Le contrat d’affrètement en France et en Espagne : réflexions pour une étude comparée autour de sa nature juridique

La modernisation du transport, l’expansion et la mondialisation font qu’années après années le trafic commercial international augmente. Actuellement, le transport de marchandises est réalisé en majeur partie par voie maritime. En effet, ce sont aujourd’hui plus de 10 milliards de tonnes qui transitent chaque année par la mer : 80 % à 90 % en volume du transport de marchandises à l’échelle internationale se fait par la voie maritime. (Frémont « Le transport maritime et ses enjeux », 2017).

C’est à partir du XVIIème siècle que le commerce maritime a connu une forte expansion. Ainsi, c’est avec l’évolution de la pratique, des usages et des coutumes maritimistes que le droit s’est adapté en toute logique.

En Espagne cette évolution technique mais également juridique se doit notamment à l’essor considérable du commerce maritime entre les Amériques et la péninsule Ibérique, conséquence inéluctable de la découverte du nouveau continent par Christophe Colomb en 1492.

Ainsi, le développement des échanges entre les métropoles et les vices-royautés a été un moteur pour le développement du droit maritime autant pour Madrid que pour Versailles.

A l’origine, le droit maritime ne connaissait que le contrat d’affrètement. En France, l’Ordonnance de la Marine d’août 1681 de Colbert comportait des dispositions relatives au contrat de louage de vaisseau. Concernant le Code de commerce, il en était de même. Ce contrat d’affrètement conduisait à la rédaction d’une charte-partie.

En Espagne, la réglementation du contrat d’affrètement remonte à 1737 avec les « Ordonnances de Bilbao » (es. Ordenanzas de Bilbao). Ces ordonnances serviront plus tard de base au Code de Commerce espagnol. Il en sera de même pour le Code de Commerce français de 1808 reprenant des éléments de l’Ordonnance sur la marine de Colbert (Fernández-Guerra Fernández « El Fletamento en las ordenanzas del Consulado de Bilbao de 1737 », Anuario de historia del derecho español, Nº 62, 1992, p.117-158 ; et Arroyo Martínez, Ignacio, Curso de Derecho Marítimo, 2015, p. 77).

De nombreux auteurs de la doctrine européenne comme Valin, Chadelat, Szramkiewicz considèrent l’Ordonnance Française de la Marine de 1681 comme un des textes législatifs les plus importants ayant été promulgué sous l’ancien régime français. Serna Vallejo souligne de plus que l’ordonnance susvisée a permis à la France d’acquérir une place privilégiée dans l’élaboration du droit maritime commun (Serna Vallejo Margarita, La Ordenanza francesa de la marina de 1681: unificación, refundición y fraccionamiento del Derecho marítimo de Europa, 2009, p. 845). Georges Ripert ajoute que cette ordonnance inspira de nombreux pays, n’ayant pas hésité à prendre la France pour exemple dans le cadre de la codification du droit maritime au sein de chacune de leurs législations respectives : ce fût notamment le cas des Pays-Bas, de la Prusse, de la Suède, ou encore de l’Espagne. (Ripert Georges, Droit maritime, 1950, p. 20.)

Le propre Code de Commerce français de 1807 reprend de nombreuses parties de l’Ordonnance, en Espagne les ordonnances de Bilbao de 1737 reprennent également de nombreux éléments de l’Ordonnance française.

Le terme flete vient du français affrètement (Danjon Daniel, Tratado de Derecho Marítimo : Capitanes, Armadores, Fletamento, 1929). De fait, le contrato de fletamento fût introduit par les français sous le nom de charte-partie (Fernández de Navarrete Martín, Diccionario Marítimo Español, 1831, p. 277).

