le régime d’information applicable sous ce seuil, Autorité des Marchés Financiers, Janvier 2018