Commentaire de la décision AZR 17/23 de la Cour fédérale du travail allemande (BAG) sur le licenciement d’un salarié pour des propos tenus dans une messagerie privée, par Nisrine AFFRI

En 2025, le téléphone est un outil numérique omniprésent dans le quotidien des salariés, qu’ils utilisent aussi bien à des fins professionnelles que privées (1). Une étude française réalisée par Opinionway (2) montre d’ailleurs que « six salariés sur dix utilisent leur smartphone au travail » et que « 74 % des employés de grandes entreprises sont équipés d’un terminal fourni par leur employeur (3) ». Il arrive ainsi fréquemment que les salariés utilisent leur téléphone personnel pour passer des appels et SMS professionnels ou inversement, qu’ils utilisent leur téléphone professionnel pour échanger sur des sujets à caractère personnel sur leurs messageries privées ou leurs réseaux sociaux. Ces pratiques nous amènent à nous interroger sur la question de la confidentialité des échanges et du secret des correspondances des salariés, relevant tous deux du droit à la vie privée.

Qui n’a jamais raconté une mauvaise journée de travail par message à un ami ? Que penser d’un salarié qui critique ou tient des propos insultants en privé à l’encontre d’un collègue ou d’un supérieur ? Ces chevauchements entre vie professionnelle et personnelle rendent complexe l’attente légitime de confidentialité qui peut se retrouver fragilisée lorsque les échanges, même privés, impliquent indirectement l’entreprise ou les relations de travail (4). C’est dans ce contexte que la Cour fédérale du travail allemande (BAG) a tenté de préciser les contours des droits des salariés, ainsi que la notion d’attente de confidentialité des échanges privés dans un arrêt de principe rendu le 24 août 2023.

L’affaire en question opposait un salarié à son employeur. En l’espèce, les deux parties avaient signé un accord de rupture conventionnelle prévoyant la fin du contrat du salarié au 31 décembre 2021, en contrepartie du versement d’une indemnité. Mais depuis 2014, le salarié faisait partie d’un groupe de discussion privé sur WhatsApp, composé de certains collègues et anciens collègues amis de longue date et de certains membres de sa famille. Ensemble, ils échangeaient sur des sujets personnels et privés, mais aussi des messages racistes, sexistes et parfois incitant même à la violence à l’encontre d’autres collègues et supérieurs. Un jour, un ancien membre du groupe a dévoilé certains messages à la direction de l’entreprise. L’employeur a alors pris connaissance des propos offensants du salarié et lui a immédiatement notifié son licenciement pour faute grave le 28 juillet 2021, soit quelques mois avant la fin initiale de son contrat.

A la suite de cet évènement, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes de Hanovre (Arbeitsgericht) afin de contester le bien fondé du licenciement. Il soutenait que le groupe où ils échangeaient était un groupe privé : ses messages étaient donc confidentiels et protégés par le droit à la vie privée. La juridiction de première instance a fait droit à sa demande et a jugé que le licenciement était nul, le caractère privé du groupe ne permettant pas au défendeur d’utiliser les messages du salarié pour justifier son licenciement, et ce, quand bien même ces derniers seraient insultants (5).

Mécontent, l’employeur a alors interjeté appel, soutenant que, bien que le groupe de discussion soit privé et que le salarié n’ait manqué à aucune obligation contractuelle, la gravité des propos entachaient considérablement la confiance et le respect des relations de travail, ce qui justifiait totalement le licenciement du salarié. La cour d’appel de Basse Saxe (Landesarbeitsgericht) a rejeté l’appel de l’employeur et a confirmé la décision du conseil des prud’hommes. Elle a également jugé que l’employeur ne pouvait pas se prévaloir des échanges privés du salarié pour justifier un licenciement immédiat pour faute grave car les messages étaient confidentiels et n’avaient pas vocation à être divulgués ou rendus publics, en vertu du respect du droit à la vie privée (6). Reprochant à la cour d’appel une erreur de droit, l’employeur s’est pourvu en cassation (Revision) devant la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht).