Conformément à l’article 203 de la LNM, par le contrat de transport maritime de marchandises (es. fletamento), le transporteur (es. porteador) s’oblige à transporter par la mer des marchandises et les livrer au destinataire (es. destinatario) au port ou au lieu de destination convenu en échange du paiement du fret (es. flete). Ainsi, est également reconnue la possibilité de contracter la disponibilité d’un navire pour une finalité distincte de celle du transport en tant que tel, mais l’usage stricto sensu des termes « contrat d’affrètement » caractérise le transport maritime de marchandises (article 210 LNM).

De plus, le contrat d’affrètement est un contrat consensuel, n’impliquant pas d’autres formalités pour sa conclusion.

De facto, l’article L.5422 CDT consacré au contrat de transport, présente une définition équivalente à celle de la LNM espagnole.

Ainsi, la distinction entre contrat de transport et contrat d’affrètement n’est pas aussi marquée en Espagne. De plus, le professeur espagnol Manuel Broseta Pont définit le contrat d’affrètement comme étant « un contrat par lequel le fréteur s’engage à mettre à disposition tout ou partie d’un navire déterminé à un affréteur et à réaliser avec lui – moyennant paiement d’un fret – le transport de marchandises sous forme et conditions convenues » (Broseta Pont Manuel, Manual de Derecho Mercantil, 8e édition, 1990, p. 792).

Plus tard, au cours du XIXe siècle, les petits commerçants souhaitaient échanger des marchandises sans pour autant affréter un navire en totalité. C’est ainsi que la distinction entre le contrat de transport et contrat d’affrètement fût établie. (Jose Eusebio Salgado y Salgado, Manual de Derecho Maritimo, 2012).

En ce sens non seulement la doctrine, mais également la jurisprudence et le législateur ont appuyé cette distinction entre contrat de transport et contrat d'affrètement.

C’est avec le développement du commerce maritime que sont nés d’autres contrats tels que le contrat de transport maritime de marchandises, le contrat d’assistance, le contrat de remorquage, le contrat d’assurance, le contrat de manutention, de commission…(Delebecque Philippe, «le particularisme des contrats maritimes », Etude de droit maritme à l’aube du XXIème siècle, 2001, p. 127).

Concernant le contrat de transport, la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 Pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et protocole de signature (‘‘Règles de La haye’’) le définit comme étant : la convention par laquelle « une personne dénommée chargeur remet à un transporteur maritime une certaine quantité de marchandises, qui moyennant le paiement d’un fret doit être délivrée au réceptionnaire au lieu de destination prévu par le contrat. »

Le contrat d’affrètement, ou charte-partie, est un contrat par lequel le propriétaire d’un navire loue celui-ci à d’autres personnes en vue du transport d’une cargaison (Barbin Jacqueline, « Charte-partie, droit maritime », Encyclopædia Universalis [en ligne]).

Le doyen Rodière écrivait ainsi : « L'affrètement concerne un navire. Le contrat de transport concerne une cargaison » (Rodière, Traité général de droit maritime, 1976).

Le problème surgit lorsqu’il est question de rédiger le contrat, de choisir le droit applicable, de savoir comment seront résolus les contentieux, et même comment sera délimitée la responsabilité des parties. Ainsi, le Protocole du 23 février 1968 portant modification de la Convention Internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement signée à Bruxelles le 25 août 1924 (‘’Règles de Visby’’) prévoit même des solutions en cas de différend entre les Parties Contractantes concernant l’interprétation ou l’application de la Convention ne pouvant être réglé par voie de négociation : demande d’arbitrage ou encore saisie de la Cour international de Justice par l’une des Parties en l’absence d’accord sur l’organisation de l’arbitrage. Pour savoir quelle loi doit être appliquée à un contrat international, comme par exemple le contrat d’affrètement, c’est la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, s’agissant d’une convention internationale d’unification de conflit de loi. Elle fût notamment signée par les Etats européens le 19 juin 1980.

Ce billet a pour principal objet l’étude du contrat d’affrètement en Espagne en comparaison avec la France, tout en tenant compte des normes de droit international privé régulant ce domaine.

