La médiation conventionnelle comme mode de règlement des différends commerciaux : étude de son régime en droits français et russe.
L’article 1530 du Code de procédure civile français définit la médiation conventionnelle comme un processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. Bien que de plus en plus prisé dans le milieu des affaires, notamment pour des raisons de coûts et d’efficacité, ce mode de règlement extra-judiciaire reste très peu réglementé par le droit français. Afin de pallier cette carence, les associations et syndicats ont pour la plupart élaboré des chartes ou codes de conduite mais aucune autorité gouvernementale n’existe à ce jour. Et c’est justement en réponse à la croissance du recours à la médiation conventionnelle que la Russie s’est elle dotée d’une loi spécifique pour la définir et l’encadrer : la loi fédérale du 27 juillet 2010 N 193-F3 sur la procédure de médiation. Une étude comparative semble donc la bienvenue.
Plusieurs accords intervenant au cours de la médiation conventionnelle, il convient au préalable d’apporter quelques précisions sur la dénomination de chacun d’eux. Le premier, appelé en russe soglašenie o primenenii procedury mediacii [accord sur l’application de la procédure de médiation], renvoie autant à la clause de médiation qu’à la « convention de médiation » dont l’objet est le recours à la médiation comme mode de règlement des différends nés ou à naître entre les parties. Le deuxième, la « convention d’entrée en médiation », marque le début de la procédure et correspond en droit russe au soglašenie o provedenii procedury mediacii [accord sur la pratique de la procédure de médiation]. Quant à l’accord final, sur lequel s’achève en principe la procédure, le droit français le qualifie d’« accord issu de la médiation », et le droit russe de mediativnoe soglašenie [accord de médiation]. Les appellations russes seront ici retenues par souci de clarté, car celles françaises varient faute d’avoir été clairement arrêtées par le droit actuel.
Quels sont les principes et la procédure de la médiation conventionnelle ? Les droits russe et français se rejoignent-ils sur le régime de ce mécanisme alternatif, ou divergent-ils ?
Ce mode de règlement extra-judiciaire se fonde sur des principes et des exigences liées à la personne du médiateur (I), et se déroule en plusieurs étapes jusqu’à la résolution du différend commercial (II).
I - Principes de la médiation conventionnelle et qualités du médiateur
a) Les principes de la médiation conventionnelle
Le premier principe, inhérent à la médiation conventionnelle, est la volonté des parties : il se manifeste tout au long de la procédure, et même antérieurement lors du choix d’y avoir recours pour l’avenir. Les parties sont libres d’avoir recours à la médiation mais aussi libres d’y mettre fin quand bon leur semble, même sans être parvenues à s’entendre. Cette nécessité d’un consentement mutuel se manifeste dans l’accord sur la pratique de la procédure de médiation, dans le choix de la personne du médiateur, dans l’accord de médiation et, pour le droit français, dans l’éventuelle requête au juge pour homologation de celui-ci. Par conséquent, aucune des parties n’est seule décisionnaire (si ce n’est pour rompre la médiation) et cela permet à chacune de garder une forme de contrôle sans craindre de se voir imposer une obligation quelconque.
Le deuxième principe, essentiel, est celui de confidentialité de la médiation : les droits russe et français s’entendent aussi sur ce point. Qu’il s’agisse des constations du médiateur, des propos recueillis durant la procédure ou de toute autre information en lien avec la médiation, ils ne peuvent être divulgués à des tiers ou aux autorités judiciaires (en cas d’instance). La loi fédérale russe étend même le champ de la confidentialité jusqu’entre les parties : si l’une des parties confie au médiateur une information relative à la procédure, celui-ci ne pourra la divulguer à l’autre partie qu’avec le consentement de la première. Cette confidentialité est bien sûr très appréciable en matière commerciale : les entreprises tâchent souvent de ne pas ébruiter leurs conflits internes ou externes afin d’éviter les retombées économiques négatives. En outre, le secret d’affaires est ainsi préservé. Les principales exceptions au principe de confidentialité sont sensiblement les mêmes dans les deux droits : il peut être écarté par dérogation légale dans le cas de la Russie ou par motif d’ordre public dans le cas de la France, et par la volonté des parties bien sûr. Ces rares exceptions garantissent une confidentialité quasi-certaine.
