Le paiement de créances par un débiteur en concordat préventif. Une interprétation extensive de l’article 173 loi italienne de la faillite dans la décision du 19 février 2016 rendue par la Chambre civile de la Cour de cassation italienne

Cet article a pour objectif de comparer les différences qui existent entre les pouvoirs décisionnaires d’un débiteur mis en procédure préventive en droit français et en droit italien et par la même occasion celles afférentes au traitement accordé aux créanciers. 

L’arrêt de la Cour de Cassation italienne du 19 février 2016 apporte un éclaircissement sur la possibilité pour un débiteur d’effectuer des paiements lorsque son entreprise fait l’objet d’un concordat préventif. La réforme de 2006 de la loi de la faillite, qui organise les procédures collectives italiennes, a affaibli les compétences du juge en charge de la procédure et élargie les possibilités d’agir du débiteur. Les juges de la Cour de cassation se sont conformés aux changements apportés par le législateur dans cette décision. 

Le concordat préventif est une procédure, prévue dans la loi de la faillite, qui s’adresse au débiteur qui se trouve en situation de crise ou de cessation des paiements. Ce serait l’équivalent en droit français d’un mixe entre la conciliation en ce qu’elles ont le même objectif qui est de trouver un accord avec les créanciers, l’accord homologué car elle est publiée et interdit toute poursuite des créanciers contre le débiteur et de la procédure de sauvegarde car elle prévoit une forme d’interdiction des paiements pour le débiteur. Le droit italien des entreprises en difficulté prévoit moins de procédures pour venir en aide des entrepreneurs que le droit français. Cependant ces dernières sont plus amples. Elles offrent plus de possibilités d’agir au débiteur et aux créanciers.

Dans l’arrêt de l’espèce, le débiteur a effectué le paiement de créances, antérieures et postérieures à l’ouverture du concordat, sans avoir obtenu l’autorisation préalable du juge. Le tribunal a ordonné la révocation de la procédure préventive et prononcé la mise en faillite de l’entreprise en application de l’article 173 de la loi de la faillite. La Cour d’appel a confirmé la décision des juges du fond.

Le concordat préventif permet de trouver un accord entre le débiteur et les créanciers grâce à l’élaboration d’un plan qui est destiné à assainir les difficultés de gestion et financières de l’entreprise. Le législateur offre des avantages au débiteur afin de soutenir son rétablissement mais fixe également des obligations au débiteur. Tel est le cas pour la gestion du patrimoine de l’entreprise. La loi italienne de la faillite prévoit un encadrement des dépenses effectuées par le débiteur tout comme cela est le cas en droit français en procédure de sauvegarde. Il n’est plus libre de payer toutes les créances qu’ils souhaitent. Le plan encadre la gestion du patrimoine sous le contrôle du juge. Il en est de même en droit français. Cependant le législateur autorise le mécanisme de la compensation. Il faut que les créances soient connexes et réciproques1 c’est à dire qu’elles aient le même fondement2. Il faut un « lien de connexité entre les obligations en cause »3. Il faut également que la créance soit certaine4. Le droit français encadre d'avantage les actions du débiteur que le législateur italien qui a préféré le laisser libre d’honorer directement ses créances tout en tenant compte de l’intérêt des créanciers et en respectant le principe de la meilleure satisfaction de ces derniers. C’est ce que révèle l’interprétation extensive faite par les juges de la Haute Cour italienne de l’article 173 de la loi de la faillite dans la décision publiée le 19 février 2016. 

Le paiement des créances, par le un débiteur en procédure préventive, sans autorisation du juge constitue-t-il un acte susceptible de léser l’intérêt des créanciers ?  

La Cour de cassation italienne élargie les pouvoirs du débiteur mais contre balance cette liberté en insistant fortement sur la nécessité de respecter les droits des créanciers (I) et leur intérêt (II). 

I - Le droit à la défense des créanciers limité en cas de modification de la procédure

Les créanciers ne disposent pas d’un réel droit de participation à l’audience mais d’un litis denuntiatio (A), ils ne participent pas directement à la construction de la décision (B). 