L’étude du contrat d’affrètement permet de mener un examen comparatif entre l’approche des régimes juridiques espagnols et français en la matière. Quelles en sont les origines et les sources respectives ?  En accord avec leurs traditions juridiques historiques, comment les droits espagnols et français définissent-ils le contrat d’affrètement ?

En raison de la quantité considérable de sources et d’informations concernant ledit contrat, il convient d’approfondir notre analyse en nous penchant tout d’abord sur les sources du contrat en Espagne et en France (I), puis sur la typologie du contrat d’affrètement élaborée par les doctrines françaises et espagnoles, reprise par les législateurs (II), permettant de comprendre l’intérêt de la qualification même du contrat d’affrètement (III).   

I- Les sources actuelles du contrat d’affrètement en France et en Espagne : une normativité semblable dans la forme

Le contrat d’affrètement en France et en Espagne est soumis à différentes normes. S’il existe pour les deux pays des normes communes au niveau international (A) et européen (B), il en est autrement au niveau national malgré des similitudes de forme dans la codification du contrat d’affrètement (C). 

 

A- Au niveau international

Comme l’a dit Antoine Frémont : « il existe un lien très fort entre transport maritime et mondialisation. On peut affirmer que sans transport maritime, la mondialisation telle qu’on la connaît aujourd’hui n’aurait pas été possible. » (Frémont « Le transport maritime et ses enjeux », 2017).

Ainsi, la France et l’Espagne, aux traditions maritimes indiscutables, sont deux nations concernées par les normes internationales régulant le droit maritime, et donc par ricochet le contrats d’affrètement.

En la matière, les Règles de la Haye (RDH) constituent le régime juridique international le plus ancien. Selon cette convention, l’affréteur doit s’assurer des bonnes conditions de navigabilité et de transport des marchandises, lors de la réception de celles-ci, mais également durant le voyage, afin qu’elles soient bien conservées. Dans le cas contraire, le transporteur pourra engager sa responsabilité en cas de pertes ou de dommages des marchandises, sauf existence de dispositions contractuelles limitant sa responsabilité (arts. 3 et 4 RDH).

En 1968 vient s’ajouter aux RDH le Protocole de Visby actualisant certains points, dont certains au sujet de l’engagement des responsabilités de certaines parties.

En suivant, les Règles de Hambourg en 1992 apportent de nouveaux éléments et précisions en accord avec les pratiques contractuelles, notamment en distinguant la personne exécutant le contrat de la personne qui le conclue.

En 2008, c’est au tour des Règles de Rotterdam en accord avec l’évolution du commerce international et son développement croissant, d’apporter une consolidation pour certaines règles importantes, de veiller au bon équilibre des intérêts entre les parties et condensant sous forme d’un seul et unique contrat le transport au porte à porte.

La France et l’Espagne sont notamment tous deux signataires de ces Règles.

En plus des conventions internationales, les deux pays font application du droit européen dans certains cas.

 

B- Au niveau européen

Le premier ensemble de lois est adopté en 1986 : Règlement 4055/86 ; Règlement 4057/86 ; Règlement 4056/86

Le principal objectif de ces règlements est d’organiser le transport maritime conformément aux principes fondamentaux de la législation européenne en matière de prestation des services, de concurrence et de libre accès au marché dans le transport maritime.

Les dispositions contenues dans le règlement numéro 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la oi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), sont impératives pour l’Espagne et la France. Ainsi, en matière de transport de marchandise, à défaut de choix de loi applicable, sera appliquée la loi du pays où le transporteur possède sa résidence habituelle, toujours lorsque le lieu de réception ou le lieu de livraison, ou encore la résidence habituelle de l’expéditeur correspond au même pays. A contrario, c’est la loi du pays où sera livrée la marchandise qui s’appliquera au contrat.

En faisant application du droit européen pour certains concepts liés au droit maritime, l’Espagne et la France gardent néanmoins leur souveraineté législative concernant le reste de la matière.