Il revenait donc aux hauts magistrats de répondre à la question suivante : les propos échangés par un salarié sur des réseaux numériques ou des messageries privées peuvent-ils, au regard de l’attente légitime de confidentialité et du droit au respect de la vie privée, être utilisés par l’employeur pour justifier un licenciement ?

Là où les juges du fond avaient confirmé le raisonnement du salarié, la Cour fédérale du travail a jugé pour la première fois « qu'il n'existait pas une protection absolue des messages échangés au sein d’un groupe de discussion privé et que ceux-ci pouvaient en principe justifier un licenciement (7) ». Elle a alors cassé l’arrêt de la Cour d’appel en jugeant que cette dernière avait bien commis une erreur de droit en admettant une attente légitime de confidentialité sans en examiner les conditions strictes. L’affaire a donc été renvoyée pour un réexamen de fond devant la cour d’appel qui devait statuer si les attentes du salarié quant au respect de la confidentialité de ses messages étaient légitimes, en prenant en compte les critères définis par la Cour fédérale du travail (8).

Après avoir analysé « la taille du groupe, le caractère humiliant et méprisant des messages échangés, l’utilisation faite par chaque membre de ce groupe de discussion, ainsi que la possibilité de transférer rapidement des messages du groupe à des tiers (9) », la Cour d’appel de Basse Saxe a jugé, dans un arrêt rendu le 30 septembre 2024, que le salarié ne pouvait pas légitimement croire que ses messages ne seraient pas diffusés à des tiers. Ainsi, bien que les propos aient été exprimés dans un cadre privé, elle a estimé qu’en raison de leur gravité et de la perte de confiance qu’ils ont causée, le licenciement était licite (10).

Les mêmes problématiques apparaissent en France. Il est donc intéressant de comparer les jurisprudences allemande et française afin de voir comment les cours nationales traitent la question de la confidentialité dans l’utilisation de conversations privées au travail, et d’analyser les différents raisonnements et motifs retenus par les juges dans les deux pays.

Ainsi, en partant de ces arrêts allemands, nous verrons dans quelle mesure les propos échangés par un salarié sur des messageries privées peuvent bénéficier d’une protection effective, rendant leur utilisation à des fins disciplinaires illicite (I), avant d’analyser l’encadrement plus strict et la redéfinition de la confidentialité des échanges privés par la jurisprudence (II).

I. La protection effective des échanges numériques privés du salarié : une limite au pouvoir disciplinaire de l’employeur ?

Au sein d’une entreprise, l’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire lui permettant de « donner des ordres et directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du salarié, qui est liée par un lien de subordination (11) ». Les sanctions peuvent aller jusqu’au licenciement mais l’exercice de ces prérogatives reste strictement encadré par la loi et doit être concilié avec les libertés fondamentales des salariés comme par exemple le droit à la vie privée et au secret des correspondances.

A. La protection des propos privés par le droit à la vie privée

Dans la décision étudiée, la Cour fédérale du travail allemande commence par rappeler le principe général du droit au secret des correspondances, qu’elle ne remet pas en cause, contrairement à ce que l’on pourrait penser au regard de la solution de l’arrêt. Elle rappelle que le droit au secret des correspondances permet à toute personne physique de contrôler l’utilisation, l’exploitation et la diffusion de ses correspondances privées, qu’elles soient sur support papier ou numérique (mails, SMS...). Ainsi, et sauf exceptions, chacun peut s’opposer à leur utilisation sans son consentement. Autrement dit, sans consentement préalable de l'auteur du message, cela peut être considéré comme une violation du secret des correspondances et de l'attente légitime de confidentialité.

Que ce soit en France ou en Allemagne, ces principes sont protégés à la fois par les droits nationaux et européens. Ils découlent du droit à la vie privée qui constitue « la sphère d’intimité de la personne » et relève des droits généraux de la personnalité. Il s’agit d’une liberté fondamentale, elle-même protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par l’article 8 de la CEDH, qui dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. On la retrouve également à l’article 9 du Code civil français ainsi qu’aux articles 1 et 2 de la Loi fondamentale allemande. Ainsi, selon le droit fondamental au libre développement de la personnalité et à la protection de la vie privée, on est censé raisonnablement considérer que les messages privés relèvent de conversations « de confiance », où les salariés peuvent s’exprimer librement et dévoiler leurs émotions ou frustrations, même de manière vulgaire ou choquante sans craindre que leurs propos soient dévoilés publiquement.