A - La consécration du principe litis denuntiatio 

La procédure de révocation de concordat préventif doit être notifiée aux créanciers afin que ces derniers puissent y assister. En l’espèce la convocation n’avait pas été envoyée aux créanciers. La société débitrice et un des créanciers partie à la procédure ont contestés cette omission. Ils considèrent que le droit à la défense des créanciers a été lésé et que la procédure n’est pas valide. Le droit français a également connu une évolution ces derniers mois avec un arrêt de la 1ère Chambre civile qui confirme la jurisprudence selon laquelle le droit des créanciers d’exercer directement une action en réparation est conditionné par la nature du préjudice. Il existe deux catégories d’action. La 1ère tend à protéger l’intérêt collectif des créanciers et est à la seule initiative du mandataire judiciaire, la 2nde protège un droit personnel et distinct et peut être exercée par les créanciers. En l’espèce le litige portait sur un fond de commerce en situation de dépréciation. La perte de valeur du fond de commerce touche l’intérêt collectif des créanciers. L’action est réservée au mandataire judiciaire. Le Code de commerce prévoit qu’en cas d’inertie du mandataire, tout créancier nommé aussi contrôleur est autorisé à introduire une action dans un délai de deux mois après avoir mis en demeure le mandataire et sans avoir obtenu de réponse ni d’action de sa part. Les différents recours possibles des créanciers sont prévus, selon la nature de la décision concernée, par le législateur. Le créancier poursuivant français peut exercer une action contre la décision d’ouverture ou de conversion d’une procédure collective. C’est la nature du préjudice subi qui permet de déterminer qui peut exercer l’action alors qu’en droit italien le droit à agir des créanciers est fortement restreint. 

Les juges de la Cour d’appel italienne ne retiennent pas de violation du droit à la défense des créanciers. Ils considèrent que le débiteur et les créanciers ont des intérêts opposés et que le débiteur n’est pas autorisé à former un recours contre cette omission. Les magistrats ont divisé en deux phases le « sous procès » de révocation. Dans la première, seul le juge est autorisé à introduire une instance dans laquelle il procède à la vérification des raisons de la révocation et que les conditions sont bien réunies. Cette audience est obligatoire alors que la seconde est éventuelle et successive. Elle est peut être engagée par un créancier ou le ministère public et vise à déclarer la faillite en application des conditions prévues aux articles 1 et 5 de la loi de la faillite. Le droit d’agir des créanciers n’est pas certain contrairement au droit français. Il apparait que le législateur italien n’a pas eu l’intention de réellement faire participer les créanciers à la révocation du concordat préventif. La 1ère Chambre civile rend une décision qui consacre le principe litis denuntiatio en énonçant que « La communication de l’audience aux créanciers n’est pas un vocatio in ius mais (…) constitue un acte informatif qui autorise les créanciers à participer volontairement à l’audience dans le but qu’ils expriment leur accord ou désaccord avec la position du débiteur et/ou apportent des éléments utiles à la décision. »5

B - La validité de la décision de révocation en absence des créanciers

L’omission de la communication de l’audience aux créanciers est une nullité relative et non pas absolue qu’il est possible d’assainir. Elle ne remet pas en cause la validité de la procédure ni de la décision.

La décision prise par le juge lors de la première phase du sous-procès de révocation du concordat ne nécessite pas d’être précédée par une demande en justice. Le magistrat se saisit d’office. Elle n’est pas émise avec la possibilité d’ouvrir un contentieux entre les parties. Elle constitue l’expression d’un « pouvoir-devoir du juge » qui est lié à son objectif de détecter des éventuelles fraudes. Ce qui ne nécessite pas l’opinion des créanciers. Il s’agit d’une intervention du juge comme garant de la bonne application du plan6. En droit français les créanciers sont informés de l’ouverture d’une procédure collective grâce à la publication faite dans le bulletin des annonces civiles et commerciales. Il n’y existe pas, comme en droit italien, une obligation d’informer les créanciers non privilégiés, à l’exception des créanciers privilégiés qui sont informés personnellement par le mandataire judiciaire de l’évolution de la situation.