 

C- Au niveau national

En Espagne, le contrat d’affrètement de navires a subi tout récemment une réforme avec la Loi 14/2014 en date du 24 juillet 2014 concernant la Navegación Marítima (LNE), Loi de la Navigation Maritime en français. Cette Loi s’intéresse aux différents problèmes touchant au transport maritime actuellement. Concernant le contrat d’affrètement, la Loi espagnole lui consacre un chapitre à partir de l’article 203.

Ladite loi distingue trois catégories de navires, considérés par ailleurs comme étant des « véhicules de navigation » - le navire en tant que tel, les embarcations, les bâtiments de mer.

Au cœur du droit maritime, le navire est une notion recouvrant un grand nombre de concepts. La qualification de navire entraîne application de dispositions codifiées ou relevant de lois spéciales (Leboeuf, « Synthèse exploitation du navire affrètement », 2016).

En France, tous les contrats de transport sont régulés par le Code des transports (CDT) en date du 3 novembre 2010 incluant les contrats de transports de tout type (terrestres, aériens, maritimes). S’agissant du contrat d’affrètement, le code y consacre comme en Espagne tout un chapitre, à partir des articles L5423-1 et suivants.

Ainsi, le Code des transports français est compétant autant pour la régulation des relations de droit privé, que des relations de droit public. C’est un code qui englobe tous les aspects du droit maritime, et spécialement les contrats de transports et leurs différentes déclinaisons. Cette codification détaillée se justifie notamment en sachant la quantité importante de marchandises sortant des ports français et entrant dans ces-derniers. La France, comme l’indique le Cluster Maritime Français, se situe parmi les nations pionnières en matière d’exportations et importations maritimes.

 

Une fois les sources établies, il convient de se pencher sur l’appréciation concrète du contrat d’affrètement par l’Espagne, présentant en grande partie des différences de fond.  

 

II- Les différents types de contrats d’affrètement : similitudes et distinctions entre les deux pays

Il convient de se pencher sur la typologie du contrat d’affrètement en France et en Espagne présentant des similitudes (A), à la lumière des évolutions doctrinales permettant de concevoir les distinctions existantes entre les deux nations (B).

 

A- Différents types de contrats d’affrètements en France et en Espagne

La législation espagnole distingue trois types d’affrètement : à temps (es. por tiempo), au voyage (es. por viaje), et le transport de marchandises déterminées sous connaissement (es. transporte de mercancías determinadas en régimen de conocimiento de embarque).

Dans le premier cas, le transporteur s’engage à effectuer tous les voyages que l’affréteur aura prévu au cours d’une période déterminée et convenue, en respectant les limites au contrat. L’affréteur assume la gestion commerciale du navire, et les coûts liés à son exploitation. Le fréteur garde la gestion nautique.

S’agissant de l’affrètement au voyage, le transporteur s’engage à effectuer un ou plusieurs voyages déterminés, tout en assumant les coûts liés à l’exploitation du navire.

A la différence de la France, l’Espagne n’emploie pas dans sa LNM les termes de charte-partie.

Dans le troisième cas, l’affrètement se réfère au transport de marchandises déterminées en raison de leur poids, mesure ou classe. (art. 205 LNM).

En France, le CDT considère les contrats de transports maritimes comme étant des « contrats relatifs à l’exploitation du navire ». Ces contrats se divisent entre les contrats de transports de personnes et d’équipage (article L. 5420 CDT) et les contrats de transport de marchandises (art. 5422 CDT).

La législation française prévoit que le contrat d’affrètement est un contrat par lequel, selon l’article L. 5423-1 CDT, « le fréteur s'engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la disposition d'un affréteur. ».

Il existe également en France trois types de contrats : l’affrètement coque nue, l’affrètement au voyage et l’affrètement à temps.

En l’espèce, la classification française se distingue quelque peu de l’espagnole. En effet, concernant l’affrètement coque nue, lorsque « le fréteur s’engage, contre paiement d’un loyer, à mettre à la disposition d’un affréteur un navire déterminé » (art. L. 5423-8 CDT), la LNM considère ce contrat comme étant un contrat de louage de navire distinct du contrat d’affrètement (art. 188 LNM).