De ce fait, en raison de leur caractère confidentiel, les échanges numériques privés tenus par un employé, peu importe leur contenu, ne peuvent en principe pas justifier un licenciement disciplinaire. Sur ce point, les législations française et allemande se rejoignent. En effet, le Code du travail français et la loi allemande sur la protection contre le licenciement (KSchG) sont unanimes : un employeur ne peut pas invoquer des motifs interdits par la loi pour prononcer un licenciement disciplinaire, sous peine de nullité de ce dernier. Dès lors, si le licenciement porte atteinte à une liberté fondamentale, il sera considéré comme sans causes réelles et déclaré illicite. C’est ce que la France explique à l’article L121-1 du Code du travail qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

On peut ainsi légitimement en déduire que, comme le secret des correspondances et le droit à la vie privée sont des libertés fondamentales, un employeur ne peut pas licencier un salarié ayant tenu des propos insultants à son encontre dans des messages privés. A titre d’exemple, la Cour de cassation a récemment confirmé la jurisprudence constante en la matière, dans un arrêt du 22 décembre 2023, en jugeant que : « dès lors qu’une conversation privée, qui n'était pas destinée à être rendue publique, ne peut constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement prononcé pour motif disciplinaire est insusceptible d'être justifié », et que « les propos échangés par le salarié avec l’un de ses collègues sur sa messagerie Facebook, quand bien même seraient-ils insultants, constituent une conversation privée qui n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvaient s’analyser, en l’absence d’autres éléments, en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail (12)». La juridiction française précise cependant que cela ne vaut seulement lorsqu’il n’y a aucun manquement du salarié à ses obligations contractuelles. C’est d’ailleurs ce qu’avaient également invoqué le salarié et les juges du fond allemand dans la décision étudiée en introduction, avant que la Cour fédérale d’Allemagne ne casse leur jugement.

B. Exceptions au principe de confidentialité des échanges privés

Comme exposé précédemment, les échanges privés sont en principe protégés par le secret des correspondances. Toutefois, pour ne pas nuire à l’employeur, à l’entreprise ou aux relations de travail, il existe des exceptions prévues par les jurisprudences allemandes et françaises autorisant un licenciement disciplinaire sans préavis ou avec, selon la gravité des faits, lorsque les salariés commettent une faute personnelle liée à leur vie professionnelle. Il peut ainsi arriver qu’un employeur prononce un licenciement disciplinaire de manière justifiée, même si le comportement du salarié relève de la sphère privée, dans deux cas de figure.

Dans un premier temps, l’employeur peut invoquer et utiliser les messages privés de son salarié si ces derniers constituent un manquement grave à ses obligations contractuelles, même en dehors du temps de travail. Un exemple simple serait celui d’un salarié qui échangerait dans une discussion privé des informations confidentielles sur l’entreprise où il exerce alors même qu’il avait signé dans son contrat de travail une clause de confidentialité. Même si l’employeur n’avait pas à lire ou à utiliser ses messages privés, il pourra s’en servir pour justifier son licenciement disciplinaire, sans que le salarié concerné puisse invoquer le secret des correspondances ou le droit à la vie privée. C’est ce que les hauts magistrats ont rappelé dans un arrêt du 30 septembre 2020, en admettant le licenciement d’une salariée qui avait commis un manquement à son obligation contractuelle de confidentialité en postant des photos et vidéos de la future collection de son entreprise sur son compte Facebook privé, violant ainsi les engagements auxquels elle était soumise. Même si la publication était privée et adressée à un petit nombre de personnes, la salariée se devait de respecter la confidentialité prévue par son contrat. D’autant plus que la plupart de ses amis ayant accès au post travaillaient aussi dans la mode et dans des entreprises concurrentes et pouvaient dévoiler des informations sur les costumes, s’en inspirer ou les contrefaire (13).