La Cour de cassation italienne justifie également la validité de la décision de révocation en l’absence des créanciers par le fait que le débiteur est le seul à pouvoir être accusé et a en assumer directement les conséquences, il est donc la seule partie obligatoire à la procédure. Ce problème ne se poserait pas devant le juge français car aucun texte ne prévoit une obligation de convoquer les créanciers à l’audience. Ils doivent s’informer seuls de l’avancement de la procédure. La protection du débiteur est renforcée au détriment de celle des créanciers. Il existe une exception lorsque l’entreprise en difficulté est de grande taille (150 salariés) ou génère un chiffre d’affaire important (20 millions d’euros) et que les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable. Dans cette situation, des comités de créanciers sont formés. Ils ont le droit de participer à l’élaboration du plan. C’est l’administrateur qui coordonne l’échange entre les comités et le débiteur, si ce dernier ne s’exécute pas volontairement. 

En droit italien les créanciers ne peuvent pas alléguer des prétentions de droit sur le déroulement du concordat préventif mais ils ont un pouvoir indirect sur la décision. Le même raisonnement s’applique à la seconde phase du sous procès de révocation. Il est de jurisprudence constante que « les créanciers ne disposent pas d’un droit à faire faillir leur propre débiteur »7. Tout comme ils ne disposent pas d’un droit visant à empêcher sa faillite. De même en droit français, les créanciers n’ont pas le pouvoir d’influencer directement la décision du juge. Le législateur italien semble être légèrement plus pro créanciers que pro débiteur qu’en droit français mais les droits offerts sont similaires. Les créanciers sont mis à l’écart de l’évolution de la procédure alors que cela peut affecter directement leur chance d’être payé.

II - L’adéquation des décisions du débiteur avec l’intérêt des créanciers 

La gestion de l’entreprise reste entre les mains du débiteur mais ses décisions doivent tenir compte de l’intérêt des créanciers (A), le juge en est le garant (B). 

A - Le principe de la meilleure satisfaction des créanciers

Aussi bien en droit français qu’en droit italien l’objectif du législateur est de faire en sorte que tous les créanciers puissent être payés. Il ne faut pas que les paiements effectués par le débiteur sans autorisation du juge portent atteinte à la par condicio des créanciers. Les juges du tribunal de 1ère instance et de la Cour d’appel retiennent qu’en l’espèce tel est le cas. Ils considèrent que le patrimoine du débiteur doit être géré avec prudence. Il soumet à l’autorisation du juge un certain nombre d’opérations et interdit les créanciers de former des recours contre le débiteur. Le droit français prévoit quand à lui une interdiction totale des paiements. Le débiteur n’est plus libre d’effectuer les paiements qu’il souhaite dès lors que s’applique l’interdiction des poursuites par les créanciers. 

Les juges de la Cour de cassation ne partagent pas le raisonnement des juges du fond italiens. Ils rappellent que le droit des entreprises en difficulté a été réformé à plusieurs reprises depuis 2005 et que ce raisonnement n’est plus en adéquation avec les objectifs de la nouvelle législation. Ils choisissent l’interprétation la moins restrictive possible de l’article 173 loi de la faillite et considèrent que la révocation doit être prononcée dans le cas ou des « actes non autorisés … ou de manière général un acte direct à frauder les intérêts des créanciers » ont été effectués. Le « ou de manière générale » prévu par le législateur est interprété par les magistrats comme un « ou dans tous les cas ». Il ne suffit donc pas d’avoir effectué un paiement pour encourir la révocation prévue à l’article 173 pré cité mais il faut que l’acte soit frauduleux. En droit italien, la fraude est définie comme « un comportement qui porte directement atteinte au patrimoine du débiteur ». Selon la Cour de cassation cette interprétation concorde avec la volonté du législateur  qui est de favoriser la négociation dans les sociétés en situation de crise. De plus le juge délégué n’est plus compétent pour approuver la fiabilité du plan, il est donc inutile que tous les paiements soient soumis à son autorisation. À l’inverse le débiteur français n’est pas libre d’effectuer des paiements. Il encourt la prononciation de la liquidation de son entreprise et/ou une interdiction de gérer s’il viole cette interdiction. Un paiement effectué est frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée dans un délai de 3 ans après le dit paiement. Il existe cependant le mécanisme de la compensation. Le débiteur peut payer par compensation dès lors que les créances sont exigibles, certaines et connexes. Il doit demander l’autorisation du juge commissaire pour toute autre transaction financière. Il dispose d’une autonomie de gestion bien plus restreinte que celle du débiteur italien. 