Concernant l’affrètement à temps, il est indiqué dans le CDT français que « le fréteur s’engage à mettre à la disposition de l’affréteur un navire armé, pour un temps défini. ». Aujourd'hui en France, le contrat d'affrètement à temps est bien différencié du contrat de transport ; il se rapproche davantage de l'idée de location, sans toutefois s'y confondre (Rodière, Traité général de Droit maritime, Affrètements et transports, 1967 ; Pontavice et Cordier, Transports et affrètements maritimes, 2ème édition, 1990 ; Bonassies et Scapel, Traité de droit maritime, 2ème édition, 2006 ; Delebecque, Droit maritime, 2014).

La LNM espagnole quant à elle maintient la distinction entre le contrat de louage du navire, du service pour lequel le navire est loué (es. arrendamiento del buque et prestación de servicios de tripulación).

Toutefois, ces distinctions sont les conséquences d’une certaine évolution opérée par les doctrines françaises et espagnoles sur le sujet.

 

B-Les distinctions doctrinales actuelles

La doctrine espagnole présente trois conceptions principales concernant la nature juridique du contrat d’affrètement maritime : considéré tantôt comme contrat de transport, ou bien contrat de louage de chose, d’ouvrage ou de services. 

Le français Daniel Danjon considère que le contrat d’affrètement peut être considéré comme un contrat de transport, toujours et seulement lorsque le propriétaire du navire ayant convenu de transporter des marchandises pour le compte de l’affréteur, équipe et conserve la maintenance du navire, sa direction et celle de l’équipage (Danjon, Tratado de Derecho Marítimo : Capitanes, Armadores, Fletamento, 1929, p. 326).

Plus récemment, le professeur Philippe Delebecque définit le contrat d’affrètement comme l’engagement par une personnne apellée fréteur, de mettre un navire à la disposition d’un affréteur, moyennant le paiement d’une somme d’argent appelée fret. Ce contrat commercial donnant lieu à la rédaction d’une charte-partie et à l’établissement d’un connaissement qui n’est d’abord qu’un reçu prouvant la remise de marchandises et qui n’est pas nécessairemenet appelé à circuler (Delebecque Philippe, Droit maritime, 2014, p. 407).

Le professeur María Isabel Martínez Jiménez indique qu’il existe dans la doctrine espagnole un courant considérant le contrat d’affrètement comme ayant une nature juridique variable en fonction des clauses contractuelles (Martínez Jiménez María Isabel, Los contratos de explotación del buque, 1991, p. 418).

En ce sens, le professeur Benito de Endara considère que l’affrètement peut être un contrat de transport ou de louage. Si la totalité du navire est louée pour une durée déterminée et un prix fixé, il s’agira d’un contrat de louage. A contrario, il s’agira d’un contrat de transport lorsque l’objet du contrat est le transport de marchandises par un navire déterminé et pour un certain voyage (De Endara, Curso de Derecho Mercantil, 3e  édition, 1924, p. 817-818).

Danjon indique que l’affrètement pourra être considéré comme contrat de louage de chose meuble, lorsque le propriétaire d’un navire, sans armement ni équipage, cède temporairement la possession de son navire à une personne se chargeant de l’armer et de l’équiper à son propre compte afin de l’utiliser pour la navigation (Danjon, Tratado de Derecho Marítimo : Capitanes, Armadores, Fletamento, 1929, p. 340).

En accord avec les articles 273 et 286 du Code de commerce français de 1807, où le contrat d’affrètement est défini comme étant une convention pour le louage d’un navire, l’affrètement est considéré comme un contrat de louage de chose meuble.