La deuxième exception concerne la limite entre vie privée et vie intime, notamment en cas de propos insultants, critiques ou dégradants tenus dans le cadre de la vie privée, en dehors du travail, mais susceptibles de nuire à l’entreprise ou aux relations de travail. En effet, il se trouve que les insultes, la diffamation et les discours racistes peuvent considérablement dégrader les relations de travail lorsqu’ils sont rendus publics. Si cela a été dit dans une conversation privée confidentielle, l’intimité et l’attente légitime de confidentialité s’appliquent. Autrement, si le salarié tient ce type de propos à l’encontre de ses collègues ou supérieurs sur un réseau privé mais ouvert au public, ou pendant son temps libre (qui relève de la vie privée) mais sur un blog accessible à tous, la question de l’intimité et de la confidentialité ne sera pas retenue et cela pourra justifier un licenciement disciplinaire. Là encore, un exemple simple serait une personne qui pendant son temps libre publierait sur ses réseaux sociaux privés mais en accès public des insultes envers son supérieur. Dans ce cas, on partirait du principe que la personne ne peut pas légitimement invoquer le secret des correspondances ou le droit à la vie privée pour des propos qu’elle a sciemment exposés à la vue de tous ou à un large public. C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 30 septembre 2020 dans lequel une salariée publiait régulièrement des insultes envers son employeur sur son compte Facebook en libre accès et laissait des tiers commenter publiquement son mur, sans paramétrage de confidentialité. Les juges ont ainsi rappelé que « commet une faute grave le salarié qui laisse publier sur sa page Facebook, accessible à tous, des propos injurieux ou outranciers, et en toute hypothèse portant préjudice à son employeur ; qu'il est à cet égard indifférent que les propos en cause n'aient pas été rédigés par le salarié, dès l'instant qu'il en a permis la diffusion et laissé cette dernière perdurer (14) ».

Ainsi, dans ces deux cas de figures, les jurisprudences françaises et allemandes reconnaissent que le droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances doivent être mis en balance avec les obligations contractuelles du salarié et connaissent des exceptions.

Dans le cas étudié en introduction, le salarié allemand ayant écrit certains messages racistes et sexistes à l’encontre de son employeur n’avait commis aucun manquement à ses obligations contractuelles l’empêchant d’invoquer le secret des correspondances. Par ailleurs, il avait échangé dans un groupe privé de confiance, composé d’amis et de membres de sa famille. Il n’avait donc pas non plus pour objectif de troubler les relations de travail, puisque l’employeur n’était pas destiné à lire ses propos et qu’il se comportait normalement sur son lieu de travail. On peut donc légitimement se demander pourquoi la Cour fédérale du travail allemande a décidé de casser les jugements rendus en première instance.

II. La redéfinition du principe d’attente légitime de confidentialité par la jurisprudence : vers un encadrement plus strict des échanges privés du salarié ?

Depuis 2023, la France et l’Allemagne ont désormais des positions assez divergentes quant à l’attente légitime de confidentialité de propos privés tenus par un salarié, lorsqu’il n’a violé aucune obligation contractuelle. En effet, les juges français semblent toujours aussi protecteurs du salarié et de sa vie privée. Ils continuent d’accorder une grande importance au respect de la liberté fondamentale qu’est le droit à la vie privée, tandis que depuis peu, les juges allemands ont décidé de durcir leurs règles quant à l’attente légitime de confidentialité. On observe donc dans la jurisprudence française de nombreuses décisions récentes reconnaissant la nullité du licenciement du salarié quand il est fondé sur ses conversations privées, et ce, quand bien même on retrouverait dans ces conversations des critiques, insultes et propos discriminatoires ou dégradants sur des collègues ou supérieurs de ce dernier.