Le troisième principe concerne le médiateur, qui doit être impartial et indépendant. Aucune des parties ne doit être privilégiée au détriment de l’autre, et le médiateur doit s’abstenir de fournir une quelconque aide à l’une d’entre elles. Cette neutralité est rappelée à de très nombreuses reprises dans la loi russe, qui déclare que le médiateur ne peut être directement ou indirectement intéressé ; la formulation n’est pas sans rappeler notre procédure des conventions réglementées, qui sert le même objectif1. Le droit russe impose même au médiateur un devoir d’information : si des circonstances susceptibles d’affecter son indépendance ou son impartialité apparaissent au cours de la procédure, celui-ci est obligé d’en informer rapidement les parties. Tout conflit d’intérêt est donc clairement proscrit. Le droit français ajoute que le médiateur doit faire preuve de compétence et de diligence. La loi fédérale russe n’en fait pas explicitement mention, mais dispose que le médiateur doit fournir ses meilleurs efforts pour respecter le délai de la procédure de médiation. Ces deux dispositions s’interprètent comme une obligation de moyens, qui contribue à l’efficacité de la médiation conventionnelle.
b) Les conditions d'exercice du rôle de médiateur
Le médiateur peut être une personne physique ou une personne morale - le droit russe qualifie cette dernière d’organisation de médiateurs2. Lorsqu’il s’agit d’une personne morale, celle-ci s’entend avec les parties sur le choix de la personne physique chargée de mener à bien la mission de médiation. La loi fédérale russe, contrairement à la loi française, envisage la pluralité de médiateurs pour un même différend si telle est la volonté des parties. Une telle restriction française est regrettable car le nombre d’interlocuteurs peut influer sur la qualité de la médiation ; de sorte qu’il est dommage de devoir se cantonner à un médiateur unique lorsque plusieurs faciliteraient la résolution du différend.
Dans son article 1534, le Code de procédure civile français ne pose que deux conditions à l’exercice du rôle de médiateur : ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnée au bulletin n°3 du casier judiciaire3, et disposer des compétences requises (formation, expérience, ou exercice antérieur ou présent d’une activité qualifiante). La législation russe, elle, est bien plus contraignante. Tout d’abord, elle dispose que le casier judiciaire du médiateur doit être vierge. Cette première comparaison amène naturellement à réfléchir sur l’éventuelle portée de condamnations qui figureraient sur le bulletin n°1 du casier judiciaire français, dont l’existence n’empêcherait pas d’exercer le rôle de médiateur. Une interdiction de gestion découlant d’une faillite personnelle passée, par exemple, et qui ne serait plus en cours, n’est pas incompatible. Dans la mesure où seules les autorités judiciaires peuvent consulter le bulletin n°1, il ne serait donc pas impossible que des parties choisissent, sans le savoir, un médiateur ayant par le passé fait l’objet d’une interdiction de gérer pour trancher leur litige commercial. Ensuite, le droit russe distingue le médiateur non-professionnel du médiateur professionnel. Le critère d’âge n’est pas le même : si le médiateur non-professionnel doit avoir 18 ans (et disposer de la capacité juridique), le médiateur professionnel doit être âgé de 25 ans. En outre, ce dernier doit avoir fait des études supérieures et avoir reçu une formation professionnelle supplémentaire à la procédure de médiation. Enfin, la loi fédérale russe dispose que les médiateurs ne peuvent exercer une fonction publique ou occuper un poste d’Etat, y compris à l’échelle municipale (sauf stipulation légale contraire).
II - Le déroulement de la procédure de médiation conventionnelle
a) L’accord sur l’application de la procédure de médiation
Parfaitement admise en matière commerciale, la médiation conventionnelle comme mode de règlement des différends repose sur une volonté mutuelle des parties d’y avoir recours. Les parties peuvent donc être des commerçants personnes physiques, des entreprises commerciales, ou encore des associés… En droit français comme en droit russe, cette volonté prend souvent la forme d’une clause de médiation insérée dans le contrat, commercial ou de société, ou encore dans un pacte d’actionnaires. Les parties choisissent ainsi de tenter de résoudre leur futur litige à l’amiable, avant de le soumettre à un juge étatique ou arbitral. Naturellement, pour que la médiation soit mise en oeuvre, le différend doit trouver sa source dans l’acte juridique contenant ladite clause. Ce choix d’éviter le recours au judiciaire est bien souvent prisé des acteurs commerciaux, non seulement pour éviter les frais et délais procéduraux qui y sont liés mais aussi l’ingérence du juge dans leurs relations économiques ou sociétaires.