Dans tous les cas, divers auteurs français et espagnols considèrent que la nature juridique du contrat d’affrètement varie en fonction du type d’affrètement. Ainsi, il paraît délicat au regard des doctrines espagnole et française de cloisonner l’affrètement dans une seule catégorie de contrat. En ce sens, le professeur Arroyo Martínez explique que l’affrètement à temps, comme nous le définirons en suivant, est un contrat autonome et considéré comme sui generis dans le Droit Maritime, « il peut être assimilé au louage d’ouvrage, locatio operis » (contrat liant un donneur d’ordre à un locateur d’ouvrage). En l’espèce, l’ouvrage obligeant le fréteur serait la navigation, au moyen d’un navire respectant les conditions de navigabilité pour une durée déterminée (Arroyo Martínez, Compendio de Derecho Marítimo, 2005, p.138).

Ainsi, la doctrine espagnole, relativement flexible, refuse de cloisonner le contrat d’affrètement préférant adapter le concept, et donc la nature juridique de ce-dernier au cas par cas. Or, concernant la typologie du contrat d’affrètement, il existe une fois de plus des termes en commun entre les deux pays, ne rattachant pas toujours au même concept, ou à la même nature juridique. 

 

III-Les enjeux de la qualification entre contrat de transport et affrètement : un même objet matériel mais un régime juridique différent

S’il existe une possibilité relative de choisir entre contrat d’affrètement et contrat de transport (A), les conséquences ne sont pas les mêmes sur le plan juridique (B).  

 

A-Option entre le contrat d’affrètement et le contrat de transport : entre limites et libertés

Les contrats d’affrètement au voyage et de transport de marchandises par mer ont un objet matériel identique : l’acheminement de marchandises d’un port à l’autre. Néanmoins, ils ont des régimes juridiques sensiblement différents. La doctrine « n’a eu de cesse de (les) différencier, sinon même de les opposer » (Tassel Yves, « L’affréteur au voyage n’est-il pas transporteur ? », Neptunus, 1998, Vol. 4.3).

Il convient de comprendre si les parties ont la liberté totale de choisir entre contrat d’affrètement et contrat de transport. Il existe indubitablement des situations où les parties ont la possibilité de choisir librement de soumettre l’opération qu’elles ont envisagée au régime du contrat de transport ou du contrat d’affrètement au voyage : par exemple lorsque l’opération porte sur la totalité de la cargaison d’un navire. Il sera donc possible de recourir autant au contrat d’affrètement, qu’au contrat de transport si l’opération concerne le transport d’une ou plusieurs cargaisons. Néanmoins, si la marchandise est de petite dimension, ou encore s’il s’agit par exemple d’un colis individuel, il est impossible de conclure un contrat d’affrètement pour assurer son déplcaement. C’est du reste dans un souci d’ordre public que le contrat de transport maritime fût créé en 1883-1924 afin de protéger les chargeurs contre la puissance des armateurs (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 587).

En droit français, la jurisprudence en la matière étant rare, comme le souligne le professeur Pierre Bonassies, la délimitation du contrat applicable peut soulever des difficultés. Dans tous les cas, si doute il y a, c’est la qualification de contrat de transport qui doit prévaloir, en raison notamment du carcatère d’ordre public de la réglementation en la matière.

La qualification n’est pas secondaire, étant donné que le régime du contrat de transport et les règles de responsabilité du transporteur sont impératives. En ce sens, l’esprit même de la réglementation est opposé à celui du contrat d’affrètement. Il existe une certaine liberté dans l’affrètement du fait du caractère supplétif des dispositions légales. Or, les règles sur le contrat de transport maritime sont généralement et principalement impératives, parce que protectrices des chargeurs (Delebecque Philippe, Droit maritime, 2014, p. 451).

 

S’il existe une certaine liberté de choix, il a été vu que le contrat d’affrètement et le contrat de transport ne répondent pas du même régime juridique. Aussi, il convient de s’intéresser sur l’importance et la conséquence de la qualification du contrat.