C’est notamment le cas dans l’arrêt du 22 décembre 2023, où la Cour de cassation a jugé « qu’une conversation privée avec une collègue au moyen de la messagerie intégrée au compte Facebook personnel du salarié installé sur son ordinateur professionnel qui n'était pas destinée à être rendue publique ne pouvait constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail (15) ». Plus récemment encore, la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt rendu le 6 mars 2024, que « la salariée pouvait user de sa liberté d'expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé, les courriels litigieux ayant été adressés dans le cadre d'échanges privés à l'intérieur d'un groupe sans avoir vocation à devenir publics, si bien que la salariée n'avait tenu aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle (16) ». En France, la liberté de s’exprimer dans un espace restreint semble donc prévaloir sur le caractère potentiellement choquant ou déplacé de ce type de messages car ils ne sont pas destinés à être diffusés au-delà du petit groupe auquel ils étaient adressés.

Au contraire, outre-Rhin, la Cour fédérale du travail a récemment jugé que « des messages humiliants, racistes, et sexistes envoyés par un salarié dans un groupe de discussion privé au sujet d’autres collègues ou supérieurs de l’entreprise peuvent être invoqués comme motif de licenciement disciplinaire sans préavis ». Pour la première fois, les juges allemands sont sortis du silence pour fixer des limites à la protection de l’attente de confidentialité. Ils ont ainsi admis que cette dernière n’était pas absolue et qu’au contraire ce n’était que dans des cas exceptionnels que le salarié pourra revendiquer le caractère confidentiel de ses messages pour faire constater que son licenciement n’était pas justifié.

Jusqu’à présent, la jurisprudence allemande ne définissait pas clairement si des messages privés à caractère raciste, sexiste ou dégradant pouvaient constituer des circonstances atténuantes annulant ou restreignant les effets du principe du secret des messages privés lorsque ceux ci ne rentraient pas dans le cadre des cas mentionnés dans les parties I.A et I.B. Désormais, c’est choses faite. La Cour fédérale du travail a établi des critères à étudier pouvant affaiblir la protection de confidentialité. C’est aussi un moyen de renforcer les moyens de preuves de l’employeur.

Le premier critère dégagé par les juges allemands est celui de la proximité avec les personnes présentes dans le groupe privé. La relation de confiance ne sera pas forcément la même si les personnes sont des amis de longues date, des membres de la famille ou encore de simples inconnus.

Le deuxième critère désormais à prendre en compte, est celui de la taille du groupe privé et de sa composition. En effet, les juges allemands ont déterminé que dans un groupe de plus de 7 personnes, on ne pouvait plus légitimement s’attendre à ce que les propos restent confidentiels et ne soient pas divulgués à d’autres personnes. Plus le cercle est restreint et plus la confidentialité pourra être garantie. Les juges ajoutent d’ailleurs que la composition du groupe ne doit pas être trop changeante et qu’il y ait sans cesse de personnes ajoutées ou supprimées au sein du groupe. Ce chiffre de 7 personnes peut paraitre assez strict quand on compare à la France où la Cour de cassation a admis dans une décision que 14 personnes relevait toujours d’un petit nombre ne brisant pas la confidentialité : « après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur le compte ouvert par la salariée sur le site Facebook et qu’ils n’avaient été accessibles qu’à des personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses, à savoir un groupe fermé composé de quatorze personnes, de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée, la cour d’appel a pu retenir que ces propos ne caractérisaient pas une faute grave (17) ».

Un autre critère est celui de la parole écrite et des médias favorisant la diffusion rapide. La Cour fédérale du travail considère que la parole écrite n’est pas aussi protégée que la parole orale car elle laisse des traces qui peuvent toujours être transmises à d’autres. Par ailleurs, lorsqu’on échange dans des groupes de discussion privé sur des messageries favorisant la diffusion rapide, cela réduit beaucoup la légitimité de l’attente de confidentialité car il suffit seulement d’un clic pour que cela soit transféré à des tiers. Les juges allemands prennent en compte les évolutions numériques et considèrent ainsi que le développement des réseaux restreint la protection de la sphère privé et qu’un trop grand nombre de participants dans un groupe privé ou une application ou messagerie rapide ne saurait garantir une véritable confidentialité des propos échangés.