Si le différend commercial est déjà né, rien n’empêche les parties de convenir de le résoudre par la procédure de médiation conventionnelle. En droit français, l’accord ne prend pas nécessairement une forme écrite et peut se traduire par la tenue d’une première réunion de médiation. Le droit russe envisage lui un accord obligatoirement écrit dont l’objet est le règlement des différends nés dans le cadre de la relation juridique des parties par l’application de la procédure de médiation.
b) La mise en oeuvre et les délais de la procédure de médiation conventionnelle
La procédure de médiation peut être enclenchée avant que le différend ne soit soumis à une instance judiciaire, ou devant celle-ci. En droit français, si une instance a été introduite malgré l’existence de la clause, l’invocation de celle-ci constituera une fin de non-recevoir s’imposant au juge4. Les parties ne pourront se tourner vers la voie judiciaire qu’après échec de la tentative de résolution amiable. En droit russe, l’accord sur l’application de la procédure de médiation n’empêche pas l’accès au tribunal d’arbitrage5, à moins que les parties se soient explicitement engagées à ne pas régler leur différend commercial par la voie judiciaire. Le recours à la médiation est autorisé quelle que soit l’étape judiciaire et peu important le degré d’instance, tant que le différend n’a pas été tranché sur le fond6. Un nouvel accord est ainsi rédigé pour marquer le consentement des parties : l’accord sur la pratique de la procédure de médiation. Cet accord suspendra simplement la procédure judiciaire engagée. Cependant, si le différend a été soumis au tribunal, le droit russe impose que seul un médiateur professionnel peut conduire la médiation. A l’issue de la procédure, le tribunal d’arbitrage pourra valider l’accord trouvé comme règlement amiable du différend, ce qui mettra fin à la procédure judiciaire.
Tandis que la loi française reste muette sur ce point, le droit russe a arrêté un certain nombre de délais. Par principe, les parties décident de la durée de la médiation, mais le médiateur et elles doivent veiller à ce qu’il n’excède pas 60 jours (obligation de moyens). Naturellement, dans certains cas exceptionnels la durée peut être prolongée par accord conjoint. Quoi qu’il advienne, la loi russe fixe la durée maximale de la médiation à 180 jours entre sa mise en oeuvre et sa clôture, à peine d’expiration. Ces délais ont plusieurs avantages : ils limitent l’instrumentalisation de la médiation comme paralysie procédurale si le différend commercial avait été soumis préalablement à une instance, et ils obligent les parties à s’impliquer dans la résolution du différend. De telles règles en droit français eurent été utiles car, en cas de conflit entre associés par exemple, une solution doit être rapidement trouvée afin de ne pas mettre en péril la société7.
c) L’accord de médiation
A moins que les parties aient décidé de mettre fin à la procédure sans s’être entendues sur la résolution de leur différend, la médiation débouche en principe sur la conclusion d’un accord. Le droit russe impose qu’il prenne une forme écrite et qu’il contienne un certain nombre de mentions obligatoires, telles que l’identité du médiateur et des parties, l’objet du différend, les obligations des parties ainsi que leurs conditions et délais de mise en oeuvre. Le silence du droit français, lui, laisse théoriquement la pleine liberté aux parties quant au contenu de l’accord ; mais la pratique aboutit souvent à un contenu quasi-similaire, dont le manque de détails ne pourrait être sanctionné que par le rejet de l’homologation si la demande en est faite.
La grande différence entre les deux droits réside dans la valeur juridique de l’accord de médiation : en droit français, il doit être homologué par un juge sur requête et volonté conjointe des parties pour jouir de la force exécutoire. Sans intervention du juge, l’accord aura la valeur d’un contrat : certes, en cas d’inexécution (ou de mauvaise exécution) les parties peuvent engager leur responsabilité, mais l’exécution forcée est impossible. Néanmoins, la confidentialité est préservée. En droit russe, l’accord de médiation est exécutoire de plein droit : il constitue une véritable opération juridique créatrice ou modificatrice de droits. La mise en oeuvre automatique de mécanismes de droit civil comme la novation ou la compensation peuvent tout à fait en découler. Cette force juridique appréciable se fonde sur les principes de volonté et de bonne foi des parties.