 

B-L’expression et intérêt de l’option

Dans le cadre d’un affrètement au voyage, les parties sont ammenées à rédiger une charte-partie. A contrario, si elles optent pour le contrat de transport, elles devront établir un connaissement ou un document analogue à celui-ci. Dans certains cas, les termes de contrat d’affrètement ou contrat de transport ne sont pas employés. Dans ces situations, c’est au juge qu’il appartient de qualifier les opérations (Aix-en-Provence, 2 mars 1972, navire Valfer, DMF 1973.74 ; Rouen, 14 mars 1985, navire Conti-Helvetia, DMF 1986.153).

Néanmoins, dans certains cas le régime du transport s’appliquera obligatoirement à l’égard du tiers porteur du connaissement. En effet, conformément à l’article 5 de la convention de 1924, citée préalablement, il est intéressant de constater que les rapports entre le tiers porteur et le fréteur sont totalement soumises au régime du transport maritime. Ainsi, toute référence, même de principe, à l’affrètement a disparu. Cet article indique qu’ « aucune disposition de la présente Convention ne s’applique aux chartes-parties » mais « si des connaissements sont émis dans le cas d’un navire sous l’empire d’une charte-partie, ils sont soumis aux termes de la présente Convention ».

En ce sens, le droit français reprend explicitement les indications de la Convention dans l’article 17 de la loi du 18 juin 1966 (article L. 5422-2 du Code des transports).

Auquel cas, deux situations méritent d’être distinguées : dans un premier cas, lorsqu’un connaissment a été émis, puis conservé dans un second temps par l’affréteur. Ce connaissement correspondra donc à un reçu, le régime de l’affrètement restera appliqué dans les relations entre le fréteur et l’affréteur. A contrario, l’autre situation serait la remise d’un connaissement à l’affréteur par le fréteur, transmis par endossement à un tiers. Par la simple transmission du connaissement, le fréteur voit son statut se dédoubler : fréteur par rapport à l’affréteur, mais transporteur par rapport au tiers destinataire.

Ainsi, le régime du contrat de transport de marchandises ne s’applique pas uniquement entre un transporteur et un charguer ayant décidé de façon volontaire d’en faire application.

Le contrat d’affrètement laisse également une place importante au principe d’autonomie de la volonté. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, le principe d’autonomie en France était d’origine jurisprudentielle (arrêt American Trading). Il fût confirmé plus tard par l’arrêt Fourrures Renel (C. Cass 6 juillet 1969 : « la loi applicable au contrat, en ce qui concerne leur formation, leurs conditions ou leurs effets, est celle que les parties ont adoptée… »).

Par l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, et conformément à son article 3.1, le contrat est sans le moindre doute régi par la loi choisie par les parties (Batiffol Henri, Lagarde Paul, Traité de droit international privé, Tome 1, 1993).

Pour les contrats d’affrètement, l’article 1er de la loi du 18 juin 1966 précise que « les conditions et les effets de l’affrètement sont définis par les parties au contrat, et à défaut, par les dispositons du présent titre et celles du décret pris pour son application ». Le principe de la loi d’autonomie a donc toute sa place dans ce contrat. L’Espagne également fait application de ce principe (Alvarez Rubio Juan José, Las cláusulas paramount : autonomía de la voluntad y selección del Derecho aplicable en el transporte marítimo internacional, 1997, pp. 131-148).

Ainsi, la distinction entre contrat d’affrètement et contrat de transport de marchandise est radicale. Dans le contrat d’affrètement le navire est en quelque sorte « le principal » dont la marchandise n’en serait que « l’accessoire », a contrario du contrat de transport. Dans un sens, ce qui importe c’est la marchandise, le transporteur ayant alors un rôle économiquement actif, s’agissant de la personne qui reçoit la chose à fin d’acheminement. A contrario, c’est le navire qui est l’objet des soins des contractants, l’affréteur jouant alors dans ce cas le rôle économique principal.

Ainsi, autant en France qu’en Espagne, ou bien le contrat concerne le louage du navire (l’affrètement), ou bien l’acheminement par le propriétaire du navire d’un colis dans un port connu (contrat de transport).

