Le port du voile islamique en Europe: le cas de la France et de l'Italie

     L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que „toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.” Ce droit cependant n’est pas absolu car, comme le prévoit le second paragraphe de cet article, il peut être limité, entre autres, pour des raisons de sécurité et d’ordre publics. 
En France, la liberté de religion est garantie par le principe de laïcité en vertu duquel l’Etat ne dispose pas d’une religion officielle et chacun est donc libre de pratiquer sa propre religion. En Italie, il en est de même mais ce principe n’est pas prévu explicitement par la Constitution à la différence de la France. Pourtant, il permet également de limiter la liberté de religion au nom d’autres exigences constitutionnelles ayant une valeur supérieure. Il a notamment été instrumentalisé par plusieurs maires français, en 2016, au sujet du „burkini” qui est une tenue couvrante permettant la baignade mais ne dissimulant pas le visage. Ces maires, à travers des arrêtés, ont interdit le port de cette tenue sur les plages et lors de la baignade. Le Conseil d’Etat a retenu que le principe de laïcité ne peut fonder cette interdiction, la seule justification possible étant la présence de „risques avérés d’atteinte à l’ordre public”[1].
Il conviendra donc d’examiner seulement le port du voile islamique car il s’agit du signe religieux faisant le plus débat actuellement, notamment à cause des différents attentats perpétrés par l’Etat islamique sur le territoire européen. Tout d’abord, il s’agira d’analyser le port du voile islamique dans l’espace public, en particulier celui de la burqa et du niqab (I). Il faudra étudier ensuite la législation en place dans les entreprises privées, relative à ce signe religieux (II)

I) La place du voile islamique dans l’espace public 

     Par une loi du 11 octobre 2010, la France a interdit le port de tenues destinées à dissimuler le visage dans l’espace public. En vertu de l’article 2 de la loi, „l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.”[2] Cette loi a pour but, en particulier, d’interdire le port du voile intégral.[3] Il existe deux types de voile intégral: le niqab (couvrant le visage à l’exception des yeux) et la burqa (couvrant tout le visage et comportant une grille au niveau des yeux pour voir). À ce sujet, Robert Badinter avait précisé que „en interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion (…), mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d’une société où les femmes disparaissent de l’espace public et en sont plus que des fantômes”.[4] La loi de 2010 tend donc à protéger les valeurs d’une société démocratique. Mais n’affecte-t-elle pas la liberté de religion d’une manière disproportionnée ? 
Dans l’arrêt S.A.S c/ France, rendu par la Grande Chambre le 1er juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a déclaré que le port du voile intégral peut porter atteinte au „vivre ensemble” et qu’il met „fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes qui est un élément indispensable à la vie en société”. Par conséquent, l’interdiction du port de tenues religieuses dissimulant le visage dans l’espace public a été considérée comme justifiée. 
     En ce qui concerne l’Italie, jusqu’à présent, il n’existe pas de loi interdisant explicitement le port du voile intégral dans l’espace public. Dans sa décision n. 3076 du 9 juin 2008, le Conseil d’Etat italien a mis fin à la possible extension de l’article 5 de la loi n°152 de 1975 au port de la burqa et du niqab, qui a été opérée par plusieurs maires.[5] Cet article prévoit l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public sans une raison valable. La décision du Conseil d’Etat a donc autorisé le port de toutes les tenues religieuses étant donné qu’en l’espèce il existe une justification, celle de pratiquer une religion. 
En la matière, la législation est peut-être sur le point de changer car le 23 mars 2018 des députés, appartenant au parti politique La Ligue du Nord, ont rédigé une proposition de loi visant à modifier l’article 5 de la loi n°152 de 1975.[6] Ils souhaiteraient introduire l’interdiction explicite du port de tenues dissimulant le visage, non seulement pour des raisons d’ordre public mais également pour le cas de la burqa et du niqab, „considérés comme des comportements inconciliables avec les principes fondamentaux de la Constitution, notamment celui du respect de la dignité de la femme”. Cette proposition n’a pas encore été approuvée et si cela devait être le cas, il s’agirait de l’équivalent de la loi française du 11 octobre 2010. 

II) Les limites au port du voile islamique dans les entreprises privées

     „Si l’entreprise a avant tout une finalité économique, elle est également un lieu de socialisation, d’échanges et de confrontation”.[7] Par conséquent, la liberté de religion peut être remise en question par rapport à d’autres libertés et peut être source de tensions au sein de l’entreprise. En matière de lutte contre les discriminations dans l’entreprise (fondées notamment sur les convictions religieuses), il existe une directive européenne, n°78/2000/CE, qui a bénéficié d’une transposition en France et en Italie. 
En France, l’article L. 1321-2-1 du Code du travail dispose que „le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché”. Il est donc possible de limiter la liberté de religion. Dans une affaire concernant le port du voile islamique, la chambre sociale de la Cour de cassation a retenu que la limitation du port de signes religieux ne peut être appliquée qu’en vertu d’une clause de neutralité, générale et indifférenciée, présente dans le règlement intérieur et seulement à l’égard des salariés „se trouvant en contact avec les clients”.[8] Cette solution applique la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’arrêt Bougnaoui et ADDH c/ Micropole SA du 14 mars 2017 (n° C-188/15). 
En Italie, dans un arrêt de 2016 (n°579/16), la Cour d’appel de Milan a retenu que le comportement d’une entreprise devant sélectionner des hôtesses pour la distribution de flyers était discriminatoire lorsque celle-ci ne voulait pas insérer, dans la sélection, une employée de confession musulmane à cause de son refus de retirer le voile pour le travail. L’avocat Alberto Guariso, qui a assisté l’employée, a déclaré que cet arrêt était très important „car il reconnait que le droit à l’identité religieuse est un élément essentiel des sociétés démocratiques et qu’il doit toujours être garanti, même lorsqu’il comporte un sacrifice d’autres exigences de l’employeur, esthétiques par exemple, qui ne sont pas aussi significatives”.[9]

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] Conseil d’Etat, Ord. 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres
[2] Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, JORF n°0237
[3] F. Dieu, „Laïcité et espace public”, RDP 2013, p. 566
[4] JO Sénat, comptes-rendus, 15 septembre 2010, p. 6761
[5] M.L Quattrocchi, „Il divieto di indossare il burqa ed il niqab in Italia e in Europa”, Forum di quaderni costituzionali, 2011, p. 7
[6] Camera dei deputati, proposta di legge n° 265 d’iniziativa dei deputati MOLTENI, GRIMOLDI, GIUDESI, INVERNIZZI, 23/03/2018
[7] P. Le Maigat, „La restriction à la liberté religieuse dans les entreprises privées”, Gaz. Pal. 12/12/2017, n°310a5, p.15
[8] Cass. soc., 22/11/2017, n° 13-19855
[9] Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione, „È illegittimo il rifiuto di assumere una lavoratrice a causa del velo”, 05/05/2016, https://www.asgi.it/notizie/illegittimo-rifiuto-assumere-velo/