Une fois que toutes ces conditions ont été analysées, la présomption d’attente légitime de confidentialité peut ensuite être validée ou au contraire affaiblie. Dans le denier cas, le salarié devra alors prouver auprès des juges qu’il pouvait quand même légitimement s’attendre à ce que ses propos restent privés mais ce ne sera plus systématiquement admis. En tout cas, l’issue n’est désormais plus nécessairement favorable au salarié et chaque affaire devra être analysée au cas par cas en prenant en compte le contenu des messages, la taille du groupe, le lien entre les personnes ainsi que la plateforme utilisée pour déterminer si le salarié pouvait légitimement s’attendre à ce que ses propos restent confidentiels.

C’est un revirement important car jusqu’à présent, les juridictions allemandes considéraient que la confidentialité des échanges privés dans les groupes fermés était absolue en vertu des articles 2 et 10 de la la loi fondamentale allemande. Désormais, les juges doivent impérativement évaluer la légitimité de l’attente de confidentialité. L’arrêt du BAG semble marquer un tournant dans l’utilisation des messages numériques au travail et le renforcement de la responsabilité numérique. Il faudra suivre dans les prochains mois et années si l’arrêt fera jurisprudence et si les juges continueront de restreindre l’attente à la confidentialité des salariés et de considérer que ces derniers ne peuvent pas toujours se baser sur le droit à la vie privée pour échapper à un licenciement. Quand bien même le droit à la vie privée et la liberté d’expression existent, certains propos haineux, racistes ou encore appelant à la violence ne devraient pas rester impunis, et ce, quand bien même ils ne seraient pas destinés à être divulgués. Il faudra tout de même rester vigilant : même si les juges disposent dorénavant d’un pouvoir d’appréciation plus grand, il faudra néanmoins que leurs décisions soient fondées sur des critères clairs, des arguments solides et justifiés et qu’il y ait une mise en balance proportionnée entre les droits fondamentaux des salariés ceux des employeurs afin de ne pas tomber dans l’insécurité juridique.

 

Notes de bas de page :

(1) https://www.mobility-for-business.com/article/1895/smartphone-en-entrepr... encore-de-gros-problemes.html#:~:text : consulté le 20/05/2025

(2) Entreprise de sondages politiques et d'études marketing française détenue par le groupe Les Echos - Le Parisien

(3) Chiffres d’une étude dévoilée le 19 janvier 2024 par le groupe TDF : https://www.tdf.fr/tdf-publie-une-etude-avec- opinionway-une-qualite-de-couverture-largement-insuffisante-dans-les-bureaux/

(4) Lise Casaux-Labrunée, Quand le salarié confond vie personnelle et vie professionnelle, La lettre juridique, 10/2011

(5) Tribunal du travail de Hanovre, jugement du 24 février 2022, n°10 Ca 147/21.

(6) Cour régionale du travail de Basse-Saxe, jugement du 19 décembre 2022, n°15 Sa 284/22.

(7) https://www.cmshs-bloggt.de/arbeitsrecht/beleidigungen-in-chatgruppen-ko... arbeitnehmers-rechtfertigen/ consulté le 20/05/2025

(8) Cour fédérale du travail, décision du 24 août 2023, n°2 AZR 17/23.

(9) https://www.kuhlen-berlin.de/news/2025/fristlose-kündigung-wegen-ehrverletzender-äußerungen-in-privater- chatgruppe-lag-niedersachsen-urteil-vom-30-09-2024-15-sa-787-23? consulté le 20/05/2025

(10) Cour régionale du travail de Basse-Saxe, jugement du 30 septembre 2024, n° 15 Sa 787/23.

(11) Cass. Soc. 13 novembre 1996

(12) Cour de cassation, 22 décembre 2023, n° 21-11.330.

(13) Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058.

(14) Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-10.123.

(15) Ass. Plén. 22 décembre 2023, 21-11.330.

(16) Cass. Soc. 6 mars 2024, 22-11.016.

(17) Cass. Soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690 Publié au bulletin.