En s’engageant dans un contrat de transport, l’armateur promet l’acheminement d’une marchandise d’un port à un autre (obligation de résultat) : ainsi une présomption de responsabilité d’ordre public pèse sur le transporteur concernant les pertes et avaries souffertes par les marchandises. Dans le contrat d’affrètement, l’armateur promet uniquement une certaine diligence (obligation de moyens).

Que ce soit pour la France ou l’Espagne, le contrat de transport est idéal pour le transport de tout type de cargaison. Le transport pouvant être réalisé ou bien par le biais d’entreprises adeptes des conférences maritimes, ces conférences mettant en place des accords pour fixer les limites et les conditions de certaines lignes maritimes, ou bien par le biais d’entreprises outsiders ne faisant pas partie des conférences, ou encore par le consortium de ligne, s’agissant d’après l’article 1er du règlement CE n° 246/2009 du conseil concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à certaines catégories d’accords, de décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (« consortia ») de « l’exploitation en commun des services de transports maritimes entre compagnies maritimes de ligne, dans le but de rationaliser leurs opérations au moyen d’arrangements techniques, opérationnels et/ou commerciaux, à l’exception des prix » (Arroyo Martínez Ignacio, Curso de derecho marítimo, 2015, p. 313 et s., 519 et s.).

L’affrètement quant à lui offre la possibilité de louer totalement ou partiellement un navire pour un ou plusieurs voyages spécifiques ou même pour une période déterminée. Ce régime s’utilise en particulier pour le transport de grandes quantités de marchandises par un même affréteur.

Une autre différence concernant la présomption. Celle-ci n’a pas la même force dans les deux cas. Par exemple, lorsque survient un dommage sans pour autant en connaître la cause, le transporteur est soumis à une présomption de responsabilité, le fréteur l’est à une présomption de faute. Ainsi, la situation est plus favorable au chargeur par rapport à l’affréteur. (Montas Arnaud, « L’affrètement au voyage est-il un contrat de transport ? (divergences juridiques, convergence pratique) », 2010).

 

Bibliographie consultée

 

Ouvrages

Alvarez Rubio Juan José, Las cláusulas paramount : autonomía de la voluntad y selección del Derecho aplicable en el transporte marítimo internacional, 1997, Eurolex, Madrid.

Arroyo Martínez Ignacio, Compendio de Derecho Marítimo, 2005, Editorial Tecnos, Madrid.

Arroyo Martínez Ignacio, Curso de Derecho Marítimo (Ley 14/2014, de Navegación Marítima), 3ème édition, 2015, Civitas, Madrid

Batiffol Henri, Lagarde Paul, Traité de droit maritime : Tome 1, 1993, LGDJ, Paris.

Bonassies Pierre, Scapel Christian, Traité de droit maritime, 2e éd., 2006, LGDJ, Paris.

Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, LGDJ, Paris.

Broseta Pont Manuel, Manual de Derecho Mercantil, 8e Edition, 1990, Editorial Tecnos S. A., Madrid.

Colbert Jean-Baptiste, Ordonnance de la marine du mois d’Aoust 1681 commentée et conférée sur les anciennes ordonnances, le Droit Romain, & les nouveaux règlements, 1714,  Charles Osmont, Paris

Danjon Daniel, Tratado de Derecho Marítimo : Capitanes, Armadores, Fletamento, 1929, Faustino Menéndez-Pidal trad., 1932, Reus, Madrid.

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Articles

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Lois

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Jurisprudence

Arrêt de la Cour de Cassation en date du 17 Aout 1859 D.1859.I.347 ; cité par Bonassies Pierre et Scapel Christian, 2006, Traité de droit maritime, LGDJ, p.632, n°987.

Arrêt American Trading de la Cour de Cassation en date du 5 décembre 1910.

Arrêt Fourrures Renel de la Cour de Cassation en date du 6 juillet 1969.