Il est plus prudent d’encadrer rigoureusement la gestion du patrimoine d’un entrepreneur en difficulté. Le droit français offre donc une meilleure garantie aux créanciers. Cependant la réalisation d’un paiement diminue le patrimoine disponible pour les autres créanciers mais cela permet également de diminuer le débit et c’est un fait qui peut favoriser le remboursement des autres créanciers. 

B - Le juge comme garant de la bonne application du plan

Les pouvoirs du juge délégué en charge du concordat préventif ont nettement diminués avec les réformes menées part le législateur depuis 2005. Il n’a plus de pouvoir de décision sur la rédaction du plan, ni sur le déroulement de l’activité de l’entreprise. Seuls certains actes sont soumis à l’autorisation préalable du juge. Il s’agit des actes qui excèdent l’administration ordinaire de l’entreprise. Ces actes sont soumis au contrôle du juge car ils peuvent affecter la valeur du patrimoine et porter atteinte à l’intérêt des créanciers. Le juge délégué dispose dans ce cas d’un pouvoir de contrôle et de gestion, qui a une portée générale, sur les intérêts qui découlent de la procédure. Le juge français quant à lui doit approuver le plan du débiteur. Il a un rôle important dans le déroulement de la procédure collective. Outre les créances alimentaires, le débiteur n’est autorisé à payer aucune créance sans l’autorisation du juge commissaire. Ce dernier n’a pas un simple rôle de contrôle mais un réel pouvoir décisionnaire. De cette manière les actions du débiteur sur son patrimoine sont davantage protégées. Le juge français est bien plus impliqué dans le bon déroulement du plan que le juge italien. C’est lui qui valide le plan et qui veille à son exécution.  En suivant ce raisonnement, les créanciers ont moins de chance de voir leur créance être payée rapidement. Cependant ils sont assurés que le patrimoine du débiteur ne peut pas être diminué, ce qui leur garantie plus de chance d’obtenir un paiement dans la durée. À l’inverse les créanciers italiens ont plus de chance d’être payés rapidement mais cela diminue le patrimoine disponible du débiteur et peut donc empêcher le paiement de certain tout comme le favoriser puisque des créances sont supprimées. Le débit est diminué. Il y a une application différente du principe d’égalité entre les créanciers et de la protection de leur intérêt. Le droit italien ne protège pas les créanciers de manière équitable en laissant le débiteur effectuer des paiements sans l’autorisation du juge. Ils sont autorisés pour des petites créances ce qui implique forcément que les créanciers qui ont le plus participé à l’activité de l’entreprise ne seront pas les 1ers à être payés et voient le patrimoine du débiteur diminuer sans pouvoir y prendre une part. Le principe de la meilleure satisfaction possible des créanciers est également interprété différemment dans les deux droits. Le législateur italien favorise une satisfaction rapide des créanciers en autorisant le débiteur à gérer lui même les paiements des créances tandis que le droit français protège les créanciers en interdisant des opérations de paiement sans l’autorisation préalable du juge. 

 

Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 mars 1991, n° 89-17083 
2  Cour de cassation, Chambre commerciale, 31 mai 2016, n° 14-28056
3  Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 mars 2011, n° 0916660
4 Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 avril 2009, n° 08-14756
Cite la décision
Cette solution reprend le raisonnement énoncé dans la décision de la Cour de cassation italienne n° 14552/014
Cour de cassation italienne, Assemblée Plénière, n° 26181/06; Cour de cassation italienne n° 21834/09

 

Bibliographie

Ouvrages - Monographies

- A. Lienhard, Procédures collectives, 2015-2016, 6ème édition, Delmas 

- M.-H. Monsèrié-Bon, Entreprises en difficulté (Mandat ad hoc - Conciliation), mars 2012 (actualisation : janvier 2016), Répertoire de droit commercial, Dalloz 

- P. Pétel, Le nouveau droit des entreprises en difficulté, Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. – Ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté, Fasc. 2151, Jurisclasseur Procédure collective, Lexis Nexis

- A. Jorio et B. N. Sassani, Trattato delle procedure concorsuali, Volume III - Il fallimento. Inventario - Gestione dell'impresa - Liquidazione e distribuzione dell'attivo - Chiusura - Esdebitazione - Disciplina del sovraindebitamento - Procedure concorsuali transfrontaliere, 2016, Giuffré Editore  

Revues 

- A.Castagnola, R.Secondo, Giurisprudenza commerciale, n 42.6, novembre - décembre 2015, Giuffrè Editore