Pour conclure, la médiation conventionnelle permet de résoudre à l’amiable des différends commerciaux de manière rapide et confidentielle. Bien qu’en pratique très similaire au régime juridique russe, ce mécanisme extra-judiciaire mériterait sans doute d’être davantage normalisé en France. D’autant que ce mode de résolution des différends semble efficace, en Russie en tout cas, une récente étude ayant démontré que les accords de médiation font très rarement l’objet d’un contentieux8.
Bibliographie
Droit français
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CMS Lefebvre, Mémento pratique sociétés commerciales 2016, Editions Francis Lefebvre, 2015, 9286 ; 69913.
BENRAÏS L., BUTRUILLE-CARDEW C., FRICERO N., GORCHS-GELZER B., PAYAN G., Le Guide des modes amiables de résolution des différends (MARD), Paris, Editions Dalloz, 2015
CORNU G., Vocabulaire juridique, 9ème édition, PUF, 2011
BROCHIER E. et BROCHIER M., « Pour une clarification des procédures de médiation et de conciliation dans le code de procédure civile », Recueil Dalloz 2015, p. 389
BRUN-BUISSON A.L. et RASERA C., « La médiation, comment ça marche ? », Juris associations 2014, n°510, p.20
KENFACK H., « La reconnaissance des véritables clauses de médiation ou de conciliation obligatoire hors de toute instance », Recueil Dalloz 2015, p. 384
Code de procédure civile, articles 1528 et suivants.
Droit russe
ERŠOVA I. V. i OTNÛKOVA G.D., « Predprinimatel’skoe pravo » [Droit des affaires], М.: PROSPEKT, 2016.
Federal’nij zakon ot 27 iûlâ 2010 g. N 193-F3 ob al’ternativnoj procedure uregulirovaniâ sporov s učastiem posrednika (procedure mediacii), red. ot 23 iûlâ 2013, [Loi fédérale du 27 juillet 2010 N 193-F3 sur la procédure alternative de règlement des litiges avec le concours d’un médiateur (procédure de médiation) dans sa rédaction du 23 juillet 2013].
1 Article L225-38 du Code de commerce sur les conventions réglementées dans les sociétés anonymes.
2 L’organisation de médiateurs est une personne morale qui se livre à des activités de médiation. Elle est donc à distinguer de la notion d’association syndicale professionnelle, l’appellation pouvant prêter à confusion.
3 Figurent au bulletin n°3 du casier judiciaire les condamnations pour crimes et délits supérieures à 2 ans d’emprisonnement sans sursis (ou inférieures si le tribunal en a réclamé la mention), certaines déchéances ou incapacités en cours d’exécution, la mesure de suivi socio-judiciaire et la peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact inhabituel avec des mineurs (article 777 du Code de procédure pénale français).
4 Cass. ch. mixte 14-02-2003 n° 00-19423 00-19424 : la solution rendue concernait une clause de conciliation, mais il a été couramment admis par la doctrine que la règle s’appliquait aussi à la clause de médiation.
5 Dans le système judiciaire russe, les litiges commerciaux relèvent des tribunaux et cours d’arbitrage.
6 Pour l’autorisation du recours à la médiation devant les tribunaux d’arbitrage : article 49 de la loi fédérale du 29.12.2015 N 382-F3 sur l’arbitrage dans la Fédération de Russie.
7 La mésentente entre associés, si elle paralyse le fonctionnement de la société, peut entraîner la dissolution anticipée de celle-ci : Cass. com. 23-06-2015 n°14-16065.
8 Spravka o praktike primenenia sudami Federal’novo zakona ot 27 iûlâ 2010 g. N 193-F3 za 2015 god (utv. Prezidiumom Verhovnogo Suda RF 22.06.2016) [Information sur la pratique de l’application par les tribunaux de la loi fédérale du 27 juillet 2010 N 193-F3 (approuvé par le Présidium de la Cour Suprême de la Fédération de Russie le 22.06.2016)].